La Soucca, rempart fragile à la folie humaine

La cabane délimite une clôture symbolique séparant la nechama de ce lieu indifférencié qu’est le désert où ‘rien n’appartient à personne’ (Talmud). Cette haie de sainteté est un tentative pour créer un intériorité afin de lutter contre la folie ordinaire.

Le judaïsme s’intéresse plus aux gestes qu’aux grands élans spirituels.

Il offre à celle ou celui qui le pratique des rites efficaces qui agissent directement sur les couches les plus profondes de son inconscient. Le geste répété agit comme un cadre symbolique qui conduit à établir un étayage psychique sain qui informe ensuite la vie de celui qui le pratique. En cela il rejoint les très nombreuses écoles de sagesse de l’antiquité pour qui la spiritualité était une pratique ( Cf les travaux de Pierre Hadot).

Le judaïsme agit non seulement à un niveau conscient mais inconscient, le sacrifice au temple pouvant être relu à la suite de l’analyse de Haïm Harboun comme un véritable processus d’abréaction qui permet par une brusque décharge émotionnelle d’extérioriser le refoulement.

Bien sûr, on ne peut pas réduire la mitsvah à cet aspect pratique et phénoménal, sinon le judaïsme serait juste une gymnastique de bien-être permettant d’intervenir dans le monde phénoménal (olam hazé). La bénédiction ou la prière mettent en contact l’instant humain et l’éternité – Olam Abba, le monde qui vient. Deux volontés s’y rencontrent. D.ieu supplie l’homme d’être humain afin qu’il accède à ce qu’il est, sa Nechama.

La prière ne vise pas le miracle, car sinon, cela voudrait dire que l’homme pourrait contraindre D.ieu, devenu un super ministre des finances, de la santé ou de l’amour… une fonction de ce monde parmi d’autres, fut-elle la plus haute, ce qui serait de la pure idolâtrie. Ceux et celles qui ont vu le miracle de la mer sont les mêmes que ceux qui ont fait le veau d’or nous avertit Maimonide. Le miracle ne prouve donc rien. La prière est avoda, travail, le geste ou la mitsvah sont sans raison, ils ne s’adressent qu’au Maître du monde sans autre but que de le servir et cela suffit. L’unité de Dieu signifie qu’il ne fait pas nombre avec la fragmentation de ce monde. Israël ou le juif ont une fonction signifiante de séparé, particularisé.

Le judaisme n’est pas non plus une check-list d’interdits ou de choses à faire laborieusement, mais une invitation à vivre, à faire exister cette nechama unique que D.ieu a donné à chacun.e. Que ferais tu si tu mourrais ce soir demande Maimonide dans ses chapitres sur la Techouva. En clair : est-ce que tu as véritablement pris au sérieux cette vie et la mission de faire exister ta Nechama ?

Ceci dit si la mitsvah ne vise pas le monde phénoménal elle ne s’absout pas de l’humain. Au contraire. Elle en rétablit les structures symboliques détruites par le péché. Elle crée de l’intériorité pour unifier (Je ne parle pas des mitsvoth liées aux préjudices mais de celles qui semblent sans autre objet que de servir D.ieu.).

La vie juive est une structuration symbolique de la réalité pour y créer une intériorité.

Si l’on prend les interdits (melakhot) liés au Chabbat, ils sont structurés par la fabrication du pain, par celle de l’habit et par celle de la maison. Pourquoi ? Parceque la vie (le pain) nécessite un espace qui la protège (le corps qu’enveloppe l’habit). Sans maison la socialité s’épuise, se répand. Sans membrane la cellule meurt.

La création de l’espace intérieur vise à unifier la vie de l’humain. De fragmentés, en vrac, nous pouvons nous recueillir. La havdala, la « clôture » permet de séparer le Kadosh du Hol, le saint du profane, le particularisé du vrac.

Il faut ici éviter une erreur. Le processus de création de la Torah est conçu comme positif. Le monde n’est pas un chaos dégradé et fragmenté d’une entité divine parfaite et une comme chez Plotin et les néoplatoniciens. La création hébraïque dans son processus de séparation est bonne, elle oriente l’histoire et le temps non pas vers une chute sans fin vers l’entropie mais vers une séparation des cieux, des eaux, etc… qui est bonne en soi et construit un processus créatif d’un monde vivable pour l’humain. La séparation du milieu divin fait ontologiquement partie de ce processus de Création.

