Le messianisme de Moïse Maïmonide au Maharal de Prague

Ce Shabbat de Hol Ha Moed et dernier jour de Pessah avant la mimouna nous avons lu la Haftarah en hébreu (Emmanuel) et avec le Targoum en araméen (Jacob) et la traduction en français (Serge) qui en interprète chaque verset. L’après-midi du dernier jour de Pessa’h, il est de coutume de prendre un troisième repas appelé Séoudat Machia’h : le « Repas du Machia’h ». On attend en ce dernier jour de Pessah que le messie se révèle au monde, un messie créé avant le monde lui-même pendant le massé berechit. « L’esprit de D.ieu planait, » c’est l’esprit de Machia’h –  commente le Midrash Rabba.

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Haggadah – Les rabbins au Pardès 

La Haftara de ce shabbat nous entraîne à une réflexion sur ce thème du Machia’h. Le prophète  Isaïe décrit l’ère messianique. Lisons le :

Les temps messianiques d’Isaïe

Or, un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton poussera de ses racines. Et sur lui reposera l’esprit du Seigneur: esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de crainte de Dieu. Animé ainsi de la crainte de Dieu, il ne jugera point selon ce que ses yeux croiront voir, il ne décidera pas selon ce que ses oreilles auront entendu.

Mais il jugera les faibles avec justice, il rendra des arrêts équitables en faveur des humbles du pays; du sceptre de sa parole il frappera les violents et du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant. La justice sera la ceinture de ses reins, et la loyauté l’écharpe de ses flancs. Alors le loup habitera avec la brebis, et le tigre reposera avec le chevreau; veau, lionceau et bélier vivront ensemble, et un jeune enfant les conduira. Génisse et ourse paîtront côte à côte, ensemble s’ébattront leurs petits; et le lion, comme le bœuf, se nourrira de paille. Le nourrisson jouera près du nid de la vipère, et le nouveau-sevré avancera la main dans le repaire de l’aspic.

Plus de méfaits, plus de violences sur toute ma sainte montagne; car la terre sera pleine de la connaissance de Dieu, comme l’eau abonde dans le lit des mers.. En ce jour-là, il y aura un rejeton de Jessé, qui se dressera comme la bannière des peuples; les nations se tourneront vers lui, et sa résidence sera entourée de gloire.

Et en ce jour-là, le Seigneur étendra une seconde fois la main pour reprendre possession du reste de son peuple, qui aura échappé à l’Assyrie, à l’Egypte, à Patros, à Kouch, à Elâm, à Sennaar; à Hamat et aux îles de la mer. Il lèvera l’étendard vers les nations pour recueillir les exilés d’Israël et rassembler les débris épars de Juda des quatre coins de la terre. Alors cessera la rivalité d’Ephraïm et les haineux dans Juda disparaîtront: Ephraïm ne jalousera plus Juda, et Juda ne sera plus hostile à Ephraïm. Mais ils fondront de concert sur les Philistins, au couchant; ensemble ils dépouilleront les fils de l’Orient. Ils feront main basse sur Edom et Moab, et les enfants d’Ammon recevront leurs ordres.

Et l’Eternel imprimera l’anathème au Golfe égyptien; de sa main, de son souffle impétueux, il frappera le grand fleuve, et il le divisera en sept ruisseaux, où l’on marchera à pied sec. Et ce sera une chaussée pour le reste de son peuple, échappé à l’Assyrie, comme il y en eut une pour Israël le jour où il sortit du pays d’Egypte. Oui! Dieu est mon salut; j’espère et ne crains point; car ma force et ma gloire, c’est Dieu, l’Eternel! C’est lui qui m’a sauvé! »

Vous puiserez avec allégresse les eaux de cette source salutaire; et vous direz en ce jour: « Rendez hommage à l’Eternel, invoquez son nom, célébrez ses œuvres parmi les peuples; proclamez que son nom est grand! Chantez l’Eternel, il a fait des choses glorieuses; qu’elles soient divulguées par toute la terre ! Triomphe et chante, toi qui habites Sion, car il s’est montré grand en toi, le Saint d’Israël! (Isaïe 11, 1-12, 6)

Les temps messianiques selon Maïmonide

Examinons ce qu’en dit Maïmonide dans son Michné Torah, Livre des Juges, Lois des Rois aux chapitres 11 et 12.

