Michpatim, aux sources du droit moderne

Voici le commentaire de la Sidra du Rav Haïm Harboun que j’ai développé.

La paracha de Michpatim poursuit la Révélation de D.ieu au Sinaï. L’Eternel y promulgue un grand nombre de lois concernant les serviteurs, les peines pour le meurtre, le rapt, l’agression et le vol, les réparations des dommages, des prêts financiers, les procédures judiciaire, des taureaux belliqueux et des lois de séparation du lait et de la viande… Tous ces éléments sont la base de la jurisprudence établie par les Beth Din, les tribunaux, exposée par le traité Sanhédrin du Talmud. Nous y reviendrons.

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Le droit au coeur du Temple

La Paracha de la semaine dernière sur les dix Paroles et le don de la Loi se termine curieusement par le passage suivant :

Tu feras pour moi un autel de terre, sur lequel tu sacrifieras tes holocaustes et tes victimes rémunératoires, ton menu et ton gros bétail, en quelque lieu que je fasse invoquer mon nom, je viendrai à toi pour te bénir. Si toutefois tu m’ériges un autel de pierres, ne le construis pas en pierres de taille; car, en les touchant avec le fer, tu les as rendues profanes. Tu ne dois pas non plus monter sur mon autel à l’aide de degrés, afin que ta nudité ne s’y découvre point. (Ex 20 20-22)

Pourquoi un autel de terre et pas en pierres de taille ? Parce que la pierre taillée avec du fer portait la marque de la violence. Ce que souligne le Livre de Josué : « Josué bâtit alors un autel au Seigneur, Dieu d’Israël, sur le mont Hébal, selon ce que Moïse, serviteur de Dieu, avait prescrit aux enfants d’Israël, comme il est écrit dans la loi de Moïse: un autel de pierres brutes, que le fer n’avait jamais touchées. Et l’on y offrit des holocaustes à l’Eternel » (Jos 8, 30-33) et encore dans le Deutéronome : « Tu bâtiras au même endroit un autel destiné à l’Éternel, ton Dieu, un autel fait de pierres que le fer n’aura point touchées. » (Dt 7, 5).

On ne pouvait utiliser un outil de fer car l’autel du Temple représentait la générosité et la paix établie entre Israël et Dieu.

Une symbolique du fer et de la guerre qui réapparait aux temps messianiques chez Isaïe. Alors que les Nations monteront à Jérusalem l’acier sera transformé et ne servira plus à faire la guerre : « ceux-ci alors de leurs glaives forgeront des socs de charrue et de leurs lances des serpettes; un peuple ne tirera plus l’épée contre un autre peuple, et on n’apprendra plus l’art des combats. » (Is 2, 4).

Pourquoi ce passage précède-t-il notre paracha ? Tout simplement parceque le Beth Din était au cœur du Temple. Le Temple de Jérusalem n’était pas un lieu de culte mais aussi un lieu de gouvernement où se réunissait le grand Sanhédrin, sorte d’assemblée nationale, mais aussi un tribunal central, haut-lieu d’élaboration de la jurisprudence halakhique, mais aussi une banque où l’on collectait l’impôt pour le trésor du Temple… sans parler de la fonction de thérapie psychique que représentaient les sacrifices pour ceux qui venaient les offrir et repartaient guéris de leur culpabilité, de leur jalousie maladive envers leur femme (traité Sota)… Le Temple était non pas seulement un lieu de culte mais le cœur de la vie d’Israël. Au cœur, et contre tous les usages des temples païens, le Saint des saints était vide.

Autant dire que le Sanhédrin n’est pas seulement une affaire de juges, comme le Temple il concerne l’ensemble des questions religieuses d’organisation d’une entité nationale et de ses structures institutionnelles. Une juridiction non seulement nationale mais qui s’étend à tout le peuple très différente de celle des nations.

Car le seul juge c’est D.ieu, selon la profession de foi d’Isaïe : « Car Dieu est notre juge, notre législateur, notre roi » (Is 33, 22). « Le droit est à l’Eternel dit la Torah » (Dt 1, 17). Le juge qui fait œuvre sacré est appelé Elohim (Ex 21, 6 et 21, 8). Il est tenu d’arriver à la vérité (le mot EMET apparaît dès le début de la création et à la fin (Berechit Bara Elokhim) « tav, aleph, mem »), une vérité indubitable :

Ne fais pas fléchir le droit, n’aie pas égard à la personne, et n’accepte point de présent corrupteur, car la corruption aveugle les yeux des sages et fausse la parole des justes. C’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher, si tu veux te maintenir en possession du pays que l’Éternel, ton Dieu, te destine. (Dt 16, 19-20)

Le juge ne doit donc pas faire acception de personne que le jugé soit riche ou pauvre. צֶדֶק צֶדֶק, répété deux fois. De manière ultime le vrai « juge de vérité » est D.ieu selon la bénédiction ; Barukh dayan aémet.

