Histoire de Séfarad -3 : Al—Andalus et la Reconquista, la lutte fratricide de deux eschatologies

Dans cet article j’essaie de montrer à travers l’art médiéval comment le mouvement violent de conquête puis de Reconquista d’Al Andalus au-delà de la guerre de conquête classique est un mouvement avant tout religieux. Les juifs en ont fait les frais mais ils en ont aussi tiré les leçons. Les plus grands maîtres du judaïsme Maimonide ou Nahmanide ne sont pas concevables sans Al Andalus et la guerre de 8 siècles que s’y sont livrés le Christianisme et l’Islam médiévaux dans une apocalypse en terre ibérique.

Qu’est-ce que l’apocalyptique ?

L’apocalyptique est une affection psycho-spirituelle. Une personne se trouvant dans une position de stress émotionnel ou social, ou de danger réel ou imaginaire capable d’atteindre sa propre survie psychique ou physique génère une contre-réaction vitale. Elle « fabrique » du rêve pour simplement arriver à passer cet événement traumatique et tout simplement survivre : Dieu doit absolument s’intéresser à son sort et à celui de sa communauté et venir la sauver du désastre attendu.

Cette pensée est souvent mêlée d’eschatologie c’est-à-dire d’une réflexion sur la fin des temps. Si Dieu a promis de ne pas nous abandonner si nous mourrons en masse, la fin de l’histoire est forcément arrivée, avec ses douleurs d’enfantement du messie. Cette angoisse est présente dans la tradition juive comme dans l’évangile de Matthieu écrit à l’epoque de la destruction du Temple par des juifs qui avaient de réels raisons de s’inquiéter.  Dans le monde musulman la guerre de Gog et Magog (Ya’jûj wa Ma’jûj) est aussi aussi comprise comme un signe annonciateur de la proximité de la Fin des temps (Coran 21/96)

La guerre qui se présente ne peut être que la « der des der », celle qui ouvre un avenir radieux à l’humanité réconciliée où « l’agneau vivra avec le loup » comme dit le prophète Isaïe.

« La condition humaine n’est qu’une longue lutte contre la folie, la psychose consiste à capituler » 

Gérard Haddad, psychanalyste

Si une personne se met à voir la Vierge Marie, ou se prend pour le messie, ou entend l’ange Gabriel ou des voix comme Jeanne d’Arc…. c’est souvent simplement le symptôme d’un stress psychique, social ou culturel insupportable. Une réaction à un événement traumatique. Ce genre de maladie de l’âme est bien connu des moines. Face au moine novice qui voit la Vierge ou entend des voix et se sent soudain investi d’une mission divine deux réactions sont possibles : construire une basilique de pèlerinage au nom du miraculé ou lui donner un marteau piqueur pour creuser une tranchée et retrouver ses esprits… L’étudiant de Yeshiva qui a découvert entre deux guématria que le Covid19 apparaissait dans la Bible et annonçait la fin du monde (On n’attendait plus que lui pour le savoir !) est plus souvent renvoyé à ses chères études qu’invité à construire le 3eme Temple sans tarder.

Les traditions religieuses modérées savent traiter avec humour ce genre de religion, sans déraison.

« Si vous parlez à Dieu c’est que vous êtes religieux, mais s’il vous répond c’est que vous êtes schizophrène »

Woody Allen 

L’eschatologie ou le millénarisme (peur que la fin d’un millénaire soit la fin du monde ou s’accompagne de catastrophes – Cf le « bug de l’an 2000 ») ne sont donc probablement qu’une projection dans le divin de la peur de l’individu de mourir ou de la communauté de disparaitre. L’Apocalyptique est une projection dans le monde divin de la violence humaine et de la guerre ambiante dont Dieu doit forcément se mêler. Le problème des espoirs du « grand soir » le rêve d’une humanité transfigurée par D.ieu dans une fraternité universelle est qu’il se termine parfois au Goulag…

La mystique peut donc être une poétique féconde ou une simple fuite de la réalité dans un monde divin qui n’est que le reflet de la terreur humaine. Un vrai maître spirituel est un homme qui sait emmener son disciple au-delà de ses peurs au lieu de les flatter à des fins de pouvoir (spirituel) personnel.

Apocalyptique et millénarisme

En réalité, ces apocalyptiques, qui convoquent Dieu dans le réel pour mieux en exorciser l’angoisse, sont des ‘maladies’ contagieuses. Les grandes angoisses individuelles et collectives -qu’elles prennent les habits du messianisme, de la croisade, de l’Inquisition, la Reconquista, le Stalinisme ou le Shâm… fonctionnent toute sur un même modèle de ‘révélation’ individuelle puis collective, et enfin de contagion de la violence. Le rêve éveillé se transforme en hallucination collective puis en dictature. Celui qui met en doute l’enthousiasme (de en theos, en dieu) collectif ou s’oppose au mouvement (salvateur) est sévèrement puni.

Une plaisanterie juive dit :

« Le judaïsme a failli mourir trois fois : avec le christianisme, avec le judaïsme, avec le sabbataïsme et avec le Goush emounim (le blocs de la foi qui conquièrent les Territoires) »

Le messianisme tue aussi. C’est la grande leçon de l’histoire juive que rapporte le psychanalyste Gérard Haddad dans Les folies millénaristes.

Les esséniens, des séparatistes juifs retirés dans le désert de Judée au bord du Jourdain, qui dans le Livre de la guerre rêvaient du Temple enfin purifié en l’an 70, ont disparu comme de multiples sectes juives après 70. Les Sicaires qui lançaient des femmes et des enfants se battre contre les armées romaines sur les ruines fumante du Temple contre l’avis modéré des pharisiens qui engendreront le judaïsme rabbinique n’avaient rien de juif. Ils croyaient au miracle de Dieu en repoussant la raison humaine. La tradition juive est devenue rabbinique et a tranché contre eux.

La tradition chrétienne a aussi eu ses « fous » dont elle a du se protéger. Ils n’étaient pas juifs mais gnostiques. Toute l’histoire des Conciles œcuméniques (4e s) peut être relue comme une conjuration de la folie religieuse grecque des ces gens qui voulaient connaitre Dieu immédiatement et par n’importe quel moyen.

Il n’est pas du tout anodin que le christianisme se forma comme un secte apocalyptique du judaïsme entre deux guerres judéo-romaines : en 65-70 puis 115-135 qui vont voir périr et déporter des millions de juifs. Sabbataï Tsevi le messie mystique, selon le mot de Scholem[1] va entrainer le judaïsme mondial à sa suite après les migrations séfarades de l’Inquisition et leur cortège d’horreurs. Une personne aussi sérieuse qu’un Isaac Abravanel le trésorier de la couronne d’Espagne, un comptable donc, est si choqué d’être chassé sans autre forme de procès de la terre de ses ancêtres et congédié par ses protecteurs royaux qu’il se met à calculer la date de la fin du monde….

La réponse rationnelle d’un Maimonide pourtant persécuté toute sa vie (il fuit vers Fes l’Etat islamique de l’époque – la persécution des Almohade, puis à Sfat-le Caire) a gagné par rapport à la mystique d’un Nahmanide lui aussi persécuté toute sa vie et qui, vieillard, doit fuir Gérone suite à la disputatio de Barcelone pour mourir vieux et seul en Terre Sainte.

La grande peur des guerres, d’un nouveau millénaire, l’insécurité culturelle ont produit des mouvements mystiques combattants ‘salvateurs’. Après Marx arrive très vite le Goulag, après la révolution française la Terreur et les guerres napoléoniennes qui ont ensanglanté l’Europe, après la Reconquista suivent les bûchers de l’Inquisition et l’expulsion des juifs et des maurisques. Le mouvement de l’esprit purificateur identitaire est toujours le même. Il va de la spiritualité la plus haute à la guerre en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

La rencontre de deux folies millénaristes dans la guerre de conquête et de reconquête (Reconquista) que va traverser la péninsule ibérique pendant 8 siècles de 711- à la chute de l’empire Wisigoth et jusqu’en 1492 – ou Grenade est reprise aux musulmans, dont les juifs seront l’otage se lit dans les œuvres d’art comme une folie apocalyptique.

