Rée, la sainteté d’Israël et l’écologie

Commentaire du rabbin Haïm Harboun et DL.Harvest

La liberté ou l’esclavage des idoles

Voyez, je vous propose en ce jour, d’une part, la bénédiction, la malédiction de l’autre: la bénédiction, quand vous obéirez aux commandements de l’Éternel, votre Dieu, que je vous impose aujourd’hui; et la malédiction, si vous n’obéissez pas aux commandements de l’Éternel, votre Dieu, si vous quittez la voie que je vous trace aujourd’hui, pour suivre des dieux étrangers, que vous ne connaissez point. (Dt 11, 26-28)

De là nous apprenons qu’il existe des commandements positif et des interdictions.

Rachi commente : « La bénédiction » en disant : « Afin que vous écoutiez », et il poursuit son commentaire: « Du chemin que je vous ordonne aujourd’hui, pour aller… en disant : « D’où l’on apprend que tout idolâtre se détourne de « tout » le chemin qu’Israël a reçu l’ordre de suivre. D’où l’enseignement : Celui qui légitime l’idolâtrie est comme s’il reniait toute la Tora dans son intégralité (Sifri). »

La paracha de ce jour est une invitation à la liberté. Soit l’homme est libre nous idt Moshé soit il est prisonnier de ses idoles. Et selon le Traité Meguila, être « juif » (yéhoudi) consiste en un seul principe : renier l’idolâtrie.

« Les familles se querellèrent l’une avec l’autre. La famille de Yehouda dit : C’est grâce à moi que Mordekhaï a pu naître, puisque David n’a pas tué Chim’i ben Guéra. Et la famillle de Binyamin dit : il vient de moi. […] Rabbi Yo’hanan dit : toujours il venait de Binyamin. Et pourquoi l’appelle-t-on yehoudi ? Parcequ’il a renié l’idolâtrie, car tout homme qui renie l’idolâtrie est appelé yehoudi (juif) » (Talmud de Babylone, Méguila 13 a)

Qu’est-ce que ça veut dire pour nous ? Aucun de nous n’adore de statues de bois ou de plâtre…

Ce que la Torah nous révèle par ses interdictions c’est que, laissé à nous-même, nous existons seulement parmi les objets de son désir et nous devenons des objets nous-mêmes. Nous échappons à notre vocation humaine. Nous chosifions les autres qui deviennent des moyens et plus une fin.

La loi est ce qui nous interdit cette relation objectale avec les autres et nous-mêmes. Le monde devient un monde créé par l’Eternel mais dont nous ne disposons pas. Les autres sont des sœurs et de frères humains dont nous ne détenons pas le secret. La Torah et se mitsvoth sont le pédagogue qui nous permettent de sanctifier ce monde, de le rapporter non à nous-même mais à l’Eternel.

Accepter la royauté et le joug des Cieux et de le Torah, suppose donc de renoncer à notre propre plaisir immédiat. Par exemple, je prononce une bénédiction avant de manger un fruit et mets ainsi un espace de temps entre mon désir immédiat et sa consommation.

Maïmonide souligne cette centralité du renoncement à l’idolâtrie qui « fait le juif », il explique dans le Guide des Egarés que « le but principal de la Loi est d’extirper l’idolâtrie »[1] et ajoute dans le Mishné Torah [2]:

IV/ Le commandement qui proscrit l’idolâtrie a, à lui seul, la même importance que tous les autres réunis, selon le verset : « Quand, par erreur, vous n’aurez pas exécuté toutes ces ordonnances… » (Nb 15,22). La tradition nous a enseigné que ce texte vise l’idolâtrie. On en peut déduire qu’avouer l’idolâtrie revient à désavouer la Loi tout entière, tous les prophètes et tous les commandements dont ont été chargés les prophètes depuis Adam jusqu’à la consommation du monde, inversement, désavouer l’idolâtrie, c’est avouer la Loi tout entière, tous les prophètes et tous les commandements dont ont été chargés les prophètes depuis Adam jusqu’à la consommation du monde.
L’interdiction de l’idolâtrie est donc bien le commandement essentiel.

V/ Un Israélite pratiquant l’idolâtrie est assimilé sous tous les rapports au non-juif et non pas à l’Israélite qui se serait rendu coupable d’une transgression sanctionnée par la lapidation. Qui est passé au culte idolâtre a apostasié la Loi tout entière. De même les Israélites hérétiques ne sont plus à aucun égard, comptés pour Israélites.

