Juifs à New York

ManhattanPhoto DL d’hélicopère

Alors qu’en Europe les religions font peur « Après la Chrétienté », selon l’expression de Gianni Vattimo, en Amérique la religion est une composante sociologique majeure des communautés du melting pot. Celles-ci vivent dans une tension parfois fermée et violente, parfois créative. La communauté juive n’échappe pas à cette fragmentation des identités qui fait partie de l’ADN de l’Amérique. La communauté juive est marquée par cette sociologie issue des grandes vagues d’immigration européenne, poussée par les mouvements antisémites en Europe, par les espaces de voisinage. New York est, de loin, la première ville juive du monde et le centre de la communauté juive américaine, la plus importante de la diaspora. Il y a 1,8 million de juifs à New York sur 6 millions aux US. Les premiers séfardim y sont arrivés du Brésil il y a 350 ans en 1654. En 2002, les ashkénazes (972 000 personnes), représentaient 12 % de la population de New York. 25% des juifs de New York ne sont pas pratiquants. Dans les années 1950, les Juifs représentaient un quart de la population de New York. Elle a décliné avec le départ vers d’autres villes américaines (Californie, Miami).

Les juifs d’Amérique savent que l’antisémitisme sévit en France et que 7000 juifs ont quitté la France pour Israël en 2014, el double de l’année précédente. Ils savent ce que cela veut dire, la plupart ont émigré ici depuis moins de 150 ans de la même Europe qui ne semble toujours pas avoir  compris. Il n’y a pas d’antisémitisme ici même si « la tension est vive avec la communauté noire musulmane à Chicago et Seattle » m’a dit l’un d’eux.

Je demande par avance un peu d’indulgence à mon lecteur. Il est impossible de résumer des identités si complexes en un post. Il ne s’agit ici que de quelques éclairages, mes impressions de voyage, rien de plus.

On peut dire que la communauté juive est composée de deux types de communautés composée d’une immense variété d’identités :

  • Les communautés orthodoxes, c’est-à-dire fidèles à la halakha telle qu’elle est définie par le Shoulane Haroukh: on prendra l’exemple des Satmar de Williamsburg à Brooklyn, des Loubavitch de Crown Heights à Brooklyn, et des orthodoxes modernes du Lower East Side, les sefardim orthodoxes.
  • Les communautés libérales. On compte parmi elles une immense variété comme les reconstructionnistes qui se sont adapté sans états d’âme à l’american way of life.
  • Les Conservatives  entre les deux.

 

Satmar de Williamsburg à Brooklyn

Les Satmar sont une dynastie hassidique fondée en 1905 à Satu Mare en Transylvanie (Roumanie-Hhongrie). Ils débarquent après l’Holocauste à Brooklyn dans le quartier de Willimasburg. Une partie vit aussi à Kiryas Joel, au nord de New York. Ils seraient 120 000. Ils refusent le sionisme politique. Le quartier de Williamsburg est mixte, on y trouve majoritairement des familles hassidiques, mais aussi des Portoricains et des noirs. Schtreimel, peot, barbe et Yiddish sont de rigueur. Le mode de vie est celui d’un Shtetl d’Europe orientale il y a un siècle.

Mariage chez les Satmar.

Loubavitch de Crown Heights à Brooklyn

Le mouvement hassidique Loubavitch est profondément marqué par la figure de Menahem Mendel Schneerson né en 1902 à Mykolaïv, en Ukraine et arrivé à New York en 1947 et dernier Rebbe de la dynastie hassidique Habad-Loubavitch. Un érudit très prolixe en commentaires de la Torah. Environ 500 000 juifs dont 1000 français ont célébré l’anniversaire de sa mort en juillet dernier. On ressent une vraie joie à Crown Height qu’il ne quittera pas à partir de cette époque jusqu’à sa mort en 1994. Les Loubavitch sont traditionnels mais accueillants avec un côté très moderne. Comme les Satmar ils ont des familles très nombreuses. On croise des multiples landeaux dans les rues. Une banderole annonce : Moshiah is on his way, let’s be ready! « Le messie arrive, Soyons prêts! ». Le mouvement est très actif pour faire connaitre le judaïsme aux juifs. La communauté, répandue à travers le monde entier (4 600 établissements) est un archétype des grands mouvements religieux en réseau dans la globalisation, en croissance forte.  J’ai déjà parlé du sérieux de l’étude au 770 Eastern Parkway.

 

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Sefardim orthodoxes du Lower East Side

Les premiers Juifs à arriver à New York étaient des séfarades. Jusqu’au 18ème siècle, la population juive de New York est surtout séfarade. Aujourd’hui New York est très majoritairement ashkénaze. La synagogue de la Congregation Beit Yaakov projetée par le philanthrope Edmond Safra avant sa mort a ouvert en 2003 pour une communauté séfarade syrienne.

