D’où viennent les ROGLIANO en Italie et en Corse ?

Le nom ROGLIANO est un parfait exemple des difficultés pour retrouver des racines. C’est un toponyme. Mais comment savoir d’où vient ce nom ?

METHODE D’INVESTIGATION

Je propose de vous donner ma méthode pour que vous puissiez faire de même pour votre propre patronyme.

Tous d’abord ce nom de Rogliano est celui d’un village antique en Italie comme en Corse qui a suivi une transformation onomastique commune : Aurelianus (le pays d’Aurélien) est devenu au fil du temps Aureliano, pour devenir Rogliano.

Le de nom ROGLIANO indique bien « ceux qui viennent de ROGLIANO », mais lequel en Calabre ou en Italie ? environ 80% des noms corses se retrouvent dans l’annuaire italien.. principalement du fait des migrations et échanges constants avec la terre ferme et d’autre part parce que des noms on vécu des formations ou des transformations semblables sur les deux rives .

Rogliano en Calabre
Rogliano Bettolacce en Corse

On trouve donc de nombreux ROGLIANO en Italie :

Les ‘Rogliano’ en Italie de 1861 à nos jours

Mais la Calabre et particulièrement la province de Cosenza où se situe Rogliano fait aussi un très bon candidat car c’est un village juif très connu et des juifs y vivent depuis l’empire romain, aujourd’hui et tout au long de l’histoire on y a cueilli les cédrat de Souccot pour toute la Mitteleuropa jusqu’à Vilnius (mais et en Corse aussi ! )

Samuel Ekstein de New York contrôle la qualité d’un cédrat à Santa Maria Del Cedro en Calabre le 14 septembre 2016

Pour connaitre la vérité faudra donc croiser la généalogie quand c’est possible et surtout la trajectoire familiale et y ajouter la carte des migrations et des statistiques de populations (nombre de Rogliano dans les cimetières et lieu) pour savoir la vérité.

Il faut aussi analyser la documentation ; et là, surprise on trouve des juifs en relation avec des habitants de Rogliano en Corse.

Ensuite il faut se méfier car c’est un sport national en Corse au XVIIeme siècle dans le Cap de prendre un nom Génois grandiose… comme il est banal qu’une personne juive ou musulmane s’appelle du nom de son protecteur quand il se fait baptiser.

Ainsi, on apprend par le journal tenu par Marco Gentile de 1573 à 1575 le conflit qui a opposé le  Collège de Gênes et le bureau de Corse de l’Ufficio, au sujet de la nomination controversée au poste de Capitaine des compagnies de Corse, chacune de ces institutions voulant bien sûr placer son poulain « par passion et par amitié » rapporte Gentile. Pour l’une : Paolo Vincenzo Lomellino, membre de la société des Procurateurs de Gênes ; et pour l’autre : le capitaine Andrea « qui se fait appeler Doria » fils du Magistro Simon Doria.

Andrea Doria, Amiral génois au service de Charles Quint, Philippe II d’Espagne et de François Ier.

En réalité Simon Doria le père d’Andrea est un barbier-chirurgien juif de la Galère du Prince Andrea Doria (1466-1560) qui s’est converti au christianisme. Simon a pris pour nom de baptême celui de son prince, –Andrea Doria, un aristocrate génois adversaire acharné des Turcs, célébrissime à Gênes et dont la famille donnera de nombreux gouverneurs à la Corse. Son fils avait reçu pour nom de baptême celui du protecteur chrétien de son père… N’est pas Condottiere qui veut !

Quand il était en Corse Andrea Doria avait offensé Paolo Vincenzo Lomellino en disant qu’il était, insulte suprême, un : « fils de Turc », Lomellino répond que l’ascendance juive d’Andrea est connue au Levant et qu’il n’a pas donc pas de leçon à recevoir car il est « d’une toute autre qualité » que le pseudo-Doria. Les Doria ont donné 6 doges à Gênes !

(Source : Genova, Biblioteca giuridica P.E. Bensa, Ms 92.4.10, Manoscritto Gentile (diario 1573-1575), c.221 e seguente, in Rossana Urbani, Guido Nathan Zazzu, The Jews in Genoa: 507-1681, Studia Post Biblica, Brill, 1998, Tome 1, Document 361, pg. 174.)

Parfois les métiers des personnes peuvent renseigner… car Andrea Doria (le juif) était barbier (chirugien) tout comme Pietro Massa son contemporain le fondateur de Porto Vecchio alias Vintimillia la Nuova. Il était probablement un de ces conversos à l’ascendance douteuse dont le métier au sein de la troupe dénonçait l’origine. En Espagne au XVIème ou au XVIIème siècle un médecin ou un barbier (chirurgiens des navires) désigne souvent un juif !

Chaque nom suppose donc une stratégie de recherche et une tactique par époque et les pièges sont nombreux !

J’explore donc les deux hypothèses par l’onomastique et on verra que c’est le rassemblement familial et généalogique qui semble trancher en faveur d’une hypothèse plutôt que l’autre.

ROGLIANO EN CALABRE ET SES JUIFS

Le nom de ROGLIANO en Italie vient du village de Calabre du même nom dans la province ce Cosenza où il y a une forte communauté juive depuis au moins le 10ème siècle.

