L’antisémitisme ou l’envers du désir d’exister

antisemitismL’antisémitisme a un peu plus de 3000 ans, c’est-à-dire l’âge du peuple juif, et il ne s’arrêtera pas. Pourquoi ? Parce que les antisémites de tous poils ne négocient pas avec Israël ou avec des juifs réels mais avec un juif imaginaire qui n’est que l’envers de la frustration de leur désir d’exister. L’antisémitisme est une histoire d’égo frustré, de conscience sociale ou religieuse humiliée.

Les antisémites de tous poils se contrefichent bien du sort des palestiniens, d’Israël ou des juifs du 93 sans le sou, de tous les juifs réels qui vivent des petites vies en essayant d’apporter leur pierre à l’édifice de la civilisation humaine par l’éducation de leurs enfants, l’étude et la prière puisqu’ils utilisent le juif imaginaire pour combler leur déficit à être.

La haine des juifs est la réponse à l’angoisse existentielle humaine. Elle a déjà une longue histoire.

La judéophobie romaine

Pour l’Empire romain l’affaire est simple, les terres conquises doivent délivrer l’impôt et les esclaves indispensables à la survie de l’imperium (la force) dans une société bâtie sur l’énergie humaine. Les voies romaines sont faites pour cela.

Avec 8 à 10%  de la population juive à l’intérieur des limes (les frontières de l’empire) au tournant de notre ère les juifs représentent une spiritualité orientale assez ‘hype’ par rapport à la religion civique romaine au formalisme fonctionnarisé. Mais les romains sont surtout des animaux politiques. La religion juive sans dieux ni représentation vient heurter la religion civique qui fonde la cité.

Tite-Live au premier siècle constate déjà : « [Les Juifs] ne disent pas à quel dieu appartient le temple de Jérusalem et aucune image ne s’y trouve car ils ne pensent pas que la divinité ait une figure. » Bref… comment désirer ou aimer ce qu’on ne voit pas.

Mais les romains sont avant tout des bêtes politiques. Le petit territoire de Judée dans la banlieue de l’Empire sous dépendance de la Province de Syrie est le verrou vers l’empire Parthe, un empire menaçant à l’Est aussi grand que celui de Rome et qui va jusqu’en Inde.

En 70, Rome envoie donc Vespasien (devenu Empereur suite à cet exploit), puis son fils Titus pour mater la révolte et tuer 25% de la population de la Judée (500 000 morts) puis raser le Temple. Les juifs d’Alexandrie sont décimés en 115… etc… La seconde révolte juive est matée en 135 avec la même effusion de sang et Jérusalem rasée avec interdiction aux juifs d’y remettre les pieds.

Les reproches faits aux juifs aujourd’hui ne sont pas nouveaux. On les accuse alors d’être les « ennemis de l’humanité », Sénèque les trouve malfaisant et dangereux (sceleratissima), Juvenal les estime cupides et responsables de la décadence romaine.
Mais au 4ème siècle l’empire agonise… l’Empereur Constantin a alors une idée géniale : utiliser la mort d’un chef de guerre juif (machiah en hébreu, messie) du 1er siècle : Jésus, pour revitaliser l’Empire. « A un grand empereur il fallait un grand Dieu » résume Paul Veyne. Une obscure secte juive apocalyptique monte sur le devant de la scène et l’Empire devient chrétien.

Qui a tué Jésus de Nazareth le nouveau Dieu et clé de voûte de l’Empire ? Les juifs bien sûrs ! Ceux qui empêchent l’Empire d’être enfin l’Empire : « Make Roma great again ! »

La prophétie d’auto accomplissement messianique dura quand même… un millénaire et demi… tout le monde est chrétien dans un monde massivement rural du 5ème siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale.

Le moyen Age chrétien : les juifs (et les arabes) à la mer !

Les juifs, eux, paient le prix fort. Après les persécutions romaines et celles de l’empire devenu chrétien, ils sont régulièrement massacrés. A partir du Xème siècle on assiste à un pogrom tous les 20 ans. Il faut maintenir les juifs  en vie avilis (persécutés !) comme dit Augustin d’Hippone… pour manifester le « verus israël », l’église qui en a confisqué les textes. Le juif est donc « décide » et « perfide ». Un repoussoir qui permet de construire une identité bâtie sur la négation de ce qui l’a fondée ! L’antisémitisme théologique est né.

Des phénomènes comme l’Inquisition espagnole mêleront cet antisémitisme théologique au nationalisme paranoïaque pour reconstituer une identité chrétienne et nationaliste fictive (l’Espagne n’existe pas mais seulement des provinces séparées avant l’expulsion de 1492) basée sur la haine des juifs… et des maures, musulmans. Les juifs ? ils sont brulés ou leurs cadavres déterrés pour être jugés. 180 à 200 000 quittent la péninsule ibérique, une partie meurt en mer. Las, 50 ans plus tard l’Empire espagnol fait faillite. Malgré la conquête de l’or du nouveau monde Il ne s’en relèvera pas.

