L’enseignement du Grand Rabbin Haïm Harboun : L’unité de la Torah et du psychisme humain

Comme Maïmonide ou le Maharal de Prague étaient des scientifiques de leur époque en même temps que des talmudistes, des érudits qui parlaient à la fois la langue de la Torah et celle de leur culture l’enseignement de Haïm Harboum (devenu grand Rabbin cette semaine à Aix en Provence) est au croisement de plusieurs influences, celles du Talmud de tradition séfarade et de la psychiatrie moderne d’Henri Baruk, un des fondateurs de l’ethnopsychiatrie moderne . De Maïmonide et du Maharal de Prague. Nous publierons sous peu un « Commentaire psychologique de la Torah » en cinq tomes qui illustre ce propos. On trouvera dans le post ci-après une interprétation de la paracha de Kora’h inspiré par son enseignement. Et ici l’introduction du Commentaire psychologique de la Torah en hommage à notre maître.


Cet ouvrage a pour but de rendre accessible l’enseignement oral vivant de mon maître, le rabbin Haïm Harboun[1].

Rabbi Yehouda Hanassi, le compilateur de la Michna (vers l’an 212) disait : « Si je suis plus brillant que mes collègues, c’est parce que j’ai vu le dos de Rabbi Meïr » (TB, Erouvin 13b). Celui que je considère comme mon maître m’a nommé Meïr le jour de ma circoncision mais la seule chose qui puisse « briller » en ces lignes est d’avoir aperçu son dos.

J’ai rencontré le rabbin Harboun à l’âge de 45 ans. J’avais été moine bénédictin de l’âge de 20 ans à l’âge de 30 ans et un long chemin marrane m’avait ramené au judaïsme que mes ancêtres de Corse avaient oublié.[2]

Le rav Haïm Harboun que je rencontrai alors dans la synagogue au bout de ma rue était né en 1930 dans le Mellah de Marrakech. Fils du Mellah et du ‘heder, petit-fils du rav Haïm Corcos, dayan[3] de Marrakech, engendré par une longue lignée de rabbins, il avait appris le français à l’ombre d’un réverbère à l’âge de dix-sept ans, avant d’émigrer en France et de devenir docteur en histoire et en psychologie clinique à l’école du professeur Henri Baruk (1897-1999).

Les lignes qui suivent sont celles d’un simple étudiant. J’ai essayé d’écouter et de retenir ce que le rabbin Harboun disait à notre petite communauté de Vaucresson le Chabbat puis de le traduire dans mes mots et d’en développer les réflexions. La communauté qui a reçu cet enseignement est comme une petite famille d’une douzaine de chefs de famille dont le rabbin Harboun est le père spirituel.

Certains enseignements, et je le signale, ont été aussi reçus d’érudits qui s’expriment dans notre toute petite communauté comme Jacob Ouanounou, élève d’Emmanuel Levinas né dans le Mellah de Meknès qui y commentent la Torah, sans compter les questions de Gaston notre président et de ses fils Fabrice, Cédric, d’Alexis Madar, de Serge Hosana, de la famille Hardy et bien sûr de Sam et Alexis Cohen, nos cohanim ; sans compter les enseignements pleins de sollicitude de Samuel Amar et de notre doyen Raphaël Ohayon (92 ans) originaire de Marrakech… je ne peux pas tous les citer, mais tous comptent pour moi comme des étincelles du feu de la Torah vivante leMoshé miSinaï (enseignement actualisé de celui donné par D-ieu à Moïse au mont Sinaï) et autant de paroles du D-ieu vivant du miniane de notre petite Jérusalem de l’ouest parisien ! Cet Ohel Avraham (la tente d’Abraham) ouvert aux quatre horizons m’a accueilli avec bonté sous sa tente généreuse alors que j’étais égaré dans le désert de ce monde. C’est ainsi que je suis revenu à Israël avec toute ma famille dans cette petite famille dont il est le père de tous.