Al-Andalus, confin et fleuron du dār al-islām

Seulement un siècle après la mort de Muhammad les armées musulmanes avaient imposé sa foi de dans territoire gigantesque allant de l’Inde à Gibraltar. Avec des population aussi diverses culturellement que celle de l’Empire perse, de l’Egypte, de l’Afrique ou du Maghreb. Une langue unifiait ce monde de guerriers et de marchands comme une nouvelle koiné (grec antique des fonctionnaires comme le globish des conseil d’administration et des aéroports), l’arabe.

Pour les musulmans médiévaux convaincus de la supériorité de leur foi, la conquête de Al-Andalous était le symbole de la conquête territoriale totale du dār al-islām (la « demeure de l’islam »).

Al-Andalus était tout un symbole ; avec ce dernier pays, à l’extrême ouest de l’Occident, on atteignait les bornes de l’œkoumène (Espace habitable de la surface terrestre antique) et on manifestait la diversité des cultures conquises. Un célèbre texte de Bakrī, au milieu du 11eme siècle mille fois repris exprime cette diversité :

« Al-Andalus est comme la Syrie par sa fertilité et la pureté de son air, comme le Yémen par son climat égal et tempéré, comme l’Inde par ses aromates et la finesse de ses produits, comme al-Ahwaz par l’importance de ses revenus fiscaux, comme la Chine par ses gisements de pierres précieuses, comme Aden pour les bénéfices tirés de son littoral.[2] »

Ḥimyarī (870-1054) géographe, écrit de Malte :

« Al-Andalus est la dernière des terres habitées vers l’occident car elle touche à l’Océan, l’immense mer au-delà de laquelle il n’est point de pays habité[3] »

Elle est adossée à un océan qui pour les arabes, reprenant l’idée grecque des colonnes d’Hercule, est une limite mythique infranchissable :

« Personne ne sait ce qui existe au-delà de l’océan Ténébreux ni n’a pu rien en apprendre de certains, à cause des difficultés qu’opposent à la navigation la profondeur des ténèbres, la hauteur des vagues, la fréquence des tempêtes, la multiplicité des monstres marins et de la violence des vents »,

… écrit de Sicile Al-Idrīsī explorateur, géographe, botaniste et médecin (1100-1175) qui a grandi à Al Andalus sous les Almohavides.

Al-Idrīsī, l’Espagne

Al Andalus est la limite du califat qui s’exerce sur la communauté des croyants, l’umma. « L’Espagne est un territoire de combat pour la Foi (dār al-ğihād) ; ses frontières sont fortifiées. Elle est entourée au nord, à l’est et à l’ouest par des populations infidèles. » écrit Bakri. L’Espagne est un donc territoire de combat au croisement de deux espaces théoriques, le dār al-islām et le dār al-ḥarb (le domaine où la guerre est légitime).

Elle représente la limites mythique atteinte par les premières vagues de l’expansion musulmane des Omeyades.  Ce Finistère (là où finit la terre) de l’Occident, bahr al-muḥīṭ : muraille mythique qui contient Gog et Magog[4], qui à la fois terre arabe, musulmane, mais aussi contrée lointaine de rêve antique symbolisait la victoire sur toutes les cultures conquises par l’Islam.

Ces terres perdues resteront, par-delà les aléas de l’histoire, le rêve d’un Islam ayant unifié le monde entier alors connu.

« Al-Andalus est un territoire où l’on combat pour la foi et un lieu de séjour en ribāt » écrit bakrit

Les musulmans ne pouvaient qu’entrer en guerre avec la foi identitaire des rois des Asturies ces irréductibles Cantabres de montagnes cantabriques invaincus même par Rome. Ils trouvèrent dans l’Apocalypse de Beatus de Liebana, un moine, leur chantre.

Les rois de Catalogne accompagnés de leurs idéologues religieux, comme une conscience nationale qui perdure jusqu’aujourd’hui : les moines n’allaient pas tarder à leur emboîter le pas… encore au son de l’Apocalypse.

Voici le récit de cette guerre de religions dans laquelle les juifs furent convoqués.

Apocalypse du Royaume des Asturies

Au nord de l’Espagne le royaume chrétien des Asturies résiste à l’envahisseur de 718 à 925. Ce premier Etat chrétien de la Reconquista étudie le Livre de Daniel et l’Apocalypse de Jean. Des livres millénaristes de visions, de veine apocalyptique, qui dénoncent les Royaumes en place (L’apocalypse de Jean a été écrite pendant le persécution de Néron, elle décrit Rome par des symboles codés comme « la bête »)

Les chrétiens arabisés du sud sont accusés par leur frères des montagnes cantabrique d’établir des degrés de création dans la Trinité chrétienne, ils sont « adoptianistes », « processionistes » donc des hérétiques. Comme les musulmans ils parlent le mozarabe jusqu’au 10e siècle.

Alphonse Ier dit Alphonse le Catholique est le premier roi des Asturies de 739 à 757. Il lance la reconquête à partir de son territoire protégé par les monts cantabriques, une forteresse naturelle au pied des pics d’Europe, proche de la mer.

Dans son Commentaire de l’apocalypse l’abbé du monastère Santo Toribio de Liebana en Cantabrie, Beatus de Liébana, en 776 dit que l’apôtre Jacques, a été l’évangélisateur de l’Hispanie. Dés le début 10ème siècle  Santi Yagüe (Saint Jacques) y sera intronisé comme l’anti-Muhammad.

Au tournant de l’an 1000 comme les musulmans marchent vers la Mecque et la Kaaba (le hadj est un des cinq piliers de l’Islam), les chrétiens marchent vers Compostelle à l’extrême ouest de la Corogne à partir des centres de rencontre que sont les abbayes clunisiennes de Bourgogne comme Vézelay qui jalonnnent le chemin comme Saint Michel de Cuxa ou Conques. le projet est bine évidement aussi spirituel que politique. On invoque l’apôtre à l’heure des combats dés le 9è siècle.

Ce qui nous intéresse ici c’est l’imaginaire de ces chrétiens du Royaume des Asturies, indépendant des marches d’Espagne franques puis carolingiennes . Cette spiritualité apparaît dans leurs enluminures surtout sur un manuscrit très populaire recopié une trentaine de fois aux 10e et 11e siècles agrémenté d’enluminures très colorées.

L’apocalypse de l’Abbé du monastère de Santo Toribio de Liébana : Beatus de Liebana (750-798), en Cantabrie, précepteur du roi Alphone 1er sera un des grands livres de combat du Royaume des Asturies.

Dans sa controverse avec Elipand, archevêque de Tolède, Beatus l’accuse d’être compromis avec l’occupant musulman Beatus l’accuse d’être un nostalgique de l’Arianisme wisigothique, de ne pas accepter la divinité de Jésus (sous-entendu : pour plaire aux musulmans). Elipand est traité de de « testicule de l’Antéchrist » (un personnage qui apparait dans le livre de l’Apocalypse de Jean (l’Antéchrist pas le testicule…). La controverse remonte jusqu’à Charlemagne lui-même qui unifie son empire par le Christianisme.

Le commentaire de l’Apocalypse de Beatus, devenu le livre de combat d’un homme qui guerroie contre l’hérésie et les collabos néo-ariens de Tolède la capitale des musulmans. Une littérature aocalyptique qui devient une spiritualité populaire et un manuel de combat au service des rois cantabriques, hérauts du christianisme catholique ibérique et fer de lance de la Reconquista. Le 4eme concile de Tolède en 633 avait imposé « L’Apocalypse doit être tenue pour un livre canonique ; elle sera lue à l’Office entre la Pâque et la Pentecôte »… une sorte de Pirkei Avot Chrétien en quelques sortes…

Le veau d’or, manuscrit mozarabe

Mais le plus drôle est de comparer la vision du Monde de Béeatus de Liebana pour qui Jérusalem est au centre du Monde…

Mappemonde de Beatus de Liebana (fin du VIIIe siècle).

… avec celle du cartographe musulman Al Idriss, dont la vision vient de Ptolémée via al-Khwârizmî (première moitié du IXe siècle), a La Mecque pour centre du Monde.

Carte du Monde d’Al Idriss (XIIe siècle, orientée sud/nord).

On copie aussi l’apocalypse de Beatus de Liébana à Gérone (Manuscrit de Saint Sévère) en Catalogne qui forme une unité culturelle dans le Reconquista avec le Royaume des Asturies.

