D-ieu : 25 000 ans de patience !

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Le pardon de D-ieu à Jérusalem, Marc Chagall

Le temps c’est de l’amour

On nous dit que l’Eternel est « lent à la colère » (Erekh Apayim) et qu’il « conserve sa bienveillance (‘hessed) jusqu’à la millième génération » noster ‘hessed laalafim (Ex 34, 7).

Dieu serait donc patient sur 25 000 ans (1000 générations)… imaginez… un péché commis au paléolithique supérieur en pleine période glaciaire, à l’âge des hommes des cavernes… et là D-ieu se rappelle de votre ancêtre hibernatus !

Mais aussitôt après la Torah nous dit que D-ieu : « pardonnant l’iniquité, le péché délibéré et l’erreur, et Qui nettoie mais ne nettoie pas complètement. Punissant (PoQeD) la faute des pères sur les enfants, sur les petits-enfants, à la troisième et à la quatrième génération. »… un décompte comme une douche froide sur la première affirmation.

Quoi qu’il en soit, d’ici là, comme disait Benjamin Franklin en 1789 : « En ce monde rien n’est certain, à part la mort et les impôts. »

Depuis le paléolithique (25 000 ans) ou depuis votre grand-mère (75 ans) ? … la Torah semble assez contradictoire.

« Punir », une erreur de traduction

L’Éternel pardonne donc, ou plutôt « nettoie » 3 types de fautes :

  • L’iniquité (aon) : la faute volontaire et préméditée que D-ieu pardonne si le pécheur se repent
  • Le péché délibéré (fécha) : une transgression qui vise à irriter D-ieu lui-même… et que Dieu pardonne aussi
  • L’erreur (khataa) : une faute commise dans le plus grande négligence et l’indifférence la plus totale. Ce genre d’acte dont on se dit « bah on verra bien »

La guemara du traité Yoma commente :

« Concernant le sujet du repentir, le rabbin Matya ben benarash a demandé au rabbin Elazar ben Azarya quand Rabbi Elazar était à Rome: avez-vous entendu l’enseignement qu’il y aurait quatre distinctions dans le processus d’expiation? Il lui a dit: ce ne sont pas quatre mais trois distinctions, et le repentir est nécessaire pour chacune. » (Yoma 86a)

 

« Dieu n’absout pas celui qui manque de respect à son nom, mais il absout ceux qui sont responsables d’avoir violé toutes les autres interdictions et de se repentir. C’est la preuve que ceux qui violent toutes les autres interdictions ne sont pas comparables à ceux qui violent: « Tu ne prononcera pas le nom de l’Eternel, ton Dieu, en vain. » » (Yoma 86a)

Mais est-ce qu’il « punit jusqu’à la 3ème ou 4ème génération » ?

Il s’agit en fait d’une erreur de traduction.

Car en hébreu, le verbe « PaQaD » ne signifie pas « punir ». Il y a dedans une idée commune de « revenir régulièrement » pour prendre soin, s’occuper de, vérifier, recenser, voir s’il manque quelqu’un.

PaQad signifie d’abord « prendre soin de » au sens de « porter attention », surveiller. Ainsi Putifar établit (PaQaD) Joseph pour veiller sur ses biens (Gn 39, 4 ; 39, 5 ; 40, 4) tout comme le Pharaon établit des commissaires sur le pays. (Gn 41, 34). L’idée est que celui qui surveille vient régulièrement visiter.

C’est Dieu lui-même qui veille sur Israël et vient donc régulièrement le visiter :

« L’Eternel se souvint (Paqad) de ce qu’il avait dit à Sara, et l’Eternel accomplit pour Sara ce qu’il avait promis. » (Gn 21, 1) ;

« Va, rassemble les anciens d’Israël, et dis-leur : L’Eternel, le D-ieu de vos pères, m’est apparu, le D-ieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il a dit : Je vous ai vus פָּקֹד פָּקַדְתִּי אֶתְכֶם (Paqad, Paqad répété deux fois), et j’ai vu ce qu’on vous fait en Egypte » (Ex 3, 16) ;

« Le peuple apprit que l’Éternel avait visité (PaQaD) les enfants d’Israël, qu’il avait vu leur souffrance, et ils se prosternèrent ». (Ex 4, 31)

« Moïse prit avec lui les os de Joseph; car Joseph avait fait jurer les fils d’Israël, en disant : D-ieu vous visitera פָּקֹד יִפְקֹד אֱלֹהִים אֶתְכֶם (Paqad, Paqad répété deux fois), et vous ferez remonter avec vous mes os loin d’ici. » (Ex 13, 19)

Pour montrer ce sens de venir et revenir visiter comme on prend soin d’un malade la Torah double souvent ce mot.

Elle le répète plusieurs fois dans un verset lorsqu’il s’agit du dénombrement. Car dénombrer c’est « revenir » régulièrement compter.