53 mitsvoth, aux sources du droit moderne

C’est à l’intérieur de cette pratique que doivent être comprises toues les législations de la Torah. En tout, la Paracha de Michpatim contient cinquante-trois mitsvoth : 23 commandements impératifs et 30 interdictions.

Certains passages dont la sentence est la mort nous semblent particulièrement obscurs et nous choquent  :

Celui qui frappe son père ou sa mère sera assurément mis à mort. (Ex 21, 15)

Celui qui maudit son père ou sa mère sera assurément mis à mort. (Ex 21, 17)

Tu ne laisseras pas vivre une sorcière.

Quiconque cohabite avec un animal sera assurément mis à mort

Celui qui sacrifie aux dieux sera anéanti — si ce n’est à l’Éternel, à Lui seul. (Ex 22, 17-19)

Qu’est ce que cela peut signifier ? En réalité le judaïsme interdit de tuer. Et un célèbre adage du Talmud précise qu’un Beth Din de 23 personnes qui condamne à l’unanimité à mort un homme doit être considéré comme « une bande d’assassins » en vertu du principe selon lequel « il ne peut pas être un juif en qui personne ne voit le bien ». La mort dont on parle ici est donc la mort spirituelle selon le principe lapidaire énoncé par le traité Berakhot :

« Les méchants sont appelés cadavres même pendant leur vie » (TB Berakhot 18b).

C’est donc de la vraie vie, une vie devant D.ieu, et de la vraie mort, une vie dénuée de sens, dont on parle ici. Pas de ce qu’on voit.

Devant le Din processus de vérification de la moralité, d’indépendance, d’absence d’intérêt des témoins, d’absence de lien de parenté entre eux (TB Sanhédrin 9a), de confrontation des témoignage (parfaitement équivalents), était tellement compliqué qu’on dit qu’une seule condamnation à mort était prononcée tous les 70 ans (Talmud Babylone Makot 7a)… c’est à dire jamais. Il s’agissait donc surtout de mesures coercitives visant à montrer la gravité des interdictions.

Et le Talmud commente l’épisode du propriétaire du bœuf qui a tué quelqu’un alors qu’on l’avait prévenu plusieurs fois et qui doit être tué, et qui doit être jugé par un tribunal de 23 juges… « Le verset  a dit  » Celui qui a frappé sera mis à mort c’est un meurtrier » (Nb 36, 21)  tu l’exécutes seulement si il a commis un meurtre, pas si la mort a été perpétrée par le boeuf » (TB Sanhédrin 15b) ! Certains maîtres vont même jusqu’à dire que le boeuf ou les bêtes sauvages (qui ont potentiellement un maître si on peut les apprivoiser doivent être jugées par 23 magistrats ! (Sanhédrin 15b, sv…)… dans ces conditions on imagine qu’il était même difficile de tuer un animal meurtrier… Il sembla à lire ces lignes que toute la discussion du beth Dinde plus de deux juges, des témoins, etc… soit propédeutique pour faire advenir la vérité et faire prendre conscience à chacun de l’immense valeur de la vie humaine comme animale.

A la même époque à Rome on ne s’embarrasse pas d’une vie humaine, un maître a droit de vie et de mort sur ses esclaves, les empereurs qui arrivent au pouvoir font éliminer toute leur famille en terme de real politiq préventive. Le grand empereur chrétien Constantin préfère faire ébouillanter sa femme dans sa baignoire, etc… La vie d’un esclave ne vaut rien et les jeux du cirque où les bêtes dévorent des juifs pour la simple émotion des matrones tournent à plein régime.

La mort dont parle judaïsme en peut être une mort physique. La sentence qui est prononcé est en fait une déclaration de mort morale. Celui qui maudit son père ou sa mère est exclu de ceux qui peuvent édicter la morale, juger. Il ne vaut plus rien moralement, il est en état de mort éthique, bien plus grave que la mort cérébrale.