L’unité psychique de l’être, de la famille, de l’individu est au cœur du Korban Pessah qui est consommé en un seul lieu, une seule nuit, l’agneau doit être âgé d’un an, ses os ne doivent pas être brisés, il ne doit pas être mi-cuit mais entièrement, on réunit toute la famille sous un toit…

Cette limitation du corps, de la maison comme espace social est aussi ce que réalise la Soucca. Cet abri provisoire nous permet de nous réunifier de prendre conscience des 4 directions vers lesquelles nous tendons le loulav. Comme Abraham dans le désert nous fabriquons des tentes provisoires d’une existence qui ne peut être que nomade malgré tous nos rêves de stabilité et de palais de pierres garantissant notre protection.

Qu’est-ce que : la dispersion (diapora-galout), l’éparpillement, le maassé merkaba ? auquel le judaïsme oppose : la terre d’Israël, le maassé beréchit, l’unité de notre peuple sur notre terre et sous la Torah?

La dispersion est en réalité la folie, quand aucun espace intérieur symbolique n’a pu se constituer et que la personne s’objectivant, n’ayant pas encore accédé à sa condition de sujet, erre parmi les choses. Chose parmi les choses. Fragmentée, dispersée, scindée. Une posture que la personne applique à elle même et à laquelle elle réduit son entourage qui devient un moyen et pas une fin. Voilà l’idolâtrie. Ce Tohou vavouhou de la Genèse avant que D.ieu ne parle.

Le Tohu-bohu c’est quand l’humain perd le lien avec la réalité car il n’est pas capable de la symboliser, de la parler, d’y poser des limites symboliques qui permettent de l’unifier. Quand il n’a plus le recul sur lui même pour identifier sa responsabilité. Le sujet s’effondre alors dans le néant. A courir après des illusions on finit par étreindre des ombres.

La mort pour la Torah n’est pas la mort physique mais l’incapacité à prendre une décision, par fragmentation dans le monde éparpillé des choses. Est mort pour le talmud le fou, l’homme ivre, le muet qui ne peuvent participer à l’assemblée en prière ou témoigner devant un tribunal (Beit din ou Sanhédrin).

Celle ou celui qui récite le modé ani (moda ani) au réveil sort du sommeil de la mort, il prend volontairement conscience de la vie en lui qui met en route ses neurones et synapses et véhicule les milliards d’informations de son cerveau à ses muscles qui permettent simplement d’ouvrir les paupières. Désormais le sujet peut par le questionnement et la réflexion se déprendre du rêve qui l’agit (l’inconscient à l’oeuvre est le clivage fondamentale de tout être humain), et, devenir maître de sa liberté, il peut décider.

On se rappelle que pour Wilfried Bion, le rêve protège l’individu de la psychose. Il permet de traduire les impressions sensorielles de la journée en images assimilables, de traduire les émotions brutes, qui sont « encaissées » et « cherchent à être assimilées » en apprivoisant leur terreur. Le rôle de la mère étant de rêver pour l’enfant, le protégeant de la psychose et de sa terreur d’exister.

Dieu vient chercher chacun de nous dans son désert pour lui construire une cabane. « Il le rencontre dans une région déserte, dans les solitudes (tohou) aux hurlements sauvages ; il le protège, il veille sur lui, le garde comme la prunelle de son œil. » (Dt 32, 10). Le tohou évoque la terreur sacrée, l’effondrement dans la folie, ces cauchemars qui nous terrorisaient enfant. Il est le désert où nos ancêtres sont passés de l’esclavage pathogène et addictif de l’Égypte, royaume de l’idolâtrie, à la liberté mentale qui est la condition du sujet sain.

Dans un livre fondamental, L’environnement non humain, écrit de 1951 à 1959 le psychanalyste américain Harold Searles raconte la terreur d’une patiente schizophrène envahie par la peur d’être transformée en rocher, en vache, en arbre, en pierre. Le sentiment de stabilité du moi repose sur cette séparation d’avec le monde des choses. Sans cette intériorité l’humain disparait.