« Lorsque tu compteras les enfants d’Israël pour en faire le dénombrement (PaQaD), chacun d’eux paiera à l’Eternel le rachat de sa personne, (PaQaD) afin qu’ils ne soient frappés d’aucune plaie lors de ce dénombrement (PaQaD). » (Ex 30, 12)

Le Livre des nombres utilise des dizaines de fois le mot PaQaD pour parler du dénombrement du peuple : Nb 1, 3.19.21.22… mais aussi le Livre de Samuel et celui des Rois.

« Le roi persista dans l’ordre qu’il donnait à Joab et aux chefs de l’armée; et Joab et les chefs de l’armée quittèrent le roi pour faire le dénombrement (PaQaD) du peuple d’Israël. » (2 Sam 24, 4)

« Le roi Joram sortit alors de Samarie, et passa en revue (PaQaD) tout Israël. » (2 R 3, 6)

L’idée de « punir », existe mais elle prend plutôt le sens d’un rendez-vous pour un règlement de compte, comme un comptable qui établit régulièrement un bilan de situation :

Elle apparait comme punition du veau d’or (PaQaD est répété deux fois):

« Va donc, conduis le peuple où je t’ai dit. Voici, mon ange marchera devant toi, mais au jour de ma vengeance (PaQaD), je les punirai (PaQaD) de leur péché. » (Ex 32, 24)

La encore dans sa bonté, D-ieu a décidé de ne pas punir tout le peuple immédiatement mais de faire revenir un ange qui surveille les péchés d’Israël et agira alors, en somme : « ne recommencez pas ! »

Le Talmud commente :

« Le verset dit: « Et le Seigneur passa devant lui et proclama » ( Exode 34, 6 ). Rabbi Yoḥanan a dit: Si ce n’était pas explicitement écrit dans le verset, il serait impossible de le dire, car cela serait insultant pour l’honneur de Dieu. Le verset enseigne que le Saint, Béni soit-Il, s’est enveloppé dans un châle de prière comme un chef de prière et a montré à Moïse la structure de l’ordre de la prière. Il lui a dit: ‘‘chaque fois que le peuple juif pèche, laisse-le agir devant moi conformément à cet ordre. Laissez le leader de la prière s’enrouler dans un châle de prière et récitez publiquement les treize attributs de la miséricorde, et je leur pardonnerai.’’ » (TB Roch Achana 17b)

On trouve aussi cet aspect de punition, vengeance, jugement dans les psaumes et le Lévitique :

« Lorsqu’il péchera ainsi et se rendra coupable, il restituera la chose qu’il a volée ou soustraite par fraude, la chose qui lui avait été confiée en dépôt (PaQaD), la chose perdue qu’il a trouvée » (Lv 6, 4)

Parfois celui qui compte, recense… ne trouve rien et la place est vide (PaQaD) :

« Le lendemain, second jour de la nouvelle lune, la place de David était encore vide (Paqad). Et Saül dit à Jonathan, son fils : Pourquoi le fils de Jéssé n’a-t-il paru au repas ni hier ni aujourd’hui ? » (1 Sam 20, 27)

Et pourtant ces gens ont été très bons pour nous; ils ne nous ont fait aucun outrage, et rien ne nous a été enlevé (PaQaD), tout le temps que nous avons été avec eux lorsque nous étions dans les champs. (1 Sam 25, 15)

Il faut donc traduire : « pardonnant l’iniquité, le péché délibéré et l’erreur, et Qui nettoie mais ne nettoie pas complètement. Vérifiant (PoQeD) la faute des pères sur les enfants, sur les petits-enfants, à la troisième et à la quatrième génération. »

L’idée est qu’une faute peut laisser des traces, ressurgir comme un fantôme quand on ne l’a pas complètement assumée.

La Torah nous parle de la transmission des traumas psychique via des secrets ou des non-dits, muets sur une ou deux générations et qui réapparaissent comme des fantômes. Ce sont nos fantômes transgénérationnels qui continuent à agir tant que nous ne les avons pas identifiés et nommés. On peut sans exagérer dire que la Torah nous parle de la « fabrique des psychoses »…

La guemara commente cette aspect de guérison de la Techouva :

« Rabbi Yoḥanan a dit: «La repentance est grande, car elle déchire le jugement prononcé contre une personne, comme il est dit: ‘‘Que le cœur de ce peuple soit épaissi, que ses oreilles soient assourdies, que ses yeux soient hébétés, de peur que ses yeux ne voient clair, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, qu’il ne s’amende alors et ne soit sauvé! «  ( Is 6, 10 ), impliquant que s’ils reviennent et se repentent, ils seront guéris de tous leurs péchés.