Un aparté : la «mort» en hébreu se dit Met, (Mêm, Tav), En ajoutant au début du mot la lettre aleph – de Aloufo shel Olam, « Le Maitre du monde ». on obtient le mot “Emet” qui signifie « vérité ». Ainsi l’enseignement de la Torah permet le dévoilement de la vérité et permet de prévenir la criminalité.

D’autres passages sont directement lisibles et directement fondateurs du droit des sociétés démocratiques contemporaines :

Tu n’offenseras pas et n’opprimeras pas l’étranger, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte. (Ex 22, 20)

Vous n’affligerez pas la veuve ni l’orphelin. Si tu venais à l’affliger — car s’il élève sa plainte vers Moi, J’entendrai assurément sa plainte — Mon courroux s’enflammera et Je vous tuerai par le glaive ; vos femmes seront veuves et vos enfants orphelins. (Ex 22, 21-23)

Tu n’accueilleras pas d’écho mensonger. Tu ne prêteras pas la main au méchant pour devenir un témoin d’iniquité.  Ne suis pas la majorité pour [commettre] le mal ; et ne te prononce pas dans un procès en suivant la majorité pour détourner [la loi]. 

Tu ne favoriseras pas le pauvre dans son différend. (Ex 23, 1-3)

Si tu vois le bœuf de ton ennemi égaré, tu auras soin de le lui ramener. 5 Si tu vois l’âne de ton ennemi ployer sous sa charge, te refuserais-tu à lui venir en aide ? Tu auras soin de lui venir en aide. (Ex 22, 4-5)

Quelle juridiction de l’antiquité comporte une telle bonté ? Quand on lit tous les mitsvoth qui protègent l’esclave : Si tu achètes un esclave hébreu, il travaillera durant six ans ; et la septième, il sortira en liberté, sans paiement. (Ex 21, 2), rappelez-vous qu’à l’époque un esclave est une chose (res) pour le droit romain. Il n’a aucun droit. Ici on le protège, on envisage sa libération et aussi celle de sa femme ! Si un maître prend une fille esclave pour son fils elle est protégée par le droit qui protège toutes les jeunes filles. On doit aider l’esclave à s’affranchir… etc… Voilà d’où vient la liberté qui est inscrite au fronton de nos mairies et aussi l’égalité. Non pas de Rome ou d’Athène mais de Jérusalem ! A Rome 80% de l’énergie partie provient des esclaves qui constituent une grande partie de la société. A partir du Moyen-Age en Occident 80 % de l’énergie n’est plus humaine mais mécanique et animale. La société scindée entre esclaves et homme libre a cédé la place à une société d’homme libres et égaux et de droits. Voilà d’où cela vient ! Voilà ce qui a libéré l’occident qui aujourd’hui s’en détache ! Mais pour quel avenir ?

NB : Le recensement

Ce Chabbat est particulier. Il fait partie des 4 Chabbatot : Deux avant Pourim (Chabbat Cheqalim-Chabbat Zahor) et deux avant Pessah (Chabbat Para-Chabbat Ha’hodech) au cours desquels on lit un passage particulier en plus de la Sidra de la semaine. Ce Chabbat, nous lisons les premiers versets de la Sidra Ki Tissa, évoquant le recensement des enfants d’Israël.

Pour dénombrer les Juifs il est formellement interdit de compter les gens directement ce qui entraine l’attribution d’un numéro à un être humain et revient à nier l’essence même de la personne humaine devenue un numéro, alors qu’un homme est un univers.

La Mitzwa de Mahatsit Hashequel (le demi-shequel) propose un impot d’un demi shequel par personne donné par les pères de famille pour les leurs. Les pièces sont comptées et on connaît aisni le nombre exact des enfants d’Israël.

Lors du premier dénombrement, les demi-shequels furent fondus et on fabriqua, avec le métal, les socles où étaient enfoncés les poteaux formant l’armature du Michkan (le Sanctuaire du désert). Ainsi symboliquement les Juifs faisaient corps avec la résidence même du Tout Puissant : Veassou li Michkan Vechahanti Betoham, « Ils me feront un Sanctuaire, et Je résiderai parmi eux » (Ex 25, 8). Symbolisant la rencontre entre le peuple et son créateur.

Par la suite, l’argent du recensement était utilisé pour acheter les animaux destinés à être sacrifiés toute l’année à venir. Le 1er Adar on proclamait le recensement et on récoltait les pièces durant un mois jusqu’au 1er Nissan.

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