Les juifs à la naissance de la Catalogne

Royaumes chrétiens ibériques

La conquête musulmane de la péninsule Ibérique à partir de 711, a conquis Tarragone et Narbonne en 718 et poursuivi sa progression en Gaule, jusqu’au coup d’arrêt donné en 732 à Poitiers par Charles Martel. En riposte Charlemagne tente de prendre Saragosse et perd son arrière garde à Roncevaux mais les francs reprennent Gérone dès 785.

Des juifs émigrent du sud de l’Espagne ou de Provence et même du Nord de la France dès les le 10è siècle vers les Royaumes chrétiens espagnol comme le Léon où se développera bientôt la Cabbale.  Et ainsi se forment de multiples communautés d’experts en technique viticoles (Rachi est vigneron à Troyes) qui commercent textiles ou pierre précieuses. Des poussées de violence antijuive répondent à cette immigration

Si les royaumes chrétiens d’Espagne à l’ouest (Léon, Castille) ont connu des pogroms, les juifs ont participé à la Reconquista. A la bataille de Zalaka le 23 octobre 1086, 40 000 combattants juifs en turban noir et jaune combattent les Almoravides mais seulement après la fin du chabbat ! (source) Il faut dire que le roi Alfonse VI de Castille (1072-1109) est tellement philo juif que le pape Grégoire VII l’avertit alors de ne pas permettre aux Juifs de régner sur les chrétiens. Alfonso VIII son fils poursuivra ce philosémitisme à Tolède [i] Jacques Ier d’Aragon (l’ami de Nahmanide qui organise et le défend lors de la disputatio de Barcelone) sera publiquement pleuré par les juifs à sa mort en 1276. Les rois, surtout ceux d’Aragon, considéraient les Juifs comme leur propriété; ils parlaient de «leurs» juifs », de leurs« juderias », et dans leur propre intérêt, ils protégeaient les juifs contre la violence, en les utilisant de toutes les manières possibles (médecine, marchands, paysans, scientifiques, impôts…)

Catalogne

La Catalogne fait partie du domaine des Francs pour les cartographes musulmans.[5] Il semble que s’y déroule une forme de protection des juifs par les autorités chrétiennes au tournant du premier millénaire comme celle que décrit mon conovice Jean-Louis Verstrepen qui a étudié Raban Maur (Mayence 780-856) en milieu carolingien qui dit qu’il semble les juifs « aient pu coexister relativement en relativement bons termes avec la majorité chrétienne sous le regard bienveillant des autorités » dans le monde carolingien « .

Cet époque de renaissance ecclésiale du 9ème au 11ème siècle semble avoir été favorable aux juifs surtout pendant le règne de Louis le Pieux ou « le Débonnaire » quatrième fils de Charlemagne qui règna sur l’Aquitaine, la Bourgogne, la Gascogne, la Provence, la Septimanie et la marche d’Espagne (frontière politico-militaire de l’Empire carolingien dans la partie orientale des Pyrénées qui aillait jusqu’à Barcelone au sud) de 780 à 840 .

En 801 Louis d’Aquitaine, le futur empereur Louis le Pieux, pousse les musulmans hors de Barcelone. Ainsi naît la marche hispanique qui avec l’effritement de l’autorité carolingienne vers 880 voit naître une multitude de comtés de Cerdagne, Urgel, Besalù, Sobarbe, Ribagorza, Pallars, Gérone, Roussillon, Vich, Ampurias et Barcelone qu vont bientôt former la Catalogne.

Les 9eme-12è siècles voient un essor économique considérable lié à de multiples fondations monastiques, et une unification politique pendant laquelle les juifs vont affluer en Catalogne. La Catalogne est dés lors la partie la plus peuplée de juifs de la péninsule ibérique. En 1111, le comté de Barcelone s’agrandit de celui de Besalù, en 1117 de la Cerdagne et en 1132 du Roussillon. (voir ici) Les Catalans seront bloqués au sud par les Almoravides (fin du XIe siècle-1147) puis les Almohades, ces deux dynasties berbères maghrébines qui ont réussi à unifier les deux cotés de la méditerranée du fleuve Sénégal à Tolède.

On constate cette prospérité juive à Barcelone, Gérone et à quelques kilomètres de là à Bésalù en Catalogne espagnole.

A Besalù Les juifs prospèrent à l’ombre de la communautés chrétiennes. On trouve à Besalù l’un des plus vieux mikvé d’Europe du 12e siècle. On y descend par 36 marches. Cette installation en dur d’un ensemble comprenant Mikvé, synagogue et école.

Tous ces éléments laissent penser que les juifs sont là depuis assez longtemps au tournant de ce second millénaire qui voient fleurir les prieurés clunisiens comme « un blanc manteau d’église sur l’Europe » selon la formule du moine Raoul Glabert. C’est à leur ombre que vont se développer les juiveries dans toute la Catalogne. En 1068, le Concile de Gérone ordonne que les terres achetées par des Juifs à des Chrétiens continuent de payer la dîme à l’Eglise. Ce qui montre que des juifs possédaient des terres.

Pendant ce temps la Reconquista, continue toujours plus au sud :

En 1194, la Gérone qui sera bientôt la ville de la Cabbale et deNahmanide sera connue dans le monde juif de l’époque comme « la ville mère d’Israël ». Elle compte 10% de juifs.

En 1229, un document du roi Jacques Ier le Conquérant parle de ces juifs qui font profession de prêteur. En 1342, la communauté, liée à celle de Barcelone, devient indépendante. Ses 200 membres forment 25% de la population de Besalù qui vivent en bonne intelligence avec les chrétiens. Ils sont sujets du roi mais protégés. Leurs droits sont juridiquement les mêmes que ceux des chrétiens même s’il est claire que devant les tribunaux leur parole est souvent mise en doute (voir ici  ).

Les écoles de médecine de Lérida ou de Besalu sont alors florissantes. Les juifs sont médecins, géographes, marchands, preteurs.

Une fois ce paysage posé, observons la trame mentale de l’époque comme nous l’avons fait dans les Asturies plus à l’ouest. Là encore, la politique s’y nourrit de spiritualité apocalyptique.

Apocalypse Catalane : le livre de Daniel

En 1002, nait à Besalù le comte Oliva de Besalù, de Cerdagne, de Conflent, de Berga, et de Ripoll.

Cet homme d’exception, à 31 ans renonce à ses biens et ses propriétés pour devenir moine. En 1008 il refonde[6] le monastère de Saint Michel de Cuxa (prés de Prades) dans les Pyrénées françaises :

… puis son frère fonde celui de Saint Martin du Canigou (ci-dessous), deux hauts-lieux du pèlerinage vers Compostelle.

En 1025, Oliva fonde le monastère de Monserrat, au cœur de l’identité chrétienne catalane jusqu’à nos jours.

On est clairement et bien avant les croisades dans une spiritualité de moines soldats.

Mais Olivà, en plus d’être un spirituel est un homme de paix qui invente « la Trêve de Dieu » en 1027 au Synode de Toulouse, une initiative qui interdit de se battre le dimanche et pacifie les conflits endémiques des féodaux et leurs exactions constantes envers les pauvres.

L’ensemble des sculptures du cloître laissé par l’abbaye de Cuxa, au pied du Mont Canigou, illustre là encore une Apocalypse. Celle de Daniel dans la fosse aux lions. On est dans le texte biblique et, assez curieusement, jamais un personnage du Nouveau Testament n’est représenté.

Mont Canigou (toutes photos DL)

Pour la petite histoire, l’autre partie du cloître est aux cloisters à New York ou John Rockfeller a reconstruit une sorte de mini disneyland médiéval en 1917 avec des chapiteaux et une partie du cloître de Cuxa (photo)


Cloisters NYC, Cuxa !

