Amsterdam la juive : Anne Frank, un destin juif

A cet égard, l’effondrement moral total de la société respectable sous le régime de Hitler peut nous enseigner qu’en de telles circonstances ceux-qui chérissent les valeurs et tiennent fermement aux normes et aux standards moraux peuvent changer en une nuit… et qu’il ne restera plus que la simple habitude de tenir fermement à quelque chose. Bien plus fiables sont ceux qui doutent et sont sceptiques, non parce que le scepticisme est bon ou le doute salutaire mais parce qu’ils servent à examiner les choses et à se former un avis. Les meilleurs de tous sont ceux qui savent seulement une chose : que quoi qu’il se passe, tant que nous vivrons, nous aurons à vivre avec nous-mêmes.
Hanna Arendt, Responsabilité personnelle et régime dictatorial, 1964.

On se rappelle que pour Hanna Arendt, continuer à penser par soi-même, c’est-à-dire pouvoir s’interroger sur soi et sur ses actes, sur la norme du bien et du mal, est la condition pour ne pas sombrer dans la « banalité du mal » qu’elle décrit.
Penser par soi-même, vivre avec soi-même, voilà ce dont témoignent les réflexions d’une fillette de 13 ans, Anne Frank.

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Heureux comme un juif à Amsterdam

La Hollande a été le lieu de refuge de nombreux marranes et juifs « portugais » comme ils s’appellent eux-mêmes issus de la péninsule ibériques depuis les expulsions d’Espagne et du Portugal dès 1590.

«Et Israël habitera en sécurité» (Deutéronome 33, 28)  imprime Manassé ben Israël (1604-1657) dans le premier livre hébreu (un sidour) qui sortira de son imprimerie en 1627. Cette citation donne le ton de la situation des Juifs aux Pays-Bas durant les trois siècles suivants. Celle d’un abri paisible.

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Témoins de l’Holocauste

Mémorial de la Shoah, jeudi soir dernier
Mémorial de la Shoah, jeudi soir dernier

De nombreux récits nous sont parvenus du coeur de l’Holocauste. Quelques uns m’ont particulièrement touché. L’un est un rouleau enterré au pied d’un crématoire par le  sonderkommando Zalman Gradowski; un autre celui d’un policier juif qui a amené sa femme et sa petite fille au train : Calel Perechodnik. Celui de Chil Rajman décrit Treblinka et la destruction de son peuple. Enfin le pojet Oneg Shabbos d’historiens du ghetto de Varsovie qui ont choisi de documenter leur vie avant d’enfermer ces archives dans des bidons à lait enterrés montre le travail patient et minutieux d’un groupe d’historiens soucieux de faire vivre un monde dont il savait qu’il était en train d’être englouti. 
Une volonté réunit des écrivains : l’écriture était pour ces gens qui savaient qu’ils allaient mourir la seule manière de survivre, de transmettre un monde bientôt disparu, celui du judaïsme ashkénaze de la mitteleuropa. 
Je me permet de les partager avec vous en ce jour de Yom haShoah. L’Holocauste reste un trou noir au fond de l’âme européenne. il faut lire ces lignes fivéreuses et hallucinées d’hommes qui les ont laissées pour qu’on ne les oublie pas.

Du point de vue historique il faut lire ou relire Raul Hilberg : La destruction des juifs d’Europe, Saul Friedlander : Les années de persécution / Les années d’extermination, Annette Wieviorka : Déportation et génocide et l’ère du témoin . Sans oublier le documentaire Shoah de Lanzmann.

Zalmen Gradowski
Le récit de Zalmen Gradowski, un Sonderkommando, a été déterré près du crématoire III de Birkenau, à l’intérieur d’une gourde allemande en aluminium fermée par un bouchon en métal, un carnet de 14,5 x 9,5. Publié sous le titre Au cœur de l’enfer c’est le plus poignant. Il commence ainsi :

« Cher lecteur…
Je dédie ces lignes à ton intention, que tu puisses apprendre au moins en partie comment et de quelle atroce manière ont été exterminés les enfants de notre peuple. Et que tu réclames vengeance pour eux, et pour nous, car qui sait si nous, qui avons dans nos mains les preuves factuelles de toutes ces atrocités nous pourrons survivre jusqu’à l’heure de la libération. C’est pourquoi je veux par mon écriture éveiller en toi un sentiment, semer une étincelle de vengeance, et qu’elle s’embrase, enflamme tous les cœurs, et que soient noyés dans des océans de sang ceux qui ont fait de mon peuple une mer de sang. »

Tout le texte, celui d’un prophète, montre cette volonté d’accumuler des preuves de la barbarie nazie qui se déchaîne, de résister à l’effacement de la mémoire, celle de ses proches qu’il cite avec leur date de mort et la volonté qu’on publie sa photo avec sa femme.