Rav Pappa a dit à Abaye: Mais peut – être cela a-t – il été dit avant que la peine ne soit prononcée, mais après que la peine a été décrétée, le repentir n’aide plus. Abaye lui dit : Il est écrit ici: « Et ils reviendront et seront guéris » ( Is 6,10 ). Qu’est-ce qui nécessite une guérison ? Une maladie. Par conséquent, vous devez dire que la référence est ici à une phrase qui a déjà été émise, et pourtant, après le repentir, ils seront guéris. » (TB Roch Achana 17b)

Dieu vérifie donc se souvient et vérifie la situation, il veille sur chacun mais avec une rémanence de la faute qui ne peut pas durer plus de 2 ou 3 générations. Car sa bienveillance, elle, est infinie et remporte la victoire finale. Il « conserve sa bienveillance (‘hessed) jusqu’à la millième génération ». Rachi commente : « la mesure du bien est plus ample que la mesure du châtiment, et ce cinq cents fois. Il est écrit en effet à propos de la mesure du bien : Il conserve de la bonté à des milliers. »

Dieu ne « blanchit » pas, il ne recouvre pas la faute (qui resterait en dessous). Il nettoie.

Sforno dit que Dieu ne nettoie entièrement que ceux qui se repentent par amour… et partiellement ceux qui qui ne se repentent que par crainte du châtiment.

Rachi se demande pourquoi Dieu compte (PaQad) régulièrement son peuple et il explique « il les compte parce qu’il les aime ».

Pourquoi deux fois : Achem, ‘hessed, et « il lave » ?

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Pourquoi « Hachem Hachem » est énoncé deux fois pour attirer l’attention au début du Vayavor ? Et quand D-ieu proclame ses 13 attributs dont nous avons vu que la vérité innommable entourée deux fois par la bonté (‘hessed) ? et quand il se souvient de son peuple on dit deux fois PaQad avec la rime afayim/ lealafyim :

Le talmud explique :

« Le verset continue: « Hachem, Hachem », et cela doit se comprendre comme suit: Je suis Lui avant qu’une personne pèche et Je suis Lui après qu’une personne a péché et se repent, car D-ieu ne se souvient pas de ses premiers péchés car il est toujours «Dieu miséricordieux et miséricordieux» ( Exode 34,6 ). » (TB Roche Achana 17b)

Rachi commente : « L’attribut de la miséricorde divine est énoncé deux fois : une première avant que l’homme ne pèche, et une seconde après qu’il a péché et qu’il s’est repenti. » « C’est aussi l’attribut de la miséricorde divine, ainsi qu’il est écrit : Qéli, Qéli, pourquoi m’as-tu abandonné ? (Tehilim 22, 2). On ne peut pas, lorsqu’on s’adresse à l’attribut de justice, lui demander : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Voilà ce que j’ai trouvé dans la Mekhilta.»

« Rav Huna a soulevé une contradiction entre les deux moitiés d’un verset. Il est écrit: « L’Eternel est juste [ tsaddik ] dans toutes ses voies » ( Psaumes 145,17 ), indiquant que Dieu agit conformément à l’attribut de la justice stricte [ tsedek ], alors qu’il est écrit dans le même verset: « Et bon [ ‘hassid ] dans toutes ses œuvres », impliquant qu’il agit avec grâce et bienveillance, allant au-delà de la lettre de la loi.

Rav Huna a expliqué: ‘‘Au début, au moment du jugement, il est juste, mais finalement, au moment de la punition, Il est bon’’.

« Rabbi Elazar a soulevé une contradiction similaire : Il est écrit: « Mais à toi, Eternel, appartient la bonté » ( Psaume 62, 13 ), impliquant que Dieu agit au-delà de la lettre de la loi, et il est écrit dans le même verset: « Car tu rends à un homme selon ses actes », impliquant qu’il récompense et punit mesure pour mesure.
Rabbi Elazar répondit : ‘‘Au commencement, au moment du jugement : « Car tu rends à un homme selon ses actions »; mais à la fin, au moment de la punition: « Mais à toi, Seigneur, appartient bienveillance. » (Roch hachana 17b).

« Ilfai, et certains disent que ce fut le Sage Ilfa, a soulevé une contradiction : Il est écrit dans la liste des attributs de Dieu : « Et abondant dans la bonté » (Exode 34, 6 ), et il est écrit dans le même verset: « Et la vérité « , qui implique l’attribut de la justice. Il répondit : Dans un premier temps, au moment du jugement : « Et la vérité » , à savoir, Dieu emploie la stricte justice, mais à la fin, quand il voit que le monde ne peut survivre sur un jugement fondé uniquement sur la vérité et la justice: ‘‘Et abondant dans la bonté  » C’est-à- dire qu’il est miséricordieux. » (Roch hachana 17b)

 

 

3 commentaires sur « D-ieu : 25 000 ans de patience ! »

  1. …le monde ne peut survivre sur un jugement fondé uniquement sur la vérité et la justice – Dieu abondant dans la bonté.
    En vous remerciant pour votre enseignement argumenté.

  2. Je vous suis, pas à pas, depuis le début de ce blog, à travers vos livres, articles… et croyez-moi, vous enchantez mes semaines….je me sens en harmonie avec vos commentaires….

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