Vayera : D-ieu demande le cœur

 Shofar Didier Long2

En levant les yeux Abraham aperçoit un bélier dont les cornes sont enchevêtrées dans un buisson qui sera offert à la place d’Isaac. Le Chofar en corne de bélier (ici le mien) sonné a Roch Hachana et Kippour rappelle les cornes de ce bélier.

« Le Miséricordieux demande le cœur » Rahamana liba baé.

Ce matin, le Rav Harboun a commenté la hakéda (ligature) d’Isaac.

Il arriva, après ces faits, que Dieu éprouva Abraham. Il lui dit: « Abraham! » Il répondit: « Me voici. » Il reprit « Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac; achemine-toi vers la terre de Moria et là offre-le en holocauste sur une montagne que je te désignerai. » Abraham se leva de bonne heure, sangla son âne, emmena ses deux serviteurs et Isaac, son fils et ayant fendu le bois du sacrifice, il se mit en chemin pour le lieu que lui avait indiqué le Seigneur. (Gn 22 1-3)

N’importe quel homme, si on lui demande de sacrifier son fils refuse. Surtout son fils unique ! C’est du simple bon sens ! Alors pourquoi Abraham a-t-il pris son âne, ses deux serviteurs et du bois pour partit vers le lieu que D. lui indiquerai après s’être levé « de bon matin »…imaginez… on vous demande de sacrifier votre fils… vous ne vous levez pas « de bon matin »… ça peut attendre !

Il n’y a évidement pas de réponse simple à cela et nos Sages ont réfléchit.

Les uns ont dit que dans les pays de collines des cananéens la coutume religieuse locale d’adoration du Baal exigeait le sacrifice d’une jeune-fille chaque semaine. D’autres, que le dieu-idole Moloch demandait lui-aussi des sacrifices d’enfants. Donc que la hakeda et la délivrance d’Isaac signifient dans un contexte historique particulier où l’on sacrifiait des enfants l’interdiction de ceux-ci par la Torah. Première explication.

Pour Maïmonide  « Abraham s’empressa de sacrifier Isaac, non pas par peur d’un châtiment, mais parce qu’il comprenait son devoir par rapport a l’amour de Dieu, sans récompense ni punition. C’est ainsi que l’ange lui a dit : « Je sais que tu crains Dieu. » (Genèse 12, 12) »

La deuxième leçon du sacrifice d’Isaac, selon Maimonide, est de nous apprendre : « Combien est véridique la vision divine pour les prophètes et que personne ne croie que ce n’est pas le cas vu qu’elle vient a travers l’imagination. Mais au contraire tout ce que voit le prophète dans sa vision est authentique. »

Ailleurs Maïmonide dit qu’Abraham aurait mal compris la demande de Dieu, « Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac; achemine-toi vers la terre de Moria et là offre-le en holocauste (ôla) sur une montagne que je te désignerai. », car le sens primitif de ce mot désignait une ascension, une élévation (d’où ensuite l’idée d’offrande à Dieu et de sacrifice). Abraham a interprété littéralement la demande de Dieu alors qu’elle était symbolique :

Dieu lui demandait une élévation, un degré plus haut de la relation avec son fils (la symbolique de la montagne), un amour désintéressé et non pas qu’il le sacrifie.

Une autre explication s’interroge : Si la réponse d’Abraham est la réponse à une question de D.ieu, quelle est la question ? Bereshit Rabba, commente que D-ieu n’a « jamais envisagé de dire à Abraham d’égorger Isaac ».

Le Talmud (Mo‘èd qatan 18a) [1] affirme qu’Abraham n’avait lui-même jamais envisagé de sacrifier son fils  remarquent que dans Genèse 22, 5 Abraham dit à ses serviteurs «Tenez-vous ici avec l’âne; moi et le jeune homme nous irons jusque là-bas, nous nous prosternerons et nous reviendrons vers vous.» Pourquoi « nous » et pas « je » reviendrai vers vous. C’est l’indice qui montre qu’Abraham pensait avec son fils que l’enfant ne serait pas sacrifié. Selon cette interprétation la perspective est inversée, ce n’est plus Abraham qui est mis à l’épreuve mais c’est Abraham qui met D-ieu à l’épreuve : « Jusqu’où iras-Tu ? »

D’autres commentateurs affirment qu’Abraham n’avait jamais envisagé de sacrifier son fils car il savait que D-ieu ne tue pas les enfants (mais n’importe quel père sait cela, inutile d’aller chercher Abraham pour le démontrer !)…

D’autres enfin ont dit que les deux serviteurs restés au pied du Mont Moryiah étaient le peuple juif au pied de la montagne et que certains restaient au pied du Sinaï avec les ânes… bref.

