Histoire des juifs de Gérone

Les juifs en Catalogne et à Gérone au Moyen Age

L’existence des juifs à Gérone est bien documentée[1], et ce dès 888-890. 25 familles habitent alors à l’ombre de la cathédrale. Il est probable que ces juifs viennent de Besalù, leur venue est la conséquence de la vente des terres sur lesquelles ils vivaient au comte Dela. On peut encore voir à Besalù le mikvé de cette communauté d’origine.

On trouve dans les archives de la cathédrale de Gérone la vente d’une maison d’une juive appelée Doucerella en 963. Puis la vente de terrain d’un juif à un prêtre en 1010, un préteur en 1072. En 1160 un juif appelé Vidal (Haïm) vend sa vigne.

Lors de son passage à Gérone Benjamin de Tudèle rapporte vers 1160 :

 » De Barcelone à Gérone, où se trouve une petite communauté juive, il y a une journée et demie de chemin. Le poète Zerachia le Lévite préside cette communauté. »

On retrouve les juifs dans la Tapisserie de la Création de la cathédrale de Gérone réalisée fin XI ème -début XII ème siècle.

Evidemment les juifs venant de Jérusalem y sont présentés comme les amis de Judas qui a trahi Jésus, ils font partie de la partie inférieure, incomplète, qui représente l’histoire de l’invention de la Vraie Croix par (Hélène la mère de Constantin) et Constantin au IVème siècle … le bon peuple de Gérone qui ne lit pas est averti.

Ils vont profiter de l’ essor démographique et économique considérable de la Catalogne à partir du XIIIe siècle. A cette époque, la population juive en Catalogne comptait entre 10 000 et 12 000 habitants, soit 4% à 7 % de la population totale catalane. 10% à Gérone même. Il y avait à Barcelone 4000 juifs, environ 1 000 à Gérone (plus de 150 foyers) et Perpignan, 500 à Tortosa et Cervera et entre 100 et 150 à Balaguer, Besalù, Solsona ou Tarragone.

Salomon Haïm (alias Salamo Vidal)

Le médiéviste Christian Guilleré montre que l’apogée démographique des juifs se situe entre 1320 et 1348. Castello d’Empuries comptait alors entre 75 et 80 foyers. Besalù et Banyuls entre 30 et 40 feux, Bisbal de 20 à 25 et Toroella et Montgri une douzaine.

Mais en réalité il faut ajouter à cette population juive des villes et bourgades la population des campagnes et des petits villages comme Peralda, Peratallda, San Feliu de Guixols, Puigcerdà, Camprodon, Olot, Caldes de Malavella et bien d’autres. Soit 320 à 350 feux, environ 1500 personnes juives répartis dans plus de 26 villages dont les noms sont marqués par une toponymie juive évidente comme Vilajuïga, Matajudaica, Sant Tere de Juïgues. Au milieu du XIIIe siècle une forte poussée démographique venant de France viendra enrichir cette population.

Les juifs comptent pour 10% de la population de la ville de Gérone.

On trouve au Musée des Juifs municipal construit sur la dernière synagogue de Gérone au XVème siècle de nombreux témoignages émouvants de cette vie juive.

Le cimetière (créé en 1207) était placé hors de la montagne Montjuïc connu comme le Bou d’Or. La tête des défunts était tournée vers Jérusalem.

Musée d’Histoire des Juifs de Gérone

« Stèle funéraire du jeune et délicieux Joseph, qu’il repose au Paradis, fils de R. Jacob que son Rocher et son Rédempteur le protège »

Musée d’Histoire des Juifs de Gérone

« Cette stèle funéraire est celle de l’honnête Estelina, épouse de l’illustre et érudit Bonastruc Joseph, qu’ils reposent au jardin d’Eden, Amen »

Grandeur et déclin de l’Aljama

A l’époque cette Aljama (un mot qui désigne le quartier juif mais aussi l’organisation sociale et religieuse) a un gouvernement autonome, organisé entre : le chef de la communauté ou ‘Maire des juifs’ (nassi -prince en hébreu) désigné par le roi qui rend des comptes aux autorités (roi, évêque) et son conseil (23 membres tirés au sort parmi des volontaires les plus riches ou grand-prêteurs) pour les impôts composé de comissaires-priseurs d’enquêteurs et d’encaisseurs ; et de l’autre coté les rabbins qui jugent (bet din) de manière indépendante et surveillent les : boucherie, la cacherout, mikvé… Une séparation des pouvoirs législatif et exécutif du pouvoir Judiciaire et religieux.

