Note sur les marranes d’Iran à partir de la généalogie des Mojdeh

Une dame m’a demandé de faire une recherche sur le patronyme de ses ancêtres iraniens.
Je suis remonté dans une histoire marrane étrange, à la recherche des Modjeh ou Mozhdeh qui ont fui aux Etats Unis et partout ailleurs dans le monde à la révolution iranienne.

MARRANES D’IRAN

Il y a eu en Iran un phénomène marrane. Ces marranes ont comme les séfarades (« Espagne » en hébreu) pris le nom d’anousim en hébreu (forcé, violé). « anousi » en persan. Leur persécution aux 17ème et 18 ème siècle est racontée par un poète juif Babaï Loutf de la ville de Kachan et par Babaï Farhad  (son petit fils ou arrière petit- fils) dans leurs chroniques poétiques. Celles-ci enveloppent la réalité historique dans un récit poétique parfois proche de la Meguilah d’Esther.

Un récit qu’il faut lire entre les lignes, comme toute littérature en temps de répression, un récit forcément partisan qui raconte les conversions successives des juifs de Perse à l’Islam sous les shah Abbas 1er qui régna de 1590 à 1629, et Abbas II qui régna de 1632 à 1666.

Car ce ne sont pas une mais des persécutions qui ont eu lieu en Perse aux 17ème et 18ème siècles où le statut précaire des juifs dans un monde musulman chiite, protégé par les mollas fut remis en cause par les vizirs et les fonctionnaires jaloux de leurs prérogatives, dans un monde musulman, qui les tolérait mais les utilisait.

La conversion des juifs ne fut pas là comme en Espagne un problème religieux principalement mais eut d’abord un mobile politique . La conversion de façade à l’Islam comme la raconte Maimonide dans son épitre au Yémen, un islam qu’il a probalement pratiqué à Fès sous le régimes des Almohades qui ne passaient pas pour des tendres… ne touchait pas profondément l’adhésion intellectuelle ou la foi juive.

Entre ces ‘conversions’ forcées juifs reviennent à la première occasion à leur foi ancestrale.


Ligature d’Isaac. Plat iranien du 18ème siècle. Collection DL.

(On remarque le soleil et le Lion en arrière-fond, symbole de l’Iran qu’on retrouve sur les drapeaux de l’Etat. comme si un keroubim s’était emparé du couteau d’Abraham, qui est glaive du drapeau perse, tout se passe au gan Eden dont il est bien connu qu’l est gardé par un kéroubim avec un glaive de feu, ces lions à tête d’homme qu’on trouve dans les temples babyloniens et perses)

MOJDEH ALIAS SIMAN TOB D’ISPAHAN

le patronyme Mojdeh ou Mozhdeh (« bonne nouvelle » en persan) est un prénom féminin devenu un nom de famille. Il est la traduction marrane du « Siman Tov » (bon signe) hébraïque en persan.

En réalité il s’agit certainement du nom donné aux partisans d’un certain Siman Tob à Ispahan lors de la persécution qui a forcé les juifs à se convertir. A moins que ce nom ne leur ait été donné par les juifs de Cachan où ils se sont réfugiés.

Cette prise de patronyme d’un prénom féminin est très probablement liée à la conversion forcée des juifs en Iran à l’Islam dans la capitale Ispahan puis Cachan (ville à mi chemin entre Téhéran et Ispahan).

Il est probable que de nom de Mojdeh ait été donné à des juifs par d’autres juifs rivaux, ou par la population, aux partisans d’un certain Siman Tob dont nous allons vous conter l’histoire après sa conversion à l’Islam.

LE « LIVRE DE LA PERSECUTION RELIGIEUSE » DE BABAI LOUTF (IRAN 17E Et 18 E SIECLES)

Le premier récit du « Livre de la persécution religieuse » de Babaï Loutf est écrit vers 1655-56 (5416 en date hébraïque) sous le shah Abbas II à Quachan. Abbas II comme Abbas 1er publia lui aussi un édit de conversion à l’Islam et c’est probablement cette répétition de l’histoire qui donna à écrire à nos auteurs sur Abbas II, ce nouvel Aman. Peut-être pour déplacer dans une époque précédente des faits contemporains pour se protéger. La normalisation qui se passa dans la capitale Ispahan se poursuivit dans les autres villes de Perse.

La persécution des juifs de Kachan en 1660 est attribuée à un Grand-Vizir malfaisant. On peut penser qu’il était plus facile de l’accuser lui que le shah lui-même.

