
Le commentaire de la parasha Emor du Rav Haïm Harboun ce Shabbat enrichie de pièces d’époque.
Du Kiddoush Hashem et du ‘Hilloul Hashem
La mort de Rabbi Akiba en 135 est le prototype du Kiddoush Hashem pour le judaïsme, Le midrash des dix martyrs (Asseret Harouguei Malkhout ) se fait l’écho de la mort de dix rabbins aprés la destruction du Second Temple de Jérusalem en 70, mis à mort de manière cruelle et spectaculaire, brulé vif dans des rouleaux de Torah comme Rabbi Hanina ben Teradion ou écorché vif comme Rabbi Akiba :
« Quand on fit sortir Rabbi Akiva pour le mettre à mort, c’était l’heure de lire le Shema. On lui déchirait la chair avec des peignes de fer et lui, il recevait le joug du Royaume des Cieux. Ses disciples lui dirent : ‘Ô notre Maître ! Jusqu’à ce point !’ Il leur dit : ‘Tous les jours de ma vie j’ai été préoccupé par ce verset : ‘de toute mon âme’ qui signifie ‘même s’il te prend ton âme’. Je me disais : ‘quand parviendrai-je à l’accomplir(’aqayyemennu)[1] ? Et maintenant que cela m’est donné, je ne l’accomplirais pas !’ Il prolongea le mot ‘Un’ jusqu’à ce qu’il rendit l’âme. Une voix céleste se fit entendre et dit : ‘Heureux es-tu Akiva, dont l’âme est sortie en disant : Un (ehad) » (TB Berakhot 61b)
La Parasha de ce Shabbat nous parle du Kiddoush Hashem et du ‘Hilloul Hashem qui est le témoignage rendu à la souveraineté de D. en ce monde. Son contraire, le ‘Hilloul Hashem compromet la conscience positive de D. dans ce monde. Dans chacun de ces cas, nous le verrons, il s’agit d’exemplarité publique d’Israël par rapport au peuple ou par rapport aux Nations. A commencer par les Cohanim qui représentent la sainteté à l’intérieur du peuple Saint, c’est-à-dire « particularisé », symbolique, comme nous l’avons vu la semaine dernière.
Ainsi les cohanim « doivent rester saints pour leur Dieu, et ne pas profaner le nom de leur Dieu » (Lv 21, 6). Du prêtre, la Torah dit : « Tiens-le pour saint, car c’est lui qui offre le pain de ton Dieu; qu’il soit saint pour toi, parce que je suis saint, moi l’Éternel, qui vous sanctifie. » (Lv 21, 8) ; « Il ne quittera point le sanctuaire, pour ne pas ravaler le sanctuaire de son Dieu, car il porte le sacre de l’huile d’onction de son Dieu: je suis l’Éternel. » (Lv 21, 12) ; D. prévient : « Aaron et ses fils d’être circonspects à l’égard des saintetés des enfants d’Israël, pour ne pas profaner mon saint nom en profanant ce que ceux-ci me consacrent: je suis l’Éternel.» (Lv 22, 2) ; « Qu’ils respectent mon observance et ne s’exposent pas, à cause d’elle, à un péché, car ils mourraient pour l’avoir violée: je suis l’Éternel qui les sanctifie. » (Lv 22, 9) ; « Gardez mes commandements et pratiquez-les: je suis l’Éternel. 32 Ne déshonorez point mon saint nom, afin que je sois sanctifié au milieu des enfants d’Israël, moi, l’Éternel, qui vous sanctifie, 33 qui vous ai fait sortir du pays d’Egypte pour devenir votre Dieu: je suis l’Éternel. » » (Lv 22, 31). Cette interdiction du ‘Hilloul Hashem vaut aussi pour le peuple comme l’épisode du malheureux fils de Shelomit (la prostituée qui se dissout en suivant tous ceux qui passent, celle qui dit « shalom ! » – bonjour, à tout le monde !) à la fin de la Parasha nous le rappelle : « Parle aussi aux enfants d’Israël en ces termes: quiconque outrage son Dieu portera la peine de son crime. Pour celui qui blasphème nominativement l’Éternel, il doit être mis à mort, toute la communauté devra le lapider; étranger comme indigène, s’il a blasphémé nominativement, il sera puni de mort. » (Lv 24, 15-16). Une sanction qui ne doit pas être lue comme à postériori mais à priori : celui qui pratique le ‘Hilloul Hashem est en réalité déjà mort. Sa personnalité se dissout, n’existe plus. Renonçant à sa particularisation il se dissout parmi les nations et n’existe plus comme juif. Il disparaît de la place publique.