Les tentations de reprise en main par les autorités civiles de cette ‘ville dans la ville’ sont bien sûr constantes.

La rue San Llorenç ou de la Força est l’ancien Cardo romain (la voie d’axe nord-sud la plus importante d’une ville romaine). Elle était appelée « rue de la synagogue » à l’époque ou « rue du Mercadell » (du marché qui s’y déroulait) ou « rue du Call Judaic » mais toutes les rues ont été rebaptisées. C’était l’axe principal de ce quartier juif délimité par la place de la cathédrale au sommet, la rue Miquel Oliva, le passage Lluis Battle (« rue de la synagogue » à l’époque) et la rue Claveria. Ce quartier était composé à l’époque de nombreuses petites ruelles dont certaines ont disparu. On trouve partout des creux pour les mezzouza aux portes.

Creux à mezouza – Musée d’Histoire des Juifs de Gérone

La cathédrale est en surplomb de tout le quartier.

Cathédrale de Gérone

Tout le problème de l’urbanisme médiéval et de séparer les chrétiens et les juifs. Surtout au jour de grandes fêtes chrétiennes comme Pâques où les juifs sont invités à rester chez eux sans travailler et à fermer leur fenêtre rue de la Força. Leur seule présence étant vécue comme une provocation.

C’est pourquoi la plupart des murs ne possèdent pas de fenêtres.

Rue de San Lorenzo – La rue où vécut Nahmanide (Ramban)

La synagogue était au coeur de la vie communautaire. La première au Xème siècle aurait été située la seconde plaza de los Aposteles. Ensuite la seconde synagogue Aux XIIIème et XIV ème siècles, se situait , jusqu’à sa fermeture en 1415 car elle était un ancien lieu de culte chrétien dédié à Saint Laurent (Une Bulle papale de Benoit XIII ordonna alors de confisquer les lieux de culte anciennement chrétiens de de de). La troisième synagogue, du XVeme siècle, était située dans le Musée des Juifs actuel (photo). On y trouvait une école, le mikveh (photo) et un hôpital.

Musée d’Histoire des Juifs de Gérone – Centre Bonastruc
Mikveh – Musée d’Histoire des Juifs de Gérone – Centre Bonastruc
Porcelaines cassées filtrant l’arrivée d’eau du Mikveh – Musée d’Histoire des Juifs de Gérone – Centre Bonastruc

De nombreux maîtres juifs dont Moché ben Nahman, le Ramban, Nahmanide, vont passer par Gérone :

Mais cet âge d’or des Juifs de Gérone ne va pas durer. Le progrom de 1391 et la pression constante sur les juifs par l’impôt et les discriminations dans une société insécurisée, vont précipiter les conversions au christianisme et les départs de Gérone.

En 1446, lors d’une taille (impôt payé en Catalogne par les chrétiens et les juifs), il reste seulement 24 familles à Gérone (entre 100 et 140 habitants), et lors de l’expulsion de 1492 plus que 20 familles.

Que s’est-il passé entre temps ?

Les juifs : « Coffre et trésor du roi »

In fine les juifs sont « serfs du roi », ils appartiennent au roi :

« nostre coffre e tresors ».

La poussée démographique de 1245 avec l’arrivée de 11 familles et la migration de juifs provenant de France après 1285, l’arrivée de famille de villages ruraux vers 1320… va conforter la prospérité juive mais aussi l’irritation des chrétiens.

L’autre prétexte des exactions est que les juifs fournissent le microcrédit à la consommation pour la population surtout en dehors de la ville, contractée lors des jours de marché (32 actes enregistrés par la notaire Père Massenet le 13 juin 1326)[2], et ce jusqu’à 30 km de Gérone, il s’opère autour du marché et de la figure du notaire.

Si on prend une ville comme PuigCerda ( Puycerdan ) – où vivent 500 juifs sur 5 à 6000 habitants, soit 10% de la population en 1380, la norme ibérique; on peut retracer les réseaux de crédit juifs.