L’unité intérieure de nos vies multiples est le fruit de la lutte contre l’effondrement dans le monde des choses, elle est le sens d’une existence saine, comme le montre Harold Searles :

« Je suis convaincu maintenant que plus une personne est saine, plus elle vit en ayant conscience d’avoir en elle une multitude de « personnes » -d’objets internes dont chacun apporte sa contribution au sentiment d’identité. »[1]

Les enfants agressés durant l’enfance, ayant vécu des intrusions sexuelles ou psychiques pénétrant leur corps ou leur psychisme ont des limites symboliques fragilisées. Toute extériorité sociale leur devient une menace. Ils vont alors créer des défenses du moi pour retrouver leur unité intérieure et ne pas être engloutis par le réel toujours menaçant. Comme le note Searles à contrario :

« J’ai, pour ma part, constaté de façon répétée et sans ambiguïté que la dé-différentiation, impliquant l’abandon des limites du moi, est l’une des défenses du moi qui dominent dans la schizophrénie »[2]

Le schizophrène lutte contre l’effondrement dans les choses. La sainteté biblique consiste dans la sortie de l’indifférencié par la particularisation (le sens du mot Qadosh).La Galout, la diaspora, la dispersion, l’indifférenciation, l’idolâtrie, ne sont rien d’autre que le clivage de la schizophrénie. Ainsi le Maassé merkaba, la Galout qui « mange les juifs », l’unité de la Shekhina « dans la poussière » s’oppose à l’unité du Maasse beréchit, l’unité sur la terre d’Israël. C’est une réalité physique et psychique.

Dans L’effort pour rendre l’autre fou (1959), Harold Searles décrit le processus qui rend un individu scindé, c’est à dire schizophrène. Searles constate que dans l’histoire des schizophrènes, un parent (ou les deux), scinde l’enfant en provoquant à la fois sa sympathie pour le guérir tout en rejetant ses efforts pour l’aider. Cette attitude conduit l’enfant à un sentiment d’impuissance et d’isolement face à cette folie qu’il pense être seul à connaitre. Scindé l’enfant n’a plus qu’une alternative : devenir ‘fou’ avec son parent, ou, faisant confiance à ses sensations et à la vie, l’abandonner pour survivre.

La cabane permet de se recueillir, de prendre conscience de la limite, de refaire l’unité intérieure, de sortir de la schizophrénie. Elle établit une limite dans l’espace comme la mézouza sur la porte de la maison pour récréer des limites dans le temps. Le Korban pessah symbolise l’unité dans ce monde scindé, fragmenté, divisé.

L’indistinction avec les objets environnant est la marque d’une existence pathogène. La Bible la nomme idolâtrie. C’est en ce sens que le Talmud affirme :

« Tout homme qui rejette l’idolâtrie est appelé ‘Juif’ » (Talmud Méguila 13 a)

Vivre c’est accepter la séparation, la distance, refuser la confusion ou l’idolâtrie. Vivre en humain c’est accepter que ce qui appartient à autrui ne m’appartient pas, que je ne peux pas pénétrer son corps sans autorisation, rentrer dans sa vie par effraction.

Le V’Ahavta Lereiacha Kamocha dont rabbi Akiba dit qu’il est le grand principe de la Torah doit se traduire non pas « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », c’est à dire dans une joyeuse confusion d’un amour indéfini qui prendra vite le visage de la contrainte et de l’intrusion, mais « Tu aimeras ton prochain parce qu’il est comme toi-même ». Une injonction divine qui signe le respect de ses droits, de son altérité radicale et transcendante à la racine de son intériorité et de sa conscience.

 Autrui n’est pas un autre objet de mon monde à ma disposition mais un sujet de sa liberté. Son habit, sa cabane, sa maison me font signe de son intériorité, de cette nechama que l’Eternel a déposé en lui et qui est transportée dans une arche, une cabane dans le désert où « hurle la solitude » comme dit le Deutéronome. Ce Temple fragile est l’être humain de passage. Toi. Ma sœur. Mon frère.

Vivre en humain c’est créer des clôtures toujours provisoires pour que l’autre, le petit, le faible, le fou, l’ancien, l’étranger, le prochain, soit protégé. Agir ainsi est la grandeur de l’humain. Le souci d’autrui est le propre de l’homme de la Torah. De celui dont le cédrat selon le Talmud symbolise l’étude et les bonnes actions conjointes. Celui, celle, qui réfléchit et agit. L’étude n’a d’autre fin que la prise de conscience rationnelle, et l’action pour protéger autrui. En dehors de cela l’être humain est livré à son narcissisme, ses fantasmes, les modes passagères, le miroir que lui tend son milieu ou la société de ce qu’est une vie réussie; c’est à dire la célébrité, c’est-à-dire la compétition des égos réduits à des critères discriminants, une compétition généralisée… quel qu’en soit le coût pour soi-même et pour autrui. Un vie violente.