Le Roi Machia’h se lèvera un jour pour rétablir la royauté de David en son état, comme lors de son institution, et il reconstruira le Sanctuaire, et il rassemblera les exilés d’Israël. Tous les jugements seront rendus comme autrefois : on offrira des sacrifices, on observera les années sabbatiques et les jubilés, selon toutes les prescriptions établies par la Torah.

Quiconque n’y croit pas, et n’attend pas sa venue ce n’est pas les Prophètes ultérieurs qu’il conteste, mais la Torah elle-même et Moïse notre Maître, car la Torah elle-même témoigne sur lui, ainsi qu’il est écrit « et D.ieu ramènera ta résidence et te prendra en pitié, et il reviendra te rassembler (…), et même si ton exil est au bout du ciel (…) D.ieu te ramènera ». Ces paroles énoncées par la Torah contiennent en elles toutes les promesses dites par tous les Prophètes.

Il est cité également dans l’épisode de Balaam et il y est prophétisé sur les deux Machia’h : le premier qui fut David, et qui sauva Israël des mains de ses oppresseurs, et le dernier Machia’h qui se lèvera d’entre ses descendants et qui délivrera Israël une dernière fois.[…]

Qu’il ne te vienne pas à l’esprit que le Roi Machia’h devra opérer miracles et merveilles, changer quelque chose au monde ou ressusciter les morts, ou opérer des choses semblables. Il n’en est rien, et nous le voyons de Rabbi Akiba, qui était un grand Sage parmi les Sages de la Michnah, qui soutenait le Roi Ben Kouziba, et disait de lui qu’il était le Roi Machia’h, et croyait, lui et tous les Sages de sa génération qu’il était le Roi Machia’h, jusqu’à sa fin malheureuse. Puisqu’il fut tué, ils comprirent qu’il ne l’était pas. Jamais pourtant les Sages ne lui avaient demandé de signes ou de miracles. Le point fondamental est ainsi : cette Loi, ses dogmes et ses ordonnances sont valables à tout jamais, et on n’y ajoutera rien, on n’en retranchera rien.

Et s’il s’élève un Roi de la lignée de David, érudit dans la Loi, adonné aux commandements comme David son aïeul, selon les préceptes de la Loi écrite et de la Loi orale, qui amène tout Israël à en suivre les chemins et à en fortifier les positions, et qui mène les guerres de D.ieu, on présume qu’il est le Machia’h.

S’il agit ainsi et réussit, et qu’il reconstruit le Sanctuaire à son emplacement et rassemble les exilés d’Israël, c’est le Machia’h avec certitude. Il corrigera le monde entier pour servir D.ieu ensemble, ainsi qu’il est dit « alors je donnerai aux peuples un langage clair pour qu’ils invoquent le nom de D.ieu et pour le servir d’un même élan ».

Qu’il ne te vienne pas à l’esprit qu’à l’époque de Machia’h sera annulée quelque chose dans la marche du monde, ou que sera changée la nature de la création : le monde continuera selon sa nature, et ce qui est dit par Isaïe « le loup habitera avec le mouton et la panthère paîtra avec l’agneau » est une parabole et une allégorie, dont le sens est qu’Israël résidera en paix parmi les méchants du monde, comparés au loup et à la panthère, ainsi qu’il est dit « le loup des steppes les pillera, la panthère guette leur ville »

Alors tous retourneront à la Loi de Vérité et cesseront de voler et de détruire. Ils vivront paisiblement des choses permises, avec Israël, ainsi qu’il est dit « le lion comme le bétail mangera de l’herbe ».  De même toutes les paroles de ce genre à propos de Machia’h sont des paraboles, et à l’époque de Machia’h tous connaîtront le sujet de ces paraboles et leur signification.