 

Orthodoxes modernes  du Lower East Side

La grande vague d’antisémitisme qui toucha l’Europe centrale et orientale dans les années 1880 poussa les juifs allemands à immigrer.  Ils s’installèrent dans le Lower East Side.

Les orthodoxies modernes sont principalement dans l’East Side, à l’est de central Park. Le long du quartier chic de Kensington avenue. Les synagogues comme celles de Kehilath Jeshurun  (photos) sont austères et les mezouzot aux portes dans le quartier discrètes.

Les modern orthodox tentent de concilier l’orthodoxie halakhique et l’ouverture au monde moderne, ou comment vivre une vie de Torah Halakhique tout en ne se coupant pas du monde ambiant. L’orthodoxie moderne vient de la néo-orthodoxie des Rabbins Hirsch et Hildesheimer qui tentèrent de créer au XIXème siècle en Allemagne un mouvement «Torah im Derekh Eretz » alliant les valeurs juives et un regard positif sur l’excellence scientifique et la culture profanes. La place faite aux femmes est significative chez eux.
Le Rav Joseph.B. Soloveitchik (1903-1993) est le maître à penser de ce mouvement. Le Rav Isaac Kock Abraham Isaac Kook (1864 – 1935), inspirateur du sionisme orthodoxe en faisait partie.

 

Conservative du Lower East Side

Les Conservative (Massorti en France) un mouvement lancé par Zechariah Frankel (1801-1875) en Allemagne sont une réaction face aux mouvement libéral auquel il a dans un premier temps appartenu. Il respecte la halakha mais de manière plus souple que les mouvements orthodoxes et comporte de facto une ouverture plus forte sur la culture occidentale, la participation des femmes. Comme chez les orthodoxes toute évolution de la Loi doit être justifiée par un raisonnement interne à la halakha, et jamais externe comme chez les libéraux… mais le mouvement d’interprétation de la halakha est plus souple que chez les orthodoxes. On voit ici la synagogue conservative Or Zarua en reconstruction suite à un incendie et le centre communautaire en face.

 

Réformés de la Central Synagogue à Manhattan

En 1840, le mouvement de réforme du judaïsme introduit un changement radical dans les congrégations existantes et provoque la création de nouvelles congrégations à New York City. Les réformés modernisent le rituel, réduisent les contraintes, rapprochent le judaïsme du protestantisme et de l’American Way of Life.

Le judaïsme réformé est éclaté en de multiples mouvements.

Ils ont vis-à-vis de la halakha une latitude d’interprétation plus large à des groupes se reconnaissant dans une forme de  culture et d’ethos juif. Je suis tombé par hasard sur la synagogue Grand Central à Manhattan. Construite en 1872 sur le modèle de celle de la rue Dohány à Budapest elle est la plus ancienne synagogue de New York. « 500 personnes y viennent chaque shabbat annonce son site… et plus de 100 visiteurs se joignent via live streaming » dit son site : http://www.centralsynagogue.org/about_us  Voici quelques photos :

 

A New York on trouve au coin des rues la presse juive. Un fait impossible aujourd’hui à Paris.DSCN5843 DSCN5894

 

C’est sans doute un signe de bonne santé mentale. God bless America.

Chez les fils et les filles du Rebbe de Loubavitch à Crown Heights – Brooklyn

Sachant que j’étais à NYC le Rav Mendy A. m’a conseillé d’aller à Crown Heights « un moment fort » disait-il en un délicieux euphémisme…, car, sans le vouloir, ni savoir où elle se trouvait, ni même en soupçonner l’existence, je me suis retrouvé dans l’immense Yeshiva qui est sous la maison du Rabbi de Loubavitch accueilli avec un très grand hessed (générosité) par ses fils.

Voici ce qui m’est arrivé.

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Crown Heights est dans le borough de Brooklyn, à New York, massivement composé d’afro américain ou issus des Caraïbes pour la plupart très pauvres. J’avais peur d’aller à Brooklyn avec mes enfants car deux policiers ont été tués à quelques rues de là le 20 décembre, il y dix jours, paix à leur âme. 20 000 policiers ont assisté à l’enterrement et 20 000 autres sont déployés dans Brooklyn et le Queens. Nous y avons quand même été en famille.

A Manhattan au moins quatre chauffeurs de taxi ne connaissent pas ce quartier de Crown Heights qui « ne leur dit absolument rien ». Mais on est tombé sur un type efficace, genre new yorkais intrépide, originaire de Guinée, nommé Abdelkader, avec qui on a regardé… Google.DSCN5417

Il nous a largué a l’angle de « Crown » Street (comme Google Map l’avait dit !) et de Brooklyn Avenue.

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Nous avons déambulé dans le sud de Crown Heights, des petites maisons pimpantes avec des hommes en noir et blanc en Borsalino et tsitsit et des femmes qui poussent des landaus entourées d’enfants. Des gens discrets, prévenants et hyper gentils en fait. Détail amusant : les fleurs sont des choux devant les maisons.