Le récit poursuit avec le persécution des juifs de Kachan en 1725 pendant le guerre entre schah Aschraf et Tahmasp Khan qui autorisa les juifs à revenir à leur loi une fois Tahmasp Khan devenu shah à son tour.

Une conversion orchestrée par des proches du vizir envieux. Une conversion qui était de façade en pays musulman pas comme en Espagne et dont le retour au judaïsme montre que l’enjeu religieux était secondaire tout autant que l’islam de l’époque ne demandait de conversion que de façade.

En réalité des conflits à l’intérieur de la communauté juive vont la rendre vulnérable.

Siman Tob était le chef juif de la communauté d’Ispahan à l’époque du Shah Abaas 1er. Il avait trois fils, tous cho’et (bouchers) décrits par Babaï Loutf : « un comme un serpent et deux comme des dragons ».

Il fut accusé par d’autres juifs partisans d’un certain Ghayyat (« le but » en arabe, cf le Ghāyat al-ḥakīm – Le But du sage, traduit en castillan en 1256) de détourner la collecte de la communauté pour construire la clôture d’un cimetière qui ne fut jamais construite et pour construire le tombeau de Sérah bat Ascher. Les juifs ‘spoliés’ se sont adressés à la Sublime porte.

L’émir (Nawwab) Mouhammed Kasin leur a conseillé de régler entre eux cette affaire avant de remonter au shah afin de ne pas susciter son courroux. Malheureusement cela ne les calma pas. Les récits de magie qui sont alors présentés aux shah comme des moyens pour lui jeter des sorts sont en réalité des écrits cabbalistiques et par la suite Siman Tob sera envoyé dans tout le royaume pour récupérer ces livres :malfaisants ». Et le Shah donne l’ordre de conversion.

Le résultat fut l’ordonnance de conversion de la communauté de la capitale Ispahan qui s’étendit aux autres villes de Perse. A Ispahan on jeta la Torah au fleuve et les juifs furent invités à manger de la viande avec du lait aigre.

Une persécution qui se répète sous Abbas II à Kachan.

L’histoire retient que les juifs se pressent en pleurant à l’enterrement du shah Abaas II, présenté par le récit comme un nouvel Aman, qui est monté sur le trône en 1642 (le 15 Adar) à Kachan et y meurt. Bien sûr la geste de la reine Esther et de Mordéchaï est fondatrice pour ces juifs qui fuient les coups de bâton en public ou l’exécution.

Aman et Mardochée. Plat iranien de Pourim, 18ème siècle. Collection DL.
( aprés la lecture de la Meguilah on offre deux mets comestibles à des amis et un à deux pauvres avant le festin de pourim: Michloa’h Manot comme marqué en bas du plateau),

QUE PENSER DE CETTE CHRONIQUE POETIQUE ?

Celui qui prend un peu de recul historique peut comprendre entre les lignes de cette chronique poétique racontée par Babaï B. Louf et ses épigones que l’enjeu est celui de la prise du pouvoir dans la communauté juive de l’époque entre son président en place, Siman Tob, et un certain Ghayyat. En manipulant le pouvoir civil les juifs se ont reçu un coup de boomerang d’autorités fonctionnaires envieuses de leur position de conseil auprès du Shah.

La phrase lancée par Mousa Attar le gendre de Siman Tob à Ghayyat le montre : « Si tu convoites encore une fois la dignité de chef suprême, tu signes toi-même ton arrêt de mort ».

Il s’agit d’une de ces disputes internes la communauté pour le rôle de Nassi (prince) dont le Talmud et l’histoire juive sont pleines. En effet, ces personnes étaient très en vues, exposées régulièrement aux fonctionnaires du vizir, géraient les affaires temporelles et d’argent, etc… on voulait « en être »… comme aujourd’hui dans les institutions communautaires.

Le but de cette poésie est donc de désigner à la vindicte juive les partisans de Siman Tob.

Siman Tob pris le nom de Moumin après sa conversion mais il est probable que ses partisans reçurent son nom en persan peut-être à leur arrivée à Kachan pour les désigner comme des partisans de Siman Tob.

La réalité c’est aussi qu’il s’agit d’une histoire d’argent à l’intérieur de la communauté et à l’extérieur : les juifs levaient des impôts. Sham Tob et Zakarya qui succéda à Siman Tob à la tête de la communauté furent jetés en prison pour n’en avoir pas levé assez.

Le juifs qui étaient présents dans le micro-crédit et la levée de l’impôt sont présentés de manière parfois peu glorieuse : le shah paie les juifs pour qu’ils se convertissent, et les juifs refusent de se convertir sauf à recevoir un ‘cadeau’ du shah, mais ils doivent payer pour revenir à leur religion.