Nos Sages ont enseigné : « la seule différence entre notre époque et les temps messianiques est la fin de notre assujettissement aux peuples » […]

Il ne viendra pas pour déclarer impur le pur, ni pur l’impur, ou invalider des personnes respectées, ou habiliter des personnes non acceptées, mais pour instaurer des rapports pacifiques dans le monde, ainsi qu’il est dit « il ramènera le coeur des pères vers les fils etc… ».

Il y en a parmi les Sages qui pensent que c’est avant Machia’h que viendra Elie.

Et toutes ces choses, nul ne sait comment elles se dérouleront jusqu’à ce qu’elles aient lieu, car ces paroles des Prophètes sont énigmatiques. Les Sages eux-mêmes n’ont rien reçu par tradition à ce sujet, si ce n’est ce qu’en disent les textes, et c’est pourquoi ils sont partagés sur ces sujets. Dans tous les cas, la façon dont ces choses auront lieu en détail n’est pas un sujet fondamental de la foi. C’est pourquoi un homme ne devrait pas s’occuper des récits ni s’attarder sur les contes énoncés sur ces sujets, ni en faire un problème fondamental car ces préoccupations ne l’amènent pas à plus de crainte et plus d’amour de D.ieu De même on ne devrait pas chercher à connaître la date de la venue de Machia’h. Nos Sages ont dit « que se vide l’esprit de ceux qui calculent la fin des temps ». .Mais il faut attendre et croire au principe de la venue de Machia’h, comme nous l’avons expliqué.

 

Le messie de Maïmonide

La conception du messie de Maïmonide n’est pas apocalyptique ou magique. Le Messie ne vient pas avec un bouleversement de la création et de l’ordre cosmique. Il ne ressuscite pas les morts.  Il peut encore moins être « un rustre  qui dit qu’il est le messie » et « ordonne de disperser toute sa fortune pour l’offrir aux pauvres » qui est contraire à la Torah selon  laquelle « il ne convient pas de faire don de toute sa fortune mais seulement une partie » (Epitre au Yémen, IV 178). La conception de Maïmonide est rationnelle. En cela il ne défend pas une position nouvelle mais déjà édictée par Samuel, un sage du IIIème vivant en Babylonie : «  Il n’est de différence entre ce monde-ci et les temps messianiques que la domination des Nations (sur Israël) » (Berakhot 34b ; Sanhédrin 91b). Fi pour lui des miracles qui font partie des lois de la nature, les thaumaturges qui ne prouvent absolument rien ou une quelconque abolition de la Torah et de ses préceptes. La Torah et le halakha resteront telles-quelles. « La vie naturelle suivra son cours » (Roi 12, 1).

Il faut dire qu’à chaque crise de son histoire, le judaïsme a produit des « messies », qu’on pense à Jésus (Judée sous domination romaine et première guerre judéo romaine en 65-70 ), Bar Kohba pendant la seconde guerre judéo-romaine en 115-135, David Reubeni (début du XVIe siècle), Salomon Molkho (début du XVIe siècle), Shabbataï Tsevi (XVIIe siècle)… suite à l’exode d’Espagne, Jacob Joseph Frank (1726-1791) fondateur du mouvement Frankiste après les pogroms en Pologne…etc… La liste des candidats au titre est interminable.

Médecin, ayant vécu en fuite permanente d’Espagne au Maroc en Egypte, Maïmonide connaissait les risques de certains types de pathologies maniaco-dépressives engendrées par les souffrances insupportables infligées au peuple juif, qui conduisent des candidats au messianisme au merveilleux et à vouloir concrétiser l’objet de leur désir, et bien-sûr des pauvres naïfs inquiets du réel insupportable à les suivre, vers des cieux improbables ramenés sur cette terre.

