Site icon מַעֲשֵׂה אֲבוֹת סִימָן לַבָּנִים

Noms corses et patronymes juifs d’Italie

Il est assez drôle de lire dans la presse ou en ligne que 25% des corses sont juifs, ou tous et cachés sous des habits catholiques  comme me le fait dire un certain Simon Giusepppi  dans la revue l’Arche de juillet 2023 en pure fantaisie :

« Le théologien Didier Long, convaincu que beaucoup de Corses pour ne pas dire tous ont du sang juif et ont préféré le dissimuler et se fondent dans une population qui se prétend chrétienne… » (pg 42) 

Ledit Giuseppi qui n’est ni historien ni juif mais bien anglais depuis 30 ans et a, d’autre part, dévalisé les archives des juifs de corse pour en réécrire l’histoire. Vaste programme !

D’autres encore crient au « mythe » dans Corse-Matin qu’il faudrait « détruire » (sic) en glosant sur  les Padovani qui seraient les héritiers d’Antoine de Padoue, ce qui est un autre mythe (voir ici)… la Corse serait la seule ile de Méditerranée Judhenrein par une sorte de miracle…

Je renvoie ces affirmations venues de non juifs parues dans des journaux qui ne reposent pas sur des documents à mon livre « Mémoires juives de Corse« .

Entrons maintenant dans notre sujet.


Carte de Corse par Egnazio Danti , Galerie des cartes musée du Vatican – 1580.
La vue est celle d’un génois arrivant en bateau découvrant le Cap corse.Carte de Corse par Egnazio Danti , Galerie des cartes musée du Vatican – 1580 détail du sud.

Offre de Petro Massa et Giacobo Parmero de Vintimille du 14 novembre 1577 adressée au Bureau de la Corse de l’Ufficio di San Giorgio de Gênes (banque publique), proposant d’amener 150 familles de la riviera du Ponant (cote Ligure) pour  reconstruire Porto-Vecchio et la nommer Ventimiglia la Nuova – la Nouvelle Vintimille. (A.S.G., Corsica, n.g. 7)

« La seule science dont s’occupent les Corses est celle des généalogies », écrivait Gabriel Feydel dans Mœurs et coutumes des Corses  en 1799 dans un rapport adressé aux membres du Directoire. Ils partagent cette passion généalogique avec les juifs.

Les Juifs qui vivent en Italie au XVIe siècle sont là depuis toujours pour certains, d’autres sont des Juifs ashkénazes qui, surtout au XIVe siècle, ont quitté l’Allemagne pour l’Italie, des Juifs français qui durent abandonner la France, et à la fin du XVe siècle et au cours du XVIe, et enfin ceux arrivés avec l’émigration sépharade d’Espagne à Gênes après 1492 puis Livourne au XVIIè siècle. Ils vont se fixer en Italie, chassés de ville en ville ou fuit vers l’empire Ottoman puis plus tard pour certains vers la Tunisie (granas) Des contacts avec l’Orient ont toujours existé, particulièrement à Venise et en Italie du Sud. On trouvait souvent trois synagogues dans une même ville — la scola italiana, la scola tedesca (allemande), la scola spagnola. A Gênes au XVIè siècle les juifs parlent l’espagnol dans une ville où l’on parle le toscan.

La fragmentation du judaïsme italien à la Renaissance, Rome n’est pas l’Ombrie, Milan ou Gênes, Sienne ou de Volterra, les ghettos à partir de celui de Venise en 1516 et Gênes en 1660 rendent les généalogies complexes.

Tandis que sur le continent les noms de famille sont déjà fixés ils ne se généralisent que bien plus tardivement en Corse. à partir de 1769 sauf pour les immigrés et les notables. Pour cent noms de famille corses, parmi les plus fréquents, on trouvera soixante-dix huit prénoms (Arrighi = Enrico, Taddei = Thaddée, Mattei,= Matthieu, Matinetti = Martinu, Martin, Sabiani = Sabin, Bartoli = Bartholomée, Ceccaldi = Hypocoristique de Francesco, Nicolai...), seize noms de lieux, cinq surnoms et seulement un nom de métier. 80 % des noms de famille corses se retrouvent en Italie. Les actes de baptême, de mariage et de sépulture étaient rédigés en latin et sont très peu nombreux.  La généralisation des noms de famille commence avec le recensement de 1769 réalisé par l’administration royale de Louis XV. Les noms ont été alors toscanisés… on a ajouté des trémas inconnus : Nicolaï. Un « Jacques » latin « Jacobo » Giacomo en italien, a pu devenir « Jacobi », ou Giacobbi. Quant on se trouve face à un prénom il est toujours difficile à savoir. Seules la généalogie et le croisement des sources génoises, corses et de l’inquisition peuvent assurer un lien certain.

