Paracha Vayéra : « Maintenant je sais que tu crains Dieu ! »

Le commentaire de la Parasha de Vayera (« et il vit ») par le rav Haïm Harboun

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Rembrandt, Le sacrifice d’Isaac

On se rappelle l’épisode. Abraham a une vision lors d’un songe nocturne; D.ieu l’appelle et lui commande : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac ; Pars (lekh lekha) vers le pays de Moriah, et là offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je t’indiquerai ». Isaac est le fils unique d’Abraham qui l’a eu dans sa vieillesse. C’est donc une pure folie. Mais, homme de foi, sur la simple injonction Lekh lekha : « Pars ! » Abraham a déjà quitté sans sourciller son pays, la maison de son père… sur ordre de Dieu. C’est l’homme de la foi parfaite, ce type est une mitsvah à lui tout seul ! Abraham, ce n’est pas n’importe qui c’est le premier homme dont les écritures disent sobrement : « il crut en Dieu »[1]. La Torah commente « Il eut foi en l’Éternel et Il le lui tint pour justice ». Quand on aime on ne compte pas, un peu moins, ou tout c’est à dire égorger son fils, son unique descendant dans sa vieillesse, sans espoir, pour être parfaitement fidèle à Dieu, Abraham fait ce qu’on lui dit…le personnage est cohérent et sans faille dans son obéissance il n’hésite pas un instant. Le profil même du religieux extrémiste.

Ni une ni deux, sans faiblir Abraham se lève de bon matin, selle son âne, appelle deux serviteurs prends du bois et accompagné de son fils Isaac part pour le lieu que Dieu lui indiquera. « Le troisième jour, Abraham, levant les yeux (einaiv va-IaR), aperçut l’endroit dans le lointain.». Abandonnant l’âne et les deux serviteurs à leur triste sort Abraham charge son fils du bois et prend son couteau pour le sacrifier. On connait la suite : au moment d’abattre sa main pour immoler son fil , un ange appelle Abraham du haut du ciel et comme celui-ci est un peu sourd ou parce que le ciel est un peu loin de la terre l’ange est obligé de l’appeler deux fois : « Abraham! . Abraham! ». Rachi toujours magnifique commente : « C’est une expression d’affection puisqu’il l’appelle deux fois par son nom ». Abraham répond : « Me voici. » Et l’ange lui enjoint : « Ne porte pas la main sur ce jeune homme, ne lui fais aucun mal ! car, désormais, j’ai constaté que tu honores Dieu, toi qui ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique ! ». Et Abraham offre un bélier en remplacement de son fils puis nomme ce lieu : Adonaï-Yiré (Dieu voit) ; et la Torah ajoute : « C’est pour cela que l’on dit aujourd’hui : Sur le mont d’Adônaï-Yéraé. ».

Il ne pas oublier qu’au moment où ce vieux texte de bergers nomades est rédigé Israël s’est sédentarisé et la colline du sacrifice est devenue le mont du Temple à Jérusalem où Dieu était censé « voir » les israélites se rendant en pèlerinage au moment des fêtes agraires comme eux levaient les yeux vers lui. Voilà pour l’explication historique d’Abraham qui « voit », de ce « Dieu qui voit » et du titre de la Paracha, Vayera (« et il vit »). Bref.

Je m’étais quand même toujours demandé ce que signifiait ce texte un peu absurde, cette obéissance aveugle aux commandements religieux qui me semblait un peu imbécile et une sorte d’objection de conscience me commandait l’inverse pour mes propres enfants.

Lorsque le Rav Harboun a éclairé notre petite assemblée réunie en ce Shabbat. Voici ce que j’ai retenu de ce qu’il nous a dit, s’il y a des erreurs elles sont de moi :

« Avec cette Paracha nous sommes au cœur de l’actualité. Aujourd’hui les musulmans sont en guerre avec nous pour nous disputer le mont du temple. Aujourd’hui des musulmans égorgent des journalistes innocents, juifs de préférence, en Irak, par amour pour Dieu. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois dans l’histoire, l’Inquisition a tué des millions de juifs là encore pour l’amour de Dieu. L’amour de Dieu est donc un sentiment extrêmement dangereux.  Comment cette folie est-ce possible ? Nous avons la réponse dans la Torah.