J’ai retenu ce que le rabbin Harboun m’a enseigné personnellement pendant 7 ans et l’ai gravé dans ma mémoire (il est interdit d’écrire en ce jour de Chabbat). J’ai essayé ensuite de retranscrire aussi fidèlement que possible ce que j’ai entendu en le réinterprétant à ma manière, y ajoutant mes propres recherches dans la Michna, la Guemara, le Midrach, et tout ce que tous nos Maîtres de mémoire bénie nous ont laissé pour continuer d’espérer en l’Espoir d’Israël. Si des erreurs se sont glissées ici, elles sont miennes.

Au premier siècle Yohanan ben Zaccai faisait l’éloge de quatre de ses disciples en terminant par Elâzar fils d’Arakh qui est comme une source jaillissante. Il commence : « Eliêzer fils d’Hyrcan, est une citerne bien cimentée qui ne perd pas une goutte » (Pirké Avot 1, 11)… si j’avais rempli cette première mission j’aurais rempli ma tâche. Même si je ne suis pas expert en plomberie…

Ce commentaire psychologique de la Torah se veut fidèle à l’enseignement du Talmud, de Maïmonide et du Maharal de Prague.

Le Maharal comme Maïmonide ont tenté de construire une pensée juive orthodoxe au Moyen Âge et à la Renaissance, au contact des philosophes et médecins arabes aristotéliciens comme Averroès et Avicenne pour Maïmonide, au contact des scientifiques de la modernité naissante, comme Kepler à Prague, pour rabbi Yehouda Levaï ben Betzalel, dit le Maharal de Prague. Maïmonide est un rationaliste et le Maharal un mystique. Tous deux envisagent la santé psychique humaine comme un chemin d’unification.

Pour le Rambam,[4] la Torah est un chemin de vie et de guérison du corps et de l’âme. Pour le Maharal, l’unité humaine est relation à soi, aux autres et à D-ieu. On trouvera la biographie de ces maîtres en annexe de ce livre.

L’enseignement du rabbin Harboun, profondément séfarade, est au croisement de ces deux puissants courants qu’il a réinterprétés à la lumière de l’enseignement de psychologie clinique du professeur Henri Baruk (1897-1999). 

Ce commentaire ne développe pas toutes les conséquences en terme de Halakha (littéralement « la marche à suivre », le comportement juif). Car la vie juive est Torah ve-mitsvot, Enseignement et préceptes de vie pour arriver à l’Unité de nous-même.

La santé de l’âme et du corps selon Maïmonide

Pour Haïm Harboun, la conscience de soi adulte est profondément liée à l’estime de soi acquise pendant l’enfance, en cela il suit l’enseignement de Moïse Maïmonide qui, dans sa lettre adressée au fils de Saladin, Al-Afdal, La Guérison par l’esprit, pose d’abord un diagnostic avant d’évoquer le chemin de la guérison spirituelle :

« Les médecins-philosophes nous ont singulièrement mis en garde contre les méfaits du complexe d’infériorité, et ils ont tracé la voie permettant de traiter ceux qui cultivent un tel penchant jusqu’à ce que ce mal – qui est à l’origine de tous les autres – disparaisse complètement ». Ainsi, la connaissance du système de l’éthique comme de la prophétologie et des lois qui découlent de l’attitude des prophètes eux-mêmes – tout ceci contribuera au redressement de la vie de l’esprit. Jusqu’à ce qu’il [l’esprit] en acquiert de précieuses qualités et ne se déploie plus que dans un sens positif. » [5]

L’homme relationnel du Maharal de Prague

L’autre grand maître du rabbin Harboun est le Maharal[6] de Prague que nous citons à partir de ses traductions. Pour ce maître de la Renaissance :

« L’homme a le devoir impératif de tendre vers la perfection, de faire l‘unité en lui. Il n’est pas permis à l’homme de transgresser le principe qu’il porte en lui, à savoir une part divine. II est responsable de ce gage précieux qui fait de lui un homme. L’homme est étranger à lui-même, il ne se connaît pas et ne peut pas percevoir sa véritable nature »[7]

