L’âge d’or des juifs de Provence-Languedoc

J’écris cet article de ma maison au pied de Minerve, sur les « terres » de ma femme. Minerve dont le massacre des derniers cathares par Simon de Montfort, héraut de la croisade contre les albigeois, sonnera la fin de l’âge d’or des juifs de Provence parlant l’hébreu, l’arabe et la langue du pays d’Oc.

Ceux qu’on appelle les « juifs de Provence » au Moyen Age ne sont pas d’abord les juifs de Marseille mais ceux de ce qu’on appelle ici le « midi », cette région au flanc des Pyrénées qui s’étend entre Toulouse, Carcassonne, Béziers, Narbonne, Montpellier et Lunel.

Installés d’abord à Narbonne, les juifs sont alors partout présents dans les grandes villes et les villages du midi au Moyen Age, En catalogne (Perpignan-Gérone), ils vivent dans des call depuis le concile de 1215  (du mot hébreu kahal – ou rassemblement).

Syna de Narbonne

Synagogue de Narbonne

Communautés juives au Moyen-Age
Communautés juives au Moyen-Age en Provence-Languedoc

Il sont profondément liés au judaïsme catalan ibérique comme le monter la naissance de la kabbale née en Languedoc et transmise à Gérone avec Nahmanide.

Rue de Nahmanide2 Rue de Nahmanide3

Rue de la maison de Nahmanide à Gérone, Photo DL

La Catalogne compte alors Perpigan, Barcelone, Cefalu où l’on retrouve les mikvé de ces communautés médiévales.

Il faut visiter l’ancien quartier juif, la calle de Gérone ou Bésalu pour retrouver l’ambiance aux ruelles étroites de ces judéria.

A Montpellier on a reconstitué le plan du quartier et on peut il retse des vestiges de la synagogue et on peut voir le Mikvé (voir ici)

Montpellier

Montpellier2

Parfois ne subsiste qu’un simple objet de ce passé juif comme ce méreau ou jeton de présence, exposé au Musée Puig de Perpignan, sur lequel est gravée une indication hébraïque : « Sainte Communauté de Yelim (Elne). Que l’Etre Suprême la Soutienne. Amen ». (Elne est située au sud de Perpignan entre Perpignan et Argelès)

Faisons mémoire de ces gens immenses et réactivons cette mémoire collective.

Les premiers témoignages antiques

A Cavaillon

Le premier témoignage d’une présence juive en Provence est la découverte à Orgon (non loin de Cavaillon) d’une lampe à huile datée du 1er siècle et ornée de deux ménorah, un motif décoratif qui n’apparaît sur les objets juifs qu’après la destruction du second Temple en 70, ce grand exode qui ouvre la seconde diaspora. C’est le plus ancien témoignage de la présence juive dans l’Hexagone. La forme de la lampe est typique de celles du… Ier siècle avant notre ère. Il est très probable que des populations locales gauloises dites « celtes ibères », aient alors été converties au judaïsme au contact des foyers juifs proches… bien avant l’arrivée du christianisme. (voir ici  )

lampe

A Narbonne

L’évêque Sidoine Apollinaire évêque de Clermont qui meurt en 486  alors que Narbonne est sous domination wisigothique parle entre 410 et 473 à son interlocuteur épistolaire Felix du Juif Gozolas. En effet, parmi les clients de Felix, grand dignitaire gallo-romain appartenant à l’illustre famille narbonnaise des Magnus Félix, se trouvait un Juif, nommé Gozolas, qu’il honorait d’une confiance particulière, puisqu’il ne craignait pas d’en faire son courrier habituel. Il éprouvait même de l’affection pour lui. L’évêque ne parle de Gozolas que pour exprimer le mépris que lui inspire sa secte. « Gozolas, Juif  de nation et client de Ta Grandeur, dont la personne me serait chère à moi aussi s’il n’appartenait à une secte méprisable, t’apporte une lettre, que j’ai écrite dans la plus grande anxiété. »… Et dans une seconde lettre … pour envisager sa conversion. (voir ici  ).

Provence romaine, IVè siècle, Bas Empire romain
Provence romaine, IVè siècle, Bas Empire romain, Arles est une résidence impériale comme Rome ou Trêves.

En réalité pour le Concile d’Agde en 506 il faut « empêcher ceux-ci (le juifs) de contaminer les chrétiens » et il ajoute : « Tout chrétien, clerc ou laïque, doit s’abstenir de prendre part aux banquets des Juifs : ces derniers ne mangeant pas des mêmes aliments que les chrétiens, il est indigne et sacrilège que les chrétiens touchent à leur nourriture. Les mets que nous prenons avec la permission de l’apôtre sont jugés immondes par les Juifs. Un chrétien se montre donc l’inférieur d’un Juif s’il s’assujettit à manger des plats que ce dernier lui présente, et si, d’autre part, le Juif repousse avec mépris la nourriture en usage »… ce qui monter en filigrane que les ‘chrétiens’ sont probablement encore des judéo-chrétiens ou des judaisants… et des juifs convertis au catholicisme en surface qui «retournaient à leur vomissement » selon l’expression du Concile.

