Tisha be Av 5775 : Le jour où les juifs ont quitté la France

Je suis venu te dire que je m’en vais…

Hier j’ai passé Shabbat chez des amis qui font leur Alyah. Il est chef d’entreprise, elle a trois enfants. La joie de les voir partit à Jérusalem et en même temps la tristesse de les perdre. C’était un sentiment paradoxal car Shabbat est un jour de réjouissance et Tisha beAv qui célèbre la destruction du Temple est un jour de deuil. Le jeune a été reporté aujourd’hui à cause de l’interdiction de jeûner et d’être triste à Shabbat. La joie et les pleurs mêlés.

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Ce sont les meilleurs d’entre nous qui quittent la France. Pourquoi ? Parce que lorsque nous ne pouvons plus aller prier sans qu’un car de CRS  armés jusqu’aux dents monte la garde devant la synagogue, parce que lorsque j’amène ma fille au centre aéré… nous traversons un premier rang de militaires de la République puis le service d’ordre juif. Merci à eux de tout coeur. C’est vrai que les enfants font des cauchemars.

Et mes amis ont terminé avec ce cri du coeur : « Mais quel avenir pouvons nous construire pour nos enfants, ici c’est fini ? « … « Et tout le monde s’en fout…la situation ne fait que se dégrader, les juifs s’en vont et ceux qui rentrent en Europe ne sont pas les plus brillants esprits…. on n’est pas en Amérique…  »

C’est la deuxième famille de mes amis juifs proches qui part. Les autres sont partis en avril, tous les deux médecins spécialisés. Ils ne voyaient plus d’avenir pour eux en Europe. Oui des médecins spécialisés ! On importe quoi à  la place des futurs Mohamed Merah ou Amedi Koulibali ?

Des amis à Sarcelles (Ils y vivent depuis 1962) : « Au début on s’est dit que juifs venus du Maghreb et musulmans on était tous des fils d’Abraham venus du monde arabe, on vivait ensemble en frères, maintenant il n’y a pas un gamin en dessous de 25 ans ici qui ne croient que l’Algérie va conquérir la France… le rêve est fini »

Même si je dois bien l’avouer j’ai aussi rencontré des gens plus modestes, un taxi à Strasbourg qui est parti à Tel Aviv, le seul qui n’était pas arabe à la gare ! Il avait déjà quitté l’Algérie en 62 ! Mais c’est vrai un taxi c’est un entrepreneur. Et  la France déteste AUSSI les entrepreneurs.

J’essaie chaque fois d’expliquer que la sécurité à Tel Aviv ou Jérusalem est toute relative.Je le sais j’ai parcouru tout le West Bank.

« Oui, mais au moins là bas on sait ce qu’on risque, le Shin Bet est un des meilleurs services du monde et ils se préparent, font l’armée… en France tout le monde dort, et les français s’en fichent, ils dorment… on constate les attentas, et maintenant les égorgements… à postériori, on a peur « .

Alyah9 à 10 000 juifs quitteront le territoire français en cette année 2015;  3000 rien que cet été, peut être 100 000 dans les 10 prochaines années ? (ils sont déjà 200 000 en Israël soit 25% des juifs vivant en France) avec des retours estimés, faute d’études précises, à 7 à 8%. C’est beau mais c’est triste aussi.
Lisez Alyah d’Eliette Abécassis, tout est raconté très simplement sans exagération avec beaucoup de sensibilité. Vous l’avez vu sur un plateau télé au 20h de TF1 Eliette ? Avant on l’invitait parce qu’elle a des tas de choses à dire. C’est quelqu’un qui réfléchit, pas une excitée. Mais là on n’en entend pas parler, parce que les français se taisent, beaucoup à gauche adoptent déjà la rhétorique inversée des islamistes : « Entre les islamistes et la démocratie les torts sont partagés… On les a bien colonisés… Les juifs sont les nazis des palestiniens qui sont les juifs du 21e siècle, etc… » (sic! ). Tout cet habillage n’est que celui de leur démission. Ils ont peur eux et ils rasent les murs. Alors les journalistes qui ne sont jamais que la voix de la France se taisent; ça fait partie de ces sujets dont on ne parle pas dans un dîner en ville si on est bien élevé.