Le livre de Daniel, une littérature apocalyptique qui regorge d’anges, parle de visions et de miracles comme celui des enfants dans la fournaise (Dn 3) ou de Daniel dans la fosse aux lions (Dn 6, Dn 14), mais aussi pour le récit du jugement de Suzanne (Dn 13). Tous ces passages de veine eschatologique faisant référence au Jugement dernier et à la résurrection de la fin des temps vont être largement utilisées à partir de la période carolingienne. Ainsi comme dans la vision, de Daniel dans une vision attribuée à Charlemagne écrite à Mayence vers 860-8709. L’empereur voit en songe quelqu’un lui offrir une épée, au nom de Dieu.  (source)

Pourquoi ? Pour des enjeux politiques. La vision de l’arbre coupé, devient le symbole de la caducité du pouvoir terrestre. Daniel plein de foi et de visions conseille les rois et le livre est très vite interprété comme un manuel de survie des princes et de leurs conseillers dans la succession des empires décrite dans les chapitres 2 et 7 par la vision de la statue aux pieds d’argile et la vision des quatre bêtes. Les moines, pieux conseillers qui éclairent le roi se reconnaissent en Daniel et tendent ce miroir aux hommes de pouvoir en ces temps de persécution musulmane.

Les moines tournaient donc toute la journée dans le cloître à méditer sur la succession des empires et leur vanité, mais aussi à leur rôle de conseiller des princes ! dans un cadre de guerre des religions et de persécution pour la foi plus au sud.

Ce sommet de l’Apocalyptique biblique déjà illustré dans la statuaire chrétienne wisigothique a été relayé dans le Royaume de Catalogne comme nous l’avions déjà remarqué à San Pedro de la Nave :

Daniel dans la fosse aux lions, église San Pedro de la Nave (castille et Leon) 8e -7e siècle, art Wisigoth

L’arc outrepassé du transept de Cuxa :

… est clairement d’influence mozarabe (invention wisigothique). Ces filiations ont été étudiées par les archéologues du Moyen Age.

source

Elles montrent que les maçons médiévaux travaillaient probablement des deux cotés de la frontière théologique qui séparait alors le Christianisme et l’Islam.

Arc outrepassé, Mosquée de Cordoue. l’architecture omeyyade reprend l’arc outrepassé et l’alternance de brique et pierre, qui proviennent de l’architecture romaine tardive et paléochrétienne mérovingienne et Wisigothe.

Maimonide, un sage au temps des folies millénaristes

A ces millénarismes chrétiens va répondre le judaïsme rationnel d’un Maimonide qui reçoit la philosophie d’Aristote via les arabes.

Maimonide nait à Cordoue le cœur d’Al-andalus et a vu sa famille chassé d’Espagne à l’âge de10 ans. Il a probablement prié à Fès cœur de l’empire Almohade, (litt. « partisans du Dieu unique » des musulmans radicaux en terme de la pureté de la foi et de pratique) comme s’il était un musulman pour simplement ne pas se faire tuer. On le sait car il est reconnu plus tard au Caire par un Musulman qui le traîne en justice pour apostasie de l’Islam. Il fuit donc la persécution almohades qui déferle sur l’Espagne, un islam intransigeant qui n’hésite pas à couper ses ennemis théologiques en rondelles.

Fort de cette expérience il conseille à ses condisciple du Yémen de protéger leur vie en disant les prières musulmanes car la vie est au-dessus de tout pour le judaïsme et les exhorte à ne pas suivre un faux messie.

plongé dans l’hyper violence, au lieu de céder à la folie millénariste qui calcule la fin des temps, Maimonide cite le Talmud et la tradition juive multi-millénaire qui sont impitoyables quant au messianisme juif :

« Et toutes ces choses [la fin du monde et la venue du messie, la Rédemption], nul ne sait comment elles se dérouleront jusqu’à ce qu’elles aient lieu, car ces paroles des Prophètes sont énigmatiques. Les Sages eux-mêmes n’ont rien reçu par tradition à ce sujet, si ce n’est ce qu’en disent les textes, et c’est pourquoi ils sont partagés sur ces sujets. Dans tous les cas, la façon dont ces choses auront lieu en détail n’est pas un sujet fondamental de la foi. C’est pourquoi un homme ne devrait pas s’occuper des récits ni s’attarder sur les contes énoncés sur ces sujets, ni en faire un problème fondamental car ces préoccupations ne l’amènent pas à plus de crainte et plus d’amour de D.ieu De même on ne devrait pas chercher à connaître la date de la venue de Machia’h. Nos Sages ont dit « que se vide l’esprit de ceux qui calculent la fin des temps ». Mais il faut attendre et croire au principe de la venue de Machia’h, comme nous l’avons expliqué. »

Maimonide, Livre des Juges, Lois des Rois, ch.3

On ne doit donc pas renoncer à la marche de l’histoire mais quant à en connaitre la fin… c’est une autre histoire. La réalité est souvent ambivalente et paradoxale : c’est bien d’espérer un monde meilleur, fraternel, de liberté… mais en faire son pilastre et l’imposer par la force conduit à anéantir cet espoir. Il ne s’agit pas de rejeter le rêve d’un monde spirituel (pour le Talmud, celui qui ne rêve pas est malade !) mais d’en combattre l’ambiguïté, la déraison et la violence qui nous habite.

Le millénarisme et les prophéties bibliques et visions des prophètes ? Ce sont bien sur des symboles ! répond le maître de Cordoue émigré au Caire :

Qu’il ne te vienne pas à l’esprit qu’à l’époque de Machia’h sera annulée quelque chose dans la marche du monde, ou que sera changée la nature de la création : le monde continuera selon sa nature, et ce qui est dit par Isaïe « le loup habitera avec le mouton et la panthère paîtra avec l’agneau » est une parabole et une allégorie, dont le sens est qu’Israël résidera en paix parmi les méchants du monde, comparés au loup et à la panthère, ainsi qu’il est dit « le loup des steppes les pillera, la panthère guette leur ville ».

Les Sages du Talmud qui ont écrit « Que se vide l’esprit de ceux qui calculent la fin des temps » (Talmud de Babylone, Sanhédrin 97, 2) ont vu périr 25% de la population juive lors de la destruction du premier Temple en l’an 70 de notre ère. Réfugiés à Babylone après ces massacres ils avaient eu le temps de réfléchir à la folie humaine.

N’importe quel militaire le sait, la guerre produit des fous et les fous mystiques qui partent au nom de Dieu les armes à la main imposer leurs idées en font partie.

Le Christianisme, messianisme par excellence, agité régulièrement de mouvements mystiques nés des grandes périodes de trouble (monachisme, ordres mendiants au Moyen âge, réforme et Jésuites) a eu l’intelligence de ne jamais s’installer dans le Royaume de Dieu. L’Eglise a toujours maintenu que le retour de Jésus était à venir et qu’en attendant il fallait bien vivre, établir un droit canon, agir rationnellement et pas comme un illuminé, porter secours à son prochain, etc… dans sa sagesse l’Eglise ou le Pape ne se sont jamais proclamés Dieu ou son Royaume mais seulement son humble serviteur ou son pavillon témoin… Dans la Légende du Grand Inquisiteur Dostoïevski résume bien cette ambiguïté.

Le 21eme siècle et l’Islam qui ont découvert stupéfaits le terrorisme au nom de D.ieu. devraient se souvenir des ombres de leur propre histoire. « Rien de neuf sous le soleil » comme dit Qohélet. « Le monde suit son cours » ajoute Maimmonide.

Les grandes traditions religieuses dans un réflexe de survie ont toujours condamné les délires millénaristes.

Les juifs en otage

On le voit par ces exemples le mouvement de la Reconquista est marqué par l’imaginaire du Roi chrétien catholique wisigoth puis Asturien, Prince Catalan catholique enfin. Les moines soutiennent cette matrice idéologique théocratique du Roi très chrétien repoussant l’envahisseur musulman qui sera au fondement de la Reconquista, puis de l’unification de l’Espagne par Isabelle la Catholique et Ferdinand d’Aragon. Un jeu dans lequel les juifs ont tout à perdre. Ils sont d’abord accueilli les musulmans comme des libérateurs de wisigoth.

Les juifs vont être les otages de la lutte entre chrétiens et musulmans d’une période qui se déroulera durant 8 siècles ! de la première moitié du 8e siècle à la fin du 15e siècle. Il y seront taxés, rançonnés, déportés, pressurés d’impôts. Et malgré ces conditions difficiles produiront les plus grandes oeuvres de l’Esprit de l’histoire juive.

La conquête

Profitant des anciennes voies romaines (voir notre articles sur L’histoire des séfarades dans l’Antiquité), la conquête de la péninsule ibérique menée le 30 avril 711 par le général berbère Tariq ibn Ziyad à partir du Maroc, à la tête de 7 000 berbères puis de 18 000 hommes de son supérieur Musa convertis à l’Islam, est fulgurante. En 3 ans l’empire Wisigoth catholique est tombé.