Un noyau juif était présent à Cosenza sûrement avant l’an 1000 et, en 1093, il paya les dîmes solidorum et les gabelles pour la teinture et d’autres activités à l’évêque.

La synagogue du quatrième siècle de Bova Marina en Calabre, riche en mosaïques, est l’une des plus ancienne d’occident après celle d’Ostie.

Les traces de la présence juive sont révélées partout en Calabre et pas seulement à Cosenza, Carpanzano, Scigliano, ROGLIANO, Santa Severina, Tiriolo, Isola Capo Rizzuto, Caulonia, Caccuri, Castrovillari, Corigliano et Rossano. 40% des Calabrais auraient des origines hébraïques (source ).

Ces juifs s’appellent Mazza, Scalise, Gigliotti, Cittadini, Aiello…

A Reggio, le premier ouvrage en hébreu a été imprimé avec l’indication de la date, le commentaire de Rashì sur la Torah; Chayim Vital haQalavrezì, le calabrais, était un grand érudit de la kabbale, également connu sous l’acronyme de Rachu.

La plus ancienne Bible hébraïque imprimée est en calabrais en 1475 par l’imprimeur Avrhaham ben Garton, ce volume est conservé à Parme dans la bibliothèque palatine (photo).

En 1452, Fra Simone dell’Alimena donna par bonté aux Juifs de Montalto de l’huile pour les 60 lampes allumées en permanence dans leurs synagogues.

De nombreux étaient les Juifs installés en Calabre au Moyen Âge, augmentant jusqu’à l’expulsion du début du XVIe siècle; ils sont revenus quelques années après, rappelés par les habitants opprimés par les banquiers chrétiens, mais ils ont été définitivement expulsés en 1541, un événement qui n’est pas étranger à la décadence économique de la Calabre, en particulier dans le secteur lié à la transformation de la soie.

Voici le lien vers des experts en généalogie de Rogliano : rogliano@italianside.com

ROGLIANO EN CORSE

Occupé sous l’Antiquité sous le nom de Vicus Aurelianus, Rogliano en Corse appartient à l’ancienne piève de Luri et est historiquement le chef-lieu du Cap (sous Paoli en 1768). Rogliano avait été conquis par les génois en 1592.

Le Pagus Aurelianus (le pays d’Aurélien) est devenu au fil du temps Aureliano, puis Rogliano.

Au XVIème siècle les Cap Corsins contrôlent les circuits commerciaux unissant l’île avec l’Italie, l’Espagne (Tabarca) et la Tunisie. Ils sont sous la permanente menace des barbaresques. Comme le note :

 » à partir de 1530, les Centurais et les habitants du village limitrophe de Morsiglia (qu’il ne faut point confondre avec Morosaglia à l’intérieur de l’île) se sont imposés en Méditerranée, à Marseille, Barcelone, Madrid et sur toutes les côtes du Maghreb, au point que Fernand Braudel -maître incontesté en la matière- a pu conclure qu’au XVIe siècle, “il n’y a point eu un événement méditerranéen auquel un Corse n’a point été mêlé”.« 

(source : voir ici l’excellent article de Michel vergé Francheschi)

Les Corses comme Tomasino Lenche (v.1510-1568), natif de Morsiglia dans le Cap, négociateur et expert ès “rachat des captifs”, sont les ambassadeurs des puissances chrétiennes pour racheter des chrétiens emmenés en esclavage à Alger, Tunis ou Tripoli … et les juifs de leur coté sont les ambassadeurs multilingues des puissances du Maghreb.

Erbalunga

Et c’est ainsi qu’on trouve une mention des relations entre les juifs et le village de Rogliano en Corse dans les archives de Gênes sous la plume d’un notaire génois Abraham Rivanegra.

Le 20 août 1592 un certain Samuel dit aussi Simon Aschekénazi (Simon l’allemand : des ashkénazes arrivent à Gênes au cours de la seconde moitié du XVIe siècle) promet de donner à Scipione Luvico de Rogliano en Corse, 210 doublons d’or sous 8 jours pour un voyage qu’il entreprend à Tabarca, une île de la Méditerranée située à environ vingt kilomètres au large de la ville d’Alicante (Espagne).

Source : The Jews in Genoa: 507-1681 de Rossana Urbani,Guido Nathan Zazzu, pg. 208

Y a-t-il eu des liens entre la Corse et les Abruzzes via la Toscane ? Difficile à savoir.

Comment trancher ?

Par la statistique dans ce cas.

Car c’est massivement à Bastia qu’on trouve des Rogliano depuis 1777 et pas ailleurs en Corse.

Vers 1600, la « communauté » Rogliano de la seigneurie Da Mare comptait environ 800 habitants. Rogliano dépendait de l’évêque de Mariana, établi à Bastia depuis 1570 à cause de la permanente menace barbaresque.

Il est donc difficile de trancher définitivement sans une analyse des trajectoires de migration et dans ce cas celle de Rogliano vers Bastia est la plus probable. Selon Roccu Rogliano et l’historien cap-corsin Michel Vergé Franceschi les ROGLIANO seraient venus s’établir à Bastia depuis le village de Rogliano en Corse en 1625.

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