En 589 le Concile de Narbonne « interdit à tout homme, libre ou esclave, Goth,  Romain, Syrien, Grec ou Juif, d’enfreindre le repos dominical et de mettre les bœufs sous le joug ce jour-là, sauf en cas d’absolue nécessité, sous peine pour les personnes libres de six sols d’or d’amende payables au comte de la Cité et pour les esclaves de cent coups de fouet parmi nous ». Le canon IX interdit aux Juifs de chanter des psaumes aux enterrements » ne clair : le shabbat c’est fini, maintenant vous chômez le « Jour du Soleil » romain, le dimanche… ambiance. Ce qui montre une fois de plus que les deux communautés sont largement mêlées.

Narbonne  était l’un des plus grands ports de la méditerrané connecté avec Rome, Gênes, Alexandrie, Salonique…

Les migrations d’Espagne premier moyen-âge

Le judaïsme provençal s’enracine donc dans la présence des juifs dans l’empire gréco romains qui vivent en particulier à Narbonne grand port de l’Empire et dont on trouve la première preuve écrite au milieu du Vè siècle dans cette ville (voir ci-après). Au VIè siècle, on trouve des Juifs à Marseille, Arles, Uzès, Narbonne. Aux VIIe et VIIIe siècles les juifs de l’Espagne wisigothique fuient vers la Septimanie – qui couvre à peu près le Languedoc et le Roussillon. Narbonne dès le VIIIè siècle est un centre majeur d’études du judaïsme. La communauté de Carcassonne s’établit au IXème siècle toujours sous l’influence de la migration de l’Espagne wisigothique.

Les héritiers de Maïmonide fuient les Almohades

Au milieu XIIe siècle, les persécutions des Almohades font fuir les Juifs Andalous en Languedoc. Le judaïsme languedocien va ainsi s’enrichir de la haute culture juive andalouse.

  • Samuel et Moïse Ibn Tibbon fils de Yehouda médecin établi à Lunel transcrivent la Méthodologie d’Aristote, le Petit Art de Galien et Les éléments d’Euclide.
  • Les Kimihi de Narbonne s’attellent à des travaux de philologie et d’exégèse biblique ; son fils David deviendra « le Prince des grammairiens » et son fameux ouvrage de lexicographie, le Shorashim ou Livre des racines, fera autorité jusqu’à la Renaissance.

Ces savants comme samuel Ibn Tibbon (Lunel, 1150 – Marseille, 1230) vont traduire Maimonide (Cordoue, 30 mars 1138 – Fostat, 13 décembre 1204). « Les communautés juives languedociennes qui furent les véritables héritières de la pensée maïmonidienne, constituant un terrain original, fertile, sorte de trait d’union ou de passerelle entre les tsarfatim de France et les sefaradim de l’Ibérie. » (voir ici ).

A Montpellier, appelée «Ir ha Ar » ou « Ir ha qodesh », « la ville du mont » ou « la ville sainte » en hébreu, présents depuis 985 à la fondation de la ville. Cette « petite Cordoue » voit de nombreux juifs d’Espagne la rejoindre lors des persécutions almohades du XIIè s. Les médecins y sont nombreux. Les noms de : Isaac Ben Abraham (Montpellier, 1110 – Narbonne, 1179), Meshulam, Shem Tov Ben Isaac, ornent le fronton de la faculté de Médecine… mais aussi : Samuel ben Tibbon (fin du XIIe siècle), enseignant à Montpellier, Nathan ben Zakharia dit Prophatius (XIIe – XIIIe siècle), établi à Montpellier, Jekethiel (vers 1385)… tous médecins dans la « Jérusalem du Languedoc ».

Juda Ibn Tibbon, grand rabbin espagnol lui aussi, né à Grenade en 1120 émigre à Lunel en 1150, suite aux persécutions menées par les Almohades contre les populations juives. Benjamin de Tudèle le mentionne comme médecin en 1160.