Source : Espaces et Réseaux en Méditerranée, VIe-XVIe siècles: La formation des réseaux
De Damien Coulon. Christophe Picard. Dominique Valérian, p. 273.

Il arrive que les chrétiens refusent de payer leurs dettes d’usure en s’appuyant sur des autorités. On note qu’en 1285, quelques habitants de la Bisbal, en Catalogne, profitent de la présence de Philippe le Hardi dans la ville de Gérone pour obliger les juifs à leur donner quittance de leurs dettes à vil prix. Un remboursement abusif annulé après la retraite de l’armée française sur ordre de l’infant Alfonse, lieutenant du roi d’Aragon Pierre le Grand (les juifs appartiennent au roi), le 12 octobre 1285 par lettre à Bernard de Llivia. (source)

Pour Gérone, comme le note Christian Guilleré :

« L’endettement paysan, observé dans les années 1320-1330, semble amplifié [avec une mauvaise récolte en 1347 et et l’arrivée de la peste en 1348]: voir une impressionnante série de remissions en matière de crédit du viguier et sous-viguier de Gérone, après jugement de la curie. Les peines de terç sont remises par l’officier royal contre une amende, plus faible semble-t-il, mais avec l’obligation de rembourser le capital au préteur, juif en général» (source)

Mais nous devons nous méfier de ne lire l’histoire que via le filtre des documents car les actes notariés stipulent massivement les flux d’argent, parfois les achats de terres ou de maisons mais rarement les autres transactions économiques dont on conserve très peu d’actes et qui nous révéleraient les métiers et la vie quotidienne de ces juifs : même si leur activité principales est l’usure comme l’ont montré les travaux de Ch. Guilleré sur la ville de Gérone à partir des nombreux Libri Iudeorum conservés, ils sont aussi artisans, tailleurs (sastres) , tisserands (teixidors) , cultivateurs, vignerons, orfèvres, soyeux ou dans les métiers du livre (relieur, parcheminier) … répartis dans toute la Catalogne parfois en foyers isolés. La Gérone juive, de par sa configuration urbaine est moins artisane que le reste de la Catalogne. A Castelló d’Empúries on est spécialistes du drap. dans les villes de marches des Pyrénées de la soie. A Besalù, tanneur prés de la rivière. Tous, intellectuels ou simples manants vivent sous l’autorité de la Torah.

Certains notables juifs sont aussi percepteurs, comme la famille du « Maire de la communauté » (Nassi) de 1276 à 1281, Astruc Ravaya, délégué par le roi Pierre le Grand pour lui acheter des châteaux dans toute la Catalogne dont le fils Jucef sera le trésorier de la couronne d’Aragon et Mossé haut fonctionnaire au service du roi de Catalogne.

Les juifs payent des impôts importants, trois à quatre fois plus que les chrétiens pour une population dix fois moindre. Impôts ordinaires et de plus en plus d’impôts extraordinaires à partir de Jacques II au cours du XIVème siècle, pour couvrir les frais de guerre et bientôt à toute occasion.

En 1262, sous Jacques 1er 13 250 soldes barcelonais, cette contribution était stable depuis longtemps. Mais sous Jacques II en 1269 tombe une demande « pour que le roi puisse partir en pèlerinage en terre sainte » de 10 000 soldes, en 1260 : 60 000 soldes pour faire la guerre aux français… les juifs fournissent entre 41% et 49% des impôts de Gérone entre 1309 et 1327. Sous son règne puis celui de Alphonse III et de Pierre le Cérémonieux la pression fiscale moyenne est multipliée par 3 à 35 000 soldes barcelonais.

En 1350 les aljamas barcelonaises paient 200 000 soldes barcelonais quand les autorités royales n’en recouvrent que 73000 sur les 252 000 prévus pour les chrétiens, quasi 3 fois moins pour une population dix fois plus importante ! les juifs sont donc les vaches à lait du royaume ! Ils paient 35 fois plus que leur concitoyens chrétiens par personne !

En 1330 un décret d’Alphonse III exempte de prison les chrétiens qui doivent de l’argent aux juifs.

Cette pression et ces exactions fiscales vont s’accentuer jusqu’au XIVe siècle et jusqu’à en devenir insupportables.