Zalmen et Sonia-Sarah Gradowski
Zalmen et Sonia-Sarah Gradowski

Il faisait partie du Sonderkommando, ces « équipes spéciales » qui assuraient le fonctionnement des chambres à gaz et des crématoires d’Auschwitz-Birkenau, ces juifs chargés d’aider les SS à faire entrer leur propre peuple dans les locaux de déshabillage et de gazage.
Seule lune veille encore sur lui : « Que ton unique rayon, que ton cierge de deuil luise à jamais sur la tombe de mon peuple. Que ce soit la flamme du souvenir que toi seule peut allumer pour lui. ». Des pages magnifiques écrites comme une meguila d’Esther.

« Alors, je courais là-bas, vers ce rivage, vers ce coin où se tenaient avec une sainte piété quelques dizaines de juifs en prière, et là je puisais cette lumière, je captais cette étincelle avec laquelle je pouvais m’enfuir dans ma chambrée. Et à sa chaleur fondait le gel qui glaçait mon cœur… J’avais alors un joyeux shabbat. J’étais emporté sur les vagues de mes années disparues, et lorsque je revenais au rivage, à mon shabbat d’aujourd’hui, mon cœur fondait en larmes. J’étais comblé, j’avais un Shabbat de pleurs »

Trés religieux, Gradowski sera l’un des chefs de la résistance au sein du Sonderkommando, il a probablement été tué durant la révolte du Sonderkommando en octobre 1944 ou peu avant. Un crématoires est alors dynamités et une petite troupe de quelques centaines de révoltés, pauvrement armée, se bat contre des milliers de SS en armes et de chiens hurlant qui finissent par les massacrer. Les dernières lignes de Salman Gradowski datent du 6 septembre 1944.
Il ne sera édité en yiddish et en Israël qu’en 1977. Lire la suite de « Témoins de l’Holocauste »

La Sidra de TSAV, « prescris », 12 Nissan 5773

Torah

Un commentaire de la paracha du dernier Shabbat (à lire ici) par le Rav Haïm Harboun.

La Sidra de Tsav tombe cette année juste avant Pessah. Le chabbath qui précède la fête de Pessah est appelé Chabbath Hagadol, « le  Grand Chabbath » ; Pourquoi ?  Si c’était le chabbath lui-même qui est grand on aurait dû dire Chabbath Haguédola au féminin puisque le mot « chabbath » est du genre féminin. Mais en fait, Chabbath Hagadol est la contraction de « Chabbath Ness Hagadol », le « chabbath du grand miracle ». Ce qui est grand en vérité, c’est donc le miracle qui s’est produit le chabbath avant Pessah. Après plus d’un siècle d’esclavage en Egypte, dans un pays alors animiste où on adorait des animaux, les Hébreux ont eu le courage d’immoler dans chaque famille un agneau et de badigeonner les linteaux de leurs maisons avec son sang. Or l’agneau était un des dieux égyptiens. Cet acte était une véritable provocation, une révolte d’esclaves dont l’issue ne pouvait que se solder par un massacre exemplaire dans l’antiquité. Ceci prouve que l’esclavage, n’a pas modelé la mentalité des Hébreux, Ces derniers ont trouvé en eux le ressort pour réagir. Ils ont provoqué la fureur des Egyptiens… qui sont restés complètement passifs. Voilà le vrai « grand miracle ».

La sidra précédente, celle de Vayikra, traitait des sacrifices à l’attention des cohanim, par contre la Sidra de Tsav traite du même sujet mais à l’intention du peuple d’Israël. Tout ce qui traite des sacrifices, surtout dans notre civilisation actuelle, donne le sentiment qu’il s’agit d’une véritable boucherie. Quelle différence y a –t-il entre le temple et un abattoir ? En vérité, il y a une grande différence, car tout  dépend de l’intention de la personne qui offre le sacrifice et  du regard qu’on porte à une action. Tout dans ce bas monde est profane. Le judaïsme précise que le but du Juif est de faire passer le profane au stade du sacré. Ainsi, on peut manger comme un animal parce qu’on a faim. Mais pour le Judaïsme, manger est un acte sacré. La table sur laquelle on mange a la même fonction que l’autel sur lequel on procède aux sacrifices. La doctrine juive fait d’un repas un véritable acte spirituel. Par conséquent tout dépend de la finalité d’un acte. Celui-ci doit prendre une signification noble. C’est l’objet de la sidra de Tsav quand elle parle du grand prêtre, des habits des cohanim ou de l’Holocauste (‘Ola).

Le grand-prêtre, homme de parole et le « sacrifice des lèvres »
Un homme ayant des problèmes d’ordre psychologique peut mettre en danger, par son comportement, l’équilibre de la société. C’est pourquoi toute personne culpabilisée par une action fautive avait la possibilité de venir au Temple avec un sacrifice et faire état de tout ce qui est la cause de son désarroi. Le Cohen l’écoute attentivement, prend le sacrifice et apporte le calme et la sérénité à cet homme en état de mal être. Le temple, ou plus précisément son sanctuaire, était donc un lieu qui permettait à l’homme troublé de revenir directement à la spiritualité et au calme psychique. Comment cela se passait-il ?