Mais il est clair que l’expulsion des maures puis des juifs fortifia l’identité d’une Nation peu sûre d’elle-même.

La contestation du pouvoir de l’Eglise en Occident ne bougera pas les frontières de l’antisémitisme chrétien . Car une fois débarrassé de l’Eglise l’antisémitisme ne s’éteint pas ; selon Voltaire les juifs « sont ennemis du genre humain. Nulle politesse, nulle science, nul art perfectionné dans aucun temps, chez cette nation atroce. ».

Fermez le ban.

Un ‘dar al islam’ judenrein

L’antisémitisme musulman est plus diffus dans un premier temps, même si dés le départ l’Islam se définit directement comme le sceau de la révélation (juive) et affirme que les juifs ont menti.

Cependant, la vie d’un Maimonide au 12ème siècle, placée sous le signe de l’exil permanent et de la persécution nous montre qu’il y avait moyen de rester juif dans un monde musulman même intégriste : Maimonide fuit à Fès la capitale marocaine de ‘l’islamisme’ almohade de l’époque, une ville où il va enseigner ! puis devient le médecin de Salah El Din à Fostat (Le Caire) un monarque éclairé.

Il ne faut pas oublier que pendant le premier millénaire plus de la moitié de la population juive mondiale vit en Babylonie ou naît le Talmud dans une certaine quiétude.

Le « Grand Turc » accueillera les expulsés séfarades de 1492 avec magnanimité. De même dans les pays du Maghreb. La vie dans les Mellah sera sous pression de la dhimmitude mais probablement moins que dans les Shtetels de la Mittle Europa ou de Russie où les communautés sont affrontées à des pogroms meurtriers.

Cependant l’incapacité des pays d’Islam à se développer économiquement et l’échec identitaire musulman dans le nationalisme, puis le socialisme conduira à « la solution c’est l’Islam ». Puisque la modernité en fonctionne pas, direction l’Islam des origines… Et l’Islam humilié, sorti de l’histoire de la modernité finira par trouver la réponse à la frustration narcissique des égos grâce au ‘Nouvel antisémitisme’ qui se porte bien dans tout le monde musulman devenu Judenrein… et dans les banlieues d’Europe.

Une connaissance sommaire de l’islam et encore plus du judaïsme par les oubliés de la globalisation, beaucoup d’insécurité, un avenir forme en voie de garage dans les banlieues de mégapoles et un peu de paranoïa ont été largement suffisants pour créer de bons antisémites qui en état de décompensation sont passé à l’acte, et qui de musulmans sont devenus de vrais assassins.

Là encore cet antisémitisme a appuyé sa fragile identité sur un ennemi imaginaire. Mais le Maghreb, la Turquie ou l’Iran, les banlieues françaises, nettoyés de leurs juifs vont-ils vraiment mieux ?

Les nationalismes européens

Les nationalismes identitaires frustrés du 19 ème siècle engendrent la dégradation de Dreyfus. Là encore l’ennemi est intérieur, antipatriote, il faut éliminer le bouc émissaire, le juif bien sûr, pour enfin exister « Make France great again ! ». Herzl se « convainc de la nécessité de résoudre la question juive » par la Nation juive. Israël est né en tant qu’Etat. Sion comme réponse à l’île du diable.

Le juif est à nouveau l’ennemi intérieur, celui qui empêche la grande Allemagne aryenne d’être enfin elle-même arrivée au sommet des races humaines. Les juifs doivent doit être éliminés pour libérer « l’espace vital » aryen. Ainsi naît la « solution finale de la question juive » : 6 millions de morts. Le bolchevisme honni (un messianisme néo-juif : la théologie de l’histoire d’Hegel revue et corrigée par une fiction économique) fait partie des ennemis de l’Allemagne nazie, avec le juif américain capitaliste buveur de whisky. Là encore, tous les ennemis, à l’est, à l’ouest et à l’intérieur sont juifs. Avec le succès qu’on sait d’un Reich qui devait durer 1000 ans.

Les juifs reçoivent-ils de la communauté de Nations un petit territoire grand comme la Belgique au milieu du Moyen Orient qu’ils n’ont jamais quitté depuis trois millénaires et espéré dans la prière trois fois par jour ? Les voilà en train de panser leur plaies après 6 millions de mort ?  Il transforment ce désert en jardin ? Il doivent le rendre, ils l’ont volé, forcément ! L’humanité sera enfin complète avec toute sa terre et les pays musulmans iront soudain mieux…

Réfléchissons juste une minute… qui a pillé le pétrole arabe, colonisé le Maghreb, l’Irak, la Syrie, l’Afrique, le Moyen Orient, l’Egypte pour du pétrole et son énergie … les juifs ?