Lunel appelée « HaMigdal Shel Yeriho », La Tour de Jéricho ou « Bik-At Yeriho » – Vallée de Jéricho, selon une légende disant que les juifs y étainet arrivés de Jéricho… plus probablement d’Espagne au XIè siècle. Lunel qu’on nommait aussi « la demeure de la Torah » (Zerahiah ben Isaac Gerondi dasn son Shirat ha-maor) ou l’ « antichambre du Temple » (Abraham ben David de Posquières dans son Tamim Dei). Lunel dont Maïmonide disait dans une lettre adressée à Samuel ibn Tibbon, le principal représentant de la culture juive en Provence, alors qu’il traduisait le Guide des égarés de l’arabe en hébreu :

«  Vous, habitants de Lunel, et Juifs des villes voisines, vous seuls tenez encore d’une main ferme le drapeau de la Thora. Vous étudiez le Talmud et êtes des savants. En Orient, l’activité intellectuelle des Juifs est nulle. Dans toute la Syrie, la ville d’Alep seule renferme quelques personnes qui se consacrent à l’étude du Talmud et aux sciences, mais sans ardeur. Dans l’Irak on ne trouve que deux ou trois raisins (des hommes intelligents). Les Juifs du Yémen et du reste de l’Arabie savent peu de choses du Talmud, ils ne s’intéressent qu’à l’Aggada. Quant au Maghreb, vous savez combien les Juifs y sont malheureux ! Vous êtes donc les seuls soutiens de la Loi; soyez forts et courageux. ».

5500 habitants vivaient à Lunel à la fin du XIIIème siècle, dont 48 foyers juifs, soit 240 juifs à Lunel, 4,3 % de la population.

Au XIVè siècle ces juifs parlent encore l’arabe, langue des lettrés qui comme Yehouda ibn Tibbon ont autant de manuscrits hébreux qu’arabe dans leur bibliothèque et recommande la calligraphie arabe à son fils.

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Le Guide des Égarés ms. hébreu, XIVe s., Majorque, 1352
traduction de Samuel Ibn Tibbon BNF département des manuscrits

La version du guide de Samuel Ibn Tibbon diffuse l’aristotélisme dans les foyers juifs du Languedoc – Marseille, Montpellier, Lunel, Arles, Nîmes – suscitant des conflits intellectuels violents dans la communauté languedocienne qui gagnet le nord et toute la diaspora. Les adversaires de Maïmonide lui reprochent de ne point citer ses sources dans le Mishne Tora, de promouvoir des commentaires allégoriques de l’Écriture dans le Guide, voire de nier la résurrection des morts. En 1220, le rabbin Salomon b. Abraham de Montpellier excommunie les lecteurs de ces ouvrages. L’Eglise s’en mêle : En 1231 les dominicains brûlent les écrits de Maïmonide.

C’est l’âge d’or de la poésie hébraïque qui atteint son apogée en Espagne aux XIe et XIIe s. avec Shmuel Hanagid (993-1056), Shlomo Ibn Gabirol (v. 1021- 1058), Moshe Ibn Ezra (1055-1140), Yehudah Halévi (1075-1140) et Abraham Ibn Ezra (1092- 1167). L’époque post-classique commence déjà avec la deuxième moitié du XIIne s. et s’étale sur tout le XIIIe ; c’est à ce moment que les poètes hébreux-provençaux paraissent sur scène: Isaac de Malaucène (période d’activité : 1208-1220), Joseph d’Orange (première moitié du XIIIè  s.), Abraham de Béziers (2ème moitié du XIIIe s.,  Isaac d’Aire (id.),  Yeda’ya Le Nacré (dernier tiers du XIIIè s.), Kalonimus d’Arles (1286-c. 1328)(voir ici)

Benjamin de Tudèle

Benjamin de Tudèle, rabbin et médecin espagnol, né à Tudela en Navarre vers 1130 et mort en 1173 voyage à travers le monde en 1160- 1165 pour rencontrer les communautés juives. Son périple débute par la traversée de la Provence-Languedoc juive. Dans son Livre des voyages il s’émerveille des communautés de : Narbonne, Béziers, Montpellier (qu’il qualifie de « très agréable pour le commerce »), Posquières (Vauvert) et Lunel, Arles, Marseille. Il écrit :

Benjamin de Tudèle, fils du rabbin Jonas de pieuse mémoire, dit :

Je partis d’abord de la ville de Saragosse (…).

La ville de Barcelone est à deux journées de là (de Tarragone). Elle renferme une sainte réunion d’hommes sages et lettrés, de grands et nombreux chefs, tels que les docteurs Schescheth, Schealthiel et Salomon fils d’Abraham ben Chasdaï, dont le souvenir soit en bénédiction. Barcelone est une ville petite, mais jolie, située sur le bord de la mer. Les négociants y abordent de toutes parts avec leurs marchandises ; de Pise, de Gènes, de la Sicile, de la Grèce, d’Alexandrie en Egypte, de la Palestine, et des pays limitrophes.

De Barcelone à Gérone, où se trouve une petite communauté juive, il y a une journée et demie de chemin. Le poète Zerachia le Lévite préside cette communauté.

