Tympan de la Création, abbaye de la Pierre-qui-Vire

Didier Long La Pierre Qui Vire nov. 2019

Le texte qui suit commente le « Tympan de la Création » du narthex de l’abbaye de la Pierre-qui-Vire (Yonne).
Œuvre de frère Marc (Didier Long). 1991. Biennale de Venise 1992- Architettura e spazia sacro nella modernita, architecte belge Jean Cosse pour les bâtiments (dont DL a réalisé l’étude matériaux et couleurs).
Matériaux : Granit, béton coloré, céramique émaillée à la cendre, fresque, cuivre. Largeur 4 mètre, poids du linteau 4 tonnes.

Le site
Le monastère est une petite citée perdue au coeur de la forêt du Morvan entre Avallon et Saulieu en Bourgogne. Tout l’urbanisme monastique à travers la prière des psaumes, le méditation de la Bible, les commentaires des anciens, le travail manuel et intellectuel… vise à écouter la parole de Dieu ici et maintenant et à faire UN avec le Dieu UN (c’est le sens de monos, moine). C’est étrange mais c’est ainsi. Toute la vie est donc ritualisée autour du cloître (cour carrée intérieure) qui distribue les fonctions : réfectoire, église,cellules, chapitre, bibliothèque, atelier (le monastère vit du seul travail des moines)… autour de ce coeur battant du monastère qui est entouré d’une clôture.

La clôture est un espace de silence absolu où ne pénètrent que les moines. La cloche les appelle 7 fois, jour et nuit à l’office divin (prière des psaumes).

Les hôtes sont accueillis à l’hôtellerie (photo de la porterie) où ils peuvent séjourner.

J’ai travaillé sur le projet couleur et matériaux de l’Abbaye avec l’architecte belge Jean Cosse. J’ai réalisé le tympan de la Création du Narthex et nous sommes passés à la Biennale de Venise en 1992 : Sacro spazio nella modernita.

L’ensemble du tracé régulateur de l’architecture est basé sur des séries de Fibonacci.

l’église est ouverte à tous, on y entre par un vaste sas de recueillement, le Narthex où se trouve le tympan.

Le texte
Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre n’était que solitude et chaos (Tohou vavoou : tohu-bohu); des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de Dieu planait à la surface des eaux (al penei amaïm, sur le visage des eaux). Dieu dit: « Que la lumière soit! » Et la lumière fut. Dieu considéra que la lumière était bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, jour UN (iom ehad).

Comme dit le rabbin de ma synagogue chaque fois qu’il va commenter la Torah pour shabbat : « On pourrait passer trois ans à étudier cette parasha (passage de la Bible)… ».
Cependant je vais essayer de donner l’explication d’une sculpture ésotérique entièrement bâtie sur ces quelques versets qui ouvrent le premier chapitre du premier livre de la Bible, celui de la Genèse.

 Le tracé régulateur du tympan 

Le tympan est basé sur la maguen David, le carré (éléments) et le cercle (le ciel)

Il est enroulé dans une spirale de Fibonacci.

Dans la suite de Fibonacci, pour laquelle, une suite de nombres dans laquelle tout nombre (à partir du troisième) est égal à la somme des deux précédents:

1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89,…

La suite de Fibonacci possède de nombreuses propriétés très utilisées en mathématiques. Une d’entre elles est que le rapport de deux nombres consécutifs de la suite est alternativement supérieur et inférieur au nombre d’or , un nombre remarquable qui vaut exactement 1.61803398…

La spirale de Fibonacci est bâtie sur une série de rectangles d’or :

On retrouve celle-ci partout dans la nature : Tournesol, ananas, pommes de pin, cactus, étoiles de mer, coquillages (ici le nautile), galaxies, ouragans…

coeur de pâquerette

Cette présence du Nombre d’or dans la nature est fascinante. Les lois mathématiques pénètrent la nature comme une torah vivante liée aux développement des organismes, à l’équilibre des forces, à la mécanique…

Il me semble que tout être humain, toute créature intelligente et en dehors de toute ‘religion’ peut comprendre cela. Cela m’a semblé un bon point de départ pour une réflexion sur la création, le simple fait que nous sommes tous de créatures créées, des simples passagers de l’univers qui nous porte.

Les éléments en le vide central
Le Ciel  est symbolisé par le cercle, la course circulaire des astres circulaires, la voute étoilée au-dessus de nos têtes. « Deux choses me remplissent d’une joie éternellement renouvelée : la voûte étoilée au-dessus de ma tête et la présence de la loi morale en moi » dit Emmanuel Kant au début de sa ‘Critique de la raison pratique’. C’est aussi ce que chante le psaume 19 :
« Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l’ouvrage de ses mains.
Le jour au jour en livre le récit et la nuit à la nuit en donne connaissance.
Pas de paroles dans ce récit, pas de voix qui s’entende; mais sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde. Là, se trouve la demeure du soleil : tel un époux, il paraît hors de sa tente, il s’élance en conquérant joyeux. Il paraît où commence le ciel, il s’en va jusqu’où le ciel s’achève : rien n’échappe à son ardeur.  La Torah du Seigneur est parfaite, qui redonne vie ; la charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples. »
Au fond, pour qui veut bien l’entendre, la parole créatrice de Dieu anime toute la création. Ces dix paroles de création de Genèse 1 (Vayomer Elhoim, « Dieu dit » est répété dix fois) renvoient aux dix paroles/commandements donnés au Sinaï. Elles invitent à l’éthique. Sans éthique, sans les commandements de la Torah l’homme meurt, sa vie redevient un tohu-bohu. L’homme qui ne prend pas le « joug des cieux », c’est-à-dire qui se pense la mesure de toute chose va à sa perte. Seul celui qui prend refuge en Dieu peut entrer dans un chemin d’humanité.