L’idole dont Moïse avertit les israélites se défier alors qu’ils vont entrer dans le pays des cananéens ce sont tous ces petites désirs que la culture, toutes les cultures rendent enviables : la notoriété, la surface sociale, la réussite financière, le qu’en dira-t-on, le prestige intellectuel ou religieux… tout ce qui fait qu’un homme fait partie d’une société hic et nunc. Ce qui est demandé au juif c’est de ne pas s’assimiler avec la culture, de ne pas se fondre dans ces pratiques. Non pas qu’elles soient « bêtes », le idolâtres nous explique Maïmonide, sont des astronomes babyloniens, pas des idiots ! Mais parce qu’elles croient que la liberté de l’homme est fixée dans le cours des étoiles ou l’imitation des cours de ce monde. Elles ne vont pas plus loin que ce monde ci et sa surface dorée rutilante et aveuglante.

Ces idoles sont des illusions d’humanité car elles hypnotisent notre liberté. Elles nous invitent non pas à nous lever en sujet libres sortis d’Egypte mais à exister comme des objets inanimés au milieu des objets de ce monde. Elles ont « une bouche mais ne parlent pas, des yeux mais ne voient pas,  des oreilles mais n’entendent pas, des narines mais ne sentent pas ».  Et en réalité « ils deviennent comme elles ceux qui les font ». (Psaume 115).

Hors, Israël est ce petit peuple qui a tué l’agneau le soir de Pessah. L’agneau, le dieu de l’Egypte. Et qui est parti en femmes et hommes libres vers sa liberté.

 

Le lien entre éthique et écologie

Cette bénédiction ou cette malédiction fruit d’une conduite éthique ou idolâtrique ont une conséquence écologique directe concernant la terre :

Or, quand l’Éternel, ton Dieu, t’aura installé dans le pays où tu vas pour le conquérir, tu proclameras la bénédiction sur le mont Garizim, la malédiction sur le mont Hébal

Rachi commente « Tu donneras la bénédiction » par : « Comme le rend le Targoum Onqelos : ‘’Ceux qui bénissent’’ » Et ajoute « Sur le mont Guerizim Ils se tournaient face au mont Guerizim et prononçaient d’abord la bénédiction : « Béni soit l’homme qui ne fera pas une image et une idole de métal, etc. » (voir infra 27, 15). Ils commençaient par formuler sous forme de bénédictions toutes les malédictions du chapitre 27. Après quoi ils se tournaient face au mont ‘Eval et se mettaient à prononcer les malédictions (Sota 37a et b). »

Ces bénédictions et ces malédictions renvoient aux chapitres 27 et 28 de Devarim.

« Celui qui écoute la voix du Seigneur pour faire et garder ses commandements » (Dt 28, 1 répété en 28, 13) reçoit les bénédictions : le fruit du ventre, le fruit de la terre et du sol, le fruit des animaux, la terre, le panier et le pétrin, la maison « béni sois-tu à l’arrivée et à ta sortie… », les greniers pleins, la pluie, la parnassa. « L’Éternel te confirmera pour lui comme un peuple saint. » (Dt 28, 9). Israël devient alors placé « à la tête et pas à la queue » (cf le poisson de Pessah) (28, 13)….

Tandis que celui « qui adore des formes gravées ou fondues », qui « humilie son père ou sa mère », qui « recule les bornes du champs d’un ami », qui « égare l’aveugle en chemin » qui « pervertit le jugement de l’orphelin, de la veuve , du guer », qui « couche avec la femme de son père » ou sa sœur ou sa belle-mère,  qui trahi son ami et le « frappe en cachette » « tue un innocent contre un cadeau » (Dt 27) et généralement « n’accepte pas les paroles de cette Torah » (Dt 28, 26)… à lui sont promis la lèpre (la médisance qui tue à distance), la dégénérescence, la confusion, la menace, l’épée, … mais aussi la sécheresse, la « pluie et la terre » deviennent « poussière et cendre » (Dt 28, 24)

L’éthique a donc des conséquences écologiques comme nous le répétons dans la second paragraphe du Shema. Et c’est pour cela que sont placées dans cette paracha au chapitre 14 les règles de la cacherout qui déroutent tant les goyïm.

La cacheroute signe par excellence du respect écologique

La Torah établit un rapport immédiat entre la sainteté d’Israël et la cacheroute :

Car tu es un peuple consacré à l’Éternel, ton Dieu, et c’est toi qu’il a choisi, l’Éternel, pour lui être un peuple spécial entre tous les peuples répandus sur la terre. Tu ne mangeras d’aucune chose abominable. (Dt 14, 2-3 )

Suit une longue énumération de toutes le règles de ce qui peut être consommé ou non.