La mémoire orale familiale que certains qualifient de « mythe » est une bonne  piste. Les gestes surtout. Je connaissais une dame Giaccobi qui allumait les bougies le vendredi soir en toute impunité…

Des nombreux patronymes parfois très anciens en Corse apparaissaient parmi les noms juifs répertoriés en Italie du Nord : les Angelini, Bianchi, Bianchini (Biancarelli en langue corse), Colombo (Devenu Colombini, Colombani en Corse), Colonna, Falco, Falcone, (devenu Forconi en Corse du sud), Gentili, Guglielmi, Leoni, Marchetti, Mariani, Marini, Massa, Morelli, Olivetti, Padovani, Paoli, Poggio/Pogioli (« petite montagne » noms trés répandu en Ligurie et en Lombardie), Polacci (polonais), Quercioli, Raffaelli, Rocca, Romano/ Romani, Rosselli, Rossi, Sanguinetti, Serra, Susini (Susani, Susin en italie), Torre, Ventura, Vitale, Vitali, Zanotti… sont bien connus en Corse. Massa (comme Petro Massa) le reconstucteur de Porto-Vecchio en 1569, est un patronyme porté en Corse et par des familles juives en Italie du nord. Il apparaît sous la forme Mazza en Calabre. Des patronymes juifs liés à des villes comme Pisa, Parma, Parmero, comme celui de son compère Giacobo Parmero sont courants en Italie. Les Olandini corses ont probablement un lien avec la Hollande.

Un nom de note île comme Ventura ou Venturi, dérivé en Venturini, était donné aux orphelin pour leur souhaiter la « Bona Ventura », bonne chance. Mais il faut savoir que pleins de Venturi aujourd’hui sont juifs dans le monde séfarade. Bonne chance se dit Mazel Tov en hébreu…

En Corse comme dans beaucoup d’endroit des marranes adoptent des noms de ville. Ainsi du nom Rogliano. Il est fort probable que des juifs de Calabre aient pris le nom de la ville de Rogliano où il y a une forte communauté juive depuis le 10ème siècle, ce qui était un classique (voir ci joint « Storia degli ebrei italiani – volume primo » de Riccardo Calimani). On trouve la trace des juifs dés le Xème siècle à Naples, Salerne et en Calabre : à Rossano, Cosenza, Paterno, Celico, Rogliano, Scigliano, Carpanzano et Stilo. Rien d’exceptionnel à ce que ceux ci débarquent en Corse comme dans toutes les grandes îles de la Méditerranée. Même si vers 1160 ne vivent à Gênes « que deux juifs » selon le voyageur juif Benjamin de Tudèle. Ils arriveront « par milliers » si l’on en croit l’Inquisiteur antisémite Bernardino da Feltre qui gonfle sans doute les chiffres en chaire pour mieux prédire la peste à Noël 1492 ( épidémie qui arrivera au Printemps !… le juifs femmes, vieillards et enfants étant alors parqués sur les docks en plein hiver) .

Les Rogliano de Corse sont probablement arrivés de là au XVIIè siècle. Je sais bien qu’un village en Corse se nomme Rogliano… et assez curieusement des juifs on trouve une mention de ce village Rogliano dans les archives de Gênes sous la plume d’ un notaire génois Abraham Rivanegra. (Source : The Jews in Genoa: 507-1681 de Rossana Urbani,Guido Nathan Zazzu, pg. 208)
Le 20 août 1592 un certain Samuel dit aussi Simon Aschekénazi (Simon l’allemand : des ashkénazes arrivent à Gênes au cours de la seconde moitié du XVIe siècle) promet de donner à Scipione Luvico de Rogliano, 210 doublons d’or sous 8 jours pour un voyage qu’il entreprend à Tabarca, une île de la Méditerranée située à environ vingt kilomètres au large de la ville d’Alicante (Espagne).

Ces marins au long court de Rogliano dans le cap commerçaient avec les juifs de Gênes et d’Espagne. Il est probable que toutes ces villes  d’Italie, d’Espagne et de Corse étaient liées par le commerce des réseaux juifs de marchands-banquiers juifs et corses et probablement les deux à la fois…

Nous avons déjà parlé du patronyme Massa une ville d’Italie ou se trouvaient de nombreux juifs qui donnera son nom au Massa qui fonda Porto-Vecchio, Vintimillia la  Nova avec ses 150 compères de toute l’Italie. Les juifs de Massa et Carraca ont du porter le « badge jaune » en 1648 et étaient châtiés s’ils n’obtempéraient pas. Le premier a imposer le port de ce badge aux juifs des provinces d’Italie fut le Pape Innocent III (1198-1216).