Lorsque quelqu’un préfère mourir plutôt que de violer les trois commandements qui ne peuvent en aucun cas être transgressés : ne pas profaner le Nom, ne pas tuer, ne pas commettre l’adultère, il réalise le Kiddoush Hashem, littéralement la « sanctification du Nom », proclamant ainsi la gloire de D.
al Kiddoush Hashem
En quel cas doit-on pratiquer le Kiddoush Hashem ?
Johanan dit au nom de R. Simeon b. Jéhotsadak: Par un vote à la majorité, il a été résolu dans la chambre haute de la maison de Nitza à lod – concernant toutes les interdictions de la Torah si une personne dit : « Transgresse telle et telle interdiction et tu ne seras pas tué (mais si tu refuses, tu seras tué) », il peut transgresser et ne pas souffrir la mort, à l’exception de l’idolâtrie, de l’inceste, [qui comprend l’adultère] et du meurtre.
Maintenant est-ce que l’idolâtrie ne doit-elle ne pas être pratiquée [dans de telles circonstances]? Il a été enseigné : R. Ismaël dit : où savons-nous que si on ordonne à un homme : « pratique l’idolâtrie et sauve ta vie », qu’il devrait faire ainsi, et ne pas être tué ? De ce verset : « Vous observerez donc mes lois et mes statuts, parce que l’homme qui les pratique obtient, par eux, la vie: je suis l’Éternel.» (Lv 18, 5). Il doit donc vivre par eux et ne pas mourir par eux. Je pourrais penser que cela peut être pratiqué ouvertement, mais l’Ecriture enseigne, « Ne déshonorez point mon saint nom, afin que je sois sanctifié au milieu des enfants d’Israël, moi, l’Éternel, qui vous sanctifie » (Lv 22, 32) (Nde : Le principe de sanctification du Nom qui rentre en concurrence avec celui de la préservation de la vie –piqqouah nèfesh le surpasse)On a retenu l’avis de R. Eliezer. Car il a été enseigné, Rabbi Eliézer dit: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, et de toute ta force » (Dt 6, 5) Si on commence par « de toute ton âme », pourquoi « de toute ta force » suit-il ? Ou si il est écrit «de toute ta force » pourquoi est-il écrit aussi : « de toute ton âme » ? Pour l’homme à qui la vie est plus précieuse que la richesse, il est écrit « de toute ton âme » alors que celui pour qui la richesse est plus précieuse que la vie est convié à aimer, « de toute ta force ». Inceste et assassinat ne peuvent pas être pratiqués pour sauver sa vie. (TB Sanhédrin 74 a)
Le martyre n’est pas recherché dans le judaïsme car selon l’adage talmudique : On doit vivre par la Torah et non mourir par elle. Cependant comme le montre un commentaire de Maïmonide, si le Kiddouch Hachem est au-dessus de toutes les mitsvot c’est parce que c’est un témoignage public :
« Celui qui doit donner sa vie plutôt que de transgresser, et qui ne transgresse pas [et choisit de donner sa vie] – il a sanctifié le Nom de D. Et si cela eut lieu devant dix Juifs, il aura sanctifié le nom de D. en public comme… Rabbi Akiva et les autres. Ces hommes sont des martyres d’une grandeur inégalée. » (Rambam, Hilkhot Yésodé HaTorah 5, 4)
Rambam soutient que l’on doit donner sa vie plutôt que d’enfreindre l’une des mitsvot de la Torah en présence de dix Juifs. Là encore, il y a là une idée d’exemplarité du témoignage pour ou contre D., un juif ne peut témoigner contre D. sans cesser de l’être.