Alors qu’il écrit à une communauté persécutée au Yémen, où sévit un faux messie, en connaisseur des maladies du corps et de l’âme, il écrit :

« Venons-en à ce que tu mentionnes de l’activité de cet homme qui dit être le messie dans le villes du Yémen –Sache que je ne suis étonné ni de lui, ni de ceux qui croient en lui car pour un malade il n’y a ni culpabilité ni crime s’il n’est pas responsable de sa maladie. De même, je ne susi pas étonné de ceux qui croient en lui, par suite de leur impatience et parcequ’ils ne connaissent pas le lieu du Messie et son haut niveau de dignité et que cela leur soit  venu à l’esprit ». (Épître au Yémen, IV, 176).

Maïmonide n’en est pas à son premier cas. Il a détecté la maladie (chronique !) 48 ans plus tôt et décrit :

« un homme dans la ville de Fèz, il y a 48 ans, qui dit être le messager et l’envoyé du Messie ; il dit que celui-ci se révèlerait cette année-là. Sa parole ne se confirma pas et les tourments reprirent pour Israël à cause de lui. Cette affaire m’a fait connaître ce qui s’est produit dans toutes [les autres] » (Epitre au Yémen IV 185)

A quoi reconnait-on les faux messies, « aux tourments d’Israël » ! Maïmonide a donc diagnostiqué le portrait-robot du faux messie : un faux salut annoncé qui ne se réalise pas et aboutit inéluctablement non pas au salut d’Israël mais à ses tourments.

Shabbataï Tsevi au XVIIème siècle bien analysé par Gershom Sholem est sans doute le cas le plus abouti du messie maniaco-dépressif que décrit Maïmonide. Pas de deus ex machina, donc pour Maïmonide, ce dieu sorti des cintres du théâtre romain qui vient résoudre la fin de la pièce. Pas de « jugement dernier » eschatologique (eschaton : la fin) comme chez Michel Ange, un dieu vengeur tuant les méchants dans d’horribles souffrances et en exaltant les justes béatifiés.

Pour Maïmonide le messie est d’ordre politique et prophétique :

Ce roi de la lignée de David qui régnera, sera d’une sagesse plus grande que celle de Salomon et d’une capacité prophétique proche de celle de Moïse. C’est pourquoi, il sera un maître pour tout le peuple et il enseignera les directives divines (Hil’hot Téchouva 9, 2)

Maïmonide précise sa vision d’un messianisme prophétique à son correspondant yéménite :

« Mais je m’étonne que toi disciple de la Torah et pratiquant des livres de maîtres, ne sais-tu pas mon frère que le Messie est un très grand prophète, le plus grand de tous à l’exception de Moïse notre maître, que la paix soit sur lui ? En outre, ne sais-tu pas que quiconque prétend être un prophète, si sa prophétie est démentie, il est passible de la peine de mort, parce qu’il s’est attribué cette haute dignité… » (Épître au Yémen, IV, 176-177).

Et il ajoute :

« Mais sa dignité sera d’un plus haut niveau d’excellence que la dignité des prophètes, et plus chargée d’honneur, en dehors de Moïse notre Maître ; le Créateur concentrera sur lui des qualités que Moïse, notre Maître n’a pas reçues ensembles » (Épître au Yémen, IV, 177).

Un messie clairement politico-prophétique donc. Comment s’inscrit-il parmi les courants messianiques du judaïsme ?

Les messianismes juifs : prophétisme politique, apocalyptique et utopie eschatologique

Le messianisme ne peut pas être pensé comme un mouvement de pensée unitaire dans le judaïsme. Il a varié dans ses attentes au cours de l’histoire juive. On se trouve donc non pas face un messianisme mais des messianismes.

Au départ du messianisme il y a l’exil et l’espoir d’un salut qui ne peut venir que de D.