Résonances modernes

Les prolétaires disparus, qu’à cela ne tienne ! le lumpen prolétariat des cités de banlieue essentialisé dans l’Islam ferait très bien l’affaire. L’extrême gauche leur trouva un remplaçant : le musulman. Le musulman serait le Juif du 21ème siècle. La globalisation capitaliste est sans visage (chacun de nous y participe quand il achète son pull Primark à 6€ ou clique sur Facebook) ? pas de problème : Israël le représenterait.  Les juifs sont riches et ils tirent les ficelles du capital mondialisé et des médias ! C’est bien connu. L’antisionisme était né comme une nouvelle forme de haine des juifs.

Donc on adore la Shoah mais on disqualifie l’Etat juif. On vénère les juifs morts dans les camps en multipliant les films et on tue les juifs réels…. après les avoir chargés de tous les péchés du monde. Juif = Nazi !

Dès lors, Le palestinien, (c’est-à-dire le ‘réfugié’ le plus aidé du monde !) sorte de fiction où peuvent se projeter à bon compte les égos de tous les frustrés de la planète tombe à pic ! Un palestinien fictif bien sûr. J’ai pour ma part, essayé d’aider à Ramallah… et constaté que la gauche antisioniste n’était pas là pour monter des projets de développement économique ou sociaux. les seuls qui pourraient établir la paix dans le conflit.

Ceci dit, le conflit fut un peu gommé par les Printemps arabes (des émeutes de la faim en réalité liées à l’incapacité de ces Etats de prendre en charge leurs populations) et aussi car naquit alors en plein Moyen Orient un pseudo Etat islamique tuant les chrétiens, yézidis, kurdes et ‘musulmans modérés’ par milliers après avoir rétabli l’esclavage…. alors que la dictature d’a coté déclenchait une guerre qui fit 350 000 morts en 7 ans ! Des proportions qui n’ont absolument rien à voir avec le conflit israélo-palestinien !

Mais peu importe, l’Etat juif était « le dernier obstacle à la paix dans la région », l’épine dans le pied de la paix mondiale, un mantra répété en boucle sur les télés françaises pour calmer les frustrations de la banlieue et la haine de la France des enfants de la décolonisation.

Ceci n’enlève évidement pas la responsabilité d’Israël pour construire la paix et si possible deux Etats libres (et on se demande pourquoi seul l’un d’eux ne devrait pas accueillir de juifs et d’arabes!) … mais cela n’autorise pas l’utilisation d’un micro réalité régionale pour résoudre des conflits liés à la globalisation, l’immigration et à l’écho de la décolonisation en Europe.

Et bien sûr tout cela ne résolut rien pour les territoires perdus de la république ou 25% de la population est au chômage dont 50% de jeunes. Une situation bien sûr intenable. Et maintenant on fait quoi ?

Les chevaliers du Selfisme

L’insécurité culturelle imposée par la globalisation (ou quand la moitié de la population a l’impression de ne pas avoir sa part du gâteau et que ses enfants en auront encore moins !), jointe aux migrations globales engendre le repli sur soi. Un repli justifié.

Mais, là encore, pour le suprématiste ou l’hyper nationaliste insécurisé par l’arabe, le turc, le paki, le mexicain au pied de son immeuble (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas un problème d’immigration et que le boundaryless soit la solution !)… le juif arrive à nouveau comme un pansement et sur la plaie de l’identité menacée et une obsession, l’écharde qui empêche d’avancer. Là où il y a conspiration il faut des conspirationnistes, des gens dont la principale activité est de frustrer insidieusement le bonheur collectif ou l’identité nationale… qu’on a d’ailleurs bien souvent le plus grand mal à définir.

Mais le juif est le canari de la mine. après lui on exclura les noirs, les arabes, les homosexuels, les chauves, les pauvres, les riches… à nouveau le problème est celui d’une identité insécurisée. Suffit-il d’exclure pour se définir ? Et à la fin, qui reste-t-il ?

C’est l’histoire de la tuerie de la synagogue de Pittsburgh : comment le mâle blanc sur son canapé guetté par le ‘grand remplacement’ et frustré dans son identité locale par la globalisation et la migration mondiale allait-il survivre ? Notre homme se tourna immédiatement vers la 5ème colonne insidieuse qui favorisait la grande migration… le juif bien sûr ! cet éternel réducteur de l' »espace vital » aspirant l’air et la richesse ambiante; le juif, cet oiseau migrateur est forcément un promoteur de la grande migration mondiale. Comment rester là assis sur sa chaise alors que l’Apocalypse menace ? Et puisqu’il est si facile de tuer le juif d’à côté désarmé dans sa synagogue en train de nommer un bébé… résultat : 11 morts de 54 à 97 ans.