Narbonne est à trois journées de cette dernière. C’est une ville où la profession de la loi existe depuis longtemps et d’où elle s’est ensuite répandue dans toutes les autres contrées. Elle renferme de grands savants et d’honorables chefs. On y remarque le rabbin Kalonymos, fils du fameux prince Théodore de glorieuse mémoire, connu dans sa généalogie comme descendant de la maison de David. Il possède des terres et des biens-fonds qu’il tient de Seigneurs du pays, sans que personne puisse les lui ravir par la force. A la tête des savants de cette cité, se trouvent le rabbin Abraham, chef de l’académie, le poète Joseph, fils d’Isaac ben Kimchi, le rabbin Machir et le maître Iéhuda, ainsi qu’une foule d’autres docteurs de la loi. Narbonne compte aujourd’hui trois cents juifs.

A quatre milles de Narbonne est Béziers. Les rabbins Salomon, fils de Chalefta, et Joseph, fils de Nathanel, sont les chefs d’une congrégation de docteurs de la loi, qui se trouve en cette ville.

De Béziers jusqu’au Mont Gaas, plus connue sous le nom de Montpellier, il y a deux journées. C’est un endroit situé à deux milles de la mer et très avantageux pour le négoce. On y vient de tous côtés pour commercer. Les Chrétiens et les Mahométans s’y rendent d’Algarbe [pointe sud de la péninsule ibérique], d’Espagne, de France, d’Angleterre, appelée le pays des îles, de la Lombardie, du royaume de Rome la grande, de la Grèce, de l’Egypte et de la-Palestine ; en un mot, on y trouve des gens de toutes les langues principalement des Génois et des Pisans. Montpellier possède les docteurs les plus célèbres du siècle, (…)

Lunel est à quatre milles de Montpellier. Elle renferme Une sainte assemblée d’Israélites, qui s’appliquent jour et nuit à l’étude de la loi. (…) Tous ceux qui viennent des pays éloigné pour apprendre la loi, sont nourris et instruits par eux. Ils reçoivent gratuitement de la communauté, tout ce qui leur est nécessaire, pour la nourriture et les vêtements pendant tout le temps qu’ils fréquentent le collège. Ce sont des hommes vraiment sages et saints ; ils observent les préceptes, et secourent leurs frères, présents ou éloignés. Lunel au reste est située à deux milles de la mer ; elle renferme à peu près trois cents israélites : que Dieu les protège !

De Lunel à Posquiers, il y a deux milles. C’est un grand bourg, qui possède environ quarante familles juives, et une célèbre école dirigée par le grand docteur Rabbi Abraham, fils de David, d’heureuse mémoire, grand dans ses actions et très savant dans le Talmud et la Bible. Ceux qui, de pays éloignés, viennent chez lui pour s’instruire, trouvent sécurité dans sa maison. Il les instruit gratuitement, et, comme il est très riche, il subvient, même de sa propre bourse, à toutes les dépenses de ceux qui n’ont pas les moyens de le faire eux-mêmes. (…)

De là jusqu’au village nommé bourg de St-Gilles, il y a trois milles. On trouve, dans ce village, une assemblée de juifs d’environ cent sages; (…). St-Gilles est le rendez-vous des nations et des insulaires des extrémités de la terre. Elle est éloignée de trois milles de la mer et située sur les bords du grand fleuve appelé le Rhône, qui coule le long de la Provence. C’est là que demeure le noble maitre Abba-Mari, fils d’Isaac, d’heureuse mémoire, intendant du prince Ramon.

Cette géographie du voyage est en fait une cartographie de la Provence médiévale. On remarque la centralité historique de Narbonne, l’internationalisation des ports comme Barcelone, Montpellier et Lunel… où l’on note la présence des génois et des pisans On note la présence d’ « Abba-Mari, fils d’Isaac, d’heureuse mémoire, intendant du prince Ramon. ». Ramon n’est autre que Raimond comte de Trencavel, grand protecteur des juifs… que nous retrouverons bientôt.

Kabbalistes de Catalogne et de Provence

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Gérone – Catalogne

C’est vers 1150 qu’est fixée par écrit, en Provence, la Kabbale par Isaac l’aveugle. A Posquières, en languedoc, Isaac l’aveugle est surnommé le « père de la Kabbale ».

L’école de la kabbale de Gérone la Chaburah qedoshah sera fondée son disciple Azriel de Gérone (Ezra Ben Solomon), sous l’impulsion de son maître provençal Fondée au XIIIème siècle.

Au XIIIème siècle Gérone toute proche est le grand centre de la Kabbale médiévale avec Nahmanide (Mosé Ben Nachman), élève d’Azriel.