Les Leoni, Leonelli… sont probablement moins des lions corses que des orginiaires de la ville de León. Les Pinhel (nom dérivé de la Peniel biblique) (Source) de la ville éponyme au Portugal où vivaient des marranes deviendront des Pinelli.

Les Foa (qui signifie « foi » ou « Foy ») , Foata, les Figari bien connus en Corse apparaissent dans les archives de Gênes:

Les Padovani, Padovano apparaissent bien parmi les noms juifs italiens. Ils peuvent venir de Padoue ou… d’Antoine de Padoue selon certains historiens qui travaillent sans documents… La réalité est qu’ils viennent de la ville d’Heilbronn en Allemagne et se sont retrouvés dans la région d’Evisa, comme on peut le lire ici. Là encore la mémoire familiale ou du village peut mettre sur une piste.

Sanguinetti est le nom d’une puissante famille de banquiers du XVIIIème siècle dont une rue du Ghetto de Modène porte encore le nom. Abraham et Aaron Sanguinetti sont membres de la corporation des filatures de soie de Modène en 1750. Moisè Sanguinetti est un des chefs de la communauté à l’époque.

Certains noms sont des italianisations directes de l’hébreu comme les Mochi (« intelligent » en hébreu) qu’on trouve chez les juifs du Liban (voir au dessus et ici), les Guidici, Del Giudice, un nom de famille juive bien connu en Calabre. Les Giudici sont les Dayanim (juges), les Gentile sont les gentils, c’est à dire les non-juifs pour un juif.Le nom Cervi courant en Italie du nord et dans le village de Lévie en Alta Rocca désigne un cerf, ll est peut-être la traduction de l’hébreu Nephtali classique dans le judaïsme italien. Les Sansoni, Sansonetti, se réfèrent au Samson biblique tout comme les Giacobbi ou Simenoni. Les Pace ou Pacifici  (un nom juif d’Italie de Livourne) ou Pacini répandus dans le su de la Corse peuvent être la traduction de Shalom mais aussi les paceri (hommes de paix) institués par la Constitution de Paoli en 1755 qui faisaient la paix entre les famille lors des vendettas… Santelli, Santoni peuvent avoir une origine juive (qadosh, sanctifié), c’est  aussi le prénom Santo (saint) répandu dans le Lazio et en Calabre, mais le judaïsme hésite  à « sanctifier » autre chose que D… mais des annoussim s’appellent bien Kadouch et des juifs italiens s’appellent bien Evangelisti…Les Moro, Mori, Moretti ce sont les bruns mais aussi des patronymes juifs d’Italie bien connus.

Registres corses

Certains noms très répandus en Corse comme celui des Memmi qu’on retrouve à Tunis, probablement d’origine livournaise, proviennent directement d’Espagne : Le grand rabbin Shimon Meimi originaire de Ségovie fut torturé à mort à Lisbonne en 1497 avec toute sa famille car il refusa la conversion que lui proposait le roi Manuel, alors qu’il était enfermé avec 10 000 autres juifs sans nourriture et sans eau et que seuls 40 résistèrent. Samul Usque, en accord avec les sources chrétiennes, raconte que les juifs furent trainés par les cheveux et la barbe dans les églises pour être oints d’eau et baptisées de force. Certains se suicidèrent en se jetant par les fenêtres de l’édifice des Estaus ou en se jetant dans des puits. Memmi signifie « mon fils » en langue berbère.

Parfois le nom est un prénom comme Donat. Un nom de famille très répandu en Corse comme les Donati est aussi très répandu dans la communauté juive de Modène où l’on trouve un Donato Donati né à Bolzano en 1550, marchand et blanchisseur, fils de Samuel Donati et frère d’Abraham Donati de Vérone. La tombe de la famille se trouve au cimetière israélite de Modène.

Les patronymes issus de la nature communs chez les marranes portugais : Figueras, Oliva, Spinoza (l’épine), Aguilar (l’aigle)… deviennent en Corse des Figari, Olivetti, Spinozi, Forconi (les faucons)…

L’équation nom de famille = religion doit cependant être maniée avec prudence et croisée avec d’autres sources. De nombreux Jacobi de la Renaissance n’ont rien de juif les juifs ne sont évidemment pas les seuls à avoir reçu comme on en trouve en corse des prénoms, des réalités de la nature (Branca, « la branche » nom de famille de ma grand-mère, ou toponymiques : Valli : « ceux de la vallée », Muratelli, « ceux du village aux petits murs »), de métiers (Forconi : « le fauconnier ») ou des noms de caractéristiques physiques (Biancarelli : les blonds).

