Le 1er octobre 2013, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), qui heureusement n’est pas le Conseil de l’Europe, a adopté une résolution 1952 (2013) pour inviter les Etat membres « à prévenir les violations de l’intégrité physique des enfants », il s’agirait de « définir clairement les conditions médicales, sanitaires et autres à respecter s’agissant des pratiques qui sont aujourd’hui largement répandues dans certaines communautés religieuses, telles que la circoncision médicalement non justifiée des jeunes garçons ». Un texte un peu ridicule qui assimilait la circoncision à une mutilation sexuelle à l’heure où la plupart des américains sont circoncis, sans parler de tous les musulmans à l’âge de 13 ans. Pourquoi les chrétiens ne pratiquent pas la circoncision ? Mystère. Jésus a bien été circoncis, Paul aussi qui a circoncis celui qu’il appelle son « vrai fils dans la foi », « son enfant bien-aimé et fidèle dans le Seigneur », Timothée né d’une mère juive, Eunice.
La sidra Tazria lue ce shabbat dit : « Au huitième jour, on circoncira la chair de l’enfant. ». Que signifie l’alliance par la circoncision (brith mila) juive ?
Le rite
Celui qui a assiste aujourd’hui à une circoncision, une brith milah, vit un rite étrange venu du fond des âges qui a peu varié depuis plusieurs millénaires. Dieu ordonne à Abraham : ‘Seront circoncis à l’âge de huit jours tous vos mâles de chaque génération’ (Gn 17,12) et la prescription a été rappelée à Moïse : ‘le huitième jour, on circoncit le prépuce de l’enfant’ (Lv 12,3). Le rite a lieu le huitième jour après la naissance de l’enfant avant le crépuscule. On est au cœur de la liturgie familiale juive. Assis sur une sorte de trône de bois, le sandaq (du grec syndic !) souvent le grand-père, ou oncle, porte l’enfant sur ses genoux et tient fermement ses jambes écartées. Le père mais le plus souvent le mohel (ciconciseur qui est un médecin dans le civil) chante des prières en hébreu et les hommes répondent. L’émotion est à son comble lors de l’ablation du prépuce. La circoncision est une affaire d’hommes. La mère est bouleversée et les femmes qui se tiennent en retrait l’encouragent. La joie éclate lorsque le mohel, pose le pansement antihémorragique ; alors l’on passe une coupe de vin aux invités qui la partagent avant un repas festif. On offre des clous de girofle des amandes et des boutons de rose. Rituel étrange que cette ablation du prépuce (orla en hébreu) … Que signifie-t-il ?
La Orla du corps et du coeur
Pour la Tradition juive seul le corps de la femme a été créé parfait. L’homme est imparfait. Par la circoncision l’homme retrouve le féminin originel.
L’âme est séparée de de D.ieu par de multiples obstacles. La Tradition juive a remarqué que, chaque fois que le terme orla est employé dans la Torah, il désigne une barrière faisant obstacle à un résultat favorable.
Ainsi, le fruit de l’arbre fruitier qui vient d’être planté « est incirconcis (orla) pendant trois ans… on n’en mangera pas » selon le code Lévitique (Lv 19, 23) avant que tout son fruit ne soit donné à Dieu la quatrième année et qu’il ne donne du fruit à profusion consommable la cinquième année.
La résistance de quelqu’un au repentir est appelé la orla du cœur : « Supprimez donc la ‘orla de votre cœur » (Dt 10, 16). Une action symbolique de rétablissement de la relation avec Dieu qui engage l’action de Dieu lui-même : « Et le Seigneur, ton Dieu, circoncira ton cœur et celui de ta postérité. » (Dt 30,6).
La orla sépare l’homme de la vie donnée gratuitement à profusion, elle est le péché de l’homme, son égoïsme qui le sépare de la grâce de Dieu, de sa Sainteté (séparation). Enlever le prépuce c’est s’approcher de D.ieu, entrer en alliance, en dialogue avec lui.
D’Adam à Abraham, l’alliance en « vis-à-vis »
L’objectif de la circoncision n’est pas médical, ce geste vise à marquer dans la chair l’acceptation de et la volonté de se mettre sous la Torah, de vivre face à Dieu, le mot Mila vient de la racine moul («vis-à-vis»). La Brith Mila représente donc une «alliance en vis-à-vis» avec Dieu.
Le rite de la circoncision est donc d’abord l’entrée dans l’alliance de D., l’enfant devient fils d’Abraham. Il renoue avec une humanité accomplie ; celle d’Adam, qui fut créé à l’image de Dieu.