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Amulette de Kabbale, Musée d’histoire des juifs de Gérone, XVIIème siècle :
Au centre, en trois cercles concentriques, on voit une Maguen David, bordée des deux côtés par deux étoiles, deux mains et quatre carrés, tous remplis avec des lettres de l’alphabet hébreu, qui, combinées de manière appropriée, forment des noms des anges, comme Raphael. Dans l’un des carrés a été écrit le Tétragramme divin. En bas est  répétée trois fois la phrase « Ha-Eish shaka ha-Eish » (le feu coule-s’arrête, dans le feu). Cette amulette a été utilisée pour éloigner les mauvais esprits Elle devait ressembler à celles des Juifs de la Gérone médiévale. Photo DL

Il semble maintenant que des liens d’influence se sont produits entre cathares et juifs kabbalistes. Il semble que tous les cathares n’étaient pas « contre l’Ancien Testament » (voir un article très intéressant ici que je cite ci-après )

Des témoignages attirent l’attention, une déposition cathare devant un tribunal de  l’Inquisition dit ceci :

« Un cathare avait des doutes concernant sa foi. Un ange lui apparut, le prit sur son épaule et le porta vers les cieux. Là ils passèrent d’un ciel à l’autre et, dans chacun de ces cieux, le cathare voulut rendre hommage au Seigneur du lieu, ce qui fut interdit par l’ange jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au 7ème ciel. Au 7ème ciel, l’ange lui ordonna de rendre hommage au Père Saint de ce ciel, car c’était le Père Saint du peuple d’Israël. Les habitants de ce ciel chantaient les hymnes de Sion mieux que les habitants de tous les autres cieux ».

Terminant sa déposition, le témoin ajouta qu’il avait entendu dire par les hérétiques que seront sauvés non seulement les esprits descendus du ciel mais tout le peuple d’Israël.

En deux endroits, Abraham Aboulafia est né à Saragosse en 1240 et a passé son enfance et sa jeunesse à Tudèle en Navarre ; qui  vécut en Grèce et en Italie puis s’installa à Barcelone, parle de ses rapports avec des mystiques non juifs :

« Il n’y a aucun doute, dit-il, qu’il y a parmi eux des savants qui connaissent ce mystère ; ils eurent des entretiens secrets avec moi à ce sujet, et ils me révélèrent que c’était là leur opinion, sans aucun doute ; je jugeais alors qu’ils faisaient partie des « pieux », parmi les gentils ; il ne faut pas faire attention aux paroles des imbéciles de n’importe quelle nation, car la Torah ne fut donnée qu’aux maîtres du savoir ».

Une autre fois, il parle d’une « disputatio » (controverse ou débat) avec un savant chrétien auquel il s’était lié d’amitié et à qui il avait inspiré le désir de connaître le Nom de Dieu :

« A partir de ce jour, dit-il, il fit le vœu d’accepter de moi tout ce qui concerne les mystères de la Torah ; il se lia d’amitié avec moi et j’ai fixé dans son cœur la flèche du désir de connaître Dieu. Il est arrivé à reconnaître que la vérité est dans Moïse et dans sa Torah. Il ne faut pas dire plus de ce gentil ».

Un exposé d’une réunion de croyants à Arques dans l’Aude en 1300, précise que les esprits descendus du ciel sont tristes et affligés sur la terre, ce qui est justement l’état de « Ceux qui font le deuil de Sion ».

 

Heureux comme juif sous les Trencavel

Sous le règne des Trencavel, turbulents vassaux du Comte de Toulouse il règne une grande tolérance et un philosémitisme qui va vite énerver les plus hautes autorités romaines.

En effet, les vicomtes Raimond et Roger II de Trencavel (1149-1194), vicomtes de Béziers, de Carcassonne et d’Albi accueillent les Juifs à leurs cours, les protègent des émeutes suscitées par l’évêque de Béziers, moyennant le paiement annuel d’un impôt de quatre livres d’argent. Vers 1170, Roger II de Trencavel fréquente le célèbre rabbin Abraham Ben David dont l’école de Vauvert attire une foule studieuse. Ils nomment même des baillis juifs : Caraviter et Samuel à Béziers, Moïse à Carcassonne. Abba Mari bayle (juge et collecteur d’impots) de Saint-Gilles et trésorier de la commune de Nîmes en 1170 est célèbre pour sa traduction d’Averroès en hébreu. En 1203, le Bayle du Vicomte de Béziers est juif.

Les Trencavel laissent les juifs créer des écoles et institutions charitable dont un grand hôpital à Narbonne. Des juifs médecins à Montpellier sont des sommités de leur époque.

Le dernier Trencavel, Raimond-Roger s’appuie sur les Juifs pour gouverner Béziers jusqu’à sa chute en 1209 à sa sortie de la ville face à l’arrivée des croisés, il emmène avec lui tous les juifs qui avaient tout à redouter de l’antisémitisme de l’Eglise et des barons du Nord.