Rembrandt,1655.
Rembrandt,1655.

Une dernière explication a retenu mon attention. Elle vient de la tradition ashkénaze.

Comme vous le savez le Becht (Le Rebbé Baal Shem Tov, 1698-1760, fondateur de la dynastie hassidique) accueillait tous les juifs sans exception avec bonté comme si c’était à chaque instant la prière de Neila. Au nom du principe que tous peuvent faire teshouva.

Un jour il fallut choisir qui serait le le Tokéa’ (Celui qui sonne le Chofar) à Kippour. Tous ses disciples se pressaient vers lui, vantant qu’ils avaient étudié les kavvanot (intentions) attribuées au Chofar et que leur cœur était prédisposé à être orienté vers D. à ce moment là. Nille n’ignorait qu’on payait une petite somme à celui qui serait chargé de cette tâche sublime qui clôture les dix jours redoutable et la sainte journée du Kippour.

Un pauvre homme se présenta. C’était un Am-haaretz (un paysan inculte). Cet homme voulait marier sa fille et, désespéré demandait à sonner le Chofar simplement pour avoir quelques pièces pour le faire. Le cœur brisé il en fit la demande au Baal Shem Tov.

A la surprise de l’assemblée des talmidé hahamim (disciples) le Becht lui confia le soin de sonner du Chofar pour toute l’assemblée exprimant en cette heure du retour (teshouva), lui seul le méritait.

C’est la morale de notre histoire, la raison profonde de l’attitude d’Abraham. Il est comme cet homme qui ne pouvait se prévaloir de rien et n’avait rien d’autre que son cœur à donner.

Parfois certaines personnes ont tellement de foi comme cet homme qui ne pensait qu’ à marier sa fille avec le cœur brisé au point de ne plus penser qu’à cela, que ces personnes semblent naïves au point de ne pas remettre en cause ce que D-ieu leur demande, même si cela est de toute évidence absurde. C’est ce qu’a fait Abraham Avinou. (notre père).

La vie n’est pas affaire de savoir ou d’intelligence mais de cœur.Rahamana liba baé  (« Le Miséricordieux demande le cœur » en araméen) « D-ieu demande le cœur ». (TB Sanhédrin 106 b, Zohar II 162b, III 181b)

Le Saint, béni soit-Il, demande le cœur, ainsi qu’il est dit (I Samuel XVI, 7) : « (Car l’homme considère l’apparence), mais l’Éternel considère le cœur. (TB Sanhédrin 106 b)

Téna béni livkha li « Mon fils, donne-moi ton cœur » dit la Torah (Proverbes 23, 6). Celui qui fait preuve d’empathie et de compassion, qui sait se mettre à la place de l’autre, qui a le cœur humble… force la porte des cieux.

La Akeda est le modèle par excellence du service de D-ieu lishma (« pour le Nom », désintéressé). Abraham comme Job est l’archétype du croyant désintéressé. D.ieu ne demande que le cœur. La Akeda est le symbole de la mise de toutes ses forces humaines au service de l’Eternel. « De tout ton cœur » dit le Shema. La corne du bélier du Shofar, ce bélier aux cornes justement empêtrées dans un buisson en est le symbole.

C’est ce que je voulais vous dire aujourd’hui.

Shofar Didier Long

[1] Et nous reviendrons Il a prophétisé qu’ils reviendraient tous les deux (Mo‘èd qatan 18a).

Un commentaire sur « Vayera : D-ieu demande le cœur »

  1. Bonjour Monsieur Long, outre votre parcours que je trouve à la fois étonnant et admirable, j’aime énormément ce que vous faites. Cela fait un bout de temps que je vous suis sur ce site. Etant président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) de l’université Panthéon-Assas, j’aimerais vraiment partager certains de vos articles sur notre page, y voyez vous un inconvénient? Je laisse vous laisse mon mail : Meyer.Eml@gmail.com. Cordialement, Emmanuel Meyer.

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