La paracha de Tsav est la seconde partie de celle de Vayikra. Nous avions alors remarqué qu’il était étrange que « Celui que les cieux ne peuvent contenir » se tienne sur un petit michkane si restreint. Mais mieux encore nous avions remarqué que la voix de D., cette voix dont le psaume 29 que nous chantons après avoir proclamé et commenté la Torah, alors que nous rapportons le rouleau de la Loi dans l’arche, cette voix qui « retentit sur les eaux, le Dieu de gloire tonne »… qui « brise les cèdres, c’est l’Eternel qui met en pièces les cèdres du Liban », « qui  fait trembler le désert de Kadêch » et même « enfanter les biches »…, Et bien cette voix puissante que Moïse entendait n’était pas audible en dehors de la tente pour le peuple… Rachi s’en étonne : « Depuis la tente d’assignation, cela nous apprend que la voix s’arrêtait et qu’elle ne se manifestait pas hors de la tente. J’aurais pu penser qu’il en fût ainsi parce qu’elle était trop basse. Aussi est-il écrit : « “la” voix » (Nombres 7, 89). De quelle voix s’agit-il ? De celle dont il est question dans le livre des psaumes: « “La voix” de Hachem éclate dans la force, “la voix” de Hachem éclate avec majesté, “la voix” de Hachem brise les cèdres » (Tehilim 29, 4). Dans ce cas, pourquoi est-il précisé : « depuis la tente d’assignation ?»  Pour nous apprendre que la voix s’arrêtait. Il en est de même dans : « Et le bruit des ailes des chérubins s’entend jusqu’à la cour extérieure » (Ye‘hezqèl 10, 5). J’aurais pu penser qu’il en fût ainsi parce qu’elle était trop basse. Aussi est-il écrit : « Comme la voix de Qél Chaddaï quand Il parle » (ibid.). Dans ce cas, pourquoi est-il précisé : « jusqu’à la cour extérieure » ? Parce que, dès qu’elle y parvenait, elle s’arrêtait. »

Rachi : le Maître de Troyes qui voulait seulement établir le premier sens de l’Ecriture, après avoir, un jour entendu un père donner une mauvaise traduction à son fils, alors qu’il entrait dans la synagogue ; Rachi, toujours soucieux de précision n’en reste pas là et il commente :

« Il appela Mochè. La voix se propageait et atteignait ses oreilles, et nul en Israël ne l’entendait. ». Rachi en tire la conclusion  « J’aurais pu penser qu’il y eût eu un appel également pour signaler les interruptions dans le discours. Aussi est-il écrit : « lui parla », ce qui veut dire qu’il y a eu un « appel » lors de la prise de parole, et non pour les interruptions. Et à quoi les interruptions ont-elles servi ? À donner à Mochè le temps de réfléchir entre un paragraphe et le suivant et entre un sujet et l’autre. À plus forte raison un simple être humain en a-t-il besoin lorsqu’il étudie auprès d’un de ses semblables». Lire la suite de « La Sidra de TSAV, « prescris », 12 Nissan 5773 »

« Comment peut-on vivre si on ne fait jamais confiance à personne ? »

Gérard Haddad : Lumière des astres éteints, la psychanalyse face aux camps, Grasset, 2011. 

Tous les genres littéraires ont témoigné des camps de concentration nazis: des ‘rouleaux sacrés’ exhumés de la terre au pied des cheminées d’Auschwitz du sonderkommando Zalman Gradowski (publiés sous le titre : Au cœur de l’enfer), au témoignage de Primo Levi et des orphelins des disparus recueillis par Claudine Vegh dans Je ne lui ai pas dit au revoir. Les historiens ont précisément documenté l’Holocauste : La destruction des Juifs d’Europe de Raul Hilberg et les deux tomes de L’Allemagne nazie et les Juifs de Saul Friedlander. Dans Le coeur conscient, Bettelheim racontait comment la psychanalyse lui avait inspiré des stratégies pour survivre et sauver sa propre raison à travers Dachau et Buchenwald. La parole de ceux que l’industrie de la mort nazie avait voulu anéantir continue de parler un demi-siècle plus tard. La production littéraire et artistique sans cesse renouvelée témoigne de la lumière noire des camps, ces astres éteints qui continuent de bruler nous dit Gérard Haddad.

Mais le livre de Gérard Haddad franchit une nouvelle étape de cette écriture, une forme de récit originale : à partir de sa pratique clinique, Haddad analyse la mutation irréversible produite par l’expérience des camps dans la conscience occidentale.

Car la mémoire du camp résonne dans le cabinet du psychanalyste : une femme raconte une histoire fausse sur un père et une mère imaginaires et finit par s’avouer la réalité : la honte infinie qui la traverse d’avoir vu sa mère mourir sous ses yeux à quatre ans dans le camp, elle n’arrive littéralement pas à en « fermer les yeux » ; un autre vit dans l’hypermnésie du camp à en compter les herbes et les pierres des décennies plus tard ; « Comment peut-on vivre si on ne fait jamais confiance à personne ?» répète Tzipi, un mantra qu’elle oppose au conseil mortifère de son père fruit de son expérience du camp : «  N’aies jamais confiance en personne, chacun ne cherche qu’à profiter des autres, à les rouler !». Tzipi, comme Primo Levi finira par se jeter dans le vide. Lire la suite de « « Comment peut-on vivre si on ne fait jamais confiance à personne ? » »