De plus le Kiddoush Hashem tient compte de la volonté consciente de transgresser, de son exemplarité directe ou indirecte :
Rava dit : « Un idolâtre qui dit à un Juif le Shabbat : ‘Coupe de l’herbe [et en cela il profane le Shabbat] et donne la aux animaux, ou je te tuerai’, il doit couper [l’herbe] plutôt que d’être tué. S’il dit : ‘Coupe l’herbe et jette la dans la rivière’, il doit se laisser tuer plutôt que de [la] couper. Pourquoi en est-il ainsi ? Car son intention est de faire transgresser le Juif. » (TB, Sanhedrin 74a).
Il y a là encore une idée d’exemplarité. Le persécuteur instrumentalise le juif qui doit refuser de transgresser pour abaisser D.
De grandes figures exemplaires de la Torah résument par leur comportement cette sanctification du Nom :
Rabbi Chim’one ‘Hassida enseignait : « Yossef (Joseph), qui sanctifia le nom de D. en privé [lorsqu’il résista aux avances de la femme de Potifar – Rachi, Sotah 36b], fut récompensé par l’ajout d’une lettre du nom de D. à son nom. [On le retrouve dans Téhilim/Les psaumes 81 : 6, où le nom de Yossef apparaît avec un héh supplémentaire] ».
« Yéhouda (Juda), qui sanctifia le nom de D. en public [lorsqu’il sauva Tamar et ses deux enfants en admettant son rôle], fut récompensé en étant appelé totalement par le nom de D. [Les lettres du nom Yéhouda comportent les quatre lettres du Saint Nom] ». (TB, Sotah 10b)
Cette mistva a donc valeur d’exemplarité liée à l’existence même du juif comme juif c’est à dire comme signifiant de l’alliance de D. avec l’humanité en ce monde: séparé des nations, particularisé, symbole de comportement éthique visible par tous :
« L’essence de cette mitsva est qu’il nous est commandé de publier cette foi véridique dans le monde, et que nous ne devons pas craindre que quiconque nous fasse du mal. Et même si quelqu’un vient nous forcer à renier D., nous ne l’écouterons pas, mais nous sacrifierons nos vies plutôt que de le laisser croire qu’il nous a fait abandonner notre foi, même si nous croyions toujours en D. en nos cœurs. C’est la mitsva de Kiddoush Hashem à laquelle tout le Klal Israël est contraint : donner sa vie par amour pour Lui et fidélité à son Unicité… » (Rambam, Sefer Hamitzvot, Mitsva 9)
Le psalmiste exprime en une sentence ramassée ce qu’il en coûte d’être juif :
« Mais pour toi nous subissons chaque jour la mort; on nous considère comme des brebis destinées à l’abattoir » (Ps 44, 23)
Le Kiddoush Ashem dans l’histoire
Si de nombreux juifs insignifiants remplissent les bottins mondains, et ce, depuis Rome -assimilés au culte de la force de la culture ambiante gréco-romaine ou chrétienne ; de nombreux héros de l’ordinaire, le plus souvent de parfaits inconnus dont l’histoire a oublié le nom sont pour nous de puissants symboles de résistance à l’assimilation dans la vacuité ambiante du « on » qui va à ses idoles en méprisant la singularité de la parole Sinaï. Qui sont : « Ces hommes sont des martyres d’une grandeur inégalée » dont nous parle le Rambam (Maïmonide, Hilkhot Yésodé HaTorah 5, 4) et dont Rabbi Akiba écorché vif proclamant le Shema alors que les peignes de fer de Rome lui arrachaient la peau est le chef de file et le prototype ?