Pour Esaïe (45, 1) Cyrus le roi de Perse est appelé « messie ». Car la victoire de Cyrus II, ou Kurash, en 539 avant notre ère contre les assyro-babyloniens, et sutout son fameux décret : « Qu’à tous les rescapés juifs, partout la population des lieux où ils résident leur apporte une aide en argent, en or, en équipement et en montures, en même temps que des offrandes de dévotion pour le Temple de Jérusalem » réveille l’espoir juif Après un demi-siècle d’exil à Babylone. Cyrus qui n’est pas juif permit aux exilés de rentrer à Jérusalem et de rebâtir le Temple pour y honorer leur D.ieu. C’est de là que nait l’idée d’un messie libérateur politique. Messianisme politique et prophétique d’Isaïe, au sens ou le prophète n’est pas un voyant mais celui qui annonce les conséquences politiques d’une situation : « si vous faites ceci, il arrivera cela parole du Seigneur… ».

Mais cette conception va vite céder à un autre genre littéraire. Celui de l’apocalyptique. La libération politique annonce une libération plus fondamentale, cosmique. On lit des signes et des symboles dans des visions et des rêves. Le chapitre VII du livre de Daniel, au VIe siècle avant notre ère, rapporte les aventures de Daniel déporté en Babylonie, après la destruction du Temple en – 586. Les visions fantastiques cosmiques et mystérieuses de Daniel reflètent l’inquiétude fébrile de l’attente d’une délivrance en exil. La libération d’Israël ne peut être qu’un bouleversement profond de toute la création re-générée jusque dans son ADN.

Le messianisme utopique enfin. Isaïe dans la Haftarah raconte une fin des temps réconciliée sur la montagne de Sion, une utopie qui vise la fin des temps (eschatologie). Une utopie eschatologique dans laquelle les nations enfin en paix laissent Israël libre regagner sa terre et reconstruire son Temple. L’Eternel maître du temps et de l’histoire en maitrise la finalité. C’est l’utopie eschatologique.

On le voit donc, le messie n’est pas un personnage divin mais un libérateur politique. Même s’il est clair que les composantes apocalyptiques vont en faire la créature quasi angélique qu’on rencontre dans le Talmud sous la forme du Métatron, le plus haute des créatures angéliques. Rashi (commentaire de Genèse Rabba, §5) dit que « Metatron » peut signifier « meneur » et il explique que la valeur numérique de Metatron équivaut à celle du Nom Divin Shaddaï, שדי, c’est-à-dire 314. Le Talmud de Babylone (Sanhédrin 38b), l’identifie avec l’ange envoyé par Dieu pour guider Israël dans le désert (Ex 23, 20). Ou rapporte qu’avant la destruction du Temple, Metatron était chargé de l’enseignement de la Torah à tous les enfants juifs (Avodah Zarah 3b) » ; Cet ange guide Rabbi Ishmael à travers les mondes célestes… Le Midrash Rabbah, Nombres XII, 12 rapporte : « Lorsque le Saint, béni soit-Il, dit à Israël de construire le Tabernacle, Il intima aux anges recteurs de construire aussi le Tabernacle, et lorsque celui d’en bas fut érigé, l’autre fut érigé en haut. Ce dernier était le Tabernacle de l’adolescent dont le nom est Metatron, et en son sein il offre les âmes des justes. La raison pour laquelle il est écrit « ETH LE TABERNACLE » est qu’un autre tabernacle était érigé en même temps ».

La kabbale, contre laquelle Maïmonide ferraille s’appropriera cette réflexion métaphysique. Pour le Zohar Metatron est la « lumière brillante de la Shekhinah » créé avant toutes les autres créatures, donc indemne de le chute. Pour le Tikkunei Zohar, Metatron est l’ « Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal »… Cette spéculation mystique typiquement pharisienne sur les anges, les niveaux de cieux (4 ! ils les ont contés ! etc…), le maassé merkava, des années 50-135, à ne pas mettre entre toute les mains, vite être étouffée par l’histoire va réapparaitre de manière chronique pour nourrir de merveilleux des foules désemparées en période de crise.