C‘est un commandement divin de se respecter et de ne pas négliger sa personne, sa valeur propre, de ne pas se diminuer à ses propres yeux. Chacun de nous est au carrefour de plusieurs chemins, au centre de plusieurs forces. Il est une personnalité fragmentée dans un monde disloqué appelé à construire l’unité et à l’harmonie. Il s’agit, selon le Maharal, d’organiser sa personne selon trois directions qui convergent vers l’unité et qui se complètent mutuellement. Une perspective relationnelle donc. La première direction est la relation à autrui, la deuxième est le rapport avec soi-même et la troisième concerne le rapport avec son Créateur. Unité psychique, unité sociale, unité avec D-ieu. Cette perspective est essentiellement relationnelle et par là très moderne.

Quelle est notre finalité ? La vocation à laquelle est appelé tout être humain ?

« C’est le dévoilement de tout ce qui constitue sa personnalité cachée. Tout un chacun doit découvrir sa véritable personnalité. Cette découverte doit être bénéfique à autrui. Il n’est pas suffisant que l’homme soit en paix avec lui-même, qu‘il gravisse tous les degrés de la spiritualité, tout cela est très bon pour lui, mais pour que tant d‘efforts soient appréciés, il est nécessaire que cet homme s’intègre à la perfection universelle qui appartient à tout le genre humain »[8]

Le Maharal n’est pas sans lien avec Maimonide. Il écrit :

« C’est lui (Maïmonide) qui m’a ouvert une porte de connaissance » (Le Puits de l’exil, 4ème puits)

L’unité profonde de l’homme selon Henri Baruk

Le troisième foyer de la pensée du rav Harboun est l’enseignement du professeur Henri Baruk dont il reçut l’enseignement de psychologie clinique et qui œuvra pendant 40 ans à Charenton et à Sainte-Anne.

Pour lui la morale et la Torah se rejoignaient dans l’unité humaine :

« La Torah n’est pas une simple conception philosophique, elle constitue non seulement un mode spécial de penser et de concevoir la vie humaine, mais aussi une science pratique en même temps qu’une foi. Loin d’être rejetée comme méprisable, la matière est utilisée comme support de l’esprit qui l’élève et la féconde dans une extraordinaire unité. »[9]

« Par une espèce de paradoxe, je commençai à entrevoir ce qui plus tard devint une évidence : l’unité profonde de l’homme. Paradoxe puisque je parvenais à cette conception du monde en observant les êtres qui paraissaient soumis au contraire aux plus violentes des ruptures non seulement par rapport à autrui, mais à l’intérieur d’eux-mêmes. C’est pourtant par l’étude des grandes maladies mentales que je parvins à ce qu’aujourd’hui je crois être la vérité profonde de l’être humain. »[10]

Le rav Harboun a fait une thèse en psychologie clinique avec le professeur Henri Baruk : « Identité juive et maladie mentale », on retrouvera le rapport de celui-ci en annexe. Il ne fait aucun doute que beaucoup de ses réflexions proviennent des dialogues avec cet ami.

L’unité de la Torah et du psychisme humain selon Haïm Harboun

Tous ces enseignements ont ceci de commun qu’ils sont une réflexion sur l’homme comme unité psychique. Prenons un exemple biblique à la suite de la tradition et du rabbin Harboun.

Pour la Torah, Pessah est la fête de l’Un. En effet, selon la tradition des Sages d’Israël et l’enseignement du rav Harboun, les os de l’agneau du sacrifice pascal, le korban Pessah[11], ne devaient pas être brisés, cassés en deux, ils devaient être un. La bête ne devait pas être bouillie c’est-à-dire à demi cuite mais entièrement grillée[12]. Lors de la grillade, la bête devait rester entière et ne pas être découpée auparavant en morceaux. L’agneau devait être : ben chana, (fils de l’année, il a un an), tamim, entier, e’had, un, sans défaut..