Les Trencavel qui règnent à Béziers vont protéger les cathares.

L’Eglise redoute l’influence des juifs. Un concile an XVème siècle dénonce :

« Les juifs ne cessent d’exercer la médecine ; ils l’exercent avec tant de réputation que les princes eux-mêmes se servent d’eux. Le roi René en a toujours auprès de sa personne. Il en fait tant de cas que pour l’amour d’eux, il permet aux juifs de tenir des fermes, d’être procureur et clavaires »

Juifs, Cathares, toulousains et autres hérétiques

Début janvier 1208, le légat du pape Innocent III (1160-1216) Pierre de Castelnau accuse Raymond VI comte de Toulouse d’avoir laissé se développer l’hérésie albigeoise venue d’Italie du nord et… d’avoir donné de hautes charges aux juifs… Il lui demande de prendre la tête de la croisade contre les hérétiques. Raymond VI refuse net de combattre ses propres sujets. Pierre de Castelnau l’excommunie et repart à Rome… Le 15 janvier 1208 il est assassiné sur une route du Languedoc. Le pape canonise le légat et… lance la croisade contre les Albigeois avec ces ‘saintes paroles’ :

« En avant, donc, chevaliers du Christ ! En avant, vaillantes recrues de l’armée chrétienne ! (…) Appliquez-vous à détruire l’hérésie par tous les moyens que Dieu vous inspirera (…) Quant au comte de Toulouse (…), chassez-le, lui et ses complices, des tentes du Seigneur. Dépouillez-les de leurs terres, afin que des habitants catholiques y soient substitués aux hérétiques éliminés…» (Innocent III)

La « guerre sainte » est donc lancée contre les pays de langue d’Oc. En dehors d’éradiquer des chrétiens « différents », l’objectif est aussi, bien sûr de faire des juifs installés en Languedoc des étrangers chez eux.

La population de Béziers est massacrée le 22 juillet 1209. Selon la légende, Arnaud Amaury, à la tête de la Croisade aurait lancé : « Tuez-les tous! Dieu reconnaîtra les siens ». Puis Carcassonne tombe. Commence la « guerre des châteaux » qui purifie le Minervois par le sang et par le feu.

sites cathares

Le 20 juillet 1210 Minerve tombe. C’est la fin des Cathares. Simon de Montfort fait brûler vif 140 bonshommes comme s’appellent le ‘parfaits’.

minerve

Minerve

En 1217 Simon de Montfort au bout de 7 années de guérilla entre dans Toulouse, il commence par incendier le quartier juif.

On connait les sentiments de Montfort à l’égard des juifs par une chronique à propos de sa femme… publiée par Ibn Verga en 1520 à Salonique qui raconte la vie de son père :

« En 1217, la comtesse, épouse de Simon de Montfort, avait emprisonné tous les juifs habitants de Toulouse, femmes et enfants compris, et leur avait imposé la conversion [à la religion chrétienne, les obligeant] à changer un [Dieu] vivant contre un [Dieu] mort. Elle avait séparé les hommes tandis que les enfants de moins de six ans avaient été confiés au clergé afin de les baptiser malgré eux. Les enfants appelèrent au secours leurs parents mais sans succès; ils refusèrent pourtant les aliments non casher. Cinquante-sept juifs toulousains se convertirent [à la religion chrétienne] tandis que les autres membres dc la communauté restés fidèles à leur foi, furent condamnés à mort, en sanctification du Nom. Cependant, au premier jour du mois d’AV, arriva un décret du comte ordonnant de les mettre en liberté et de leur rendre leurs biens, car tel fut l’ordre du Cardinal »[1].

Simon de Montfort sera tué en essayant de reprendre Toulouse en 1218. Mais la lutte militaire se poursuivent jusqu’à la chute de Montségur en 1244 et de Quéribus en 1255. A partir de 1229 les bûchers de l’Inquisition catholique se mettent en route pour ne plus s’arrêter.

 

Le bannissement des juifs de Provence

Saint Louis dont l’antisémitisme est bien sans équivoque (en 1239, Saint Louis fait saisir et brûler tous les ouvrages des synagogues ; en 1269, il oblige la population juive à porter un signe distinctif d’infamie : la rouelle)  installe son frère Alphonse de Poitiers (1220-1271) à la tête de Toulouse. En 1304 Philippe le Bel met fins aux privilèges des juifs, ce qui revient à leur ôter tout revenu, puis les expulse en 1306 du Royaume. Fureur populaire et discrimination d’Etat puis expulsions se succèdent.

