Que penser du pouvoir ?

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Le Pirké Avot que nous relisons en ces jours de décompte du Omer nous a prévenu :
Chemayah disait : « Aime le labeur, hais la hauteur (le pouvoir et ses signes d’élévation) et ne cherche pas à te faire remarquer auprès de ses détenteurs. » (Pirkei Avot 1, 10).
« Méfiez-vous du pouvoir en place, car il n’est favorable à l’individu que lorsque cela lui profite. Il paraît conciliant lorsqu’il en tire avantage et n’assiste pas les gens lorsqu’ils sont dans le besoin. » (Pirkei Avot 2, 3).
Ces Sages parlaient… au 1er siècle. Ils disaient aussi  :
« Rabbi ‘Hanina, l’assistant du grand-prêtre dit : « Prie pour la paix du gouvernement, car si on ne le craignait pas, les hommes s’entre-dévoreraient vivants. » (Pirkei Avot 3, 2)
« L’assistant du grand prêtre »… on parle d’avant la destruction du Temple en 70… Rome qui n’avait pas la réputation d’être tendre. Voilà comment Flavius Josèphe raconte le comportement des soldats des légions, le bras armé de Rome qu’il a combattu en Galilée à l’époque  :
« Ils n’attendent pas pour apprendre à faire usage de leurs armes que la guerre les y oblige : on ne les voit point se croiser les bras durant la paix pour ne les remuer qu’à l’heure du danger. Bien au contraire, comme s’ils étaient nés les armes à la main, ils ne cessent point de s’y exercer sans attendre l’occasion de s’en servir. […] On pourrait dire de leurs exercices que ce sont des combats sans effusion de sang, et de leurs combats que ce sont des exercices sanglants.[…] Si j’ai placé ici ces réflexions, c’est moins dans le dessein de louer les Romains que pour consoler ceux qu’ils ont vaincus et faire perdre à d’autres l’envie de se soulever contre eux. (Guerre des Juifs Livre III, chapitre 5)

Il faut donc un Etat sans quoi : « les hommes s’entre-dévoreraient vivants ». L’interdiction « d’arracher le membre d’une animal vivant », c’est à dire de la cruauté, est le premier commandement pour les noachides (non-juifs) . L’absence d’Etat conduit au delà, à la barbarie.

Les Hakamim nous mettent en garde contre l’abus de pouvoir :

« La (connaissance de la) Tora est supérieure à la prêtrise et à la royauté, car la royauté demande trente qualités, le sacerdoce n’en exige que vingt-quatre, tandis que pour acquérir la (connaissance de la) Tora, il en faut quarante-huit, » comme : « ne pas abuser du pouvoir de décision » (Pirkei Avot 6, 6)

Il faut aussi se méfier non seulement du pouvoir politique ou de de l’ascension sociale mais aussi de la volonté de briller et de se faire une bonne réputation. Il faut étudier de tout son cœur mais celui qui utilise cette Torah pour briller est un homme mort. Un idolâtre qui instrumentalise D.

Hillel disait aussi : « Celui qui veut se faire un nom en perd sa renommée. Celui qui n’ajoute plus rien est à son terme. Celui qui ne cherche pas à s’instruire est passible de mort. Celui qui instrumentalise la couronne de la Torah en périra. » (Pirkei Avot 1, 13)

On ne peut pas se retirer du monde sans travailler pour étudier, l’idée est qu’il y a une interaction, un cercle vertueux, entre l’étude et la construction du monde :

Rabban Gamliel, fils de Rabbi Yehouda ha Nassi, disait : « Il est bon de concilier l’étude de la Torah avec le gagne-pain, car leurs efforts associés occultent [la tentation de] la faute ; et toute étude de la Torah qui n’est pas accompagnée d’un travail est vouée à la perte et entraîne la faute. « (Pirkei Avot 2, 2)

 

Enfin il est bon de se consacrer à son prochain et à la communauté :

 » Ceux qui œuvrent en faveur de la collectivité et travaillent avec ses responsables pour la gloire du Nom céleste (divin, et non pour des considérations bassement intéressées) seront soutenus dans leur tâche par le mérite de leurs ancêtres, et le souvenir de leur équité perdurera à jamais. Quant à vous, grande serait votre récompense comme si vous aviez vous-mêmes agi. »

Tout cela n’a pas d’époque. Celui qui fait cela sort de la vie objectale c’est à dire d’un rapport aux autres qui cherche à les contraindre, à en faire des objets sous la main, des esclaves, en devenant… un objet à son tour. Il est alors seul et, se piégeant lui-même, perd son rapport au monde comme une création, une surprise permanente, et à la surprise des autres .

Maïmonide, dans son Mishneh Torah (Lois des rois, chapitre 5, par. 7) , mentionne la Halakha selon laquelle on n’est pas autorisé à résider en Egypte et il cite aussi cet enseignement de nos Sages :

« A trois reprises, les enfants d’Israël ont été mis en garde de ne pas retourner dans le pays de l’Egypte ». (Les Hakhmamim commentent ce pasouk : « Il ne fera pas revenir le peuple en Egypte… alors que l’Eternel vous a dit : vous ne reprendrez plus ce chemin » Dt 17, 16)

Il est interdit de « séjourner en Egypte », c’est à dire en esclavage, sous la contrainte.

Le Chabbat, célébration de la création et de la sortie d’Egypte, nous ramène à notre vraie vie de sujets alors que nous sommes objectivés, abrutis par la contrainte profane, des objets sous la main comme les esclaves. Nous redevenons alors des sujets de notre liberté, nous sortons de l’abrutissement. C’est pour cela que celui qui ne fait pas Chabbath est un homme mort. Le but est de vivre. D’être libres de tout pouvoir, de prendre le joug de Cieux pour nous débarrasser de celui des hommes.

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