A l’occasion de la « Journée Européenne de la Culture Juive » l’association qui fait vivre la synagogue de Délémont m’a contacté pour faire une conférence sur le Shabbat. Je m’y suis rendu avec mon ami Gérard Haddad avec qui nous avons écrit Tu sanctifieras le jour du repos (Salvator 2014) pour ouvrir la synagogue et donner une conférence sur le Shabbat.
Delémont
D’autres synagogues en Suisse à Bâle, Bern, Delémont, Endingen-Lengnau, Genève, La Chaux-de-Fonds, Lausanne, Zürich ont participées à cette journée.
On arrive à Delémont par Bale en suivant une route sinueuse. La petite ville est la chef-lieu du canton du Jura suisse, à mi-chemin entre Bâle et Bienne dans le nord-ouest de la Suisse. Cette région s’est constituée comme canton autonome doté d’une constitution et surtout faisant du français leur langue maternelle suite à une longue lutte et une votation en 1974.
La communauté juive de Delémont s’est constituée par l’arrivée, au XIXe siècle, de fidèles provenant de petites communes alsaciennes : Hegenheim, Hagenthal-le-Bas, Hagenthal-le-Haut, Durmenach et Seppois-le-Bas … Le premier israélite à bénéficier d’un permis d’établissement à Delémont, originaire de Hagenthal-le-Haut, la famille Schoppig y fera souche et s’y maintiendra pendant un siècle et demi. En 1850 la ville de Delémont compte 36 juifs. Dès cette date leur nombre va en augmentant ; ils fondent une communauté cultuelle dont la première mention remonte à 1872 qui tient ses offices religieux à l’Orangerie du Château de Delémont.
La synagogue, conçue d’après les plans d’un architecte de Mulhouse, Arthur Roos, est inaugurée le 20 septembre 1911.
A ce moment-là la communauté israélite delémontaine compte 85 membres. Ils sont colporteurs, commerçants. Mais l’activité économique des juifs de Delémont et de leurs descendants qui a le plus marqué la vie jurassienne, comme dans le Sundgau (sud de l’Alsace) est le commerce du bétail. Déjà avant le XIXe siècle, les marchands de bestiaux alsaciens étendaient leur rayon d’action jusqu’au Jura Suisse.
Malheureusement, en 1990, la communauté israélite de Delémont ne compte plus que 7 membres, 2 hommes et 5 femmes veuves. Le dernier culte célébré en la synagogue a eu lieu en 1970 et depuis, faute de trouver les 10 hommes nécessaires pour tenir un office, la synagogue reste vide.
Cependant une fondation ainsi que l’Association des Amis de la Synagogue qui nous a invité présidée par Marianne Studer (à gauche sur la photo ci-dessous), entretiennent de leur mieux, vu les maigres moyens dont ils disposent, les locaux.
Ils s’occupent de la restauration du premier corbillard de 1830…
… et bâtissent l’unique genizah [1] de Suisse.
Ce fut un plaisir de partager tout cela avec des descendants des membres de la communauté et les Amis de la Synagogue.
Merci à tous pour cette journée magnifique !
[1] Le terme araméen genizah (de GNZ, « cacher », « être précieux ») désigne une salle, attenante à la synagogue, destinée à recevoir les manuscrits de la Loi devenus inutilisables par l’usure de l’âge ou la manipulation cultuelle : tenus pour sacrés, car ils contiennent le nom divin, ils ne doivent être ni détruits ni profanés.
Profitant d’un voyage à la recherche de racines familiales dans le Val d’argent (à Sainte-Marie aux Mines, Lièpvre, Rombach le Franc –voir carte plus bas ) et de l’ouverture d’une synagogue à Delémont dans le Jura Suisse, je me suis mis en route en me demandant ce qu’étaient devenus les juifs de cette région.
Le judaïsme alsacien est un monde aujourd’hui presque disparu. Mais à la fin de l’Ancien Régime, les juifs d’Alsace représentaient la moitié des juifs de France, vingt mille personnes environ quelques 3% de la population française (624 000 habitants). L’interdiction de séjour à Strasbourg, Colmar de la Bâle avait repoussé les juifs dans les villages de la campagne dans cent soixante des mille villages alsaciens.
Les juifs sont probablement arrivés en Alsace avec les légions romaines. On sait que quelques villages des vallées de Sainte-Marie aux Mines et de Villé (voir carte ) sont peuplés de descendants de ces mêmes légions. (source ).