[1] Harold Searles, Mon expérience des états-limites, Gallimard, 1994.

[2] Harold Searles, L’environnement non humain, pg 87.

Pourquoi la Libération d’Egypte est un événement universel pour Israël et les Nations

Marc Chagall, La Traversée de la Mer rouge, 1954-1955 Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne

La libération d’Egypte et le miracle de la mer ont été repris par de nombreuses traditions spirituelles de l’humanité. On pourrait s’en étonner en ce jours où les juifs célèbrent Pessah et les chrétiens Pâques en se référant exactement aux mêmes récits : Création du monde, Sortie d’Egypte, Akedah (ligature) d’Issac… un très vieux Targoum (traduction et commentaire publics en araméen de la Torah du 1er siècle) dit que « quatre nuits sont inscrites dans le Livre des Mémoires », quatre nuits du monde où D.ieu agit : la Création, l’ akedah d’Issac, la nuit de Pessah et celle de la Rédemption du monde.

 » Quand le monde arrivera à sa fin pour être libéré ; les jougs de fer seront brisés et les générations perverses seront anéanties et Moïse montera du milieu du désert et le Roi Messie viendra d’en haut. L’un marchera à la tête du troupeau et l’autre marchera à la tête du troupeau et sa Parole marchera entre les deux et eux et moi marcherons ensemble. C’est la nuit de la Pâque pour le nom de l’Etrenel, nuit réservée et fixée pour la libération de tout Israël au long de leurs générations »

Targoum Neofiti Ex 12, 42

Or comme je vais le montrer, cet événement, d’un point de vue juif, a une portée universelle temporelle et ontologique pour tout fils d’Adam, c’est à dire pour toute humanité bien qu’un non juif ne puisse consommer l’Afikoman qui symbolise le Korban Pessah. La sortie d’Egypte signifie une mutation ontologique de l’humanité toute entière à la suite d’Israël, elle est centrale.

Universalité du temps et de l’espace

Le fait est bien connu tout père juif raconte la Haggadah en faisant mémoire des patriarches pour que cette histoire fasse sens et s’actualise maintenant.

« A chaque génération, l’Homme doit se voir lui-même comme s’il était sorti d’Egypte »

TB Pessa’him chapitre 10 michna 5

Cette transmission (messarah) et reception (kabbalah) est au coeur du judaïsme (Cf Pirkei Avot 1, 1). Celui, celle qui parle à son fils (ou à sa fille) ouvre la porte à Celui qui est l’Éternel en même temps que le Lieu, l’Incommensurable et aussi l’Omniprésent. Asymptote de l’Espace et du temps humain à la fois.

In fine la tache de déterminer hic et nunc comment l’agir particulier doit se conformer à l’exigence de justice , c’est-à-dire de faire humanité dépend de l’humain, de tout humain et à chaque instant. Le mémorial de libération invoque un autre temps pour faire pénétrer dans l’instant présent la libération, le passage de l’esclavage à la liberté, d’une vie objectale perdue dans le monde de la consommation et des choses à l’émergence du sujet désirant créateur de sa propre liberté par un acte libre, déterminé et volontaire.

Cet universalisme temporel et messianique est clairement exprimé dans la Haggadah :


« On rappelle la sortie d’Egypte la nuit. Rabbi Eléazar ben Azaria a dit : j’ai l’air d’avoir 70 ans, et je n’ai pas mérité que soit mentionnée la sortie d’Egypte la nuit, jusqu’à ce que Ben Zoma interprète le verset : pour que tu te rappelles le jour de ta sortie d’Egypte tous les jours de ta vie, l’expression « les jours de ta vie » désigne le jour, « tous les jours de ta vie » désigne la nuit. Les Sages disent : « les jours de ta vie » désigne ce monde ci, « tous les jours de ta vie » pour amener les jours du Messie »

Berakhot ch.1, michna 5

Pour D. le temps n’existe pas. Et pour le juif ce ne sont pas le cosmos, les astres, la lune ou le soleil qui fixent le temps mais une décision libre du Sanhédrin ou de l’homme. C’est pour cela qu’on peut précéder le coucher du soleil pour dire le Quiddouche du Chabbat cette sanctification qui fait passer du temps sacré au temps sanctifié c’est à dire « particularisé » en hébreu. Il n’y a même pas un instant dans le temps puisque cet instant est l’objet de discussion c’est à dire sous la parole et la décision de ceux qui en discutent comme le montre le Talmud de Jérusalem.