L’agneau appelle le loup. En début d’année je voyais déjà Marine à l’Elysée et cette peur m’a gagné, Je me suis dit que je devais partir à Miami (30 000 dollars d’avocat sans garantie de carte verte pour siroter des daikiri au bord d’un piscine entouré de vieux) ou à Montréal (6 mois de vie sous terre par an), j’ai sérieusement étudié comment. Et puis je me suis dit que mes deux grand pères étaient morts en 40 que ma mère était pupille de la nation à 4 ans. Je suis juif mais aussi Corse et nous en Corse on meurt les armes à la main. Populu armatu populu rispetatu. Bon  ce n’est pas la solution non plus. Je suis pris entre le « qui vit par le glaive périra par le glaive » et le Talmud bien plus réaliste : « si quelqu’un vient te tuer, lèves toi et tue le ! « . Tu dois protéger ta vie. Mais après tout il y a plus grave que la peur : la peur d’avoir peur.

Un juif ne craint que D. Je reste. Am Israël Haï. En Galout ou en erets.

Après un Espagne sans les juifs, une France sans juifs ?

Comparaison n’est pas raison et l’histoire ne bégaie pas mais elle reste malgré tout maîtresse d’expérience. L’expulsion des juifs d’Espagne est hors de proportion avec celle des juifs de France. Mais je me suis rappelé que nos ancêtres avaient fui l’Espagne face à l’édit d’expulsion d’Isabelle la catholique et Ferdinand d’Aragon précisément la veille de ce 9 Av 1492 (31 juillet 1492).

Comme si l’histoire se répétait. Qu’ont gagné l’Espagne et le Portugal au départ des juifs puis des maurisques ? A la « Reconquista » de 1492 qui vit la chute de Grenade, les arabes et les juifs boutés du Royaume? Le Royaume de D. enfin chrétien ? Le « Siglo de oro », le bien nommé « Siècle d’or » dont l’apogée culmine sous Philippe II (1527-1598) qui règne sur un empire « où le soleil ne se couche jamais » c’est en réalité l’auri sacra fames. Cette maudite soif de l’or venu des Amériques a conduit à la conquête cruelle et brutale du Nouveau Monde et à la saignée de l’Afrique pour la traite des noirs. Mais paradoxalement, au lieu d’aboutir à la prospérité de l’Espagne… elle a conduit à sa ruine. En effet, l’Espagne percevait alors 25% de l’or qui passait par son territoire. Et pourtant les guerres de conquête moyennant de coûteux mercenaires et le train de vie de l’Espagne conduisent le roi Philippe II, protecteur du catholicisme, à s’endetter auprès de l’armée et de banquiers étrangers. Le royaume subit trois faillites, en 1557, 1575 et 1596. Avant de sortir de la scène de l’histoire au profit de la France de l’Angleterre et des Pays-Bas. (lire ici le détail de cette faillite). Un peu plus d’un demi siècle après l’expulsion des juifs, la faillite de l’Espagne était prononcée, comme une sorte de colère de D. Ci-gît l’Espagne qui pensait construire le pavillon témoin du Royaume de Dieu catholique sur terre et ne s’est jamais vraiment remis de ce délire messianique. Ca n’empêchera pas l’Allemagne de reprendre les même délires. En pire.

Les juifs quittent donc la France et peu semblent s’en émouvoir. « Qu’ils s’en aillent en Israël, avec leurs samedi chômé et tous ces trucs auquel on ne comprend rien !… Ils sont toujours en train de se plaindre ! … Il n’y en a que pour eux ! « … etc…

Ami français réfléchis. Juste cinq minute. En ce jour d’arrivée du tour de France !.. et de Tisha be Av.

Le paradoxe de Tisha beAv

Tisha be av

Aujourd’hui est jour de deuil. Nous nous rappelons de la destruction des deux Temples de Jérusalem en – 586 par Nabuchodonosor II et en l’an 70 par les romains. Un bain de pierres et de sang (500 000 morts un quart de la population de la Judée en l’an 70). On se rappelle la fuite d’Espagne et tous ces morts innocents. On jeûne, on enlève les tissus d’ornement à la synagogue. On ne porte pas de chaussures de cuir. On ne salue pas sauf discrètement les incultes et les non juifs pour ne pas les blesser. On évite les promenades. On a pas envie de rire. On vit dans la pénombre du deuil.