On ne saurait ici évoquer tous les Kiddoush Ashem de ces enfants, de ces femmes et de ces hommes que notre peuple a subis. Que leur souvenir soit une bénédiction.

Un exemple récent est celui de cette femme qui a peine accouché est emmenée en train vers les camps de la mort. « Sélectionnée » à la sortie des wagons à bestiaux où ces misérables nazis mais aussi de nombreux fonctionnaires français ont volontairement et symboliquement emportés les juifs comme de bêtes vers l’abattoir (c’est dans cette volonté symbolique exemplaire que réside de le ‘Hilloul Hashem). Avant d’entre dans le four cette femme s’est saisie d’un couteau et elle a circoncis son fils :
« Ce fils que tu m’as donné, Eternel ! Moi je te le rends, Juif ! »
Faisant cela elle sanctifiait le Nom devant les officiers allemands, leurs kapos et leurs chiens.

Rabbi Moshe ben Yitshak Hagerman (photo Yad Vashem)
On se rappelle que les nazis disaient aux juifs en arrivant à Auschwitz : « D’ici on ne sort que par la cheminée ». Le feu des cheminées allemandes eut une répétition générale : le feu des autodafés d’Espagne en 1492 (du portugais « auto da fé » — « acte de foi »). J’ai raconté toute cette histoire en traduisant des documents de l’époque dans mon livre Au temps des buchers.
A l’époque de l’Inquisition, des chrétiens, au nom de leur foi ont donc été brûlés des juifs pour des raisons politiques (il fallait purifier l’Espagne de ses minorités), économiques (il s’agissait de ne pas payer les créanciers de la guerre, au premier rang desquels tous les préteurs juifs à qui l’Eglise n’avait donné de droit d’exercer que ce métier pour vivre, les rabbins Abraham Senior ou Isaac Abravanel, avaient pourtant fait beaucoup pour la Reconquista en récoltant de l’argent pour la couronne d’Espagne), de sécurité d’Etat (Les juifs étaient soit-disant les amis du Grand Turc chef de l’islam qui s’opposait à la Chrétienté d’alors… qui les accueillait à bras ouverts), des raisons religieuses enfin (Pour les chrétiens, les juifs avaient tué D., « tué le Christ », la purification de l’Espagne préparait le soit-disant « deuxième avènement du christ »). En Espagne mais aussi en Italie, des juifs ont donc pratiqué le Kiddoush Hashem. Le spectacle était public et organisé comme une cérémonie religieuse.
Procès d’Inquisition. Photo Olivier Long, Casa de sefarad, Judéria de Cordoue. http://www.casadesefarad.es/
Après des années passées dans des geôles, où le présumé coupable était régulièrement torturé pour lui arracher des aveux, sans qu’on annonce au prévenu les charges portées contre lui commençait le procès d’Inquisition. Un procès uniquement à charge qui visait l’aveu de la pratique du judaïsme en secret. On possède de multiples documents de l’époque qui ont enregistré cela.
Ainsi, à Cordoue, la ville de Maïmonide, où l’inquisiteur Diego Rodriguez Lucero accumule des fausses preuves, arrache des témoignages sous la torture, emprisonne des centaines de personnes et condamne à mort, entre 1504 et 1505, 134 conversos. Il fait passer sur le bûcher une femme qui refuse ses faveurs. Dés 1495, l’inquisiteur Pedro Guiral son prédécesseur impose, de plus, des taxes exorbitantes aux condamnés. Plus de 4 000 personnes périssent à Séville où sévit un moine fanatique, Martinez de Ecija.
Tout cela est parfaitement documenté :
Actes d’accusation , condamnation et pièces juridiques. Photo Olivier Long, Casa de sefarad, Cordoue.
Les condamnés étaient donc menés dans les rues de la ville, pieds-nus, vêtus du sanbénito une sorte de pagne stipulant leur nom et leur condamnation. Ils portaient un chapeau pointu et tenaient un grand cierge à la main. La foule était au spectacle.