Si cela est vrai les temps messianiques ne sont pas une période de l’histoire mais une irruption de la rédemption dans les fractures de l’histoire, un asymptote d’humanité. Les temps messianiques seraient alors une porte d’Éternité capable de s’ouvrir pour qui l’attend vraiment; à commencer par celui qui souffre, le malade sur son lit d’angoisse et d’agonie, le pauvre qui confie sa vie vulnérable à l’Éternel, le soignant qui affronte sa peur de mourir pour sauver une vie, sauvant ainsi toute l’humanité comme dit le Talmud.

Le messie n’est pas une « belle aventure à venir » mais il est à la porte de Rome ici et maintenant, parmi les mendiants nous dit le Talmud.

 » Un jour, Rabbi Yehochoua ben Levy rencontra le prophète Elie à l’entrée de la grotte de Rabbi Shimon ben Yo’hai et lui demanda :  » Quand le Messie viendra-t-il? » Elie répondit : Va donc interroger le messie lui-même – Mais où puis-je le trouver? – Aux portes de Rome. – Et comment pourrai-je le reconnaître? – Il est assis parmi les pauvres et les malades et panse leurs plaies.
R. Yehochouah alla donc trouver le Messie. [Il le reconnût parmi les mendiants parce que, contrairement aux autres lépreux, il ne se changeait qu’un pansement à la fois. Pourquoi? Il ne voulait pas que tous ses pansements soient défaits en même temps, pour pouvoir s’en aller à tout moment].

« Maître, quand viendras-tu? demande R. Yehochoua ben Levy. – Aujourd’hui même », répondit le messie. R. Yehoshoua retourna vers le prophète Elie. Celui-ci lui demanda : « Qu’a dit le Messie? – Il m’a menti, car il m’a dit « Aujourd’hui », mais il n’est pas venu. – Tu n’as pas compris sa réponse. Le Messie t’a cité un verset des Psaumes (95:7) : « Aujourd’hui, si vous écoutez Sa voix ».

TB Sanhédrin 98a

Où est le macchiah ? si l’on en croit cela, il avec les seniors dans les Epahd en train de mourir, seuls chez eux ou en réanimation isolés de leur famille, parmi les gilets jaunes honnis d’hier : caissières et médecins sans masques, caristes, personnel logistique exposés à tous les flux, livreurs, routiers, infirmiers, aides soignantes, assistants sociaux de proximité, aides ménagères… ces héros d’aujourd’hui, ces périphériques de la globalisation triomphante, risquent ici et maintenant leur vie sur le terrain quand les élites continuent de diriger le monde en télétravail de leur résidence secondaire en attendant que la crise passe. Où est le Messie ? Quand viendra la Géoula (Rédemption) ?

Lévinas interprétait ce passage en disant :

S’il y a du messianique, ce n’est pas en raison d’un événement miraculeux ou extérieur, c’est parce que nous devenons capables d’entendre.

Le Maharal de Prague, lui, relisait ce récit en prévenant toute lecture au premier degré :

« Il ne s’agit pas d’un fait concret… car les paroles des Sages sont abstraites de toute considération matérielle. »

Netsa’h Israël, chap. 28.

« le niveau du Machia’h ne relève pas du monde de la nature » dit-il, « le monde de la nature s’oppose à lui ». Le Machia’h est donc une réalité en tension avec le monde naturel. Et de cette tension naît l’histoire comme Providence. Ecouter aujourd’hui la voix du Messie ouvre une porte dans le temps, à Rome même, centre de l’Empire, coeur de l’opposition à Jérusalem.

« Que se vide l’esprit de ceux qui calculent la fin des Temps » nous préviennent nos Sages (TB Sanhedrin 97b). Bref, le messianisme dans son hystérisation impatiente du réel pour y voir apparaître un dieu… rend fou.

Quand le Prophète Elie viendra nous aurons la réponse à tout cela répond la discussion talmudique.

La sortie d’Egypte met en route la roue du temps et de l’Eternité d’Israël.

