Profitant d’un voyage à la recherche de racines familiales dans le Val d’argent (à Sainte-Marie aux Mines, Lièpvre, Rombach le Franc –voir carte plus bas ) et de l’ouverture d’une synagogue à Delémont dans le Jura Suisse, je me suis mis en route en me demandant ce qu’étaient devenus les juifs de cette région.
Le judaïsme alsacien est un monde aujourd’hui presque disparu. Mais à la fin de l’Ancien Régime, les juifs d’Alsace représentaient la moitié des juifs de France, vingt mille personnes environ quelques 3% de la population française (624 000 habitants). L’interdiction de séjour à Strasbourg, Colmar de la Bâle avait repoussé les juifs dans les villages de la campagne dans cent soixante des mille villages alsaciens.
Les juifs sont probablement arrivés en Alsace avec les légions romaines. On sait que quelques villages des vallées de Sainte-Marie aux Mines et de Villé (voir carte ) sont peuplés de descendants de ces mêmes légions. (source ).

Les juifs de Ribeauvillé apparaissent dans les documents quand Jean de Ribeaupierre leur extorque quatre cents marcs d’argent le 26 mars 1331 pour Louis IV de Bavière empereur d’Allemagne. Ce Jean de Ribeaupierre vivait dans le château de Saint-Ulrich (ou Grand Ribeaupierre) qui domine le village de Ribeauvillé et toute la plaine d’Alsace.
En 1338, les seigneurs de Ribeaupierre firent tuer la plupart des Juifs de Ribeauvillé afin de s’emparer de leurs biens. Par le mémorial de Nuremberg nous savons que des juifs furent encore massacrés à Ribeauvillé en 1348-1349 au moment de la grande peste noire qu’on leur attribua. Puis en 1397, où on les accusa de nouveau d’avoir empoisonné les puits.
Grâce au traité de Westphalie en 1648 qui donne l’Alsace à la France, els juifs se répandent dans tous les villages d’Alsace. Lors du recensement général de 1784, il y avait des Juifs dans 186 localités d’Alsace.
HAUTE ALSACE | ||
Blotzheim | 126 âmes | Marc Hemmendinger |
Bollwiller | 199 âmes | Elie Blum |
Hégenheim | 409 âmes | Samuel Bloch |
Niederhagenthal | 356 âmes | Hirsch Low |
Oberhagenthal | 271 âmes | Seeligmann Riss |
Ribeauvillé | 286 âmes | Susel Moyses Enusch |
Rixheim | 203 âmes | Jacob Meyer |
Sierentz | 217 âmes | Joseph Meyer |
Turckheim | (42 âmes)? | Hirsch Lévy (commis rabbin) |
Uffholtz | 256 âmes | Moyses Wurmser (commis rabbin) |
BASSE ALSACE | ||
Balbronn | 170 âmes | Zakiel Levy |
Bischheim | 473 âmes | David Zinzheim Abraham Auerbach Mathieu Cahen Raphaël Samuel |
Bouxwiller | 297 âmes | Wolf Jacob Reichshoffer Lob Hamburg (substitut rabbin) |
Fégersheim | 175 âmes | Samuel Hemmendinger |
Haguenau | 325 âmes | Jacob Gugenheim |
Marmoutier | 299 âmes | Menle Wormser (substitut rabbin) |
Mutzig | 307 âmes | Simon Horschheim (commis rabbin) |
Niedernai | 178 âmes | Benjamin Hemmendinger |
Romanswiller | 206 âmes | Isaac Schmulen |
Rosheim | 268 âmes | Marx Cahen Mathias Weyl Baruch (commis rabbin) |
Saverne | 100 âmes | Samuel Kahn (substitut rabbin) |
Scharrachbergheim | 108 âmes | Moyses Meyer |
On compte à Ribeauvillé 4 ménages en 1658, treize en 1697, vingt-trois en 1705, cinquante-huit en 1784 (source). Au XVIIIe siècle, Ribeauvillé devient le siège du rabbinat d’Alsace. Les rapports entre communautés d’Alsace étaient relativement fréquents et les rencontres se faisaient à l’occasion des fêtes religieuses, et les jours de marché et de foire. En 1819, le Préfet invite le Maire de Ribeauvillé à prendre, sur le champ, des dispositions pour empêcher « qu’il ne soit fait aucune insulte aux individus professant le culte judaïque… ».