En 1320 la seconde croisade des pastoureaux un mouvement populaire antisémite condamné par l’Eglise fait des centaines de victimes juives. 500 juifs sont massacrés à Verdun sur Garonne prés de Montauban. (voir enluminure ci-dessous, on voit les juifs portant la rouelle). Venus de Normandie ces croisés auto proclamés se dirigent vers le sud en multipliant les pogroms aidés des populations locales. Le groupe se sépare prés d’Agen.

  • Un premier groupe part vers l’Aragon par le chemin de Saint-Jacques. Ils entrent dans Jaca et massacrent les Juifs de Montclus aux premiers jours de juillet 1320 en catalogne aragonaise (château Samitier, province de Sobrarbe à l’époque, le massacre puis le départ des juifs en 1492 causa la ruine de Montclus et de son chateau ) (voir ici), avant de se diriger vers Pampelune, capitale de la Navarre. Jaime III d’Aragon envoie son fils Alfonse les anéantir. Menahem ben Zerah dans son Sedah Laderekh et Salomon Aben Verga dans son Schébeth Yéhouda racontent l’entrée de ces bandes à Tudèle dont l’Aljama était réputée pour sa richesse, et dans quelques villes navarraises.
  • Un second groupe remonta la vallée de la Garonne massacrant cagots (soit disant lépreux) et Juifs. Le 25 juin ils s’en prennent au juifs d’Albi et de Toulouse. Quatre jours plus tard, ils arrivent à Carcassonne où l’armée royale les écrase.

En Languedoc l’utilisation par le pouvoir capétien des juifs pour prélever l’impôt royal va se retourner en pogrom contre eux alimentés par les municipalités locales qui soutiennent les pogrom pour alimenter la fronde.

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En 1321, et en 1322 les juifs sont accusés d’empoisonner les puits, on les expulse à nouveau.

La défaite des albigeois a sonné la fin de la sécurité et l’âge d’or des juifs en Languedoc.

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Persécution de juifs bibliothèque Mazarine XVès.

En 1348, se déclarent successivement trois épidémies de peste. Les morts se comptent par milliers. Or, les Juifs ont leurs puits, et les règles dhygiène sont telles quau début ils sont moins atteints que la moyenne de la population et cela provoque la suspicion, et de là à les accuser davoir empoisonné les puits des Chrétiens, il ny a quun pas fort rapidement franchi. Les pogroms se succèdent et font tâche dhuile.

Durant lété 1391, les calls du royaume catalano-aragonais sont attaqués, pillés, brûlés, les habitants sont égorgés. La populace en furie est enflammée par des prêtres hystériques parmi lesquels Vincent Ferrier. En quelques jours, il ne reste plus rien des calls de Barcelone, Ma­jorque, Lérida ou Perpignan.

Le bannissement des Juifs d’Espagne en 1492, des anciens comtés de Roussillon et de Cerdagne en 1493, les expulsions locales d’Arles en 1493 et de Tarascon en 1496 étendues à toute la Provence en 1500-1501 vont conduire les juifs à émigrer vers Marseille ou à Aix-en-Provence où l’on trouve des convertis d’origines catalane et ibérique, les neofiti ou nouveaux chrétiens de Provence, rattrapés en 1512 par un « nouvel impôt sur les néophytes ».

La majorité des Juifs catalans partent vers lEmpire ottoman mais certains d’entre eux, venant de Barcelone, Gérone ou Tarragone se réfugient dans la région de Perpignan. « Le 15 septembre 1492, le nouveau roi de France Charles VIII donne ordre à Spanyol de Camon et Pierre Irrexeta de poursuivre ces immigrants et de les chasser. Certains dentre eux, accompagnés de Juifs perpignanais, prennent rapidement la mer.
Le 3 septembre 1493, Charles VIII restitue le Roussillon et la Cerdagne à l’Espagne. Le 13 du même mois, les Rois Catholiques pénètrent dans Perpignan.
Dès le 21 septembre, un second édit dexpulsion est proclamé. Il est écrit en catalan et signé seulement par Ferdinand. Il accorde trente jours à tous les Juifs pour partir de ses terres. Il n’en restait que fort peu.
Rassemblés dans la baie de Port-Vendres dans lattente du départ prévu pour le 21 octobre, mais épuisés, malades, et devant des éléments naturels déchaînés, ils obtiennent lautorisation dattendre quelque temps avant de sembarquer à Collioure en direction de Naples sur le “Santa Maria i sant Cristofor” de Pierre Soler. Mais pour ce faire, il leur faut payer un nolis de deux ducats en or, par tête, en exceptant les enfants à la mamelle et ceux que les femmes grosses portent dans leur sein »

Totalement ruinés, ils sont obligés de demander au procureur royal de pourvoir à leur alimentation pendant la traversée.