« Pendant les vingt générations qui séparent Adam d’Abraham, l’humanité ne réussit pas à émerger des ténèbres. Il y eut bien quelques justes comme Hénoch, Mathusalem et Noé, mais ce n’était que des exceptions qui confirmaient la règle. L’humanité était tombée, elle attendait quelqu’un d’assez grand, non seulement pour se relever lui-même, mais aussi pour relever tout le genre humain » (Maharal de Prague, ‘Hidoushey Agadot). Ce sera Abraham qui le premier reconnaitra la sainteté de l’Eternel et recevra l’alliance par la circoncision à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans et l’ordre de la pratiquer sur sa descendance. De la circoncision dépend clairement le don d’une descendance et d’un pays selon la promesse faite à Abraham (Av ‘aam : le père des peuples).
Maïmonide, notre maître, remarque que « Avraham ne fut appelé » intègre » qu’après avoir été circoncis, comme il est dit » marche devant Moi et sois intègre, et Je mettrai Mon Alliance entre toi et Moi « . » (Livre de l’Adoration : Lois concernant la Brit Milah. Chapitre 3)
Le Talmud ironise :
« Un jour l’infâme Turnus Rufus demanda à Rabbi ‘Akiva : ‘Quelles sont les œuvres les plus belles, celles de Dieu ou celles de l’homme ?’ Rabbi ‘Akiva lui répondit : ‘ce que fait l’homme est plus beau’ … Rabbi ‘Akiva lui apporta des épis de blé et des petits pains : ‘Ceux-ci [les petits pains] ne sont-ils pas plus beau que ceux-là [les épis] ?’
« Turnus Rufus lui dit : ‘Si Dieu demande la circoncision, pourquoi le bébé ne sort-il pas du sein maternel déjà circoncis ?’ Rabbi ‘Akiva lui dit : ‘… Dieu n’a donné les commandements à Israël que pour le purifier grâce à eux’. [Tan’houma, Tazria’ 5] »
L’homme par son travail peut retrouver sa stature spirituelle originelle, il n’est jamais définitivement perdu, entre les deux il a transformé l’épi en pain. Il peut enlever la Orla de son cœur qui le sépare de l’Eternel. Par la mila il parfait l’action divine. Car si la Torah dit à l’homme : « Supprimez donc la ‘orla de votre cœur » (Dt 10, 16), elle dit aussi : « Et le Seigneur, ton Dieu, circoncira ton cœur et celui de ta postérité. » (Dt 30,6). Comme si la mitsva de l’homme obligeait l’Eternel à son tour.
Ceux qui ont peur pour la santé de l’enfant devraient relire Maimonide : « On ne doit circoncire qu’un enfant sain, car un risque vital repousse tout. On pourra toujours circoncire plus tard, mais on ne pourra jamais ramener à la vie … » (Rambam, Séfer Ahavah : Hilkhot Milah (Rambam) Livre de l’Adoration : Lois concernant la Brit Milah, chapitre 1)
La présence d’Elie
Elie, le prophète du Mont Carmel qui après avoir tué les prophètes du dieu Baal se retrouve seul au désert fuyant la reine Jézabel est évoqué dans la brit. Quand D. demanda à Elie, pourquoi il se trouvait loin du peuple d’Israël, le prophète zélé répondit : « J’ai montré une passion jalouse pour l’Eternel, le Dieu des Armées, car les enfants d’Israël ont abandonné Ton alliance, ils ont rasé tes autels, ils ont tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis resté, seul, et ils cherchent à me prendre la vie ! (I Rois 19, 14).
C’est pourquoi le trône du Sandaq est celui du prophète Elie (kissé éliahou hanavi zakhor létov) et les chants sa présence et sa mission ainsi que s’en amuse le midrash dans un dialogue entre D. et Elie :
– Tu as accusé Mon peuple d’avoir abandonné l’alliance, tu seras désormais “l’ange de la brith” et tu assisteras à toutes les circoncisions pour constater, durant des millénaires, que Mon alliance reste vivace parmi Mes enfants !
– Mais Tu connais, Mon Dieu, mon zèle et mon dégoût pour les impies… Si le père du bébé est un pécheur, il me sera insupportable de me tenir à ses côtés !
– Qu’à cela ne tienne, Je pardonnerai toutes ses fautes et il sera considéré comme un juste !
– Mais si le mohel (circonciseur) est un pécheur ?
– Je lui pardonnerai également toutes ses fautes…
– Mais si les invités présents sont eux-mêmes éloignés de Ta sainte Torah ?
– Je pardonnerai leurs fautes à toutes les personnes présentes ! » (Béréshith Raba sur parashat Pinhas).
La bienveillance divine répond aux accusations du zélé prophète. « Ils ont abandonné Ton alliance ». Un midrash met dans la bouche de D. ces mots : « Tu as raison de rappeler que c’est Mon alliance et non la tienne ! En quoi cela te regarde-t-il donc ! » (Shir hashirim Raba, 1). Elie est donc là et on l’invoque.