Le massacre de 1391 joint à la pression fiscale conduira à la misère et au déclin de l’Aljama : l’impôt est passé à 900 soldes en 1430 et 1431, puis 600 soldes entre 1455 et 1486.

La montée de la violence antisémite chrétienne

La coexistence pacifique entre juifs et chrétiens va s’effondrer en 1391 alors que le sentiment antisémite qui se propage aux classes populaires, attisé par la prédication de prêtres fanatisés et la pression pontificale pour que les juifs se convertissent par la prédication, l’exil ou les menaces de mort. Des milliers de conversions sans catéchèse ni catéchuménat, forcées, en Catalogne et en Aragon qui ne valent évidement rien du point de vue de la sacramentaire chrétienne (le droit canonique interdisait en effet explicitement les conversions forcées d’adultes) et du fait que selon le droit canon le baptême est irréversible. Des ‘conversions’ nulles et non avenue du point de vue de la Halakha juive.

Le décret de Gratien (canon chrétien du XIIème siècle) précise en effet :

En ce qui concerne les juifs, le saint synode a ordonné que personne n’emploie plus la force pour les contraindre à croire […]. Ce ne sont pas ceux qui sont contraints, mais ceux qui le veulent qui doivent être sauvés, pour que la forme de la justice soit irréprochable.

Decretum Gratiani, D. 45, c. 5 (Fr. I, 161-162).

En 1263 a lieu la dispute de Barcelone à propos de la venue du Messie. Chacune des parties en sort vainqueur aux yeux de ses ouailles. Mais le citoyen Bonastruc ça Porta alias Nahmanide doit quitter la Catalogne ; il prend le chemin de l’exil à 72 ans en Castille, puis en Provence puis en Terre sainte où il meurt à Saint Jean d’Acre trois ans plus tard.

Sceau de Bonastruc ça Porta alias Nahmanide – Musée d’Histoire des Juifs de Gérone

En 1346 on interdit la coutume devenue courante des prêtres et étudiants de la cathédrale, de lapider les juifs à Pâques. Les jardins possédés par les juifs de Gérone à destination de la communauté dans le jardin potager de la ville et la montagne de Gérone sont régulièrement pillés comme en 1351 alors que l’évêque Berenguer de Cruïlles demande réparation de cette exaction contre le juif Saltell Gracià au recteur du Mercadall (marché) et à d’autres prêtres. En avril 1387 un enfant juif de 7 ans est enlevé et baptisée de force…

La dispute de Tortosa 1413-14 fomentée par le pape benoit XIII à laquelle participe le rabbin Banastruc Desmestre de Gérone et 25 autre rabbins de la couronne d’Aragon voit la conversion de 14 rabbins présents, pour l’exemple !

Une violence mêlée de persuasion et de prêches obligatoires qui culmine alors que se met en place un appareil juridique discriminatoire et tatillon jusqu’à l’expulsion de 1492 :

  • Interdisait à un chrétien de faire travailler un juif chez lui ou de l’héberger en 1279
  • Interdiction de vendre des fruits aux juifs en 1393
  • Interdiction d’utiliser l’abattoir de la ville en 1396 (on installe un abattoir dans le Call)
  • Interdiction aux juifs et aux prostituées de toucher du pain ou des galettes avant de les avoir achetés en 1407
  • Interdiction aux juifs de sortir de leur maison à la Pâques 1418
  • Interdiction aux juifs et aux chrétiens de travailler ensemble en 1444
  • Isolement total du quartier juif en 1445
  • Saufs conduit en tout genre comme pour le médecin Vidal Cabrit en 1330 pour aller à Gérone ou pour se déplacer dans le diocèse pour deux marchands géronais en 1365.

Peu à peu, les juifs deviennent un groupe à part dont les stéréotypes se développent dans la littérature et la peinture. On les accuse d’empoisonner les puits et de propager les épidémies en ce siècle de la Grande peste qui frappe Gérone en 1348 et va rayer un tiers de la population de l’Europe. La peste de 1348 touchera toutes les populations sans distinction de confession et les affaiblira économiquement. On accuse aussi les juifs de crimes rituels comme d’enlever et tuer des enfants chrétiens ou de profaner des hosties.

Ils sont une cible facile pour se défouler dans une société géronaise crispée par les changements politiques municipaux, les luttes internes et la marginalisation des ménestrels[3].