Tout se passait le mois un de l’année, se déroulait en un jour car le korban Pessah ne devait pas être consommé le lendemain[13] ; « On se procure un agneau par maison » (Ex 12, 3), la famille devait rester unie[14], rester dans un seul lieu jusqu’au matin[15] ; le pauvre est invité à la table dès le début de la Haggadah, l’étranger, le serviteur, la servante, l’orphelin, la veuve… tous sont un comme le peuple doit être un, e’had.

D’autres fêtes de pèlerinages comme celle de Souccot soulignent cette unité. Ainsi le loulav, bouquet composé des Arba Minim – « quatre espèces » (cédrat et branches de palmier, de myrte, de saule) qui doivent être réunies pour symboliser les quatre types de juifs et devenir le symbole de l’unité du peuple juif qui agrège alors les 70 nations de la terre. Unité du peuple, unité du genre humain.

A Chavouot, fête du don de la Torah, quand les israélites entrent dans le désert du Sinaï et campent en face de la montagne (Ex 19, 2), Rachi commente « Israël y campa » (au singulier) en disant « comme un seul homme, d’un seul cœur ». Unité de la Torah, unité du peuple. Et le Midrach[16] dit que les dix commandements furent donnés dans les 70 langues de l’humanité.

Cette unité de la psyché, du repas, de la famille, de la société, de l’humanité liée à la conception d’unité du D-ieu Un est au cœur de la Torah comme enseignement pratique. Celle-ci ne vise rien d’autre que l’unification de l’homme, de la société, de l’humanité devant le D-ieu Un, béni soit-Il.

La lecture que nous faisons ici assume donc la Tradition avec un angle « psychologique » forcément limité. Elle n’épuise évidemment pas les infinies lectures et interprétations.

L’homme unifié est un cédrat…

Entendons-nous, l’Unité dont nous parlons ne peut être comprise de l’extérieur. Seul celui qui décide de faire un avec l’Eternel, par amour dans la réalisation de la mitsva, en récitant le Chéma ou en assemblant les 4 espèces du bouquet de Souccot, en l’agitant aux 4 directions vers le haut et le bas après avoir construit sa cabane peut « comprendre » car, pour le judaïsme il n’y a de compréhension que d’audition. Comprendre c’est obéir à D-ieu, ob-audire. N’entend que celui qui fait. Nassé venichma :« Vous observerez et vous écouterez » (et non l’inverse !) résume l’adage du Sinaï. Le judaïsme n’est pas une religion mais une pensée performative, la foi d’Abraham est un acte.

Prenons un exemple concret pour comprendre. J’ai retrouvé la foi de mes pères en sentant le parfum du cédrat que ma grand-mère m’envoyait à chaque automne. Le cédrat résume l’unité du cœur qui se nourrit de l’étude et réalise des bonnes actions, car nous dit la guemara il a du gout et une odeur, ce que n’ont pas les autres espèces du bouquet de Souccot. Le Hadas (myrte) possède une bonne odeur mais n’est pas comestible représente les personnes qui accomplissent de bonnes actions mais n’acquièrent pas la connaissance. Le Loulav (branche de palmier) est comestible mais inodore. Il renvoie aux personnes qui possèdent la sagesse mais ne font pas de bonnes actions. La Aravah (feuille de saule) n’a ni goût ni odeur. Ce sont les personnes qui n’ont pas accès à l’étude de la Torah ni n’accomplissent de bonnes actions. Le Etrog (cédrat) possède un bon goût et une bonne odeur. Il représente les personnes qui possèdent la sagesse (l’étude de la Torah) et accomplissent de bonnes actions en qui raison et sensibilité s’unissent dans la générosité (‘hesed).