Entassés sur cette embarcation, ces trente-neuf exilés, ces trente-neuf derniers Juifs catalans voient avec tristesse s’éloigner cette terre que leurs ancêtres avaient tant aimée, et malgré tous les ressentiments qu’ils auraient pu éprouver, malgré tout ce qu’ils avaient pu endurer, ils lemportèrent avec eux dans leur cœur. Et durant des années, des décennies et même des siècles, ils continuèrent à vivre, à parler, à chanter, et même à cuisiner comme leurs lointains ancêtres.

Voici leur noms :

Gracia Menahem Mossé, sa fille et son gendre.
Abraham Fuentes et sa femme.
Jucef Hasday et sa famille.
Na Stelina et son fils.
Bendit et sa mère.
Nissim et sa famille.
Jucef Léo Salomon et ses enfants.
Salomon de Larat et ses enfants.


Na Petrossa.
Ysaac de Piera et sa famille.
Nathan Mossé et sa famille.
La Lolita et un enfant.


Jacob et sa femme.

(source)

Beaucoup fuient alors vers le Piémont, Rome, l’empire Ottoman. D’autres choisissent de se convertir au christianisme, d’autres deviennent marranes, c’est à dire des juifs cachés. Salomon Ibn Verga, Juif expulsé d’Espagne dans  le Shevet Yehudah (Le sceptre de Juda) un livre qui mêle la chronique historique aux dialogues fictifs pour raconter  les malheurs juifs, raconte :

« Et parmi ceux qui étaient restés en Provence après l’apostasie, certains pratiquaient le judaïsme en secret, les femmes en particulier. Le cas des femmes était cependant dangereux, car on les interrogeait. Pourquoi allument-elles une lumière la veille du Shabbat ? Et de même quand elles apportent [chez elles] des verdures at toutes sortes de douceurs les vendredi soir à leur table? Elles disent qu’elles ont vu leurs mères agir ainsi. » (Salomon Ibn Verga. Sefer Shevet Yehudah. éditions Azriel Schochat. Jérusalem, 1947. pg 56.)

Les noms des juifs de Provence sont connus : Caspi, Cadenet, Vidal (Haïm, « la vie » en hébreu), de Lattès, Astruc, Béziers, Carcassone, Crescas, Malaucène, Yarhi de Tunis, Astruc à Oran et Alger,  Narboni, Crescas et Vidal à Alger, les Sitruk, Strouc, Setruc, fréquents en Tunisie, et probables déformations de Astruc. Les Petit, Petito déformation de Kimhi, les fameux traducteurs de Narbonne, qui signifie « petit maître ». Les Béziers ou  Bezes, Beses, Bezers, apparaissent dans le Comtat Venaissin, zone de passga vers l’Istalie :

  • David de Béziers-Carpentras 1522 (AD Vaucluse 1/37)
  • Bénestruc de Vèzes-Carpentras 1540 (Arch. J. 1985, p. 63)
  • Bonjues de Baze, ou Bèzes, ou Bazo, ou Base – Carpentras 1565-1601 (REJ XJJ1202, 204,211)
  • Isaac de Beses, ou Beurs-Carpentras 1589- 1600 (REJ XIl1207, 212)
  • Salomon de Base-Carpentras 1669 (REJ XIl/218)
  • Manassés de Bczies, ou Béziers – Avignon 1779 (Statuts Avig. 34, 92)
  • Isaac de Baze-Carpentras 1789 (Mossé 98)

On retrouve ces juifs dans la grande ville d’expulsion des séfardim dont à Salonique où abondent les « Béziers » ou « Bedarsi ». Voir ici sur l’onomastique du Comtat Venaissin.

On retrouve ces juifs de Provence, Les Bédarsi-Bézier, les Narbonne, les Massip, les Perpigan, les Harari (du « mont », ar c’est à dire de la Montpellier!) sur les tombe du cimetière de Salonique aujourd’hui détruit, comme l’a montré S. Schwarzfuchs (dans : Danièle Iancu-Agou, (éd.), L’expulsion des Juifs de Provence et de l’Europe méditerranéenne (xve-xvie siècles). Exils et conversions, pg. 174)  :

 

Bézier

 Narbonne

Tous ces provençaux comme ceux venus de Calabre, de Sicile ou des Pouilles, ont alors rejoint le rite séfarade des Juifs espagnols.

C’est en Avignon que la famille ha-Cohen venue de Huete en 1492 arrive donnant naissance à Joseph ha-Cohen en 1496. Joseph ha-Cohen s’installera à Ovadia et Gavi en Italie, son frère Méïr avec qui il correspond, étant lui à Salonique. L’histoire se poursuit… à Gênes.

[1] Georges Duby, Femmes, mariages, lignages – XIIe-XIVe siècles: Mélanges offerts à Georges Duby, pg. 461.

 

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