Le Yalkhout Shim’oni souligne ce commencement du temps avec la sortie d’Egypte :

« Rabbi Yéhochoua ben Lévy dit : ‘‘Le départ d’Israël d’Egypte évoque la similitude avec un roi qui possédait une horloge qu’il consultait souvent pour connaître l’horaire. Quand son fils devint majeur, il lui confia son horloge. Ainsi lui a dit le Saint, béni soit-Il : ‘Jusqu’à présent c’est de moi que relevait le compte des mois, à partir de maintenant je te confie cette charge’. Votre « oui » sera un oui votre « non » sera non. Mais quel que soit votre compte ce mois sera le premier des mois »

Yalkouth Shim’oni, paracha Bo

Quelle est la vocation d’Israël par rapport au temps des Nations ? Israël est éternel :

« Il existe une alliance éternelle entre Dieu et Israël. Le choix d’Israël n’est pas motivé par le nombre de personnes appartenant à ce peuple. C’est son petit nombre représentant toute 1’humanité, qui est à l’origine du choix de Dieu. L’état minoritaire a fait d’Israël un peuple microcosme. Israël commence par la lettre Yod qui est la plus petite de l’alphabet. Dieu a placé Israël au plus bas de l’échelle pour lui permettre d’évoluer et de s’élever constamment vers le spirituel. Cela fait partie de l’alliance contractée entre Dieu et Israël. Cette alliance durera éternellement ainsi que la pérennité du peuple juif »

Maharal de Prague, Guévourot Hachem 20, 28-29

Universalisme des Nations

On sait que la fête de Souccot est une fête clairement universelle.

On offrait ce jour là 70 taureaux aux 70 Nations de la terre, c’est à dire toutes. Les descendants de Sem, ‘Ham et Yaphèt sont compris comme les 70 nations de la terre. Israël est la nation e’had : « une », séparée des 70 autres, particularisée, goy kadoch : Ce peuple « vit solitaire et il ne se confond pas avec les Nations » (Nb 23,9).

L’espace du Temple réservé aux juifs était d’ailleurs tout petit par rapport à la cour de gentils. Le Temple n’est pas construit pour Israël mais il est « une maison de prière pour toutes les Nations » (Is 56, 7). Le Temple, réalité hautement spatiale, et dont toute la symbolique ‘monte’ (d’où les « psaumes des montées », on montait à Jérusalem où « l’Eternel réside » comme disent les Tehilim) de la cour des Nations à celle des juifs montant par des marches (où se tenaient les lévites chantant avec leurs instruments) qui entourent le sanctuaire (Saint, Quadoch) avec en son coeur le Kodesh Hakodashim, le Saint des Saints… vide de toute réalité spatiale et physique.

Mais le Maharal dit que cet universalisme de Souccot n’est pas central. C’est à Pessah que se déploie l’universalisme juif. La sortie d’Egypte est selon lui « le sujet central de toute la Torah, la base de toutes les bases et la racine de tout »

« Il faut se rendre compte que la Torah a fait de la sortie d’Egypte le sujet central de toute la Torah, la base de toutes les bases et la racine de tout. Il y a une multitude de mitsvot dans le Torah qui sont venues pour nous faire éprouver le message de la libération. Pourquoi ce même sujet revient dans différentes mitsvot ? Pourquoi la fête de Souccot ? Pour nous rappeler que le Saint béni soit-Il a fait résider les enfants d’Israël dans le désert »

Maharal de Prague, Guévourot Achem 3

Le Maharal va plus loin encore, il dit que la proclamation de la libération d’Egypte à Pessah ne concerne pas seulement les juifs mais toutes les Nations.

Dans le chapitre 3 du Guévourot Achem le Maharal de Prague nous explique que chaque jour dans le Chema nous évoquons la sortie d’Egypte. A chaque Chabbat nous célébrons la création du monde et la sortie d’Egypte… alors pourquoi célébrer Pessah ?

Avec son génie habituel le Maharal dit que non seulement chaque juif doit célébrer la sortie d’Egypte à chaque instant mais que le soir de Pessah en lisant la Haggadah à ses enfants qui raconte cette libération l’annonce au monde entier :

« Le soir de Pessah on n’a pas seulement l’obligation de se rappeler de la sortie d’Egypte mais on a une obligation supplémentaire celle de raconter et de diffuser l’évènement de sortie d’Egypte pour annoncer le Nom de Dieu au monde entier (baeolam) »

Maharal de Prague, Guévourot Achem 3

La particularité de Pessah est d’annoncer cet événement au monde entier. Pourquoi ? parcequ’il est concerné. Pourquoi ? parce que la libération psychique d’un individu, sa sortie d’Egypte n’est pas un événement juif mais un événement universel, ontologique qui concerne le cosmos et toute la création.