Au mieux le condamné était condamné à porter pendant des années le sanbénito, cet habit qui stigmatisait les crypto-juifs (conversos) et les désignait à la vindicte populaire ; au pire ils étaient livrés au bras séculier qui les brûlait sur un bûcher . Ceux qui abjuraient avant le bûcher étaient étranglés avec un lacet puis étaient brûlés avec les autres, qui eux étaient brûlés vifs (ils portaient alors le sanbénito avec des flammes, photo). On entendait le Shema sortir des flammes. Tout cela est parfaitement documenté. Voilà ce qu’est le Kiddoush Hashem.

On rapporte (Roth) l’histoire des moines zélés qui se promenait dans la foule sur le port de Gênes « parmi les squelettes ambulants » et proposaient des miches de pain contre le baptême aux parents et aux enfants affamés. Un chroniqueur de l’époque, je l’ai traduit dans Au temps des buchers, raconte comment les juifs arrivaient dans le port de Gênes après avoir été rançonnés par les passeurs, jetés à l’eau, survivants d’une longue traversée en mer où beaucoup étaient morts, émaciés comme des cadavres vivants, les femmes portant au sein des enfants morts. Le chroniqueur raconte comment certaines se jetaient à l’eau avec leurs enfants de désespoir et comment la peste se déclencha sur la peau des juifs parqués sur le port et ne s’arrêta plus, contaminant toute la ville. Lisez ce livre !
Tous ces antisémites présentaient les juifs comme des personnes congénitalement fourbes et perverses pour mieux projeter sur ces innocents leur cruauté sans limite excitée par ces familles démunies. Comme les nazis, ils se méfiaient de « l’ennemi de l’intérieur ». La très catholique Isabelle de Castille et le Roi Ferdinand d’Aragon étaient le bras armé de l’Eglise et de ces massacres publics organisés au nom de D. Voilà ce qu’est le ‘Hilloul Hashem !
Le Rabbi Rabbi Joseph HaCohen (5256-5337 ; 1496-1577) écrit à l’époque dans son « Emek Habakhah », « la Vallée des Pleurs » :
« Mon D., nous ne t’avons pas oublié, ni trahi ton alliance. Mais à présent, hâte-toi de nous secourir, car c’est pour toi qu’on nous égorge tous les jours et qu’on nous considère comme des brebis destinées à la boucherie. Accours à notre aide, Dieu de notre salut, soutiens notre cause et sauve-nous pour l’amour de ton nom ! »
Cordoue, Rue des juifs, photo OL
Dans son testament poignant rapporté dans Au temps de buchers Anton de Montoro, juif converti et poète qui habitait le quartier juif de Cordoue et a réchappé au pogrom de Cordoue raconte :
« Ils ne reculèrent pas devant les massacres, les vols et l’exil… Parceque notre destruction par le vol, le sang et le feu… Et malgré nos pertes et nos cruelles tribulations, nos injures et bannissements, nous aurions été contents si l’on nous avait pardonné. Car nous voulons payer des impôts, être esclaves et servir, pauvres, malheureux et vifs, mais vivre au moins… Moi le malheureux j’ai été la première victime du forgeron : moi le bon , le sage, je reste mourant de faim, nu, pauvre, malheureux et infirme »
Dans son testament il s’adresse à Isabelle la Catholique :
« J’ai dit le credo, j’ai adoré des marmites pleines de gros lard, j’ai entendu des messes, j’ai prié, j’ai fait le signe de croix et pourtnat je n’ai jamais pu tuer ce visage de juif converti… J’ai compté avec grande dévotion et j’ai prié le chapelet de la Passion… en pensant effacer ma faute, mais je n’ai jamais pu perdre le nom de vieux, de vil, de juif… »
De nombreux juifs ont vécu le Kiddoush Hashem par amour du Nom dans l’histoire et grâce à leur courage sans faille, nous sommes toujours là.
A l’opposé du Kiddoush Hashem se tient le ‘Hilloul Hashem, la profanation du Nom de D.