L’amour est donc un sentiment dangereux. Car comme tous les sentiments c’est une pulsion qu’on ne maîtrise pas. On peut donc tuer par amour, sans réfléchir. Et tous ces islamistes qui égorgent des innocents par amour de D.ieu ne font que cela.

Alors me direz-vous : IL NE FAUT PAS AIMER ? Et pourtant on dit chaque matin dans le Shema : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme et de toute ta force » et de transmettre cela à nos fils que nous soyons debout ou couchés, à la maison ou en voyage… Comment faire ?

Abraham est le prototype de ce monsieur qui aime Dieu à la folie et qui est même prêt à égorger son fils pour cela… Mais Abraham N’A RIEN COMPRIS ! Il aime mais il ne craint pas. Il croit sans réfléchir, Et il est donc prêt à commettre un acte absurde par amour. Mais il lui manque la crainte de Dieu. C’est pour cela l’Eternel dit donc à Abraham après ce qui aurait pu tourner au drame : « Maintenant je sais que tu crains Dieu ». Ce qui veut dire qu’il ne le craignait pas encore.

Or, chaque fois que la Torah nous commande d’aimer : « Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir »[2] ou « Vous aimerez l’étranger, vous qui avez été étrangers dans le pays d’Egypte ! » [3], elle ajoute aussitôt : TU CRAINDRAS ! : « Tu craindras l’Eternel ton Dieu (tIRa)»[4]. Sans la crainte l’amour est toujours dangereux. La crainte est un acte rationnel, la crainte c’est la raison. Sans raison, l’amour mène à la destruction.

Qu’est-ce que la crainte (ira) de Dieu ? Pour cela il nous suffit de lire le titre de la Paracha : VaIeRa (« et il vit »). La crainte IRa contient la même racine hébraïque IR que le verbe « voir ». Craindre, c’est être rationnel, c’est entrevoir les conséquences de ses actes ! Et il est bien évident que le Dieu qui était prêt au début de cette Parasha à pardonner les gens de Sodome et Gomorrhe pourvu qu’il reste seulement cinquante juste, puis quarante, puis trente, puis vingt, puis seulement dix (un miniane !) alors qu’Abraham marchande pour sauver leurs vies est un Dieu qui aime la vie. Mais cela Abraham l’a seulement compris sur le mont Moryia ! ». Voilà ce que nous devons faire ! Sois béni ô Eternel, bouclier d’Abraham. »

[1] Livre de la Genèse 15, 6

[2] Livre du Deutéronome 6, 5

[3] Livre du Deutéronome 10, 19

[4] Livre du Deutéronome 10, 20

3 commentaires sur « Paracha Vayéra : « Maintenant je sais que tu crains Dieu ! » »

  1. … explication lumineuse de ce que signifie  » la Crainte de Dieu  » qui prête souvent à confusion …

  2. La réflexion sur amour et crainte est si pleine de sens. Pour moi, elle s’applique aussi a l’amour entre êtres humains. Nous devons nous méfier de l’ amour parfois irrationnel et impulsif et le tempérer par une crainte forte et constante de l’éternel. Merci pour ce beau partage. Toujours un plaisir de lire ce blog.

  3. Beau texte et excellente interprétation.Merci de les partager.
    Je voudrais juste ajouter que ce ne sont pas les musulmans qui décident de tuer , ce sont leurs gouverneurs . Ces derniers sont maintenus et soutenus par des décideurs qui ne sont pas tous musulmans. Le terrorisme nait de l’oppression et de l’injustice. Priver des générations de la liberté d’expression et de l’action , c’est les abaisser au niveau de l’animal.
    Notre époque est enrichie par rapport au temps bibliques par la connaissance de l’inconscient c’est pourquoi on doit chercher la cause de la violence et non seulement
    juger et condamner d’après les textes saints.

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