Il était inévitable que les réseaux sociaux et le selfisme, cette nouvelle religion ou chacun étale son bonheur (et frustre celui des autres !), s’affiche à côté d’une star qui va prolonger son ego vers des sommets inatteignables de manière réaliste à vue humaine ou des paysages et des monuments inaccessibles aux copines et aux copains au boulot… bref ce tout à l’ego de l’apothéose narcissique… ne deviennent la caisse de résonance des égos frustrés islamistes ou néo-nazi., des théories conspirationnistes de tous poils.  Là encore, le juif imaginaire devient le repoussoir de la frustration du désir d’exister qui habite toute vie humaine sur cette terre.

Les antisémites ne sont pas obsédés par les juifs ou la Révélation du Sinaï… ni même par l’Islam ! mais par eux-mêmes. Et le juif imaginaire menaçant l’apothéose de leur désir d’exister ou leur survie n’est jamais que le révélateur de la frustration insupportable de leur désir d’exister. L’antisémitisme n’est pas une obsession des juifs mais une obsession de l’idéal de soi. Il passe son temps a réclamer des comptes au juif comme si celui-ci lui volait la part manquante de son moi idéal. D’où le juif riche, pas partageur, (il a ce qui me manque), forcément antisocial et communautarisé (sans lui la paix serait possible et la société unie), etc…

La réponse juive

Comme juifs nous n’avons pas grand-chose à répondre à tout cela car l’antisémitisme ne constitue pas notre identité.

Nous avons développé la nôtre, voilà plus de 3 000 ans, un héritage que nous partageons avec les autres fils d’Abraham, le monothéisme.

Il s’agit une posture de toute l’existence qui consiste à considérer que nous sommes du côté du multiple, du relatif… et qui dit que l’absolu, du côté de l’Un, l’Eternel nous échappe. Nous représentons dans le monde (ce que les gens appellent le peuple « élu » mais qui en réalité se dit kadosh, c’est à dire particularisé) cette faille du désir humain car nous disons que pour exister en tant que désir humanisé celui-ci doit se référer à un autre du monde invisible qui le fonde.

Cette stricte séparation anéantit toute volonté de diviniser le réel et d’abord notre égo, nos désirs, notre nationalité. L’idée est que notre identité se construit de manière ouverte sur l’Eternel et que ce monde, du coup, doit être pris très très au sérieux. D’où l’étude, les sciences, la médecine. Chez nous les enfants sont sacrés. Nos coutumes s’inscrivent dans des pratiques et des manières de penser multimillénaires que nous transmettons à nos enfants, accrochons à nos bras, sur notre front chaque matin, aux portes de nos maisons.

Notre Loi n’a rien d’agréable pour le désir individuel : « ton désir est limité il finit ou commence celui d’autrui, D.ieu t’interdit de le tuer » ; « D.ieu te rend responsable de ce qui ne va pas autour de toi, tu dois aider celui qui a eu moins de chance que toi », « tu dois changer ta vie (pas celle des autres!) essayer d’être meilleur » , « ramasse l’âne de ton ennemi qui est tombé », « Aime l’étranger comme toi même, toi aussi tu as été étranger en terre d’Egypte »… etc…

Ceci a des conséquences relationnelles. Tout être humain en face de nous n’est pas un ennemi pour notre ego (ou sa prolongation par la force !) mais un frère, une sœur, un message du Dieu vivant. Le désir de vivre, d’exister, de faire communauté ou Nation est donc toujours rapporté à une extériorité qui les dépassent. Il y a plus de 3000 ans que nous existons avec ce savoir improbable et nous avons survécu à tous les égos et à tous les Empires. Plus personne ne parle le grec, le latin, ou les langues des empires Parthes, perses ou sassanides… Nous sommes 0,19 % de la population mondiale mais nous avons apporté 25% des prix Nobel à l’humanité…

Mais il semble que notre manière de vivre et simplement d’être là est une gifle pour le narcissisme des Nations et des égos en quête d’apothéose dans des sociétés de la célébrité qui les frustrent en permanence à longueur de clics. Une sorte de mélange de fascination et de haine nous accompagne. Celle des egos frustrés de tous les damnés de la terre.

Nous sommes le Peuple juif  et nous serons toujours là, au service de l’humanité.

3 commentaires sur « L’antisémitisme ou l’envers du désir d’exister »

  1. Le juif imaginaire comme déficit à être ou déficit d’Etre ?
    Merci pour la hauteur de vue de ce commentaire éclairant sur l’ antisémitisme !

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