Le ‘Hilloul Hachem
Le ‘Hilloul Hachem signifie « la profanation du Nom de D.ieu » et recouvre tout ce qui amène, ‘Has véchalom, le mépris du Nom de D. Par exemple, celui qui ment au nom de D. pratique le Hilloul haShem. Le Hilloul Hashem comme le Kiddoush Hashem est exemplaire. L’immoral qui le pratique ne commet pas seulement une faute, il la présente comme un exemple à suivre. Non seulement il bafoue par sa vie l’amour de D. et du prochain mais il nie la possibilité même de la spiritualité. Pas de retour possible donc.
Pour nos Sages, comme la faute de Amalekh qui massacre des femmes et des enfants fuyant l’Egypte laissant leur corps morts sous le soleil comme l’ont fait les misérables nazis, le Hilloul Hashem est inexpiable en cette vie : il faudra faire Téchouva, vivre le jour de Kippour, vivre des souffrances et passer par la mort… Maïmonide le souligne :
Concernant quoi cela [l’ordre d’expiation] est-il dit ? Concernant celui qui n’a pas profané le nom de D. en fautant. Mais une personne qui profane effectivement le Nom de D., même s’il s’est repenti, que Yom Kippour est passé et qu’il est fort de son repentir, et qu’il a subit des souffrances – [néanmoins,] il n’obtient pas d’expiation complète jusqu’à ce qu’il décède. (Maïmonide, Hilkhot Téchouva « Les lois du repentir » 1, 4)
Il reprend en cela la tradition talmudique. Faute Inexpiable donc sauf par son seul antidote : le Kidoush hashem. En diffusant la gloire du Nom on annule sa profanation c’est à dire le mépris de D. :
Rabbénou Ba’hya dit : Le ‘Hilloul Hachem est pire que l’idolâtrie. Cependant, il peut être corrigé en accomplissant un Kiddouch Hachem dans la même situation où un ‘Hilloul Hashem avait été autrefois accompli. « Ne profanez pas Mon saint Nom, afin que Je sois sanctifié au milieu des Enfants d’Israël. » [Vayikra 22, 32] – Le ‘Hilloul Hashem est une transgression très grave. [Par exemple] D. pardonna la faute de servir les idoles, mais pas celle de profaner Son nom, comme le dit le prophète : « Pour vous, Maison d’Israël, que chacun aille donc adorer ses idoles, et vous ne profanerez plus Mon saint Nom » (Yé’hezkel/ Ezékiel 20, 39) … Cependant, nous avons trouvé un moyen de réparer la transgression de ‘Hilloul Hashem en sanctifiant Son nom dans les mêmes circonstances dans lesquelles on l’avait autrefois profané. Et c’est pourquoi les mots « afin que Je sois sanctifié » sont juxtaposés [aux mots « Ne profanez pas Mon saint Nom »]. (TB Vayikra 22, 32)
Le Hilloul Hashem est encore plus fort symboliquement quand il est accompli par une femme ou un homme qui prétend mener les autres souligne le Rambam :
Il y a d’autres choses inclues dans la transgression de ‘Hilloul Hachem lorsqu’il est commis par quelqu’un de grand en Torah et connu pour sa piété, dont les autres parleront négativement. Bien qu’elles ne soient pas des transgressions, il a cependant profané le Nom de D. Voici quelques exemples de cette forme de ‘Hilloul Hachem : celui qui achète quelque chose et ne paye pas immédiatement, bien qu’il ait l’argent, et attend que le vendeur le lui réclame ; ou celui qui se laisse aller à la frivolité ou à manger et boire avec des personnes manquant de raffinement ; ou celui qui parle de manière désagréable aux gens et ne les salue pas de manière plaisante, mais qui est au contraire une personne querelleuse et coléreuse ; etc. Selon sa stature, une personne se doit d’être très exigeante d’elle-même et aller au-delà de la stricte lettre de la loi. (Rambam, Hilkhot Yésodé HaTorah « Lois des fondements de la Torah », 5, 11)
« La Haine de soi et le refus d’être juif » sur le chemin du ‘Hilloul Hashem
La haine de soi ou la honte d’être juif est la porte ouverte au ‘Hilloul Hashem. Celui qui se méprise comme juif et enseigne le mépris de ce que signifie le judaïsme, c’est-à-dire d’être le signe de l’alliance de D. avec Israël au bénéfice de toute l’humanité, le signe de la Gloire divine, est en bonne voie vers le Hilloul haShem.