La terre est symbolisée par les 4 carrés : l’eau, l’air, la terre et le feu. Le chiffre 4 est celui de ce monde : 4 saisons, 4 éléments, 4 vents…

L’étoile de David à 6 branches, symbolise les six jours de la semaine, le septième jour, celui du repos divin (le shabbat), est symbolisé par le centre de l’étoile, un vide qui symbolise l’attente messianique, la Rédemption. Selon la prophétie de Balaam : « Je le vois, mais ce n’est pas encore l’heure; je le distingue; mais il n’est pas proche: un astre s’élance de Jacob » (Nombres 24, 1-25). Ce texte annonce la venue d’une étoile messianique, qui devait sortir de la maison de David. Les six points aux extrémités de l’étoile et les 6 points d’intersection des triangles représentent les douze tribus d’Israël.

A ces éléments qui constituent la matière et l’espace s’oppose l’absence de matière et d’éléments. Le vide central.

« La pierre qu’ont dédaignée les architectes est devenue la pierre d’angle ». Au milieu du tympan est l’endroit où la matière n’a pas de forces. L’espace vide (il manque une pierre) au cœur de l’étoile est le point focal du tympan où il n’y a aucune force dans la matière, un repos, (un shabbat) au-dessus du linteau. Ce système de décharge est utilisé depuis la plus haute antiquité pour soulager les linteaux.


Selon les mots du psaume : « Voici la porte de l’Eternel, les justes la franchiront! Je te rends grâce pour m’avoir exaucé, tu as été mon sauveur. La pierre qu’ont dédaignée les architectes, elle est devenue la plus précieuse des pierres d’angle. C’est l’Eternel qui l’a voulu ainsi, cela paraît merveilleux à nos yeux. » (psaume 118,2)
La pierre d’angle absente renvoie à la reconstruction du Temple de Jérusalem attendue et demandée dans la prière. 

« Le souffle de Dieu planait sur le visage des eaux ». La vague de l’esprit est une spirale construite sur une série de rectangles d’or. Pour construire une spirale dorée, on prend un rectangle d’or horizontal de largeur 1 et de longueur fi. On y inscrit un carré de côté 1 dans le coin gauche. Le rectangle restant est donc un rectangle d’or vertical de longueur 1. On y inscrit un carré dans le coin supérieur. Il reste un rectangle d’or. On itère… Cette courbe est appelée spirale dorée. Elle ressemble à s’y méprendre à une spirale logarithmique. Pour moi elle symbolise le temps.

L’étoile de la Rédemption, la Maguen David met en route le temps, elle est au cœur de la spirale qui entraine l’histoire. Et comme dit Maïmonide, « le monde suit son cours ».

La Bible parle de l’ordre cosmique parce que celui-ci symbolise le fondement d’une existence humaine. Le cosmos comme l’homme sont traversés par la parole de Dieu, la Torah qui les ordonne. Selon ce point de vue Dieu est radicalement séparé de l’homme et la Torah n’en dit rien qui ne soit humain, de mots d’homme. Si « Dieu a créé le monde en regardant sa Torah qui en est le plan » (Midrach Berechit Rabba 1)…

Dans les Pirqé Avot on peut lire : « Dix choses ont été créées avant le (premier) Shabbat (du monde) : La bouche de la terre, le puits de Myriam, l’arc-en-ciel, etc.»… et Moïse Maïmonide commente (à propos de ces ‘miracles’) : « Ne crois pas que Dieu change d’avis à chaque instant (en fonction du comportement des hommes), mais Dieu a placé dès l’origine des lois qui pourront se réaliser s’il y a lieu qu’elles se réalisent. ». Donc « le monde suit son cours », Dieu s’en est retiré pour nous laisser libre, que nous comprenions ses lois ou que nous ne les comprenions pas.

Alors, si d’aventure vous passez par Avallon, à 2h30 de Paris… allez voir les moines de la Pierre-qui-Vire. Dans la forêt, loin du tumulte de ce monde, n’ayant pour compagnie que les chênes, dans le dépouillement et la joie, leurs quelques paroles vous conduiront au coeur de vous-même.

Un commentaire sur « Tympan de la Création, abbaye de la Pierre-qui-Vire »

  1. Ma pensée -un peu brut comme d’habitude- et je m’en excuse- mais c’est ce que je pense jusqu’à preuve du contraire…Le Père Matthias a tiré par son art le maximum de cet horrible béton… (« La pierre qu’ont dédaignée les architectes… » : bravo donc. Quelle belle photo vous avez prise pour illustrer cette citation évangélique ! Le béton est un matériau mort, destiné uniquement au robot humain que nous sommes devenus, mais les matériaux de construction créés par le Créateur relient l’homme à Dieu ; ils savent bien vieillir et ont certainement, aux yeux des Poètes, de multiples qualités et mystères…
    Par ailleurs, pendant que j’y suis, je signale (à paraître vers sept. 2011) aux éditions protestantes libérales « Théolib : « Mise en regard de Calvin et du protestantisme libéral » … « pas du tout ce que l’on m’a appris au catéchisme ! », comme m’a dit un ancien prêtre, …mais enfin…

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