La résistance part des Asturies en 718. Cinq royaumes chrétiens naissent successivement qui vont se fédérer peu à peu jusqu’à l’unification de 1492 à la fin de la Reconquista : Navarre (824), Léon (910), Aragon (1035), Castille (1065) et Portugal (1139). le religieux est donc le ciment de l’unité politique.

Les premiers pactes passés avec les populations chrétiennes au VIIè siècle les assuraient de la protection des peuples du livre du Coran. Les débuts ne furent ni idylliques ni désastreux pour les juifs remis en piste du grand commerce international et de la circulation des idées grecques (Sans la diffusion d’Aristote pas de Maimonide).

Les juifs comme les chrétiens vivent comme dhimmi dans l’Espagne musulmane, ils ont l’autorisation de pratiquer leur culte et d’observer la Torah, d’avoir leurs magistrats (dayanim) mais ils paient l’impôt des gens du livre et celui de la charité aux pauvres. Ils ont un statut social inférieur, peu d’accès aux fonctions publiques, et pas aux fonctions militaires ou politiques. Comme dans le monde chrétien ils ont des droits réels mais sont des citoyens de second rang.

Les mauvaises années

La persécution va commencer pour les chrétiens vers 756 quand Abd-er Rahman 1er est nommé émir dans la grande mosquée de Cordoue. Il est le fondateur de l’émirat d’Occident. Son autorité sera jointe à l’intolérance la plus radicale. Il fait détruire des églises et commencent les conversions forcée à l’Islam des chrétiens. Les mouwalad (« adoptés »), renégats chrétiens dont se méfient catholiques et musulmans lanceront les révoltes du 9e siècle (Cordoue en 818).

Hasdaï ben Yitzhak ben Ezra ibn Shaprut, médecin d’Abd-er Rahman 1er, est juif. Diplomate il négocie avec Constantin VII, Otton 1er… Mécène il soutient le juifs locaux mais également les académies babyloniennes de Soura et Poumbedita ne Babylonie.

Le mozarabes (chrétiens de langue arabe conservent cependant leurs églises, beaucoup fuient vers les asturies. Les juifs rasent les murs mais conservent leurs synagogues. L’arabisation progresse.

L’orthodoxie musulmane intégriste malikite de son fils Isham 1er   qui règne de 796 à 822 poursuivra ce mouvement d’intolérance.

Les choses vont se gâter pour les juifs sous Abd-er Rahman III fils d’une captive chrétienne qui règne entre 912 et 961 et installe à Cordoue la capitale de l’Occident. C’est l’heure de la splendeur pour Cordoue.

En 1010 le règne Omeyade su termine dans une guerre civile entre factions musulmanes, pour la tête du Califat.

L’apocalyptique chrétienne et la réflexion politique sur la succession des royaumes naissent dans cette ambiance survoltée de guerre civile arabes et berbères, de guerre religieuse entre chrétiens et musulmans au 11e siècle. Les communauté juives sont exsangues.

L’âge d’or juif

Au début de la conquête musulmane les juifs évitent les charges politiques. Leur arabisation va leur permettre de s’intégrer à la société musulmane et de changer cette situation grâce aux plus talentueux d’entre eux. Ils sont juifs médecins, commerçants ou paysans (le « judaïsme des villes » est une fable). Deux siècles plus tard on en trouvera au 10é siècle conseillers des princes musulmans.

Le renouveau de la poésie juive médiévale en arabe va venir d’un homme singulier.

Samuel ibn Nagrela (993-1055) qui est l’un des plus grands Richonim, écrit une encyclopédie de grammaire hébraïque en 12 tomes, il est le Nagid de Grenade (représentant de la communauté). Mais il est aussi le vizir, c’est à dire le premier ministre et le chef des armées d’Al-Andalus. Il monte à cheval, commande des musulmans et guerroie, ce qui est interdit à un dhimmi… et écrit des poésies sur le champs de bataille, traduit de l’hébreu des poésies juives, se fait bâtit l’Alhambra de Grenade.

Et son fils Yoseph lui succède !

Las, moins habile que son père il est accusé de vouloir assassiner le Sultan il sera crucifié en 1066.1500 familles, 4 000 juifs sont exterminés ce jour (massacre de Grenade)

L’âge d’or juif médiéval ne dure en réalité qu’une très courte période en Espagne musulmane, de 1002 à 1086. (voir ici)

Comme l’а écrit Gérard Nahon : « cette période n’est qu’un court intermède dans une histoire âpre et frappée au sceau des guerres, déplacements, extorsions, un intermède essentiellement intérieur à la communauté juive qui donne le meilleur de son expression intellectuelle et spirituelle. Elle y parvient non à cause des conditions idylliques d’existence à l’ombre du Croissant, mais en dépit de la situation inférieure et précaire qui reste son lot »

Les hautes figures de cette époque sont : Jonah ibn Janah, de son vrai nom АЬп-1-Walid Marwân Ibn Janah (Cordoue  985 — 990); Le poète et grammairien hébraïque Moïse ben Jacob ibn Ezra connu aussi sous le nom d’Abu HarOn (Grenade 1055 — après 1 135) ; Salomon ben Judah ibn Gabirol (1020—1057) en arabe Abu Ayyub Sulayman ibn Yafryâ, en latin Avicebron ou Avencébrol (Malaga 1020 —), De Bahyé ben Joseph Ibn Paquda, (1040-1050 — 1110-1 120),… naviguant entre Royaumes chrétiens et arabes les juifs vont se faire grammairiens, lexicographes, poètes, philosophes dans une renaissance de l’hébreu et de la poésie en langue arabe inégalée depuis.

Le milieu du 13eme siècle sonne le glas de la paix pour les juifs. En 1263, Nahmanide tombe dans le piège de la dispute de Barcelone face au Père Pablo Cristiano, un juif converti au christianisme. L’année suivante il s’exile en terre Sainte.

Résonnances contemporaines

Les savants contemporains feignent de découvrir que l’islam a été un grand compilateur des cultures qu’il a rencontrées lors de son déploiement entre 612 et 711. Un petit peuple de bédouins venu d’un désert d’Arabie peut bien conquérir le monde de l’Inde à Gibraltar, il ne peut pas en un siècle inventer une architecture, une sculpture, une peinture, une littérature, une poésie, un système politique, un droit, un cartographie (qui pour eux est celle de Ptolémée), des sciences (grecques) …

La religion qui se voulait le sceau de la révélation a donc repris le génie des peuples qu’elle a rencontrés en les adoubant. Elle a compilé, et posé un sceau sur les créations de l’esprit qu’elle a rencontrées en Iran, en Afrique, en Asie ou en Europe, selon sa théologie de cette révélation donc elle se voulait le sceau.

La grande mosquée de Constantinople n’est donc autre que la cathédrale Sainte Sophie des byzantins sans ses statures mais avec Marie (Myriam) et Jésus (Issa) sur la voute et quelques calligraphies arabes, la grande mosquée de Cordoue et ses arcs outrepassés ne sont pas une invention musulmane, la musique arabe L’arc outrepassé est une invention wisigothique du 6ème siècle.

L’actualisation de l’histoire d’Al Andalus pour applaudir la mondialisation et l’idéologie du multiculturalisme pour prêcher une magnifique convivialité passée ne repose sur rien de solide. Il s’agit d’une histoire de 8 siècles avec des bons et des salauds, des saints et des soldats, de courtes périodes de paix et beaucoup de violences, comme tout le Moyen Age.

De l’autre coté, utiliser cette histoire pour affirmer une identité chrétienne immémoriale tout comme le rêve d’une Espagne à nouveau musulmane, pour se protéger de l’immigration en Europe au 21è siècle en faisant de l’Islam un coquille vide qui aurait juste véhiculé quelque manuscrits grecs et le zéro inventé par les babyloniens ou les chinois sont forcément des entreprises idéologiques vouées à l’échec. Les questions récentes pour savoir si les conquérants d’Al Andalus étaient des berbères – ce qu’ils furent initialement, ou des arabo musulmans – en vue de lancer une Reconquista moderne ou diviser les musulmans supposés unis en une seule oumma se passent de commentaires.