La synagogue actuelle, a été construite entre 1830 et 1840 sur l’emplacement de l’ancienne.
Je m’empressais de m’y rendre et y découvris ! ô surprise ! son aménagement en cinéma…
Pour trouver le cimetière israélite de cette région de Sainte Marie aux Mines, Ribeauvillé, Bergheim, Dambach depuis 4 siècles… il faut se rendre à la ville de Sélestat à 20 minutes de Ribeauvillé par l’autoroute, traverser la ville aux multiples feux et ronds-points, sortir de la ville par une large avenue entourée d’une cité et d’un lotissement des années 30 aux petite maisons colorées dont beaucoup sont à vendre ; demander son chemin : « Le cimetière israélite ? Connais pas !… » « Ah oui, traversez le pont et à gauche, c’est loin, loin, loin dans les champs, continuez et vous le verrez ».
En plein champs, coincé entre une sorte de ferme qui ressemble à une casse où des chiens hurlent derrière des grilles et la ligne de TGV qui rompt régulièrement la paix du lieu de son vrombissement affairé on trouve le cimetière israélite. « Il les a emmené dans un tohu (on traduit improprement « désert ») où hurle la solitude » dit la Bible. Vous y êtes.
Le cimetière a été créé vers 1622 à l’initiative des prévôts des juifs des communautés de Bergheim, Ribeauvillé et Dambach-la-Ville. Il est aujourd’hui trés bien entretenu par la hevra quadisha de la communauté de Sélestat. On y découvre de multiples tombes des juifs de Ribeauvillé, Bisheim, du val d’argent. Les limites du cimetière étaient marquées autrefois par des bornes portant les lettres hébraïques Bet et Ain, pour Bet Olam, « Maison de l’Éternité ». Les défunts juifs de Ribeauvillé sont ici.
Il ne reste presque plus rien aujourd’hui de ce judaïsme assez pauvre des campagnes et des villages d’Alsace. Il formait un seul bloc avec le judaïsme de l’autre coté du Rhin jusqu’à Worms, Mayence et Berne en Suisse. Parlant le Yiddish et le judéo-alsacien. Ce judaïsme alsacien des campagnes a été décimé par l’assimilation, les conversions au christianisme –véritables visas de survie au XIXème siècle, l’exil à l’invasion allemande en 1870 pour beaucoup … un judaïsme définitivement effacé par l’Holocauste.
En ces temps de visite des cimetières à l’approche de Rosh Ha-shana, il est bon d’évoquer la mémoire de ces noms et de les porter dans nos coeurs.
La Torah est pleine de longues généalogies. Je repense souvent à cette réflexion de Rashi quand il commente le début du Livre des Nombres alors que D. demance : « Faites le relevé de toute la communauté des enfants d’Israël… ». Rashi se demande pourquoi Dieu les compte et il répond cette phrase magnifique:
C’est l’amour qu’Il leur porte qui L’incite à les compter à tout moment : Il les a comptés lorsqu’ils sont sortis d’Égypte, et de nouveau après la faute du veau d’or afin de connaître le nombre de survivants (Shemoth 38, 26), et encore une fois lorsqu’Il est venu pour faire résider sa Shekhina sur eux. C’est le 1er nissan qu’a été érigé le tabernacle (Shemoth 40, 17), et Il les a comptés le 1er iyar.
Puissions nos noms être inscrits sur le Livre de Vie alors qu’approche Rosh Hashana, jour du jugement.
« Barou’h ata Hachem, Elokénou méle’h haolam dayan haèmèt »
Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi de l’univers, juge de vérité.
Merveilleux et bouleversant témoignage sur ce monde disparu. Merci Didier pour ce parcours dans une sorte de quatrième dimension