Maïmonide lui n’est pas un matérialiste pour autant. Il dit dans son Guide des égarés :

Nous avons déjà dit cela plusieurs fois, et tu trouveras que les docteurs disent de même (Beréchit Rabbâ 10) : « Il n’y a pas jusqu’à la moindre plante ici-bas qui n’ait au firmament son mazzâl (c’est-à-dire son étoile), qui la frappe et lui ordonne de croître, ainsi qu’il est dit (Job 38, 33) : « Connais-tu les lois du ciel, ou sais-tu indiquer sa domination (son influence) sur la terre ? » – (par mazzâl on désigne aussi un « astre », comme tu le trouves clairement au commencement du Beréchit Rabbâ, où ils disent : « Il y a tel mazzâl (c’est-à-dire tel astre ou telle planète) qui achève sa course en trente jours, et tel autre qui achève sa course en trente ans).

Ils sont donc clairement indiqué par ce passage que même les individus de la nature sont sous l’influence particulière des forces de certains astres ; car quoique toutes les forces ensemble de la sphère céleste se répandent dans tous les êtres, chaque espèce cependant se trouve aussi sous l’influence particulière d’un astre quelconque. Il en est comme des forces d’un seul corps, car l’univers tout entier est un seul individu, comme nous l’avons dit. »

Et aussi :

« Nous avons déjà donné précédemment, dans ce traité, un chapitre où l’on expose que les anges ne sont pas des corps. C’est aussi ce qu’a dit Aristote ; seulement il y a ici une différence de dénomination : lui, il dit « Intelligences séparées », tandis que nous, nous disons « anges. »

Quant à ce qu’il dit, que ces Intelligences séparées sont aussi des intermédiaires entre Dieu et les (autres) êtres et que c’est par leur intermédiaire que sont mues les sphères, – ce qui est la cause de la naissance de tout ce qui naît, – c’est aussi ce que proclament tous les livres (sacrés) ; car tu n’y trouveras jamais que Dieu fasse quelque chose autrement que par l’intermédiaire d’un ange. »

Mais si Maïmonide utilise l’angéologie ce n’est pas pour spéculer sur ce qui se passe au ciel ou pour définir le transcendance à partir de l’immanence mais dans le but de préserver la transcendance du D.ieu.Un. Bref une pensée rigoureusement étanche entre le divin et l’humain. Les kabbalistes auront beau jeu de lui reprocher sa scholastique rigide, son intellectualisme élitiste, un aristotélisme juif qui abdiquerait devant la sagesse des nations,  etc… Avec la Kabbale on est clairement dans une pensée théologico-cosmologique dont le messianisme n’est pas prophétique mais plus « métaphysique ».

Les idéologies messianiques nées au moment de l’exil : prophétisme politique, apocalyptique, utopie eschatologique….vont être la matrice idéologique dans lesquels chaque crise va puiser, un tronc commun utilisé pour expliquer pourquoi Israël souffre en galout. Ces messianismes vont entrer en concurrence, renaitre au cours de l’histoire juive, s’affronter.

 

De Maimonide au Maharal de Prague

Maïmonide est l’héritier de la tradition prophétique rationaliste qui se méfie des visions. Celle-ci n’est pas nouvelle au Moyen-âge. Déjà contre les rabbins qui montent au ciel en vision et voient le trône de D. ( bleu ! il l’ont vu !) ; Une baraïta du Talmud prévient des risques encourus :

Nos Sages ont enseigné : 4 hommes sont entrés au Pardès : Ben Azaï, Ben Zoma, A’her et Rabbi Akiva. Rabbi Akiva leur dit : « Lorsque vous arriverez devant des pierres de marbre pur, ne dites pas : ‘De l’eau, de l’eau’, car il est dit : ‘Celui qui débite des mensonges ne subsistera pas devant Mes yeux’ (Psaumes 101:7). Ben Azaï contempla (la gloire divine) et mourut. A son propos, il est écrit : ‘Une chose précieuse aux regards de l’Eternel, c’est la mort de ses pieux serviteurs’ (Psaumes 116:15). Ben Zoma contempla et perdit ses esprits. A son propos, il est écrit : ‘As-tu trouvé du miel, manges-en à ta suffisance, mais évite de t’en goinfrer, tu le rejetterais’ (Proverbes 25:16). A’her coupa les racines (renia sa foi). Rabbi Akiva entra en paix et sortit en paix. (Baraïta rapporté dans le traité Haguiga 14b, et Haguiga Yeroushalmi 2,1)

NB : Baraîta, ceux qui sont restés dehors (Rav Haim Harboun), des discussions ses académies talmudiques conservés mais qui ne sont pas rentrées dans le Talmud faute d’accord.