La mystique juive (Sefer Habahir) dit que le Etrog représente le cœur, siège de nos émotions. Le Hadas a des feuilles dont la forme rappelle celle des yeux. Le Loulav est la colonne vertébrale, point de départ de nos actions. La Aravah, ce sont les lèvres, la parole.

Le Cédrat représente donc l’homme psychologiquement unifié, une affaire de corps et non une vue de l’esprit. Comment ?

Le cédrat (étrog) « Péri Ets Adar », est le « fruit de l’arbre splendide » pour la Torah. Adar, la Splendeur.

La guémara Soucca (35a) qualifie l’étrog de : « fruit dont le goût est semblable à celui de son arbre », un arbre magnifique. Celui qui le réchauffe dans sa main respire un parfum sacré et se dit sans savoir pourquoi : « c’est beau ». Par le cédrat la splendeur se fait émotion. Car l’odorat est le sens le plus sacré pour le judaïsme :

Notre perception des odeurs est liée à nos émotions. De tous nos sens, l’odorat est le plus viscéral, lié à notre respiration et aux couches les plus profondes de notre cerveau, touché par l’influx nerveux sans passer par la partie analytique du cortex.

Le bulbe olfactif actif à chaque respiration possède aussi un pouvoir de rémanence des odeurs, plus important que les autres sens. L’odeur est donc liée à la mémoire. L’odeur d’un plat de sa mère signifie l’amour.

C’est probablement ce que signifie la guemara quand Rabbi Abahou dit :

« Le fruit qui réside [lit : Ha Dar] sur son arbre d’une année à l’autre, et c’est : le Etrog » (TB Soucca 35a)

Le Rambam dans son introduction à la Michna explique que le que Rabbi Abahou a juste trouvé dans le verset un appui à une tradition étant déjà en vigueur, pour expliquer que bien que le fruit en question ne soit pas déterminé explicitement l’allusion suffit pour prouver que le fruit dont se servaient Josué, les prophètes, et tous les bné-Israël était le étrog ! Persistance de la mémoire olfactive la Torah de nos pères et de nos mères transmise comme un parfum spirituel depuis le Sinaï !

Le cédrat comme la cabane permettent de nous reconnecter avec cette expérience de liberté toute neuve que nos ancêtres ont dû éprouver quand ils sont sortis d’Egypte.  Cette identification symbolique par le parfum est quasi magique.

L’arbre splendide est celui du Gan Eden. Celui qui respire l’odeur du cédrat expérimente un avant-gout du Olam Aba, du monde qui vient. L’Etrog fait signe dans le monde matériel du monde spirituel. Comme une mémoire de la création du monde qui advient dans l’être à chaque instant. En réalité la lumière de D-ieu la Or ein sof , sa Splendeur est toujours là mais nous ne voyons pas, L’Omniprésent s’est comme « contracté » dit la Cabbale pour que notre monde puisse exister (ce sont évidemment des images, l’Eternel ne relevant ni de l’espace ni du temps !). Heureusement pour nous car cette Lumière crue, cette vérité insupportable, nous ferait désespérer de nous-même. C’est ce que D-ieu explique à Moïse quand il proclame ses 13 attributs de miséricorde à celui qui voulait le voir… ce qui est impossible sans mourir. L’Eternel est miséricordieux, généreux, lent à la colère, patient, aimant, vrai… Ces mots ne disent en réalité rien de D-ieu, pas plus que la Torah ! mais expliquent ce que devient l’homme au contact du milieu divin, de la Torah et de mitsvot. Les Noms, comme la Torah, eux, sont de ce monde. Ils disent la splendeur de D-ieu en désignant le comportement requis de l’homme. Au cœur de cette énumération le mot Emet (Vérité) est entouré de deux fois le mot ‘hessed (la bonté). Car la vérité n’appartient qu’à D-ieu et que si nous l’expérimentions ne serait-ce qu’un instant nous serions pulvérisés sur place. Le coeur de l’amoureux bat à tout rompre mais cette situation n’est pas durable. Nul ne peut tenir un instant dans l’Autre monde trop extrême pour l’homme et dont nous n’avons qu’une vague intuition à partir de notre expérience humaine corporelle.