De la nomination : « la parole de nos pères est Torah »
La circoncision est aussi un rite d’entrée dans le champ du langage et de la parole. L’enfant y reçoit son nom. Abram change de nom et devient Abraham.
Il y a là une profonde vérité de cette castration symbolique redécouvre par la psychanalyse. C’est seulement en acceptant de ne pas être tout puissant d’être une virilité limitée ainsi que Maimonide conçoit la circoncision très justement au chapiter 49 du Guide des égarés [2] que l’homme peut entrer dans le champ du langage. Son nom est le phonème originel et original qui l’identifie comme un parmi d’autre et non pas comme le tout. Il y a dans cette nomination une réalité de sanctification c’est-à-dire de séparation de particularisation. En renonçant à être dieu, le grand Tout, l’homme devient lui-même, un parmi d’autres mais aussi unique au monde, et capable de donner la vie et d’être père à son tour. C’est seulement cette acceptation originaire signifiée par la nomination (nul ne se donne son propre nom) qui permet l’acceptation de la filiation dont la Tradition reçue (qabala) et transmise (messara) (Pirqé Avot 1,1) de maître à disciple au long de âges est la forme la plus haute.
Selon l’adage talmudique : « la parole de nos Maîtres est Torah »
Pour la tradition «Pinhas est Eliahou» (Midrach Choher tov)… nous vous parlerons dans un prochain post de cet étrange personnage…
[1] La circoncision est un commandement positif, pour lequel on est passible de la peine de retranchement, ainsi qu’il est dit : » tout mâle incirconcis qui n’ôtera pas l’excroissance de sa chair, cette âme sera retranchée de son peuple « . Il incombe au père de circoncire son fils, et au maître de circoncire son serviteur, qu’il s’agisse d’un esclave né en son domaine ou d’une acquisition. Si le père ou le maître ont transgressé et n’ont pas pratiqué la circoncision, ils ont commis la faute d’annuler un commandement positif, mais ne sont pas passibles de retranchement, car cette peine ne concerne que l’incirconcis lui-même. Il incombe alors au tribunal rabbinique de faire circoncire l’enfant ou l’esclave en son temps, et de ne pas laisser un enfant d’Israël ou un de leurs esclaves incirconcis. […] On ne circoncit le fils qu’avec l’accord du père, sauf s’il a négligé et s’est abstenu de le faire circoncire, cas dans lequel le tribunal rabbinique le fait circoncire contre son gré. (Rambam, Séfer Ahavah : Hilkhot Milah (Rambam) Livre de l’Adoration : Lois concernant la Brit Milah Chapitre 1)
[2] « Les Docteurs ont dit expressément: « La femme qui s’est livrée à l’amour avec un incirconcis peut difficilement se séparer de lui » (Beréchit Rabba 80); c’est là, selon moi, le motif le plus important de la circoncision. Et qui donc a le 1er pratiqué cet acte? N’est-ce pas Abraham, si renommé pour sa chasteté? […] Cet organe doit donc être affaibli par la circoncision, mais non pas être entièrement déraciné; au contraire, ce qui est naturel doit être laissé dans sa nature, mais on doit se garder des excès.
On a prétendu que la circoncision avait pour but d’achever ce que la nature avait laissé imparfait, ce qui a donné lieu à critiquer ce précepte; car disait-on, comment les choses de la nature pourraient-elles être imparfaites, de manière à avoir besoin d’un achèvement venant du dehors, d’autant plus qu’on sait combien le prépuce est utile au membre en question? Mais ce précepte n’a point pour but de suppléer à une imperfection physique; il ne s’agit, au contraire, que de remédier à une imperfection morale. Le véritable but, c’est la douleur corporelle à infliger à ce membre et qui ne dérange en rien les fonctions nécessaires pour la conservation de l’individu, ni ne détruit la procréation, mais qui diminue la passion et la trop grande concupiscence.»
PS : merci au papa qui m’a autorisé à publier ces photos
Bonjour à tous ! Bel article ! J’ajoute : bien avant l’apparition du Judaïsme, la circoncision était déjà pratiquée en Égypte Ancienne ; sûrement liée au culte d’Osiris (comprenez le rapport phallique). Dans son ouvrage, le Fabuleux Héritage de l’Égypte, l’égyptologue Christiane Desroches Noblecourt y consacre un chapitre illustré, très intéressant.
Pour ma part, je pense que la circoncision a une origine médicale : Abraham devient père seulement après sa circoncision ; ne souffrait-il tout simplement pas d’un phimosis résolu par cette anodine intervention chirurgicale, pratiquée en des temps très reculés ? En tout cas, la circoncision peut être également vue comme une mesure d’hygiène ; la prohiber sous prétexte de mutilation sexuelle me semble très exagéré… Bien à vous.