Il faut relire La Haine de soi : le refus d’être juif (Der jüdische Selbsthaß), de Théodor Lessing écrit en 1930, trois ans avant l’accession d’Hitler au pouvoir et trois ans avant l’assassinat de Lessing le 31 août 1933 à Marienbad par des Allemands des Sudètes, par des sympathisants nazis.
Pour Lessing qui écrit à la veille de la Shoah, l’âme juive a cédé son identité contre le plat de lentilles de la culture européenne. Les juifs ont refusé la mission de Jonas pour devenir banquiers, artistes, metteurs en scène, hommes de théâtre…dans le but de se faire accepter d’une Cité qui ne voulait de toute manière pas d’eux. Dans cette assimilation a péri l’âme juive comme signifiant de la présence de D. en ce monde. Theodor lessing écrit :
« On fait généralement grand cas des bienfaits mutuels pour l’Europe et pour le juif lorsque ce dernier s’est inséré dans la culture du continent. Mais on ne voit pas ou en tout cas on ne dit que très bas le prix qu’il fallut payer pour l’obtention de cette citoyenneté : il fallut trahir les espoirs de nos visionnaires, sacrifier leurs rêves éternels. Aujourd’hui ce ne sont plus nos pieux Sages, mais des juristes et de grands avocats qui dirigent notre peuple. (…) Il eut mieux valu avoir honte de ceux qui ont ainsi dilapidé la richesse de notre peuple. Car ils ne furent peut-être que l’éclat phosphorescent d’un organe en proie au déclin… Ils furent un bref laps de temps au soleil de l’Europe ou notre noblesse s’est brûlée. »
Gustav Mahler, juif assimilé, n’écrivait-il pas à son épouse Alma en découvrant la misère et la crasse des pauvres juifs de l’est (Ostjuden) : « Quand je pense que je suis en famille avec ces gens ! ». La haine de soi est banale. Les juifs assimilés de l’époque de Freud à Vienne, une période violemment antisémite, après mille efforts d’assimilation n’avaient aucune envie d’être assimilés aux misérables à caftans qui débarquaient dans les rues de Vienne, venus de Galicie ou de Russie chassés par les pogroms avaient pratiqué le Kiddoush Hashem.
Ces juifs pouilleux des ghettos, Lessing les avait rencontrés lors de sa visite des communautés juives de Pologne, de Galicie et de Russie. Il s’en fera finalement solidaire jusque dans le Kiddoush Hashem, constatant que la religion universelle de la raison des Lumières censée réunir tous les peuples avait certes fait tomber les murs du ghetto et amélioré le sort des Juifs mais qu’elle avait, dans le même temps, anéanti le judaïsme : « le droit talmudique n’intéressa plus que les érudits et les petits-fils de Moïse Mendelssohn n’étaient plus juifs. » constate-t-il.
Le juif qui, porté par des générations de shomer mitsvot courageux renonce à sa particularité signifiante, perd l’estime de lui-même. Il tente alors de devenir le plus insignifiant possible mais accumule une culpabilité qui va se retourner contre lui et parfois contre tout Israël. Combien les changements de nom dans l’histoire juive, par peur ; Et ce n’est pas facile de s’appeler Lévy dans la cour de récréation ! ont-il produit de psychotiques en seconde ou troisième génération ? ou tout simplement de juifs qui haïssent Israël ? Comment voulez-vous qu’un enfant arrive à vivre si vous ne lui transmettez pas votre nom qui résume toute une identité, une histoire, un patrimoine d’amour ? Mais vaut-il mieux être montré du doigt ou amputé de son patrimoine psychique vital ? Pour les nations, un bon juif c’est un juif qui rase les murs, pas pour celui qui pratique le Kiddoush Hashem.
