Noachisme : Le messianisme, « L’Eternité d’Israël » et les nations selon le Maharal de Prague

Haggadah de Venise-Prophète Elie-détail

Le prophète Elie annonce l’arrivée du Messie, Haggadah de Venise, 1609 (voir note [1])

Haggadah de Venise-Elie

Toute la page de la Haggadah (voir note [1])

Il faut absolument relire les écrits de Rabbi Yehuda ben Bezalel Liwa, « Notre enseignant, le Rav Loew », Morenou HaRav Loew, connu sous l’acrostiche de Maharal de Prague (1512-1609) et particulièrement Netsah Israël « L’Éternité d’Israël » publié en 1599. Erudit de l’ombre il demeure dans sa ville natale de Posen en Pologne jusqu’à quarante ans, il devient alors rabbin dévoué de la communauté de Nikolsbourg en Moravie pendant vingt ans. A l’âge de soixante ans il rejoint le vieux quartier juif de Prague et à partir des notes et réflexions d’une vie il écrit une oeuvre considérable… qui sera publiée seulement à l’âge de soixante-dix ans. Il meurt vingt sept ans plus tard à l’age de 97 ans laissant derrière lui une oeuvre considérable. Cette haute figure de la renaissance, contemporain des maîtres de Safed et d’Isaac Louria, au coeur d’une mutation importante de la morale et du messianisme juifs de son époque a déployé une puissante réflexion sur le messianisme juif et sur son lien avec le processus originaire de création. Son nom est associé à la légende du Golem, cette créature d’argile, fiction sur l’adam originel finalement assez proche des préoccupations théologiques du Maharal.

Il faut dans un premier temps évacuer  une idée fausse du messianisme. Celle qui le conçoit comme une projection du désir de l’homme de la Rédemption, envisagée comme une coïncidence avec l’origine, qui n’est au fond qu’une forme populaire d’idolâtrie (la présentation du christianisme comme un « messianisme réalisé » qui n’attendrait plus la Géoula en est une des multiples formes)? Cette réponse est au fond une mauvaise réponse à une bonne question, celle de l’absurde et du vide de l’histoire. Il nous faut évacuer cette conception naïve si nous voulons comprendre le Maharal. L’autre tentation tout aussi récurrente consiste en  la spéculation sur la date de venue du messie. Un exercice que déconseille le Talmud : « que se vide l’esprit de ceux qui calculent la fin des temps » (T.B. Sanhédrin 97, 2.); les spéculations messianiques… rendent fou! Ce n’est bien évidement pas dans ce contexte que se situe le Maharal de Prague, même si sa réflexion est sans doute une volonté de réponse rationnelle à l’apocalyptique délirante qui saisit certains de ses contemporains face à la souffrance bien réelle du peuple.

La pensée du Maharal naît comme toutes les réflexions messianique dans un contexte de catastrophes :  les expulsions des juifs d’Espagne en 1492 et la persécution qui s’ensuivit. C’est à cette époque que le grand Isaac Arbabanel (1437–1508), ministre des rois du Portugal et d’Aragon, avait rédigé la première somme juive sur le messianisme. Il espérait que le messie arriverait en 1503… il mourut en 1508 sans en avoir vu l’avènement… A la même époque l’agitation messianique produit des faux-messies activistes politiques comme David Reubeni (1490–1535/1541?) et Salomon Molko (1500-1532) en Italie de 1524 à 1532. En 1516 a été créé le ghetto de Venise, en 1553 le Talmud est brûlé à Rome. En 1563, en Russie, le tsar Ivan le Terrible fait noyer les juifs de Polotzk dans la Dvina. En 1590 les marranes espagnols et portugais fuient en Hollande (Spinoza). Dans ce contexte de souffrance du peuple, la force du Maharal est d’avoir poursuivi la réflexion messianique mais aussi d’en avoir refusé la tentation sous la forme d’une confusion de la Création et de D…. il a donc réfléchi sur le messianisme juif, que professe Maïmonide comme un article de foi tout en ne renonçant pas à l’histoire et au projet d’inscrire le destin d’Israël dans l’histoire de toutes l’humanité, celle des nations. Lire la suite de « Noachisme : Le messianisme, « L’Eternité d’Israël » et les nations selon le Maharal de Prague »