A Gérone, des prêtres de la cathédrale intransigeants vont attiser la haine lors de la fête de la Paques chrétienne de 1278 où a lieu un véritable assaut du quartier juif qui se répète en 1285, 1331, 1348, 1391, 1413, 1416, 1418. Des assauts menés par des prêtres, de jeunes écoliers tonsurés et des écuyers.

Les juifs sont sous la protection du roi et sa propriété privée, les toucher c’est attenter aux biens du roi. En 1453 la reine Marie interdit aux jurés d’agir contre Benvenist Samuel, recteur de l’Almaja sans le consentement royal alors que l’Inquisiteur s’agite pour le faire expulser de la ville. En 1456 trois écuyers de l’évêque Barnard de Pau entrent dans la Juderia et faute de trouver Benvenist maltraitent sa femme, sa belle-mère et sa belle-soeur.

La violence contre les juifs va croire jusqu’au paroxysme du pogrom de 1391 et l’assaut du quartier juif par 400 paysans des alentours de Gérone. Ce massacre de 40 juifs signera le début des conversions et la fuite et le déclin de l’Aljama de Gérone il a été minutieusement documenté par Jaume Riera Sans.

Le 10 aout 1391, Gérone s’embrase

Le jour de la Saint Laurent 10 aout 1391 (la rue de la Força a été baptisée Cal San Llorenç !) la violence meurtrière qui a éclaté à Séville le 4 juin (4000 morts) comme un incendie crépite à travers des centaines de villes d’Espagne. Elle se propage à Tolède le 20 juin, à Valence le 9 juillet (250 mort), à Mallorca le 2 août (200 morts), à Barcelone le 5 aout (350 morts et 4000 réfugiés dans le Castell Nou baptisés de force) … atteint Gérone avant de toucher Cordoue le dimanche suivant. On compte 50 000 morts dans toute l’Espagne. Nombre de réfugiés juifs fuient en Afrique du Nord. En Algérie, à Tlemcen ou Alger, et dans toutes les cités du littoral le long de la route qui conduit en Tunisie.

Hasdaï Crescas (Crescas, 2010 : 21), chef de la communauté de Saragosse, rapporte les événements dans une lettre adressée à la communauté juive d’Avignon :

« Le 7 du mois de Av, Dieu éradiqua sans pitié la communauté de Valence en laquelle vivaient environ 1000 familles. Près de 250 personnes y périrent en martyre tandis que les survivants fuyaient vers les collines, mais peu en réchappèrent et la plupart furent convertis »

A Gérone, Le bouclage du quartier juif, les bannières royales déployées dés le 9 aout à l’entrée de la Call, la réaffirmation de l’interdiction de nuire aux juifs du roi par les jurés royaux…. n’arrêteront personne.

La judéria est incendiée et prise d’assaut. 40 juifs qui refusent le baptême de force (on a ouvert spécialement les baptistères et préposé des curés le 10 aout pour cela) sont tués.

Le 18 aout les jurés royaux enferment entre 600 et 800 juifs dans la tour Gironella « pour les protéger ». Ils y resteront 17 semaines. 63, la plupart très pauvres, se découragent et se convertissent.

Il faut signaler le cas de la juive Tolrana qui lorsque son mari Francesc Guillem de Vilaritg, nouveau converti, envoie un prêtre à l’entrée de la tour le 27 septembre, celle-ci lui répond : « Mon mari désormais chrétien, je suis juive. Je ne veux ni habiter avec lui, ni devenir chrétienne ! » (La conversion impliquait le changement de domicile en dehors de la Call dasn l’espace ‘chrétien’ comme preuve publique du changement d’identité religieuse du néophyte).

La révolte des paysans et Menestrel qui veulent aussi abjurer l’impôt royal, parvient via différentes missives aux royales oreilles. Les conjurés assaillent à nouveau la ville le 21 septembre avec pour objectif de la faire tomber, les juifs n’étaient qu’un prétexte.

A l’été 1392 la machine de guerre royale se met en route, faute d’être châtiés les conjurés doivent payer les impôts. Le 22 février 1393 à Valence, le roi Jean acquitte la ville de Gérone.