Emor, « Parle… et dis leur » commence notre Parasha. Rashi commente : « Dis […] tu leur diras » : pour que les adultes en avertissent les enfants (Yevamoth 114a). ». Nous devons prévenir nos enfants.
La culpabilité, la haine de soi-même et le refus d’être juif sont une forme banale sur le chemin du Hilloul Hashem.
« Quiconque donne au pauvre est considéré comme s’il avait construit le Temple »
Notre parasha se termine par les convocations saintes, c’est à dire les fêtes et solennités du judaïsme, Pessah, Chavouot , Soukkot, Kippour… tout ce qui définit l’identité juive comme une sanctification du temps, une signification de la souveraineté de HaKaddosh Barouk Hou, le Saint béni soit-Il, sur ce monde.
« L’Éternel parla ainsi à Moïse: « Parle aux enfants d’Israël et dis-leur les solennités de l’Éternel, que vous devez célébrer comme convocations saintes. Les voici, mes solennités :… Voici les solennités de l’Éternel, convocations saintes, que vous célébrerez en leur saison…. Le premier jour, il y aura pour vous convocation sainte: vous ne ferez aucune œuvre servile. » (Lv 23, 1. 4)
Une curieuse mitsva est introduite au milieu de la discussion sur les fêtes. En effet, celles-ci sont comprises à partir de la moisson, du grain et du pain : les pains azymes de Pessah (Lv 23, 6), les prémices de la moisson offerts (Lv 23, 10), les pains de balancement (Lv 23, 17. 20), les pains de proposition du Temple (Lv 24, 9)… Cette mitsva est la suivante :
« Et quand vous ferez la moisson dans votre pays, tu laisseras la tienne inachevée au bout de ton champ, et tu ne ramasseras point les glanes de ta moisson. Abandonne-les au pauvre et à l’étranger: je suis l’Éternel votre Dieu. » » (Lv 23, 22).
Que fait-elle là ?
C’est Rachi qui nous en donne la clé :
« Et quand vous moissonnez Cette prescription est répétée ici une seconde fois (après supra 19, 9) pour faire de sa transgression une double infraction. Rabi Avdimi fils de Rabi Yossef a enseigné : Pour quelle raison le texte l’a-t-il insérée au milieu des fêtes, Pessa‘h et Chavou‘oth d’un côté, Roch hachana, Yom Kippour et Soukoth de l’autre ? Pour t’apprendre que quiconque donne au pauvre, comme il convient, lèqet, chikh‘ha et péa est considéré comme s’il avait construit le Temple et comme s’il y avait présenté des offrandes ».
On le voit la sainteté dont il est question ici, le Kiddoush ou le ‘Hilloul n’est pas de l’ordre du sacré païen et de ses fastes et processions qui éblouissent le chaland mais un comportement éthique qui trahit la contagieuse disposition intime de l’âme. Rien ne sert de célébrer les fêtes si cela ne correspond pas à un comportement, un travail d’éthique et de justice sociale, dont les mitsvot sont le sens profond.
« Quiconque donne au pauvre est considéré comme s’il avait construit le Temple. », al kiddoush Hachem.
[1] Dans l’exégèse des Hakhamim le mot « Accomplir », a plusieurs profondeurs de sens :
– « Accomplir » c’est d’abord découvrir par le midrash des Sages l’interprétation autorisée des Ecritures ;
– « Accomplir », c’est aussi agir conformément au sens des Ecritures découvert par le midrash des Sages ;
– « Accomplir », c’est enfin réaliser les promesses de la Torah et des Prophètes. La Tradition rabbinique n’envisage ce troisième niveau d’accomplissement que sur la base des deux autres, celui de l’exégèse et celui de l’action.