Le Khan de Hamadan alla à Ispahan et annonça au shah la conversion des juifs de sa ville, en même temps il demanda le remboursement des sommes qu’il avait payées. Le shah le renvoya au grand vizir mais celui-ci refusa la restitution parce que le Khan aurait pu prendre au piège les juifs par la ruse. Revenu chez lui les mains vides le Kahn se décida alors à reprendre leur or aux juifs. Il se fit même payer deux tomans au lieu d’un qu’il avait payé à chacun. En échange ils reçurent l’autorisation de retourner à leur croyance et de rouvrir leurs synagogues.

Ch 31, A55a, L 40b, P52b.

Le Khan Khalil, un « guerrier valeureux » propose aux juifs de devenirs musulmans ou… de quitter leur maisons; un acte de pure spoliation. Les juifs demandent au shah de les protéger et leur émissaire le malheureux Abraham bagdadi déclare après avoir été roué de coups :

« Obéissant à la Torah nous faisons de nombreuses prières pour le salut du shah »

Le shah est alors touché et leur rend leur foi sauf ceux qui se sont déjà convertis à l’Islam.

les juifs sont accusés d’un meurtre, trois jeunes gens sont lynchés par la foule, la trahison est présentée comme venant de l’intérieur de la communauté.

Le récit rapporte aussi comment l’apostat Abulhassan Lari imposa aux juifs de Perse un bonnet distinctif à Ispahan… puis il est nommé « inspecteur des bonnets » du Royaume après avoir vu la forme de son bonnet en patchwork d’étoffes redessiné par le shah lui-même… puis il se fait casser les dents par « Samuel le boucher » à Cachan qui en vient aux mains, le Diwan est prévenu, on le paie 40 kawans pour quitter Cachan… il continue sa tache d’inspecteur des bonnets à Chiraz où les juifs refusent le bonnet pour porter un ruban noué sur la poitrine. Enfin Abulhassan Lari arrive à Farajh Abad… où un certain Eléazar l’emmène en ballade en mer sur trois barques et le fait couler. « Lari devint la proie des poissons ».

Les brimades sont sans fin : les juifs sont invités à abaisser leurs maisons ‘trop hautes’ , « ne pas circuler librement parmi les croyants (musulmans), « sièger sur des sièges peu élevés dans leur boutiques », « ne pas voir le visage de l’acheteur », les femmes doivent attacher des clochettes à leurs chaussures, porter un voile noir sur leur tête; Etc, etc…

On convertit de force à Khoum, à Khounsar où on vérifie que les juifs ne font pas d’affaires le Chabbat; on tente la conversion empêchée in extremis par le shah Abbas II à Yezd; Mirza Mas’oud fait détruire la synagogue d’Ispahan et oblige les juifs à s’y convertir; le Khan fait bastonner 14 juifs à Kachan non sans oublier de lever un impôt de quatre ans; des soldats font une razzia de juifs dans la synagogue à Cachan et les font défiler enchainés dans le bazar; le mois de ramadan fait chauffer les têtes et deux juifs trop hilares sont accusés de se moquer du deuil religieux de l’Islam, l’un d’eux, un certain Allah-yar est lynché avant d’être brûlé vif; … le liste des exactions est sans fin.

Peu de candidats au martyrs dans ces récits mais beaucoup d’humiliations et des intérêts financiers bien compris. Des conversions de façade et des marranes fidèles au judaïsme qui reviennent publiquement à leur foi ancienne sitôt qu’elle est à nouveau autorisée en attendant le prochain édit. Il s’agit surtout d’éviter les châtiments et les menaces de mort. Et les mollahs n’en sont pas dupes.

Les religieux chiites sont présentés comme des protecteurs des juifs par la chronique poétique.

Le scheikh Béha-eddin d’Ispahan intercéda pour les juifs auprès du shah Abbas 1er en lui rappelant le principe musulman qu’il n’est pas de contrainte en religion et que les juifs étaient protégés par le Coran. Le shah voyant des juifs à la porte du scheik aurait dit « cette maison est une synagogue »

Le Mollah Mouhsin fit de même sous Abbas II. Il est donc probable que la persécution fut celle de vizirs tyrannique et de fonctionnaires de cour jaloux et cruels s’appuyant sur des dissentions de la communauté juiv… et des apostats pressés de montrer leur bonne volonté en persécutant leur coreligionnaires.

Il faut dire qu’au tournant de l’an mil 75% de la population juive vivait en Perse et en Babylonie. L’histoire des juifs d’Iran reste peu connue en Europe. Un judaisme d’une richesse étonnante.

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