Les conversions forcées (anoussim)

Selon Enric-Claudi Girbal on passe d’une conversion au christianisme par an entre 1378 et 1390 à 70 en 3 mois entre septembre et décembre 1391. On change bien sûr les noms de juifs.

Des prédicateurs de marché comme Ferrán Martínez parcourent la Castille dans les années 1380-1390, Vincent Ferrier en Aragon dans les années 1412-1417. Ils électrisent des foules de naïfs.En 1409 le prêtre antisémite obsessionnel Vincent Ferrier arrive à Gérone. Les juifs sont tenus d’écouter de tels prêches réguliers. Après les massacres ces discours sont clairement un dernier appel de conversion sous peine de mort. On signale une avalanche de conversions dans les Aljama catalanes.

Comme le montre Claire Soussen, ces pseudo-conversions se révélèrent vite un problème insoluble soit parce que ces conversions ne sont que de façade comme s’en alarme et scandalise une missive du roi en 1393 alors que les familles continuent de vivre dans et au rythme de la communauté juive :

 » Selon ce que nous avons entendu, certains convertis autrefois juifs de la cité ou du royaume de Valence ont, au grand mépris de la foi catholique, dans leurs maisons et habitations leurs femmes, enfants, neveux, cousins, frères, parents et autres proches juifs, dont des enfants de moins de 7 ans, d’où il pourrait s’ensuivre un scandale et de mauvaises coutumes et exemples entre les convertis […] nous exigeons donc que vous fassiez séparer les habitations des dits convertis et juifs, et que vous leur interdisiez de quelque façon que ce soit de discuter les uns avec les autres  »

ACA Reg. 1862, f°67v cité par Claire Soussen, « Les convertis en Catalogne après 1391, un problème insoluble », Archives de sciences sociales des religions, 182, avril-juin 2018, pg. 138

Soit parce-que la conversion d’un seul des époux fait exploser les familles et conduit à des situations juridiques inextricables, délivrance du guet, interdiction de polygamie… etc.

Comme l’illustre Claire Soussen :

A Gérone, les choses se passent difficilement pour « Constance de Rexacho, néophyte, anciennement femme d’Isaac Ruven, juif » Constance s’est convertie et a demandé à son mari qu’il fasse de même, or Isaac refuse de quitter la maison dans laquelle il a vécu toute sa vie à Castilion d’Empurias. L’auteur de l’acte souligne la contradiction et l’impossibilité d’administrer le baptême à Isaac dans ces conditions.

Source : idem, pp. 137-138

Ou pire, parce que la conversion forcée d’un seul enfant rend la restitution de l’enfant demandée par sa famille juive impossible après le baptême ! Il était impossible de revenir sur le baptême et donc de faire justice aux parents qui demandaient la restitution de leur progéniture selon le droit canon et les lois de séparation des communautés juive et chrétienne édictées par l’Eglise. (voir ici un article plus large sur ce sujet)

A partir de 1416 l’église commence un implacable processus de rachat à bas prix des maisons des juifs.

Les conversion aux christianisme vont interdire aux nouveaux chrétiens d’être usurier et il vont devoir choisir d’autres professions. C’est ainsi que vers 1390 l’activité des juifs de Catalogne et des néophytes chrétiens va se tourner de manière importante vers le textile et la soierie. « Vers 1430, les nouveaux chrétiens travaillant dans ce secteur représentaient environ un quart des bras impliqués à Castelló d’Empúries » note Anthony Pinto . (voir ici un intéressant article sur le sujet)

L’expulsion

L’Edit expulsion promulgués le 31 mars 1492 prend effet le 31 juillet de la même année. Il est clairement un acte politique et religieux qui vise à expulser d’Espagne la minorité ethnique juive. On trouve donc dans les actes notariés de Gérone la vente des maisons de l’Aljama jusqu’aux derniers jours de juillet (le 29). Certains croient que leur départ n’est pas définitif comme le juif Bonastruc Benvenist qui contractualise le rachat possible de sa maison sous un an.

Tous doivent en réalité laisser leur argent et leur or. On interdit à des juifs qui ont pris les ornements et les livres de la synagogue de les emporter avec eux.

Lors de l’expulsion de 1492 il reste ne reste plus que 20 familles juives à Gérone. En un siècle la communauté semble avoir complètement disparu.

