Parfums spirituels : Alta Rocca – Corse, là où pousse l’immortelle – a muredda

L’odorat est le sens le plus spirituel dit le judaïsme. Un extrait de mon livre Des Noces éternelles, un moine à la synagogue :

 » Je viens par mes ancêtres de cette montagne que décrit Prosper Mérimée aux premières lignes  de Mateo Falcone :

« En sortant de Porto-Vecchio et se dirigeant au nord-ouest, vers l’intérieur de l’île, on voit le terrain s’élever assez rapidement, et après trois heures de marche par des sentiers tortueux, obstinés par de gros quartiers de rocs, et quelquefois coupés par des ravins, on se trouve sur le bord d’un maquis très étendu. Le maquis est la patrie des bergers corses et de quiconque s’est brouillé avec la justice. […] Si vous avez tué un homme, allez dans le maquis de Porto-Vecchio, et vous y vivrez en sûreté, avec un bon fusil, de la poudre et des balles, n’oubliez pas un manteau bien garni d’un capuchon, qui sert de couverture et de matelas. Les bergers vous donnent du lait, du fromage et des châtaignes, et vous n’aurez rien à craindre de la justice ou des parents du mort, si ce n’est quand il vous faudra descendre à la ville pour y renouveler vos munitions. ».

Mérimée décrit parfaitement cette ambiance de l’extrême sud de la Corse, l’Au-delà des Monts, et le plateau de l’Alta Rocca perdu dans les montagnes à mille mètres au-dessus de la baie de Porto-Vecchio où serpente le chemin de mare a mare, qui rejoint les côtes est et  ouest de l’île. Le maquis inextricable y exhale le myrte, et l’arbousier. Napoléon, exilé à Sainte-Hélène, disait qu’il reconnaîtrait la Corse les yeux fermés, à son parfum, et il ajoutait: «Tout y était meilleur et plus beau qu’ailleurs». Çà et là un olivier ou un chêne liège offrent leur ombre à basse altitude mais au fur et à mesure que l’on s’élève parmi les rocs de granit ils laissent la place aux pins laricciu, de grands résineux de cinquante mètres de haut dont les canopées se rejoignent pour former un plafond végétal, là-haut, comme dans une cathédrale. On pénètre dans cette forêt de colonnes d’arbres comme dans un temple végétal. Le soleil qui traverse çà et là illumine un tapis de fougères vert tendre éparses parcouru  parfois de ruisseaux d’eau claire qui rebondissant entre des moellons de granit recouverts de lichens. Les cochons corses, agressifs avec un poil noir de sangliers, les ânes et des vaches ombrageuses vivent là en toute liberté. On y trouve aussi des chevaux et des troupeaux de chèvres enclos.

Ce plateau est la patrie des plantes et des odeurs comme autant de souvenirs et d’émotions : la menthe aquatique épicée aux fleurs mauve lavande ; la menthe pouliot aux notes citronnées, vert tendre aux feuilles velues et aux fleurs roses. Mais surtout les tapis vert pomme de Mentha requienii, une menthe endémique de Corse au parfum mentholé et poivré aux toutes petites feuilles vert pomme parsemée de minuscules fleurs lavande rosée et, bien sûr l’Herba Iatim dont l’odeur caractéristique dégage les sinus comme du poivre…, le même marqueur olfactif que l’herbe à chat, quand il estampille son territoire… d’urine…

Tout là-haut, au col de Focce Alta à 1200 mètres au-dessus de la mer règne l’Immortelle– a murza. Ses buissons jaunes d’or luttent avec les rochers de granit et le thym dont l’effluence emplit les sinus et tout le crâne jusqu’à ce que la nuque frissonne. Une goutte d’essence d’Immortelle suffit à doper le système sanguin et irriguer d’une miséricordieuse fraicheur les brulures du soleil et de l’esprit. Là-haut près du ciel, on peut voir en contrebas l’océan des pins larriciu dont l’horizon meurt dans la mer embrumée du golfe de Porto-Vecchio. De l’autre côté du col, le soleil couchant lutte avec les crêtes de rideaux de montagnes en contrejour qui passent du bleu le plus sombre à l’azur laiteux. A l’horizon, la mer miroite et rejoint le ciel rose au bout de la vallée du Valinco.  Dans cet écrin de montagnes on découvre Lévie, le plus gros bourg de l’Alta Rocca, dans son val de verdure.

Ici, la nature offre en permanence au rythme des lunes et des saisons son « sacrifice d’agréable odeur ». Sa liturgie parfaite est rythmée par la lune et les saisons. Voilà la Corse de mon enfance.

Dans ce parc naturel point de maison mais des petits lieux-dits de quelques modestes bergeries devenues les résidences de vacances des descendants de ces bergers venus de la ville ou du continent mais qui retrouvent chaque année les mœurs du lieu au milieu du thym sauvage, des lentisques et des cistes.

Lévie (Levie) et immortelles (a muredda); Cairn, Forêt et barrage de l’Ospédale (U spidali); Golfe de Porto-Vecchio (Portivechju), Fleurs d’immortelle de Corse.

 

Laisser un commentaire