Pessah : Ce soir… sentez vous libre !

Seder de PessahC’est ce soir le seder de Pessah. En étudiant le nom des mets servis lors du Seder (« ordre » en hébreu = repas) la veille de Soukkot,  Gérard Haddad a montré dans son livre « Manger le livre » que les mots hébraïques ( retranscris au fond du plat du seder-photo) ont les mêmes homonymies que les invocations qu’ils « sous-entendent ». Par exemple le mot hébreu pour « fève » ressemble à celui pour « malédiction ». Avaler la fève revient à maudire ses ennemis. Il s’agit donc littéralement de « manger des mots » lors du seder de de la fête de Soukkot.

Ceci rejoint les lois qui séparent le lait de la viande…« Tu ne feras pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère » dit le livre du Lévitique. Ces préceptes alimentaires sont avant tout un rappel de l’interdit fondamental de l’inceste. Cet interdit qui fonde toute culture.

Ce soir l’enfant demandera : Ma nishtana halaila hazeh mikol haleilot? « Pourquoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ? ». Et son père lui racontera  la Haggadah de Pâques, la libération d’Egypte, un texte de bergers vieux de plusieurs millénaires et compilé au moment de la mishna vers 220.

Ainsi, lors de ce seder, alors que les pains azymes (sans levain) rappellent que les hébreux, dans un sursaut de liberté ont quitté l’Egypte sans avoir le temps de faire lever la pâte, il s’agit de « manger la parole » pour être libéré d’Egypte. De manger des azymes pendant une semaine pour s’en souvenir. La dimension symbolique de l’acte de manger, cet acte d’incorporation et l’écriture nous rappelle que pour le judaïsme toute table est un autel.

plat de seder

Un passage du Pirqé Avot (1er siècle) attribué à Siméon Bar Yochai (fin du premier siècle – début du second) dit :

« Lorsque trois hommes mangent ensemble à une même table et n’y disent pas de paroles de les Torah, c’est comme s’ils avaient mangé des aliments offerts en sacrifice à des idoles mortes », comme il est dit: « car leurs tables sont pleines de mets orduriers, sans place pour D.ieu » (Isaïe 28,8). Mais trois personnes qui mangent à la même table et y ont échangent des paroles de la Torah, c’est comme s’ils avaient mangé à la table du Lieu (Maqom) D.ieu le maître du monde). Comme il est dit: « Voici la table qui est devant Hachém » (Ezékiel 42,22). (Pirqé Avot III, 4)

Et un passage du talmud de Babylone rapporte en écho ce raisonnement :

« L’Ecriture laisse entendre que l’on peut conférer son repas un caractère de sainteté puisqu’il est écrit (Ez 41, 22) : « L’autel en bois avait trois coudées de haut et deux coudées de long. Il avait ses angles, sa longueur et ses parois en bois et l’homme me dit : ‘‘C’est la table devant l’Eternel’’». Le verset commence par détailler les dimensions de l’autel… et indique à la fin, qu’il s’agit d’une table ! Rabbi Yohannan et Rabbi Eleazar en tirent tous deux cette idée-force : Tant que le temple existait, l’autel procurait expiation à Israël, et maintenant que le sanctuaire est détruit, la table, enrichie de commentaires sur les textes sacrés, lui sert de substitut » (TB Berakhot 55 a)

Le Temple était le lieu sacrificiel de la rencontre, tous les sacrifices étaient des offrandes de nourriture en réalité (dans l’antiquité toute viande mangée est le fruit d’un sacrifice à un dieu dans un temple), on privait son désir du meilleur pour s’ouvrir à l’Eternel et guérir de son désir mauvais et égoïste (péché). Le temple détruit, les sacrifices arrêtés, la table du seder a pris cette place. Lire la suite de « Pessah : Ce soir… sentez vous libre ! »

« Comment peut-on vivre si on ne fait jamais confiance à personne ? »

Gérard Haddad : Lumière des astres éteints, la psychanalyse face aux camps, Grasset, 2011. 

Tous les genres littéraires ont témoigné des camps de concentration nazis: des ‘rouleaux sacrés’ exhumés de la terre au pied des cheminées d’Auschwitz du sonderkommando Zalman Gradowski (publiés sous le titre : Au cœur de l’enfer), au témoignage de Primo Levi et des orphelins des disparus recueillis par Claudine Vegh dans Je ne lui ai pas dit au revoir. Les historiens ont précisément documenté l’Holocauste : La destruction des Juifs d’Europe de Raul Hilberg et les deux tomes de L’Allemagne nazie et les Juifs de Saul Friedlander. Dans Le coeur conscient, Bettelheim racontait comment la psychanalyse lui avait inspiré des stratégies pour survivre et sauver sa propre raison à travers Dachau et Buchenwald. La parole de ceux que l’industrie de la mort nazie avait voulu anéantir continue de parler un demi-siècle plus tard. La production littéraire et artistique sans cesse renouvelée témoigne de la lumière noire des camps, ces astres éteints qui continuent de bruler nous dit Gérard Haddad.

Mais le livre de Gérard Haddad franchit une nouvelle étape de cette écriture, une forme de récit originale : à partir de sa pratique clinique, Haddad analyse la mutation irréversible produite par l’expérience des camps dans la conscience occidentale.

Car la mémoire du camp résonne dans le cabinet du psychanalyste : une femme raconte une histoire fausse sur un père et une mère imaginaires et finit par s’avouer la réalité : la honte infinie qui la traverse d’avoir vu sa mère mourir sous ses yeux à quatre ans dans le camp, elle n’arrive littéralement pas à en « fermer les yeux » ; un autre vit dans l’hypermnésie du camp à en compter les herbes et les pierres des décennies plus tard ; « Comment peut-on vivre si on ne fait jamais confiance à personne ?» répète Tzipi, un mantra qu’elle oppose au conseil mortifère de son père fruit de son expérience du camp : «  N’aies jamais confiance en personne, chacun ne cherche qu’à profiter des autres, à les rouler !». Tzipi, comme Primo Levi finira par se jeter dans le vide. Lire la suite de « « Comment peut-on vivre si on ne fait jamais confiance à personne ? » »