Le rêve d’un nouveau califat au Cham ou à Cordoue ou le point de départ d’une reconquête chrétienne moderne ne signifie plus rien à l’heure où les religions ne se caractérisent plus par leur emprise sur une territoire, méditerranéen dont les colonnes d’Hercule étaient la dernière frontière. Le monde antique et le Moyen Age sont finis. Les religions qui correspondaient à un territoire et luttaient dans une guerre de conquête territoriale pour l’agrandir et prouver ainsi leur validité doctrinale ou théologique, sont désormais complètement déterritorialisées dans la globalisation. Qu’on s’en afflige ou qu’on s’en réjouisse, chacun de nous a au bas de chez lui toutes les religions du monde, c’est un fait. Et plus une question religieuse.

C’est triste à dire mais hommes ont toujours trouvé de bonnes raisons de faire la guerre et les religions leur ont permis de couvrir leurs exactions et leurs psychologies tordues.

Quant au rêve millénariste, il suffit de relire l’histoire d’Al-andalus pour comprendre que ce n’était probablement pas un Etat rêvé de paix universel mais une guerre civile continue de 8 siècles de conflits religieux larvés mêlés d’intérêts politiques et de prédations claniques de factions toutes assurées de leur « bon droit » divin. En huit siècles il ne peut pas y avoir eu un Islam et un Christianisme antagonistes et un Judaïsme entre le marteau et l’enclume mais une multitude de courants. Le rationalisme d’un Maimonide largement développé en terre d’Afrique du nord et en Egypte, n’a rien à voir avec la kabbale des maîtres Castille, de Posquière-Lunel ou de Gérone.

A travers tout cela, et malgré tout, il nous suffit de relire Maimonide ou Nahmanide ou de regarder Cordoue pour comprendre que, malgré tout, demeurent les oeuvres d’art et de l’esprit comme autant de demeures, de maisons spirituelles, sans territoire. Pas de « grand soir » donc ni de guerre de Gog contre Magog ni de paix universelle, mais de simples et fragiles témoignages de ce qu’il y a de plus beau et grand dans l’esprit humain. Des créations de l’Esprit. Et c’est probablement cela le grand miracle. Que l’Eternel oppose à nos désirs de miraculeux et d’Apocalypses glorieuses.


[1] Gershom Scholem. Sabbataï Tsevi. Le Messie mystique (1626-1676). Verdier/poche

[2] Emmanuelle Tixier Du Mesnil, Géographie d’Al Andalus, Editions de la Sorbonne.

[3] source

[4] (bahr al-muḥīṭ), selon une terminologie empruntée aux géographes grecs. Il s’agit là d’une limite presque aussi mythique que la muraille de Gog et Magog (source : Emmanuelle Tixier Du Mesnil, Géographie d’Al Andalus, Editions de la Sorbonne)

[5] Ibn Hawqal écrit au IXe siècle “L’Espagne est une presqu’île qui touche au petit continent (c.-à-d. l’Europe) du côté de la Galice et de la France : elle fait partie de l’ensemble du Maghreb (Ibn Hauqal 1964, p. 58). Un peuple prédomine dans cette Europe, ce sont les Francs (Ifrandja) “Parmi les catégories d’infidèles proches de l’Espagne il n’y a pas de peuple plus nombreux que les Francs” (Ibn Hauqal, 1964, p. 110) mais ils sont loin d’être seuls. Au nord, dans l’océan un peuple mystérieux est entraperçu : les Normands, qui parviennent à réaliser des raids jusqu’en Espagne. Détachées du continent, on connaît plusieurs îles dont la Bretagne (comprenons la Grande-Bretagne) et l’Irlande. Au nord du Tage, les choses ne sont pas si simples, il y a certes les Francs (en Provence et Catalogne) mais aussi les Galiciens, les habitants de la région de Huesca (en arabe Ghalidjashkash) et les Basques. Un peuple apparaît comme voisin des Francs, les Burgondes. En continuant vers l’Italie (dont le nom n’apparaît quasi jamais), on arrive chez les Lombards. (Source : Jean-Charles Ducène, L’Europe dans la cartographie arabe médiévale )

[6] Y existait une église fondée en 953, embellie et consacrée en 974 sous l’abbatiat de Guarin

[i] « Judah ben Joseph ibn Ezra (Nasi) jouit alors d’une influence considérable auprès du roi. Après la conquête de Calatrava (1147), le roi plaça Juda aux commandes de la forteresse, faisant plus tard de lui son chambellan à la cour. Juda ben Joseph avait une telle faveur auprès du roi que celui-ci, à sa demande, non seulement admis à Tolède les Juifs qui avaient fui les persécutions des Almohades, mais aussi assignèrent même de nombreux fugitifs à Flascala (près de Tolède), Fromista, Carrion, Palencia et d’autres endroits, où de nouvelles communautés furent bientôt établies. En reconnaissance de ses services fidèles, Juda reçut, un an après la mort d’Alfonso (1157), de son fils Sancho, cinq jougs de terre à Azaña (Illescas) pour lui et ses enfants (Fidel Fita, « La España Hebrea », i. 20et suiv. ). » (source : Jewish Encyclopedia)

Histoire des Séfarades (1 – Antiquité ) : des juifs en « terre des lapins » ou au bout du bout du monde ?

Nous commençons ici une histoire des Séfarades de l’Antiquité à Al Andalus en passant pas l’Empire wisigoth et la Catalogne carolingienne. Le sort des juifs est complètement lié aux hégémonies des empires et Califat où il sont vécu de Rome à la Reconquista. Il est un peu vain de spéculer sur cette histoire pour en tirer des leçons contemporaines sur l’immigration dans l’Europe moderne ou un modèle de tolérance entre des religions essentialisées.

Tarsis en Espagne ?

« La parole de l’Eternel fut adressée à Jonas, fils d’Amittaï, en ces termes: « Lève-toi! Va à Ninive, la grande ville, et prophétise contre elle; car leur iniquité est arrivée jusqu’à moi. » Mais Jonas se leva pour fuir à Tarsis, hors de la présence de l’Eternel »

Livre de Jonas 1, 1-3

Certains associent le pays de Tarsis mentionné dans les livres d’Isaïe, de Jérémie, d’Ézéchiel, dans le premier livre des Rois; le livre de Jonas et les Psaumes, avec l’ancienne civilisation de Tartessos. Cette

Tartessos est une ville portuaire semi-mythique qui apparaît dans des sources grecques et du Proche-Orient à partir du premier millénaire avant notre ère.

Hérodote au 5ème siècle avant notre ère note :

« Ils (des marins Grecs de Samos) passèrent les colonnes d’Hercule, et arrivèrent à Tartessus, sous la conduite de quelque dieu. Comme ce port n’avait point été jusqu’alors fréquenté, ils firent, à leur retour, le plus grand profit sur leurs marchandises qu’aucun Grec que nous connaissions ait jamais fait. »

Il situe tous Tartessos au niveau des Colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar), le bout du bout du monde connu alors ou se déverse la mer méditerranée.

Pausanias le Périégète qui vécut entre115 et180 de notre ère confirme l’existence de cette antique Tartessus au bord du Guadalquivir :

« Ils disent que Tartessos est un fleuve en terre ibérique qui se jette dans la mer par deux bouches et qu’entre ces deux bouches se trouve une ville du même nom. Le fleuve, qui est le plus grand d’Ibérie, et connaît la marée, est appelé plus récemment Baetis, et que d’aucuns pensent que Tartessos fut l’ancien nom de Carpia, une ville des Ibères. »

On ne sait si un juif mis les pieds à Tarsis à l’époque ni si cette Tartessus est laTarsis biblique ou Tarse en Cilicie (un candidat moins probable) où les vaisseaux de Salomon allaient chercher des métaux précieux… mais nulle doute que le rêve de Tarsis au bout du bout du monde, ville de commerce et de marchands avait déjà commencé.

Ce qui reste sûr c’est que pour un gréco-romain les colonnes d’Hercule, notre « détroit de Gibraltar » représentent la fin de cette Méditerranée qui est la seule globalisation connue.

Selon le récit du Timee de Platon, le royaume perdu d’Atlantide était situé au-delà des colonnes d’Héraclès, un inconnu fascinant et mythique, le point le plus éloigné vers le couchant où séjournaient des créatures terribles comme les gorgones ou le guerrier Geryon aux trois bustes, ou encore les morts dans l’île des bienheureux.