Certains se dirigèrent vers Perpignan et le Roussillon. Le 15 septembre 1492, le nouveau roi de France Charles VIII donne ordre à Spanyol de Camon et Pierre Irrexeta de poursuivre ces immigrants et de les chasser. Beaucoup prennent alors la mer.

Le 3 septembre 1493, Charles VIII restitue le Roussillon et la Cerdagne à l’Espagne. Le 13 du même mois, les Rois Catholiques pénètrent dans Perpignan.

Dès le 21 septembre, un second édit d’expulsion est proclamé. Il est écrit en catalan et signé seulement par Ferdinand. Il accorde trente jours à tous les Juifs pour partir de ses terres. Les les 39 derniers Juifs du Roussillon et de la Cerdagne partiront en barque vers Naples et l’inconnu.

« Rassemblés dans la baie de Port-Vendres dans l’attente du départ prévu pour le 21 octobre, mais épuisés, malades, et devant des éléments naturels déchaînés, ils obtiennent l’autorisation d’attendre quelque temps avant de s’embarquer à Collioure en direction de Naples sur le “Santa Maria i sant Cristofor” de Pierre Soler. » 

(source : « La lettre séfarade », L’exil des derniers Juifs catalans

La suite est inconnue, les fugitifs laissant rarement des traces documentaires ou notariales… Des noms comme Astruch, Vidal, Bonjorn, Valls, Fuster, Martí, Salvat, Bonafos, Bonet, Bondio, Cresques, Macip… sont courants parmi ces Juifs ‘convertis’. Les Mais leur histoire en Catalogne espagnole ou française reste à écrire en interrogeant les mémoires familiales et les pratiques éventuelles. (voir ici) car pendant des siècles ces familles de conversos ont continué à s’unir entre elles.

En terme d’onomastique on lira avec profit cet article de Claude Denjean : Sources et caractéristiques de l’anthroponymie juive pyrénéenne et catalane du XIIe au XVe siècle. In: Nouvelle revue d’onomastique, n°37-38, 2001.

Les toponymes sont fréquents et comme le rapporte Claude Denjean : « L’énonciation d’un nom de lieu par le client du notaire ou une telle désignation préférée par ses voisins pourrait provenir de la différence que font les hommes du Moyen Age entre lieu d’habitation, où l’on appartient à la communauté, et simple résidence ; mais le lieu originel et aimé d’où l’on a été chassé peut amener également des migrants forcés à se souvenir du pays de leurs ancêtres, comme le poète Abraham ibn Ezra se faisait appeler « l’Espagnol« . »

Je revois encore un certain Henri Puig venir dire à mon épouse de père Samitier tous deux de famille vigneronne dans les Corbières : « N’oublie pas qu’entre nous il y a une alliance spéciale ! Nos deux familles viennent d’Alins (en Catalogne espagnole, comarque de Pallars Sobirà dans la province de Lérida ) », il ne savait plus ce que signifiait cette alliance… il suffisait de lire leurs noms : « Puig » est un nom marrane qui signifie « montagne » et Samitier est le nom d’un village et de son château dans la même région (Province de Huesca) et les samit / « samitier » sont les fabricants de tissus de soie au Moyen Age- source). Des toponymes évidement marranes et durement répertoriés dans les dictionnaires de noms judéo-catalans.

https://www.parainmigrantes.info/listado-de-apellidos-sefardies-para-la-nacionalidad-espanola-958/

Un très bon livre recense tous les patronymes judéo-catalans et aragonais :

L’Inquisition à Gérone

La chasse aux juifs sous le manteau, les marranes, commence dés la vague massive de conversions. Après les émeutes de 1391 les juifs savent qu’ils risquent désormais leur peau.

De nombreuses conversions sont seulement de façade et de circonstance. Les conversos vivent tranquillement comme avant ou de manière cachée un judaïsme adapté à la clandestinité et au secret. D’autres sont sincèrement chrétiens mais ces cristiano nuevo seront bientôtrejetés par ceux qui seront bientôt les vieux chrétiens à partir de 1449 avec les décrets de  limpieza de sangre ( « pureté de sang »)

En 1416 l’évêque de Gérone veut faire emprisonner le « faux chrétien » Caravida Vidal. En 1417 par les autorités ecclésiastiques s’alarment de ces faux chrétiens.