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Haggadah – Pardès 

Bref, l’excès mystique peut conduire au suicide, à  l’asile psychiatrique ou à rejeter la Torah de vie. A bon entendeur !

Seul Akiba, « ce fils de converti sans qui, comme nous l’a dit hier Jacob Ouanounou il n’y aurait pas de Talmud. » s’en sort indemne. Dès lors les rabbins de l’époque de la destruction du Temple vont se méfier des messianismes juifs (dont le christianisme n’est encore qu’un mouvement interne au judaïsme marginal et minoritaire et ce au moins jusqu’au IIIème siècle). Pourquoi ? Parcequ’ils ont conduit à la destruction du Temple en 70 et 500 000 morts (25% de la population de la Judée) puis à ce que Jérusalem soit rasée dans la guerre Judéo-romains messianique en 135 où Akiba sera assassiné par les romain, à nouveau les juifs tués et envoyées en exil (500 000 à nouveau ?) et un temple à Jupiter édifié à la place du Saint des saints…Les délire théologico-politique avaient suffisamment couté pour qu’on les range à la cave !

Contre l’eschatologie utopique « chosifiée », Siméon bar Coziba – identifié comme Bar Cokhba (« l’Étoile ») par Rabbi Akiba, selon la prédiction biblique : « Issue de Jacob, une étoile s’avancera » – le messie chargé, par mission divine  de délivrer le peuple juif du joug romain, on frappe une monnaie en l’honneur de l’an 1 de la délivrance d’Israël en 115-135 (photo), etc..

pièce

Le Talmud admoneste à l’époque rabbinique : « Que se vide l’esprit de ceux qui spéculent sur la fin des temps. » (T.B. Sanhédrin 97, 2). Spéculer sur la fin des temps revient à se prendre pour l’Eternel.

Hillel II, (320-365) Nassi du Sanhédrin entre 350 et 365 de son côté, pour calmer des ardeurs messianiques pas encore refroidies ira jusqu’à affirmer qu’il n’y avait pas de messie à attendre en Israël puisque celui-ci était déjà du temps d’Ezéchias.

NB : Pour la petite histoire Hilllel II est celui qui décida que le jour ajouté dans le calendrier pour conserver la synchronisation avec la lune, (et parfois un mois !) sur décision d’un comité spécial du Sanhédrin. Hors les envoyés du sanhédrin en diaspora pour annoncer la nouvelle afin que tous célèbrent en même temps les fêtes juives étaient arrêtées par les romains ; On décida donc d’un calendrier commun à toutes les ères. Houna ben Abin suggéra à Rava de soulager les congrégations étrangères de ne pas attendre l’intercalation officielle: « Si tu es convaincu que le quartier d’hiver s’étendra au-delà du seizième jour de Nissan, déclare que cette année est embolismique, et n’hésite pas » (R. H. 21a). Bref…

Maïmonide est donc empreint de cette tradition rabbinique nationaliste qui se méfie des rêveries célestes, des coups de fils de D. pour annoncer l’heure de la fin du monde, des délires collectifs… et autres hystérisations du réel ou de l’histoire pour en conjurer la dureté insupportable.