Les juifs à Sefarad dans l’Antiquité

Dés l’Antiquité les juifs sont présents dans la péninsule ibérique. Dés -400 -500 avant notre ère.

On trouve une inscription trilingue (hébreu, grec, latin) de cette époque à Tarragone (Catalogne), gravée sur une plaque de marbre qui appartenait probablement à une vasque d’ablutions.

Y est écrit en hébreu :

« Paix sur Israël, sur nous et nos enfants, amen ».   

Les motifs iconographiques présents sur le sarcophage, sont des paons et l’arbre de la vie .

Une amphore datée au moins du 1er siècle avant notre ère découverte à bord d’un navire près d’Ibiza, dans les îles Baléares comporte deux caractères hébreux témoignant de contacts, directs ou indirects, entre les Juifs et ces îles, à cette époque.

Lire la suite de « Histoire des Séfarades (1 – Antiquité ) : des juifs en « terre des lapins » ou au bout du bout du monde ? »

Histoire des juifs de Gérone

Histoire des juifs de Gérone

Les juifs en Catalogne et à Gérone au Moyen Age

L’existence des juifs à Gérone est bien documentée[1], et ce dès 888-890. 25 familles habitent alors à l’ombre de la cathédrale. Il est probable que ces juifs viennent de Besalù, leur venue est la conséquence de la vente des terres sur lesquelles ils vivaient au comte Dela. On peut encore voir à Besalù le mikvé de cette communauté d’origine.

On trouve dans les archives de la cathédrale de Gérone la vente d’une maison d’une juive appelée Doucerella en 963. Puis la vente de terrain d’un juif à un prêtre en 1010, un préteur en 1072. En 1160 un juif appelé Vidal (Haïm) vend sa vigne.

Lire la suite de « Histoire des juifs de Gérone »

L’expulsion des 39 derniers juifs de Catalogne

Port vendres
Le 3 septembre 1493, Charles VIII restitue le Roussillon et la Cerdagne à l’Espagne. Le 13 du même mois, les Rois Catholiques pénètrent dans Perpignan.

Le 21 septembre 1493 un second édit dexpulsion est proclamé. Il est écrit en catalan et signé seulement par Ferdinand. Il accorde trente jours à tous les Juifs pour partir de ses terres. Il n’en restait que fort peu.

Rassemblés dans la baie de Port-Vendres dans lattente du départ prévu pour le 21 octobre, mais épuisés, malades, et devant des éléments naturels déchaînés, ils obtiennent lautorisation dattendre quelque temps avant de sembarquer à Collioure en direction de Naples sur le “Santa Maria i sant Cristofor” de Pierre Soler. Mais pour ce faire, il leur faut payer “un nolis de deux ducats en or, par tête, en exceptant les enfants à la mamelle et ceux que les femmes grosses portent dans leur sein”.


Totalement ruinés, ils sont obligés de demander au procureur royal de pourvoir à leur alimentation pendant la traversée.

Entassés sur cette embarcation, ces trente-neuf exilés, ces trente-neuf derniers Juifs catalans qui ont refuse la conversion voient avec tristesse s’éloigner cette terre que leurs ancêtres avaient tant aimée, et malgré tous les ressentiments qu’ils auraient pu éprouver, malgré tout ce qu’ils avaient pu endurer, ils lemportèrent avec eux dans leur cœur. Et durant des années, des décennies et même des siècles, ils continuèrent à vivre, à parler, à chanter, et même à cuisiner comme leurs lointains ancêtres.

Madame Francesca Caruha, auteur de cette œuvre artistique en a défini elle-même la symbolique : “En projetant leur ombre de soleil sur le socle en forme de Méditerranée, ces trous gravent la place des âmes ancrées en pays catalan”.

Qu’il nous soit permis de lire une dernière fois leurs noms :
Gracia Menahem Mossé, sa fille et son gendre.
Abraham Fuentes et sa femme.
Jucef Hasday et sa famille.
Na Stelina et son fils.

Bendit et sa mère.
Nissim et sa famille.

Jucef Léo Salomon et ses enfants.
Salomon de Larat et ses enfants.

Na Petrossa.
Ysaac de Piera et sa famille.

Nathan Mossé et sa famille.
La Lolita et un enfant.

Jacob et sa femme.

 

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Source : https://sites.google.com/site/lalettresepharade/home/la-revue-par-numero/numero-17/l-exil-des-derniers-juifs-catalans

Catalogne juive : le mikvé de Besalu

Suite de nos pérégrinations en Catalogne, après Gérone : Besalu où se trouve une des plus anciens mikvé d’Europe.

Les juifs à Gérone et en Catalogne au Moyen-Age

Nahmanide à Gérone

C’est assez drôle après avoir travaillé il y a vingt ans sur la Catalogne romane de retrouver celle-ci, mais coté juif. De passage à Gérone voici quelques réflexions. Gérone

 

 

Les juifs à Gérone

L’histoire des juifs de Gérone commence en 890, l’année où un groupe de juifs en provenance du comté de Besalù, a vendu, au comte Dela, les terres sur lesquelles ils vivaient. Ce comte les installe en échange dans « sa ville de Gérone ». Plus tard en 1160, un document cite pour la première fois le «callis judaicus », habité par les juifs du XIIe siècle jusqu’à la fin du XVe siècle, mais c’est au XIIIe et XIVe siècles que le call connut son âge d’or.

 

Rue juive à Gérone

Dans le centre médiéval de Gérone, juste en dessous de la Cathédrale,
on découvre un entrelacs de petites rues pavées aux ombres sombres le Call Jueu

Géone-quartier juif

Gérone, quartier juif et Musée d’histoire des juifs

Haggadah de Gérone

Haggadah de Gérone, XIVème siècle, Musée d’histoire des juifs

A cette époque-là, le quartier juif abritait deux synagogues, des maisons d’habitation et des bâtiments communautaires ainsi que des abattoirs pour la viande kasher et des « mikvé » (bain rituels) dont on peut voir l’un d’eux au musée d’histoire juif.

 

Besalú Mikvé

Mikvé à Besalù (Catalogne) construit en 1264 à côté de la synagogue (détruite)

Mikvé a Gérone

Mikvé à Gérone utilisé de 1435 jusqu’à l’expulsion de 1492.

Parmi les habitants du call, les familles les plus aisées avaient pour noms Ravaia, Astruc, Benet, Saporta, Saltell, Caravita, Aninai, Sabarra ou encore Falco. Les juifs qui vivaient dans des calls étaient nombreux en Catalogne : 4000 à Barcelone, 800 à Gérone et à Perpignan, 500 à Lleida et 300 à Tortosa.

Lors de son passage à Gérone Benjamain de Tudèle qui visita les communautés juives jusqu’en Inde sans oublier l’Egypte et l’Afrique et qui fut le premier occidental à décrire la Chine avant Marco Polo rapporte vers 1160 :

La ville de Barcelone est à deux journées de là (Tarragone). Elle renferme une sainte réunion d’hommes sages et lettrés, de grands et nombreux chefs, tels que les docteurs Schescheth, Schealthiel et Salomon fils d’Abraham ben Chasdaï, dont le souvenir soit en bénédiction. Barcelone est une ville petite, mais jolie, située sur le bord de la mer. Les négociants y abordent de toutes parts avec leurs marchandises ; de Pise, de Gènes, de la Sicile, de la Grèce, d’Alexandrie en Egypte, de la Palestine, et des pays limitrophes. De Barcelone à Gironne, où se trouve une petite communauté juive, il y a une journée et demie de chemin. Le poète Zerachia le Lévite préside cette communauté.

 

Nahmanide… versus Maïmonide

 

Rue de Nahmanide2

Carrer del Manuel Cundaro à Gérone,
La rue où habitait Nahmanide

Rue de Nahmanide3

Carrer del Manuel Cundaro à Gérone,
La rue où habitait Nahmanide

C’est ici qu’est né en 1194 et a vécu Rabbi Moshé Ben Nahman, Nahmanide, souvent désigné par l’acrostiche Ramban (à ne pas confondre avec le Rambam, Maïmonide), l’une des plus hautes autorités du judaïsme espagnol de son temps Rabbin de Gérone puis chef spirituel de la communauté juive de Catalogne. Il était philosophe, cabaliste, talmudiste, poète, et pratiqua la médecine comme moyen de subsistance, à l’image de Maïmonide ou Juda Halevi et de nombreux juifs de son époque.