Sainte-Marie aux Mines
Les juifs de Ribeauvillé apparaissent dans les documents quand Jean de Ribeaupierre leur extorque quatre cents marcs d’argent le 26 mars 1331 pour Louis IV de Bavière empereur d’Allemagne. Ce Jean de Ribeaupierre vivait dans le château de Saint-Ulrich (ou Grand Ribeaupierre) qui domine le village de Ribeauvillé et toute la plaine d’Alsace.
En 1338, les seigneurs de Ribeaupierre firent tuer la plupart des Juifs de Ribeauvillé afin de s’emparer de leurs biens. Par le mémorial de Nuremberg nous savons que des juifs furent encore massacrés à Ribeauvillé en 1348-1349 au moment de la grande peste noire qu’on leur attribua. Puis en 1397, où on les accusa de nouveau d’avoir empoisonné les puits.
Grâce au traité de Westphalie en 1648 qui donne l’Alsace à la France, els juifs se répandent dans tous les villages d’Alsace. Lors du recensement général de 1784, il y avait des Juifs dans 186 localités d’Alsace.
HAUTE ALSACE
Blotzheim
126 âmes
Marc Hemmendinger
Bollwiller
199 âmes
Elie Blum
Hégenheim
409 âmes
Samuel Bloch
Niederhagenthal
356 âmes
Hirsch Low
Oberhagenthal
271 âmes
Seeligmann Riss
Ribeauvillé
286 âmes
Susel Moyses Enusch
Rixheim
203 âmes
Jacob Meyer
Sierentz
217 âmes
Joseph Meyer
Turckheim
(42 âmes)?
Hirsch Lévy (commis rabbin)
Uffholtz
256 âmes
Moyses Wurmser (commis rabbin)
BASSE ALSACE
Balbronn
170 âmes
Zakiel Levy
Bischheim
473 âmes
David Zinzheim
Abraham Auerbach
Mathieu Cahen
Raphaël Samuel
Bouxwiller
297 âmes
Wolf Jacob Reichshoffer
Lob Hamburg (substitut rabbin)
On compte à Ribeauvillé 4 ménages en 1658, treize en 1697, vingt-trois en 1705, cinquante-huit en 1784 (source). Au XVIIIe siècle, Ribeauvillé devient le siège du rabbinat d’Alsace. Les rapports entre communautés d’Alsace étaient relativement fréquents et les rencontres se faisaient à l’occasion des fêtes religieuses, et les jours de marché et de foire. En 1819, le Préfet invite le Maire de Ribeauvillé à prendre, sur le champ, des dispositions pour empêcher « qu’il ne soit fait aucune insulte aux individus professant le culte judaïque… ».
Ribeauvillé
La synagogue actuelle, a été construite entre 1830 et 1840 sur l’emplacement de l’ancienne.
Je m’empressais de m’y rendre et y découvris ! ô surprise ! son aménagement en cinéma…
Pour trouver le cimetière israélite de cette région de Sainte Marie aux Mines, Ribeauvillé, Bergheim, Dambach depuis 4 siècles… il faut se rendre à la ville de Sélestat à 20 minutes de Ribeauvillé par l’autoroute, traverser la ville aux multiples feux et ronds-points, sortir de la ville par une large avenue entourée d’une cité et d’un lotissement des années 30 aux petite maisons colorées dont beaucoup sont à vendre ; demander son chemin : « Le cimetière israélite ? Connais pas !… » « Ah oui, traversez le pont et à gauche, c’est loin, loin, loin dans les champs, continuez et vous le verrez ».
En plein champs, coincé entre une sorte de ferme qui ressemble à une casse où des chiens hurlent derrière des grilles et la ligne de TGV qui rompt régulièrement la paix du lieu de son vrombissement affairé on trouve le cimetière israélite. « Il les a emmené dans un tohu (on traduit improprement « désert ») où hurle la solitude » dit la Bible. Vous y êtes.
Le cimetière a été créé vers 1622 à l’initiative des prévôts des juifs des communautés de Bergheim, Ribeauvillé et Dambach-la-Ville. Il est aujourd’hui trés bien entretenu par la hevra quadisha de la communauté de Sélestat. On y découvre de multiples tombes des juifs de Ribeauvillé, Bisheim, du val d’argent. Les limites du cimetière étaient marquées autrefois par des bornes portant les lettres hébraïques Bet et Ain, pour Bet Olam, « Maison de l’Éternité ». Les défunts juifs de Ribeauvillé sont ici.