D-ieu se fait donc discret, indicible, comme le parfum, le « souffle ténu d’un brise légère » pour Elie à l’Horeb, sa théophanie se montre en se voilant parce que nous ne sommes incapables et aussi pour que nous le cherchions, par amour, behaava….

Nous vivons dans un monde fragmenté, multiple, voire de duplicité, chez nous l’intention n’est jamais contemporaine de l’action comme dans le Yehi Or Vayehi Or… mais dans la avoda, le service de D-ieu qui est aussi celui du prochain nous nous unifions et percevons la Splendeur.

Le parfum du cédrat comme celui d’une femme ou du sein d’une mère pour le bébé nous permet de comprendre la « beauté » sans fin. D-ieu se dévoile en se faisant discret et invisible mais sans l’humilité (anava) de Moïse, sa contraction diraient les quabbalistes, la Torah ne pourrait être dévoilée comme Lumière pour les hommes. Le tsadik cherche ce contact permanent avec l’Invisible qui en conditionne l’être, il est comme enamouré de la splendeur de D-ieu selon l’injonction à l’Unité du Chéma (vehaavta ! « tu aimeras »). Celui accepte sa finitude, l’anaw, l’humble qui marche « visage contre visage, comme un ami parle à son ami » comme Moïse « l’homme le plus humble que la terre ait porté » peut commencer à espérer cette splendeur perçue dans l’étude et la mitsva. Israël est Nér Mitzva, la flamme de la Mitsva comme dit le Maharal de Prague.

Les quatre espèces du bouquet de Souccot représentent les quatre lettres du Tétragramme et celui qui les unifie, unifie le Nom de Dien en ce monde. Pour le judaïsme il n’est de psychique que de mystique. L’expérience humaine n’est une expérience « pleine » et accomplie que si elle est vécue dans sa profondeur spirituelle, celle d’un monde et d’une personne créés à chaque instant. Cette unification du monde renvoie au commencement du temps et à la joie de le retrouver :

Ce premier jour « Vous prendrez, le premier jour (iom arichon), du fruit de l’arbre hadar, des branches de palmier, des rameaux de l’arbre aboth et des saules de rivière ; et vous vous réjouirez » dit la Torah (Lv 23, 40)

La tâche du juif est juste de s’unifier et de redescendre du Sinaï comme Moïse pour constater le péché des hommes qui, dans le veau d’or retournent à la fragmentation. « Où est D-ieu demandait ? » le Rav de Kotsz dans un aphorisme recueilli par ses disciples … « Là où on le laisse entrer »

D’un point de vue plus personnel, la Torah du rav Harboun m’a donc aidé à sortir d’une amnésie traumatique marrane et à retrouver l’âme juive dans les gestes et coutumes non-dits de mes ancêtres de Corse. Je suis revenu avec toute ma famille sous les ailes de la Chekhina. Si je n’avais qu’un seul message à transmettre à mon lecteur il est celui-ci : ma’asséh avot siman labanim. Les actions de nos ancêtres sont un signe pour leurs enfants.

Je ne saurais terminer cette trop longue introduction sans signaler la présence amicale pour mon épouse et moi de notre ami le psychiatre et psychanalyste Gérard Haddad qui m’a ouvert à la lecture de Maïmonide. Ce « périphérique de la psychanalyse »[17], comme le nomme un livre récent, avec qui j’ai célébré toutes les fêtes et leur seder depuis sept ans, a eu sur moi une profonde influence spirituelle et intellectuelle. Il m’a aidé à sortir, si j’ose dire, du « miraculeux chrétien ». Car, comme il le répète à la suite de son maître Yechayahou Leibovitz (et à la suite du Talmud !) : « La génération qui a vu le miracle de la mer est celle qui a construit le veau d’or… le miracle ne dit rien de D-ieu, absolument rien, Maimonide nous l’a dit le monde suit son cours (les lois naturelles sont en elles-mêmes le signe de la Providence et D-ieu ne les change pas) ».

