Marie-Pierre Samitier, Edgar Morin : Quel avenir pour l’Europe à l’heure du retour de ses vieux démons ?

Paraissent chez Lemieux éditeur deux livres de réflexions d’actualité. L’un de Marie-Pierre Samitier et l’autre d’Edgar Morin. Ceux-ci essaient de comprendre le passé de la barbarie européenne pour penser l’avenir de notre vieux continent à l’heure du retour de ses vieux démons. Deux points de vue. Deux diagnostics.

Marie-Pierre Samitier :  Bourreaux et survivants, Faut-il tout pardonner ? Une enquête sur le pardon et l’imprescriptible.

Bourreaux et survivantsCe livre est avant tout une enquête sur le pardon. Depuis la découverte de la Shoah que l’on pensait imprescriptible, on n’a jamais autant parlé du pardon et de sa nécessité à panser, apaiser les plaies. La journaliste Marie-Pierre Samitier rapporte des témoignages directs de victimes qui s’expriment sur ce sujet. Soixante-dix ans après, qu’en disent les survivants et quel regard jettent-ils sur leurs bourreaux ? Les questions donnent le vertige. Ce pardon-là pourrait-il libérer le présent des fautes du passé ? L’incitation systématique au pardon ne doit-elle pas être mise en cause ? Or le pardon n’est pas un don gratuit, comme certains le croient, il est le fruit d’un engagement envers l’autre pour une repentance. Il ne peut être envisagé comme une obligation, tout simplement parce que les bourreaux n’ont pas demandé pardon. Pourquoi ? C’est toute la révélation de ce livre.

À travers les mots recueillis et les visages rencontrés, Marie-Pierre Samitier instruit sur notre morale contemporaine : en utilisant la notion de pardon pour se défaire du passé, n’avons-nous pas perdu le fil de la loi morale et par là même, le sens de notre existence dans la modernité ?

 

Marie-Pierre Samitier interroge : « Par quel cruel retournement, l’Europe de 2015 est-elle devenue tout à la fois un espace de commémoration des victimes des camps de la mort, en même temps que surgit un antisémitisme virulent et meurtrier ? »… « La thèse de ce livre, résultat d’une enquête auprès des victimes et témoins de la barbarie nazie, est la suivante : si l’histoire est condamnée à un recommencement aussi rapide qu’inattendu, c’est parce que les bourreaux nazis se sont toujours considérés comme non coupables, et de fait  »rien n’a été pardonné » « … « Faute de repentance, la mémoire européenne ne peut pas guérir car est inscrit en elle un non-dit qui, en même temps qu’on le conjure dans la célébration et qu’on le hait à travers ses héritiers concrets (les juifs et l’État d’Israël), est toujours actif et prêt à se réveiller pour passer à l’action. »… « La question que pose l’Holocauste n’est pas celle du racisme ou de la xénophobie ordinaire, mais celle de l’élimination systématique d’un foyer religieux fondateur de la culture européenne et du peuple qui le porte. »… « Penser le pardon suppose donc de comprendre pourquoi les cultures d’Europe arrivées à leur apogée culturelle et industrielle en Allemagne, en Pologne, en Ukraine, en Hongrie… ont déployé une violence et tenté d’éliminer les acteurs de la séparation juive, féconde au coeur de la culture. » MP Samitier interroge : « Il s’agit de penser le passé pour analyser le passé et tenter de guérir le présent. Voilà l’ambition, un peu excessive, de ces lignes, est-il déjà trop tard ?

Lire le premier chapitre en PDF : Samitier_Bourreaux_1er Chapitre

Marie-Pierre Samitier est journaliste à France 2, après avoir travaillé au Figaro et à France Inter. Elle est aussi l’auteur de deux livres d’enquête : Au pied du mur (François Bourin) et Promis demain j’arrête ! avec Amine Benyamina (Michel Lafon).

Edgar Morin : L’Europe à deux visagesHumanisme et barbarie.

Edgar MorinVoilà la réédition d’un petit texte lucide datant de 2005 qui tombe à pic : dix ans après sa rédaction, l’Europe politique se morfond dans une crise profonde, les Européens doutent fortement, quant ils ne se défient pas, de leurs institutions. C’est aussi le moment où le vieux continent va commémorer le 70e anniversaire de la libération des camps. Edgar Morin examine la barbarie européenne, une barbarie spécifique. Durant cinq siècles, celle-ci a permis à l’Europe de dominer le monde sans partage. En même temps, l’Europe a été le puissant foyer des idées émancipatrices. Elle a combiné le meilleur et le pire. L’idée centrale d’Edgar Morin est d’apprendre à penser la barbarie européenne afin de mieux la dépasser. Car le pire est toujours possible. L’Europe-oasis se trouve aussi dans la paume de conditions historico-politico-sociales qui peuvent l’écraser. Ce texte est accompagné d’un abécédaire inédit de l’auteur sur l’Europe, son panthéon de figures et ses utopies.

 

Pour Edgar Morin : Les grandes civilisations engendrent des grandes religions et idéologies capables du meilleur et du pire. « L’Europe a été le foyer d’une domination barbare sur le monde durant cinq siècles. Elle a été en même temps le foyer des idées émancipatrices qui ont sapé cette domination. Il faut comprendre la relation complexe, antagoniste et complémentaire, entre culture et barbarie, pour savoir mieux résister à la barbarie. Les tragiques expériences du XXe siècle doivent aboutir à une nouvelle conscience humaniste. Ce qui est important, ce n’est pas la repentance, c’est la reconnaissance. Cette reconnaissance doit concerner toutes les victimes: Juifs, Noirs, Tziganes, homosexuels, Arméniens, colonisés d’Algérie ou de Madagascar. Elle est nécessaire si l’on veut surmonter la barbarie européenne. Il faut être capable de penser la barbarie européenne pour la dépasser, car le pire est toujours possible » … « La barbarie nous menace, y compris derrière les stratégies qui sont censées s’y opposer ». A partir d’une relecture de l’histoire européenne, il faut donc « penser la barbarie européenne afin de mieux la dépasser. »

Edgar Morin (1921), ancien résistant, sociologue, philosophe, auteur d’une œuvre considérable et connue dans le monde entier, et toujours optimiste vigilant.

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