Il ne reste presque plus rien aujourd’hui de ce judaïsme assez pauvre des campagnes et des villages d’Alsace. Il formait un seul bloc avec le judaïsme de l’autre coté du Rhin jusqu’à Worms, Mayence et Berne en Suisse. Parlant le Yiddish et le judéo-alsacien. Ce judaïsme alsacien des campagnes a été décimé par l’assimilation, les conversions au christianisme –véritables visas de survie au XIXème siècle, l’exil à l’invasion allemande en 1870 pour beaucoup … un judaïsme définitivement effacé par l’Holocauste.
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En ces temps de visite des cimetières à l’approche de Rosh Ha-shana, il est bon d’évoquer la mémoire de ces noms et de les porter dans nos coeurs.
La Torah est pleine de longues généalogies. Je repense souvent à cette réflexion de Rashi quand il commente le début du Livre des Nombres alors que D. demance : « Faites le relevé de toute la communauté des enfants d’Israël… ». Rashi se demande pourquoi Dieu les compte et il répond cette phrase magnifique:
C’est l’amour qu’Il leur porte qui L’incite à les compter à tout moment : Il les a comptés lorsqu’ils sont sortis d’Égypte, et de nouveau après la faute du veau d’or afin de connaître le nombre de survivants (Shemoth 38, 26), et encore une fois lorsqu’Il est venu pour faire résider sa Shekhina sur eux. C’est le 1er nissan qu’a été érigé le tabernacle (Shemoth 40, 17), et Il les a comptés le 1er iyar.
Puissions nos noms être inscrits sur le Livre de Vie alors qu’approche Rosh Hashana, jour du jugement.
« Barou’h ata Hachem, Elokénou méle’h haolam dayan haèmèt »
Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi de l’univers, juge de vérité.
J’ai été appelé en Suisse pour ouvrir une Synagogue de campagne ce dimanche après-midi et donner une conférence à Délémont en Suisse avec mon ami Gérard Haddad à propos de notre livre « Tu sanctifieras le jour du repos », et surtout rouvrir la synagogue, à l’occasion de la Journée européenne du patrimoine juif. Bonne occasion pour faire le point sur ce que l’Europe a fait de ses juifs. Première visite prés de Bâle-Mulhouse à Hégenheim, en ce temps où l’on visite la maison des vivants.
Etrange impression pour celui qui visite la nécropole de 10.000 stèles, dispersées sur une superficie totale de 2 hectares à Hégenheim, prés de l’aéroport de Bâle-Mulhouse. celui-ci traverse un cimetière créé il y a trois siècles. L’impression d’un monde endormi où la nature reprend ses droits. Monde étrange. Toutes les tombes sont tournées vers Jérusalem.
La rivière du Lertzbach en contrebas servait d’eau de purification et de toilette du défunt.
L’impression que l’Europe a perdu ses juifs. Ils étaient des milliers en Alsace là depuis la conquête romaine. De ces juifs des bords du Rhin qui remplissaient toute la MittleEuropa, que reste-t-il ? Où sont-ils après les pogroms de 1848 et après l’Holocauste ?
Les archives de Bâle mentionnent les juifs du Sundgau dès 1290, et celles de Colmar à partir de 1392. Au XIVème siècle alors que sévit la peste en Europe on accusa les juifs d’avoir empoisonné les puits. Presque la totalité des communautés européennes citadines, comme Bâle, Colmar, Strasbourg, Sélestat, Nurnberg, Freiburg, Speyer, Worms, Mainz etc… fut massacrée ou brulée. Hégenheim fut aussi le lieu de sépulture des juifs de Suisse, jusqu’en 1903.
En amont du Rosenberg, au numéro 4 de la rue d’Alsace, se situe la synagogue de Hégenheim . Elle est caractérisée par un style classique, propre aux synagogues de l’Alsace rurale du XIXème siècle. La vieille synagogue du village, une des plus grandes d’Alsace, ce fameux Sundgau où s’épanouissait la vie juive, est vide et à l’abandon.
On ne raie pas impunément les peuples et les vies de la carte sans laisser de profondes traces et séquelles psychiques sur des générations, d’autant plus létales qu’elles sont profondes. Il existe une mémoire qui traverse les ages et dont nul d’entre nous ne peut se soustraire. C’est seulement un enjeu de civilisation.
Et si c’était cela l’âme et l’avenir de l’Europe ? Au fond, quelles leçons avons nous apprises du passé ?