Je veux, d’autre part, remercier mon ami Micha Gad Wolkowicz qui m’a permis pour la première fois d’exprimer cette idée fondamentale d’unité de l’homme dans la Torah la veille de Pessah 2015 sur le Mont Sion à Jérusalem dans le cadre de l’association Schibboleth, actualité de Freud.[18]

Ce commentaire est un petit manuel pour débutant, une goutte d’eau dans trois millénaires d’interprétation, une note en bas de page de réalités qui ne sont pas dans les livres mais sur les lèvres de nos maîtres et dans les gestes des Sages d’Israël.

« Heureux l’homme qui place son désir dans la Torah de D.et qui, sur sa Torah, médite jour et nuit » (Ps 1).

Je vous souhaite cette Lumière pour les yeux, l’intelligence et le cœur. Puisse ces lignes apporter leur contribution à l’amour de la Thora et des enseignements des sages d’Israël de bienheureuse mémoire. Meïr Long


[1] Sa vie est racontée dans Haïm Harboun, Le rabbin aux mille vies, Lemieux Editeur, 2017.

[2] Voir : Didier Long, Mémoires Juives de Corse, Lemieux éditeur, 2016.
Des Noces éternelles, un moine à la synagogue, Lemieux éditeur 2015.

[3] Juge rabbinique

[4] Acronyme de rabbi Moshé ben Maïmon.

[5] Moïse Maïmonide, La guérison par l’esprit précédé des Lettres de Fostat, Bibliophane/Daniel Radford, 2003.

[6] Acronyme de Rabbi Yehouda Levaï ben Betzalel.

[7] Maharal de Prague, Derekh Hahaim, 3. Tel-Aviv, 1955. Trad. Haïm Harboun.

[8] Maharal de Prague, Derekh Hahaïm, 3, 48.

[9] Henri Baruk, Civilisation hébraïque et Science de l’homme, chapitre : Une loi juste, la Torah, éditions Zikarone, 1965.

[10] Henri Baruk, Des hommes comme nous : Mémoires d’un neuropsychiatre, Robert Laffont, 1976, p. 77.

[11] D’un mot qui signifie « s’approcher » car on s’approchait du Grand Prêtre au Temple.

[12] « N’en mangez rien qui soit à demi cuit, ni bouilli dans l’eau mais seulement rôti au feu, la tête avec les jarrets et les entrailles » (Ex 12, 9)

[13] « Et l’on en mangera la chair cette même nuit …Vous n’en laisserez rien pour le matin ; ce qui en serait resté jusqu’au matin, consumez-le par le feu. » (Ex 12, 8. 10)

[14] « Celui dont le ménage sera trop peu nombreux pour manger un agneau, s’associera avec son voisin, le plus proche de sa maison, selon le nombre des personnes ; chacun, selon sa consommation, réglera la répartition de l’agneau. » (Ex 12, 4)

[15] « Que pas un d’entre vous ne franchisse alors le seuil de sa demeure  jusqu’au matin. » (Ex 12, 22)

[16] « Or, tout le peuple vit les voix et les feux (Ex 20). Rabbi Yohanan enseigne : « La voix jaillissait et se divisait en soixante-dix langues, en soixante-dix voix, afin que le monde entier puisse entendre » (Ex Rabba ch. 5)

[17] Juresa, Jose Luis, Rodriguez, Cristian, Gerard Haddad, Un Periferico Del Psicoanalisis, Después de Auschwitz y a partir de Lacan, Letra Viva, Argentina, 2014.

[18] Collectif, Si c’était Jérusalem, collection Schibboleth – Actualité de Freud – Éditions In Press, avec le soutien de la Fondation de la Mémoire de la Shoah, 2018.

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