Tisha B'av, tableau de Leopold Horowitz, 1887
Tisha B’av, tableau de Leopold Horowitz, 1887

Etrange impression comme si le Temple détruit c’était nous mêmes. Comme si la destruction faisait aussi partie de la construction, de la vie. Ben et banaïr « enfant » et « construire » ont la même racine en hébreu. On n’élève pas un enfant, on le construit. On s’assoit par terre…

Une femme détenue dans le camp surpeuplé de Bergen Belsen racontait comment elle avait trouvé le squelette d’une chaise parmi les immondices. Cette chaise munie d’une planche était devenue une sorte de trône dans son baraquement pour ceux qui ne pouvaient vivre, ou plutôt mourir, que debout ou couchés sur des chalis exigus. Leur seule richesse sur laquelle ils s’asseyait à tour de rôle. Comme si la chaise était le début du symbolique, un commencement de maison et de construction au milieu des ruines.

On n’étudie pas car l’étude fait éprouver la simha Torah, la joie de la Torah. On ne dit pas les psaumes que je retiens sur les lèvres « au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions… comment pourrions nous chanter un air joyeux loin de Sion ? Jérusalem si je t’oublie que ma main droite m’oublie ». On lit les Lamentations de Jérémie, les kinot (élégies) qui racontent la suite de nos malheurs?. C’est un 9 Av que les juifs ont été pour la première fois de France en 1306. C’est à la même date qu’ils avaient été expulsés d’Angleterre en 1290. C’est aussi un 9 Av que Heinrich Himmler reçut l’ordre d’approbation de la Solution finale le 2 août 1941; c’est encore un 9 Av que commença la déportation de masse du ghetto de Varsovie en 1942. Les Kinot tirées des Lamentations de Jérémie 21, 14-16 ne sont pas des « jérémiades », elles ont de vraies raisons de pleurer :

 קוֹל בְּרָמָה נִשְׁמָע נְהִי בְּכִי תַמְרוּרִים–רָחֵל, מְבַכָּה עַל-בָּנֶיהָ; מֵאֲנָה לְהִנָּחֵם עַל-בָּנֶיהָ, כִּי אֵינֶנּוּ.  {ס} « Une voix retentit dans Rama, une voix plaintive, d’amers sanglots. C’est Rachel qui pleure ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdus!
טו כֹּה אָמַר יְהוָה, מִנְעִי קוֹלֵךְ מִבֶּכִי, וְעֵינַיִךְ, מִדִּמְעָה:  כִּי יֵשׁ שָׂכָר לִפְעֻלָּתֵךְ נְאֻם-יְהוָה, וְשָׁבוּ מֵאֶרֶץ אוֹיֵב.  Or, dit le Seigneur, que ta voix cesse de gémir et tes yeux de pleurer, car il y aura une compensation à tes efforts, dit l’Eternel, ils reviendront du pays de l’ennemi.
טז וְיֵשׁ-תִּקְוָה לְאַחֲרִיתֵךְ, נְאֻם-יְהוָה; וְשָׁבוּ בָנִים, לִגְבוּלָם.  {ס} Oui, il y a de l’espoir pour ton avenir, dit le Seigneur: tes enfants rentreront dans leur domaine.