D’aout 1490 à juin 1491 le Tribunal de l’Inquisition siège à Gérone.

Puis à nouveau de janvier à mai 1494 : 84 personnes sont inculpées entre 1487 et 1505. 14 membres de la famille Falco, 7 de la famille Samso, 8 chez les Mercader. 10 sont condamnés à mort. 8 « réconciliés » doivent porter le san Benito à leur nom qui est exposé à la vue de tous pour leur plus grande honte dans l’église San Domenèc à Gérone d’où il seront retirés en 1569 pour être envoyés dans l’église Santa Caterina à Barcelone.

66 sont condamnés à la peine de mort en effigie, c’est à dire par contumace. Ils seront exécutés lors de leur capture.

Est arrivé le temps de la terreur, de la chasse à l’homme et d’une répression sans pitié pour les marranes.

Rescrit familial de l’Inquisition
Généalogie des Falco – Musée d’Histoire des Juifs de Gérone
san Bénito – Musée d’Histoire des Juifs de Gérone
Musée d’Histoire des Juifs de Gérone
Musée d’Histoire des Juifs de Gérone

La poursuite des dissidents par l’Inquisition des XVI ème et XVIII ème siècles est documentée même si les archives du Saint Office de Catalogne ont brûlé à Barcelone le 10 mars 1820. On s’aperçoit qu’on poursuit les judaïsants (ou des accusés de judaïser!). Mais que dans son délire de pureté raciale et nationaliste l’Eglise poursuit non seulement les judaïsants mais aussi les alumbrados (illuminées) et les quiétistes (pas assez illuminés !), les protestants, les musulmans (maures), les sodomites, les bigames, les polygames, les bestialisants, les sacrilèges, ceux qui vivent avec leur maman, les irrévérencieux … « Vaste programme ! » comme disait le Général De Gaulle en voyant l’inscription « Mort aux cons » sur un char de la division Leclerc.

L’Inquisition poursuivra les marranes à Gérone jusqu’en 1820. Ils vivront deux siècles à contre courant dans un judaïsme de l’ombre et du secret. Date à laquelle la population se soulève contre elle et ses exactions contre toute la population depuis 4 siècles !

Ecu de l’Inquisition à Gérone (1798)- Musée d’Histoire des Juifs de Gérone
Destruction de la maison de l’Inquisition à Barcelone le 10 mars 1820 – Godefroy Engelmann (1788) Hippolyte Lecomte – Paris Bibliothèque Nationale

Juifs à Gérone aujourd’hui

Aujourd’hui il y a à de nouveau 140 juifs à Gérone, 25 familles, 70% sont ashkénazes. Le Beth Habad y fait revivre la vie juive. Jacob Harari (ici en photo sur le mur d’enceinte de la ville médiévale) séfarade d’origine syrienne, nous a a accueillis dans l’ancienne yechiva de Maïmonide.

Il faut relire les lignes prémonitoires de Zerakhia ben Isaac Halevi Gerondi RaZaHRaZBI ou le titre de « Baal Ha-Maor » né vers 1125 à Gérone et mort à Lunel en 1186, deux siècles avant le massacre de 1391 dont de nombreux piyoutim ont été inclus dans la liturgie sépharade :

Pourquoi gémis-tu et languis ô mon âme ?
Que sont ces pleurs et toutes ces larmes qui coulent sur tes joues ?
Tu te lamentes parce qu’il t’effraient et te dérangent avec des plaisanteries et des flèches de feu ?

Garde ton espoir dans le Dieu vivant !
Ne craint pas l’homme mortel,
Et ne te lamente pas des épées scintillantes qui t’accablent.


[1] Sources principales qui m’ont aidé à écrire ce post :

  • Ramon Alberch i Fugueras, Ayutamiento di Girona, Le quartier juif de Gérone, juin 2003.
  • Christian Guilleré, Gérone au XIVe siècle, Thèse de doctorat en Histoire, Sous la direction de Georges Duby , soutenue en 1990 à Paris 1. http://www.theses.fr/1990PA010513 )
  • Musée d’Histoire des Juifs de Gérone | Centre Bonastruc ça Porta (photos tombes et objets)
  • Articles cités

[2] Source : Christian Guilleré

[3] Source : Jaume Rivieira Sans

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