« Tout ce qui est privé de nageoires et d’écailles, vous n’en mangerez point: c’est impur pour vous. Mais tout ce qui est privé de nageoires et d’écailles, vous n’en mangerez point: c’est impur pour vous. Tout oiseau pur, vous pouvez le manger. Voici ceux que vous ne mangerez point: l’aigle, l’orfraie, la valérie; le faucon, le vautour, l’autour selon ses espèces; tous les corbeaux selon leurs espèces; l’autruche, l’hirondelle, la mouette, l’épervier selon ses espèces; le hibou, la hulotte, le porphyrion; le pélican, le percnoptère, le cormoran; la cigogne, le héron selon ses espèces, le tétras et la chauve-souris.» (Dt 14, 10-18)

Pourquoi ce lien entre la sainteté, c’est-à-dire la particularisation signifiante d’Israël pour les nations et la consommation de tel ou tel animal ? Pourquoi ce lien entre l’éthique et l’écologie

Tout simplement parce que le Torah n’est pas anthropocentrique. Notre estomac n’est pas le début et la fin de tout ! l’homme s’inscrit dans une chaîne alimentaire où les crustacés sont créé pour nourrir les poissons. Nous signifions par notre refus de les manger notre désir de préserver cette chaîne alimentaire. Tout n’est pas un objet à consommer à notre disposition. Nous devons vivre à notre place dans la chaîne alimentaire.

Que fait l’homme ? Que constatons-nous ? Il détruit les océans. Une fois qu’il a asséché les couches de surface de la mer de ses poissons, il descend grâce à a sa technologie (bonne en soi) à haute profondeur.

Ainsi la biodiversité de la mer méditerranée, une  mer fermée est menacée par la pêche invasive. Les mammifères marins (cachalots, dauphins) sont de moins en moins nombreux des espèces ont quasiment disparu. La dispersion des méduses à cause du réchauffement est une menace pour les écosystèmes marins. La surpêche contribuer au déclin d’autres espèces marines, comme les oiseaux et des mammifères… les experts estiment que plus de la moitié des espèces vivantes pourraient s’éteindre avant 2100. Les amphibiens sont les plus menacés avec 41% d’espèces en danger.

Et l’homme, ce super prédateur alimentaire, continue tranquillement de croire que tout est à lui alors qu’il est devenu le prédateur le plus dangereux pour son propre milieu vivant ! Quand allons-nous nous réveiller ??? La Torah nous répète que nous devons signifier cette place de l’homme dans l’écosystème qui est la Création de Dieu non celle de l’homme qui n’est pas un dieu (c’est la définition même de l’idolâtrie).

La cacheroute n’est donc pas de « tabous alimentaires » d’un autre temps mais une écologie de la Création. Une signification concrète de la prise de conscience de place de l’homme pour préserver l’équilibre de la chaîne alimentaire.

17 commandements positifs et 38 interdictions

Si l’on analyse en détail ce que nous commande et nous interdit cette paracha on trouve 17 commandements positifs et 38 interdictions Et Nos sages nous ont dit que les 613 mitsvoth contenaient elles-mêmes chacune 613 mitsvoth… Ces recommandations dont beaucoup concernent le Temple doivent donc être interprétée à l’intérieur de la Torah orale en dehors de quoi elles ont peu de signification concrètes pour nos existences. Mais dont chacune est une invitation pour une existence signifiante et censée quand elle est comprise avec le cœur et l’intelligence.

– L’obligation de  détruire les idoles et les objets de culte en terre d’Israël (Dt 12, 2)

– L’interdiction d’effacer aucun des  Noms de D, ou toute écriture sainte et de détruire toute maison consacrée au culte de Dieu (12, 4)

– L’obligation d’apporter tout sacrifice, obligatoire ou volontaire, dès la première fête (12, 6)

– L’interdiction d’offrir tout sacrifice en dehors de l’enceinte du Tabernacle ou du Temple (12, 13)

– L’obligation d’apporter tout sacrifice dans la maison de l’Election (le Temple) (12, 14)

– L’obligation de racheter tout sacrifice devenu impropre (12, 15)

– L’interdiction de manger la seconde dîme du blé en dehors de Jérusalem (12, 17)

– L’interdiction de manger la seconde dîme du vin en dehors de Jérusalem (12, 17)

– L’interdiction de manger la seconde dîme de l’huile en dehors de Jérusalem (12, 17)

– L’interdiction de manger le premier-né de l’animal en dehors de Jérusalem (12, 17)

– L’interdiction de manger les sacrifices en-dehors de Jérusalem (12, 17)

– L’interdiction dc manger la viande de l’holocauste (12, 17)

– L’interdiction de manger les sacrifices de moindre sainteté avant l’aspersion des sangs sur |’autel (12, 17)