On sait que lorsque la Guéoula arrivera, le jour de Ticha bé-Av se transformera en jour de joie et d’allégresse. Le Messie naîtra un jour de Ticha bé-Av Le Maharal de Prague nous a enseigné que le mot Galout (l’exil, la dispersion, la dispora) a la même racine que Géoula, la Rédemption. On se rappelle de Rabbi Akiba qui éclata de rire en voyant un renard sortir du Kodesh akodashim détruit et de répondre à ses amis qui pleuraient que la destruction du Temple annonçait sa reconstruction. Celui qui ne prend pas part aux pleurs de la ruine de Jérusalem ne participera pas à la joie de la reconstruction du Saint des saints. Comme si les pleurs et les rires étaient paradoxalement mêlés, la destruction et le construction, la Galout et la Géoula de manière ontologique, avant la création du monde, le maassé bereshit. Après tout nous sommes bien nés en pleurant…

9 Av 5775, les juifs quittent l’Hexagone,  « Quand l’Eternel ramena les captif à Sion nous étions comme des rêveurs » …dit un psaume.  Je vous en supplie amis français, réveiller vous ! redites moi que nous sommes des frères et que tout ce cauchemar va bientôt s’arrêter.

Quoi qu’il arrive ce qui ne tue pas rend plus fort. Israël est ressuscité de toutes ses morts. Baroukh ata adonaï méaié Amétim. Benis sois tu Seigneur qui réssucite les morts. Am Israël haï. Les enfants d’Israël rentreront dans leur domaine.

« Dans le passé Rabban Gamaliel, Rabbi Eléazar ben Azariah, Rabbi Yehoshua et Rabbi Akiva marchaient à Jérusalem et, arrivés au mont Scopus, ils déchirèrent leurs vêtements.

Arrivant ensuite à la montagne du Temple, ils virent un renard qui sortait du Saint des Saints. Ils se mirent à pleurer, mais R. Akiva riait. Ils lui dirent : ‘Pourquoi ris-tu ?’ Il leur dit : ‘Pourquoi pleurez-vous ?’

Ils lui dirent : ‘L’endroit duquel il a été écrit ‘et l’étranger [non-lévite] qui s’en approchera sera mis à mort’ (Nb 1,51), voici que maintenant des renards y sont allés, et nous ne pleurerions pas ! « Il leur dit : ‘c’est pour cela que je ris ! Il est écrit : ‘je prendrai avec moi comme témoins, des témoins dignes de foi, le prêtre Urya et Zacharie, fils de Yeberekyahu’ (Is 8,2). Que vient faire Urya auprès de Zacharie ? En effet Urya est du premier Temple, alors que Zacharie est du deuxième Temple ! Mais en réalité l’Ecriture a fait dépendre la prophétie de Zacharie de celle d’Urya. Dans la prophétie d’Urya il est écrit : ‘C’est pourquoi, à cause de vous, Sion sera labourée comme un champ, etc…’ (Mi 3,12 ; Jr 26,18-20) et dans la prophétie de Zacharie, il est écrit : ‘De nouveau, vieillards et femmes âgées s’assiéront sur les places de Jérusalem…’ (Za 8,4). Tant que n’était pas accomplie la prophétie d’Urya, je craignais que ne s’accomplit pas la prophétie de Zacharie. Maintenant que s’est accomplie la prophétie d’Urya, il est certain que le prophétie de Zacharie est en train de s’accomplir !’

Ils lui dirent : ‘Akiva, tu nous as consolés, Akiva, tu nous as consolés !’ » (TB. Makkot 24a-b ).

3 commentaires sur « Tisha be Av 5775 : Le jour où les juifs ont quitté la France »

  1. C’est un déchirement de voir toute une partie de la population partir.
    Je ne suis pas Juive, mais de tout coeur avec cette communauté. La France va tout perdre, son âme, son souffle, sa richesse intellectuelle. Comme vous, je songe de plus en plus à quitter un pays qui n’offre à ses citoyens que trois alternatives: partir, collaborer, ou baisser la tête.
    Dans le mot collaborer, je fais sciemment référence aux années 40, et au gouvernement
    pétainiste avec les conséquences dramatiques que l’on sait.
    Pour rester, il faut apprendre à Résister; mais où trouver la motivation nécessaire ?
    Aujourd’hui, ce sont les Juifs qui partent.
    Demain, à qui le tour ?
    Réellement, rester demande une tonne de courage.

  2. Oui : triste constant… Je suis triste moi aussi et pleure avec Didier, avant de me préparer à la Résistance inéluctable. Je suis bien pessimiste quant à nos lendemains, mais la Lumière finit toujours par chasser les ténèbres… Shalom !

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