A la pensée rationnelle de Maïmonide : il n’y a pas de miracles :ceux-ci, même l’ouverture de la mer à la sortie d’Egypte, ont été créée dans le massé berechit, l’œuvre du commencement, on parle d’ange quand on ne sait pas encore ce que la science découvrira,D. n’intervient pas dans les lois de sa Création le « monde suit son cours » , Nahmanide, son grand adversaire postérieur accepte le « surnaturel »  et propose d’approfondir notre expérience du monde visible : la Torah est remplie de secrets cachés (nistar), qu’il est interdit de révéler, car ils sont justement cachés. A l’homme de d’en découvrir le mystère par l’étude et la vie. Cette conception mystique ouverte engage tout une conception de la Providence en ce monde c’est  à dire de la présence de D. dans l’histoire.

L’ésotérisme de la Kabale et une méthode d’exégèse originale était le corollaire naturel de cette théologie.

Kabbale à Gérone

Amulette de Kabbale, Musée d’histoire des juifs de Gérone, XVIIème siècle :
Au centre, en trois cercles concentriques, on voit une Maguen David, bordée des deux côtés par deux étoiles, deux mains et quatre carrés, tous remplis avec des lettres de l’alphabet hébreu, qui, combinées de manière appropriée, forment des noms des anges, comme Raphael. Dans l’un des carrés a été écrit le Tétragramme divin. En bas est  répétée trois fois la phrase « Ha-Eish shaka ha-Eish » (le feu coule-s’arrête, dans le feu). Cette amulette a été utilisée pour éloigner les mauvais esprits Elle devait ressembler à celles des Juifs de la Gérone médiévale.

Comme le dit Yéshayahou Leibovitz, Nahmanide « vivait dans deux univers incompatibles l’un de l’autre et vivait, de plus, intensément dans chacun de ces deux mondes. D’un côté personne ne connaissait mieux que lui le Guide des égarés [de Maïmonide], mais d’un autre côté, Ramban est en fait le père de la kabale. »

Mais cette théologie avait aussi un enjeu en terme d’interprétation du texte sacré : Il fallait passer du Pshat (sens simple), au Remez (sens allusif), au Drash (sens allégorique), au Sod (sens secret), sans jamais lâcher un niveau en cours de route. Si quelqu’un analyse la totalité de la Bible avec ces 4 niveaux d’interprétation il arrivait au Pardès, au paradis, selon Nahmanide.

Cette conception émanatiste du sens tout comme la réflexion sur les séfirot de la kabbale est en fait à mon sens néo-platonicienne. Elle ne prend pas en compte l’apport conceptuel déterminant que fut la  seconde entrée en occident de la philosophie aristotélicienne via Averroès et Avicenne dont Maïmonide tira toutes les conséquences. Il eut le courage de rendre à ce monde son épaisseur et à la raison son indépendance par rapport à D. D. ne joue pas aux dés, pas plus qu’il n’est dans un « shoot them up » à faire mourir ses fils. On peut et on doit le prier pour sa santé, sa fortune ou son avenir mais il n’est pas le super ministre de la santé, le ministre des finances ou un assureur général de l’humanité. Le monde suit son cours et l’homme est invité à l’éthique heur s’il veut produire du bonheur et non de la mort et des guerres, et, au service de Dieu, pour rien. Lishma. Pour le Nom. Parce que c’est simplement sa vocation sur cette terre.

Reste que selon l’adage talmudique : « tout dépend de D. sauf la crainte de Dieu » et c’est un paradoxe de se dire que tout dépend de D. et que nous sommes seuls responsables.

 

La dispute de Barcelone

Ami personnel du roi Jaume Ier, Nahmanide fut de ce fait admiré aussi par les chrétiens.

Sage juif, Ryland Haggadah, fol. 28b, Catalogne, XVème siècle

En juillet 1263 à Barcelone Nahmanide fut convoqué de Gérone à Barcelone pour s’opposer à Paul Christiani, un juif converti au christianisme devant toute la cour d’Aragon et les princes de l’église. La Dispute durera quatre jours. Le sujet ? la venue du Messie et sa nature c’est à dire le point de rupture entre judaïsme et christianisme, le sens de l’exil du peuple juif, dépossédé du pouvoir politique. Avec pour enjeu la fondation politique de l’église. Si le messie n’était pas venu elle était seulement un pouvoir humain. Qui des chrétiens ou des juifs avaient raison. Nahmanide s’engage dans la dispute et répond aux arguments talmudiques de Christiani avec humour. Il rend les citations à leur contexte et montre que si les Sages du judaïsme avaient véritablement cru en la messianité de Jésus… ils se seraient convertis. Il montra surtout que le messianisme n’avait pas une position centrale pour la foi juive. En cela il était d’accord avec Maimonide.

Nahmanide, avait d’avance reçu la promesse du le roi Jacques de sa pleine liberté de parole et il fut récompensé par son protecteur. Il gagna la bataille mais pas la guerre. L’hostilité des Dominicains lui fut désormais acquise. Ils obtinrent que les livres de Nahmanide soient brûlés et qu’il soit exilé pour deux ans puis son bannissement à perpétuité.

 

Un billet aller Gérone-Jérusalem

A 72 ans, vers 1267, Nahmanide quitta l’Espagne pour aller vivre dans les ruines désolées de Jérusalem.

Il y écrit :

Nombreux sont les lieux abandonnés [en Israël] et grande est la profanation. Plus un endroit est sacré, plus il a été dévasté. Jérusalem est l’endroit le plus désolé de tous.

Pour aussitôt retrouver l’espoir :

Ce que D.ieu affirme là, « Je laisserai la terre si dévastée que vos ennemis… » (Lévitique 26,32-33) constitue une bonne nouvelle, qui proclame que durant tous nos exils, notre terre n’acceptera pas nos ennemis. Il s’agit d’une grande preuve et d’une garantie pour nous, car dans tout le monde habité, on ne peut trouver une aussi bonne et grande terre qui a toujours été habitée et qui pourtant est aussi en ruines qu’elle ne l’est [aujourd’hui].Car depuis le moment où nous l’avons quittée, elle n’a accepté aucune nation ou peuple et ils ont tous tenté de s’y installer, mais en vain.

Peu avant de mourir à Jérusalem vers 1270, Nahmanide, écrivit à ses enfants restés à Gérone.

 Je suis un homme qui a ressenti la piqure de la douleur. J’ai laissé la table dressée et je me suis éloigné de mes amis et de mes compagnons, car le voyage est long et plein de soucis. Moi qui était prince pour mes frères je vis dans des auberges de passage. Maisons et héritage, j’ai tout abandonné, l’âme et l’esprit j’y ai laissé.

Il ne reste plus de communauté juive en Catalogne qu’à Barcelone et Perpignan. Sur les 300 000 juifs qui vivaient en Espagne au XVème siècle il sont aujourd’hui 0,2% de la population espagnole.

Lettres de l’exil séfarade : Nahmanide

Barcelone, juillet 1263. L’Espagne catholique est au fait de sa puissance. Le roi d’Aragon Jaime Ier piqué par la curiosité… et l’Inquisiteur Raymond de Pennafort, provoque devant sa cour et tout ce que l’Espagne catholique compte de mitres, théologiens, inquisiteurs, artisans, habitants de Barcelone et des faubourgs…. Rabbi Moïse ben Nahman (Nahmanide) né à Gérone en 1194, l’une des plus hautes autorités du judaïsme espagnol de l’époque, et, Paul Christiani, dominicain et juif converti au christianisme pour une Disputatio (« dispute » théologique dans l’esprit de l’époque, c’était avec la lectio le second pilier de l’étude) qui va durer quatre jours. Le match à grand spectacle, (à Barcelone Fabrice ! ), promet d’être passionnant, il est précédé d’une vaste campagne de communication en vue de conversions des juifs au christianisme, d’interventions du pape auprès du Roi (deux Bulles visant à ce que le roi modifie son attitude envers les juifs et censure les écrits rabbiniques)… Au menu: la venue du Messie et sa nature.

Girona - Call juderia

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