Il n’en reste pas moins vrai que les familles Blanca – Blanca, Branco- Branca sont parfaitement connues parmi les exilés d’Espagne et que c’est peut-être l’origine de ce patronyme en Corse. Les Blanco (« Blanc », Laban en hébreu) viennent d’ Alburquerque (devenu un nom répandu en Turquie) et de Galice en Espagne, des régions à la frontière du Portugal. Les Blanco/ Blanca de la province de Salamanca sont devenus Branco/ Branca en fuyant vers le Portugal. 

L’origine d’un Christophe Colomb en Corse est peu probable, celui-ci était probablement un marin génois, par contre il semble maintenant assez clair que l’Amiral de la mer Océane parti découvrir la Nouvelle Espagne le lendemain de l’expulsion des juifs d’Espagne était d’origine conversos espagnole par sa famille. C’est ce qui explique son oeuvre en espagnol et pas en Toscan. Les Colombo de Corse se retrouvent aussi à Gênes d’où ces conversos viennent très probablement. Pour la petite histoire la famille de Colomb a exfiltré de nombreux juifs d’Espagne dont beaucoup partiront vers la Jamaïque. Certains deviendront des pirates dont les tombes (photo) dans le Nouveau Monde rappellent le combat contre la flotte de la puissance espagnole. (voir ici leur histoire)

Ce n’est pas parce que le nom Rossi est fortement implanté dans la communauté juive d’Italie ( Azaria (Benaiuto) di Rossi, dit Azarya min HaAdoumim est un des plus grands intellectuels juifs de la Rennaisance) qu’on peut immédiatement en déduire que les centaines de milliers d’Italiens et de corses qui portent le nom de famille Rossi ou Rosso sont tous des juifs ou d’origine juive. Juifs et chrétiens ont suivi des chemins identiques dans la formation des patronymes à la fin du Moyen Age.

L’un des plus anciens Mazhor du monde, réalisé en 1490 en Toscane vers 1490.

Les noms judéo-espagnols terminés en ES et en EZ (Alvarez, Bales, Diaz, Dominguez, Fernandez, Gomez, Gonzalez, Hernandez, Lopes, Lopez, Rodriguez, Sanchez,  …) typiques des réfugiés de la péninsule ibérique et présents dans les communautés italiennes on été italianisés en Corse, les Balaix, Bales sont devenus Balesi.

D’autre part on trouve de trop nombreux noms du judaïsme italien pour ne pas soupçonner une immigration juive en Corse à la fin du Moyen-Age au moment de l’exil des sefardim d’Espagne via Gênes comme je l’ai déjà montré. Même s’il est clair que des  marchands juifs aragonais ou Catalan, parcourent la méditerranée où ils commercent, Corse comprise, de manière intense du IXème au XVème siècles.

Chaque fois que je me trouve dans une ville italienne, j’essaie d’imaginer si, et comment, les Juifs y ont vécu. Je connais très bien certaines de ces villes. J’ai passé de nombreux étés dans la paix de la belle ville de Spoleto, en Ombrie. En me promenant dans ses rues, je peux reconstruire sans difficulté l’histoire de Spoleto depuis l’époque de Hannibal. Mais quand je pénètre dans la petite rue médiévale qui aujourd’hui s’appelle Via San Gregorio alla Sinagoga, je suis déconcerté. À quel moment la synagogue qui s’y trouvait cessa-t-elle d’être une synagogue? Le nom de la rue indiquerait-il que l’église de San Gregorio a été construite sur la synagogue? Et où sont les descendants des célèbres docteurs juifs de la Renaissance à Spoleto, parmi lesquels il faut citer David de’ Pomis, l’auteur du dictionnaire hébreu-latin-italien Zemah David, «La descendance de David», dont je me servais quotidiennement dans mon enfance? Actuellement à Spoleto vit une seule famille juive, originaire de Rome. Je devrais peut-être ajouter qu’il y a deux ou trois ans, j’ai appris qu’un couple d’artistes juifs américains avait essayé de gagner leur vie en ouvrant un bar à sandwichs à Spoleto. J’espère que la chance leur a souri. (Arnaldo Momigliano)

On retrouve ces noms des juifs d’Italie dans le livre de Samuele Schaerf, I Cognomi degli Ebrei in Italia, Casa editrice « Israël », Firenze 1865-1925, 1925, voir quelques noms sur ces sites :

Voir aussi plus largement :

Quitter la version mobile