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Et sommes remontés sur Kingstone Avenue.

 

La petite ville avec ses petits commerces juifs est accueillante. Pas du tout cette ambiance fermée et obtuse que décrivent les commentateurs ‘progressistes’ bien intentionnés et forcément modernes qui n’ont jamais mis les pieds ici.

Quand au détour d’une rue je suis tombé sur des types en train de vendre des livres sur le trottoir et d’autres qui se rassemblaient regardant ces vieux grimoires en hébreu avec gourmandise. Il n’y a que les juifs pour se précipiter pour acheter des livres quand il n’y a plus une seule librairie à New York ! Forcément c’était intéressant. Je  me suis rapproché.

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Quand un détail a attiré mon attention. Une pierre conservée sous verre. J’ai demandé la signification au « libraire ». En l’écoutant j’ai failli tomber de ma chaise… heureusement j’étais debout. Il m’a expliqué que j’étais devant la maison du Rebbe Menahem Mendel Schneerson !

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Ce dernier est né en1902 à Mykolaïv en Ukraine et qui a quitté ce monde le 12 juin 1994. Plus connu sous le nom de « Rabbi de Loubavitch », septième héritier de la dynastie il a vécu ici la plus grande et prolifique partie de sa vie entre 1941 et 1994. Editant des milliers de livres, commentant la Torah, aidant tous ceux qui passaient chez lui jusqu’à l’épuisement. La maison est au 770 Eastern Pkwy.

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Ce jeune homme réfléchi et souriant m’a spontanément proposé de me montrer la maison. Il y a là un bureau où le Rebbe accueillait toutes les âmes en détresses venues du monde entier pour se confier à lui et recevoir ses conseils.

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Puis il m’a montré des salles dans la maison ou des nombreux hommes de tous ages étudiaient.

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Cet homme avait abandonné sa librairie de rue et me guidait avec une serviabilité pleine de délicatesse comme si j’étais son seul problème.

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Ensuite il m’a conduit dans une immense yeshiva en sous-sol où peut-être 300 étudiants discutaient de pages de Talmud. Ils s’aidaient les uns les autres. J’ai été frappé de l’atmosphère de gentillesse de tous. Ce hessed remplit l’âme comme une musique. Mon coach, me conduisait avec générosité de l’un à l’autre, comme un vieil ami, dans cette salle d’étude où ces hommes s’usaient les yeux sur des pages de Torah et de Talmud pour élever un peu le niveau de spiritualité de ce monde. C’est tellement rare ! J’ai été saisi par cette espèce de joie paisible, intense, chaleureuse, communicative ; émerveillé par cette générosité paisible dans l’étude. Mais qui connait aujourd’hui l’immense valeur de la prière et de l’étude ?

Le jeune rabbi m’a montré au milieu de la salle l’estrade (teba) où leur maître a enseigné, simplement parmi eux et aussi l’aron haqodesh (arches des rouleaux de la Torah) de la tefila. Son fauteuil. La tribune d’où très diminué il continuait d’enseigner à la fin de sa vie.

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C’était comme si tous ces hommes bons n’avaient pas arrêté leur tâche d’étude (avoda) après que leur maître se fut seulement absenté. Mes enfants sont venus nous rejoindre :

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Schneerson n’a pas eu d’enfants mais l’Eternel l’a comblé de jours et de disciples. L’un d’eux qui parlait français est venu m’accueillir spontanément.

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Je leur ai dit que je ne pouvais pas avoir fait 6000 km et être là seulement pour moi; et je leur ai parlé de ma communauté Ohel Abraham Nathanaël et de son Rebbe séfarade ! Je leur ai proposé de photographier pour leur montrer et parce que je m’étais promis de partager tout cela. Et que l’Eternel a guidé mes pas alors que je n’avais rien préparé. Le hasard c’est la manière de D. de passer incognito.

En sortant on était perdu sans plan de Brooklyn. On a trouvé une bouche de métro devant la maison : Kingston.

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Là, quatre femmes, Loubavitch elles aussi, sont spontanément venues à nous et nous ont demandé qui nous étions. En français ! elles étaient de Marseille et avaient entendu parler du Rav Harboun ! Elles menaient des études religieuse ou civiles à Montréal. Elles nous ont accueilli comme des frères et sœurs, nous montrant le chemin jusqu’au métro et jusque dans le wagon pour que nous ne nous trompions pas.

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Voilà qui sont les fils et les filles du Rav Schneerson, des gens bons et généreux dont les actes de bonté ont éclairé notre chemin improbable et illuminé notre journée.

Je viens seulement de comprendre ce que le Rav Harboun nous enseigne depuis plusieurs shabbats : Maassé Avot Simhra Levanim : les actes de pères sont un signe pour leurs enfants. Grand honneur à cet homme là. Un tsadik, un juste.

Merci à ses enfants.  God bless America.

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Article publié ensuite par le site Hassidout.org : ici

Hassidout