Au XVIe siècle,  le Maharal de Prague reprendra la tradition apocalyptique de Daniel. Il relit le midrash interprétant : «La terre était désolation et chaos ; les ténèbres sur la face de l’abîme et l’esprit de Dieu planait sur la face des eaux. » (Genèse 1, 2).  Rabbi Shimon ben Laquish interprète ce verset en référence aux Empires. « Désolation » ferait allusion à Babel, « Chaos » aux Mèdes et aux Perses, « Ténèbres » à l’empire grec et « Abîme » à Rome. « L’esprit de Dieu », c’est l’esprit du Roi-Messie, qui instaurera le cinquième royaume après l’écroulement des quatre précédents. Il « Planait sur la face des eaux » : par la teshouva, comparée à l’eau, l’ Esprit peut s’imposer progressivement à l’humanité, en brisant les retour permanent des Empires. (Genèse Rabba, 2 : 5).

Le Maharal assume l’idée de Maïmonide d’un messianisme politico prophétique débouchant sur une eschatologie réconciliée au sein d’une transformation humaine, donc rationnelle, de l’histoire avec l’appui du divin… mais aussi un messianisme apocalyptique qui sera celui du hassidisme (en réalité on a le messie de son idéologie messianique !) … Le messianisme est considéré à l’intérieur d’une histoire universelle dans laquelle Israël passe de la galout à la geoula (le Maharal part de leur semblable racine pour établir son raisonnement). L’Exil est selon lui inscrit dans le processus même de création. Exil et création sont liés. Donc le retour suppose une rédemption de la création elle-même dans sa profondeur métaphysique. Israël accomplit donc selon lui une mission en même temps historique et quasi métaphysique au sein d’une transformation cosmique radicale.

 N’éveillez pas l’amour avant qu’il le veuille

On ne lit pas la Haftarah de ce shabbat en Israël mais seulement en galout. Car si l’on en croit l’Epitre aux juifs du Yémen, que leur mémoire soit une bénédiction, selon Maïmonide le messie arrivera en eretz israël. Il est bon d’écouter sa bénédiction finale aux juifs du Yémen :

« Vous, nos frères bien aimés, écoutez son serment, n’éveillez pas l’amour avant qu’il le veuille. Le Créateur du monde par la vertu de sa miséricorde se souviendra de nous et de vous pour rassembler les exilés […] ; il nous fera sortir de la vallée des ténèbres où il nous a installés, il retirera l’obscurité de nos yeux et de nos cœurs, il accomplira de nos jours et de vos jours ce qui est consigné dans l’Ecriture :’ ‘Le peuple qui marchait dans l’obscurité voit une grande lueur; ceux qui habitaient une terre ténébreuse, la lumière rayonne sur eux’’ (Isaïe 9, 1). […]
Que la paix soit sur toi, notre cher ami, maître des sagesses, trésor d’intelligence et sur tous les disciples nos frères, et sur tout le peuple d’Israël, que la paix soit comme une lumière qui se lève, une abondance de paix sans lune. Amen. Sélah. »

 

Des chants de shabbat des descendants des juifs du Yémen en Israël, cette communauté sur la route de la soie en lien avec l’Inde et l’Asie est l’une des plus anciennes du monde. Du fait de son isolement géographique elle a maintenues vivantes  les plus anciennes traditions. 43 000 juifs yéménites ont été rapatriés en Israël en 1949, soit la quasi-totalité de cette communauté  lors de l’opération Tapis volant (photo). Ils ne sont plus que 350 au Yémen.
C’est à leurs ancêtres que Maimonide écrivait son Epitre au Yémen qui parle du Messie.

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PS : Il faut lire :

  • Le très bon livre de Mireille Hadas Lebel : Une histoire du messie, Albin Miuchel 2014.
  • et celui de Gérard Haddad, Les folies millénaristes, Biblio Essais 2002. Le meilleur livre à ce jour sur les folies messianiques.

[1] Au Maroc depuis trois siècles des familles musulmanes préparent le nécessaire pour les crêpes, galettes, petit pain …qu’ils emmènent le samedi soir chez leurs voisins ou amis juifs. Ceux-ci de leur côté, préparent la mufleta – célèbre crêpe consommée à l’occasion – pour recevoir leurs convives. C’est ainsi que se célèbre la Mimouna, cette fête initiée par les juifs marocains il y a à présent trois siècles et qui est devenu une quasi fête nationale en Israël.

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