– L’interdiction pour le prêtre de manger les prémices des fruits en-dehors de Jérusalem (12, 17)

– L’interdiction d’abandonner les Lévites et de ne pas leur donner leur portion (12, 19)

– L’obligation de l’abattage rituel (12, 21)

– L’interdiction de manger la chair d’un animal vivant (12, 23)

– L’obligation d’apporter en terre d’Israël tout sacrifice auquel on serait astreint en dehors de la terre d’Israël (12, 26)

– L’interdiction d’ajouter quoi que ce soit à la Torah écrite ou orale (13, 1)

– L’interdiction d’enlever quoi que ce soit à la Torah écrite ou orale (13, 1)

– L’interdiction d’écouter celui qui prophétise au nom de fausses divinités (13, 4)

– L’interdiction d’alléger la vengeance contre celui qui incite à l’idolâtrie (13, 9)

– L’interdiction de prêter attention aux paroles de celui qui incite à l’idolâtrie (13, 9)

– L’interdiction pour celui qui a été approché par l’ « incitateur à l’idolâtrie » de le sauver de la peine de mort (13, 9)

– L’interdiction pour celui qui a été approché par l’ « incitateur à l’idolâtrie » de lui trouver des circonstances atténuantes (13, 9)

– L‘interdiction pour celui qui a été approché par l’ « incitateur à l’idolâtrie » de se taire en ne portant pas d’accusation contre lui (15, 9)

– L‘interdiction d’inciter un Juif à pratiquer l’idolâtrie (13, 12)

– L’obligation d’interroger les témoins chacun séparément (15, 15)

– L’obligation de bruler par le feu la ville incitée à pratiquer l’idolâtrie (13, 17)

– L‘interdiction de jamais reconstruire la ville incitée à pratiquer l’idolâtrie (13, 17)

– L‘interdiction de tirer profit de toute propriété de la ville incitée à pratiquer l’idolâtrie (13, 18)

– L‘interdiction de pratiquer des incisions sur le corps en I ‘honneur d’un mort ou d’une idole (14, 1)

– L‘interdiction de se rendre chauve en I ‘honneur d’un mort (14, 1)

– L‘interdiction de manger les animaux consacrés devenus impropres pour les sacrifices (14, 4)

– L’obligation d’examiner les signes de cacheroute des oiseaux (14, 11)

– L‘interdiction de manger des insectes volants (14, 19)

– L‘interdiction de de manger la viande d’animaux non-abattus rituellement (14, 21)

– L’obligation de faire sortir de la maison la seconde dime (14, 22)

– L’obligation de faire sortir de la maison la dime du pauvre (14, 28)

– L’interdiction de réclamer le remboursement des dettes dès qu’arrive l’année de Chemittah (jachère) (15, 2)

– La  permission de prendre de l’intérêt du non-Juif et de réclamer le remboursement (15, 3)

– L’obligation d’annuler les dettes l’année de Chemittah (jachère) (15,3)

– L‘interdiction de s’empêcher de donner la Tsedakah (charité) (15, 7)

– L’obligation de donner la Tsedakah (charité) et d’aider les nécessiteux (15, 8)

– L’obligation de refuser un prêt à l’approche de la Chemittah (jachère) (15, 9)

– L‘interdiction de rendre la liberté à un esclave juif sans lui donner de cadeau (15, 13)

– L’obligation d’0ffrir des cadeaux à l’esclave remis en liberté (15, 14)

– L‘interdiction de faire travailler les animaux consacrés pour les sacrifices (15, 19)

– L‘interdiction de tondre les animaux consacres pour les sacrifices (15, 19)

– L‘interdiction de manger du ’Hametz (levain) le 14 Nissane après-midi (16, 3)

– L‘interdiction de laisser de la viande des sacrifices de fête du 14 Nissane après le 3ème jour (16, 4)

– L‘interdiction d’0ffrir le sacrifice de Pessa’h sur un autel d’un particulier même à l’époque où  les autels étaient permis (16, 5)

– L’obligation de se réjouir lors des jours de fête (16, 14)

– L’obligation pour chaque homme d’être présent lors des trois fêtes de pèlerinage (16, 16)

– L‘interdiction de se rendre au Temple sans offrir de sacrifice ”Reia » (16, 16).

[1] Guide des égarés, III, 30.

[2] Michné Torah, Livre de la Connaissance, chapitre II, « Qu’il est interdit de rendre un culte à rien de ce qui est créé… »Traduction de Valentin Nikiprowetzky et André Zaoui (Le livre de la connaissance, Quadridge/PUF, 196, pg. 232.

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