Ailleurs le Maharal fait un détour par la Paracha de Yitro pour redire cette universalité. En se demandant ce qu’Yitro « notable de Midiane » ou un prêtre idolâtre ‘qui connaissait toutes les formes d’idolâtrie du monde’ comme dit Rachi. Un non juif donc, qui allait devenir le beau père de Moïse, le premier converti. Qu’a entendu Yitro ?

« Ce fut une honte pour Moïse et les six cent mille Juifs qui n’avaient pas prononcé une bénédiction jusqu’à ce que Jéthro vienne dire : ‘Béni soit D.ieu’ »

Sanhedrin 94 a

Alors que le juifs n’ont fait que chanter à la sortie du Miracle de la mer Yitro, ce roi de Madiane est le premier dans la Torah à prononcer une bénédiction, avant la révélation au Sinaï. Oui, lui, un goy !

Et le Zohar commente :

« Tant que Yitro n’était pas venu remercier l’Éternel, la Torah n’avait pas été donnée au peuple juif. Lorsqu’il est arrivé et a déclaré : “Béni soit D.ieu qui vous a sauvés. Maintenant je sais que D.ieu est plus grand que toutes les divinités…”,

Zohar sur Exode 18, versets 10 et 11.

Bref, tant que les Nations n’ont pas béni, Israël est incapable de la Révélation !

Nos Sages ont relevé que la Paracha d’Yitro commence par vayishma « Et Yitro fut celui qui a entendu (vayishma) (Dt 18, 1) ? » Et bien sûr, ils se sont demandés : « mais qu’a-t-il entendu ? ». Le passage de la mer des Joncs et la guerre de Amaleq répondent-ils  :

Rabbi Josué dit : ‘‘Il a entendu parler de la bataille avec les Amalécites, comme il est écrit avant (en Ex 18, 1)’’, et Josué a déconcerté Amalek et son peuple par le tranchant de l’épée (Ex 18, 13).
R. Eleazar de Modim dit : ‘‘Il a entendu parler du don de la Torah et est venu. Lorsque la Torah fut donnée à Israël, le son de celle-ci la traversa d’une extrémité de la terre à l’autre, Et tous les rois païens furent saisis de tremblements dans leurs palais, et ils chantèrent, comme il est dit : Et tous dans son temple s’écrient : « Gloire ! » (Ps 29, 9) Ils se rassemblèrent tous près du faible Balaam, et lui dirent : ‘‘Quel est ce bruit tumultueux que nous avons entendu : peut-être un déluge vient sur le monde’’, car il est dit : « Le Seigneur était assis au-dessus des eaux tumultueuses ? – Le Seigneur est assis comme Roi pour toujours », il a répondu : le Saint, L’un, béni soit-Il, a déjà juré qu’il n’apporterait pas d’autre inondation sur le monde. [NDA : il ne peut régner sur ses créatures si celle-ci sont détruites par le déluge]

TB Zevahim 116a

Le Maharal de Prague interprète la réponse des Sages en disant que ces deux événements comme la proclamation de la Torah au Sinaï ont été entendus de manière universelle, « d’une extrémité de la terre à l’autre ». Il reprend le Midrach qui dit que ce ne sont pas que les eaux de la mer des joncs qui se sont ouvertes mais toute les eaux dans le monde entier, les mers, les lacs, les torrents, les ruisseaux, les sources, et jusqu’à la moindre goutte. Une séparation des eaux ontologique donc.

Yitro le converti a donc entendu au fond de son âme ces événements qui ont bousculé l’ordre de la Création et l’ont traversée de part en part… et il est venu au sein d’Israël. Et c’est seulement sa bénédiction du Trés Haut qui a permis la Révélation à Israël. Sans l’élévation de la sagesse profane, la pensée des cultures et des Nations, la Révélation spirituelle n’est pas possible. Il y a donc bien une interaction systémique entre la sagesse des Nations propédeutique et la Révélation qui l’irrigue à son tour. Un universalisme que nous devrions méditer.

Renaître

La sortie d’Egypte est le fondement psychique de l’individu libre, une sortie de l’idolâtrie, de la dispersion, de la perception de soi comme « on » parmi les objets de ce monde. Le passage d’une existence de consommateur à une vie de créateur. Comme l’homme, « tue le temps », en fuyant sa responsabilité à cause de sa peur de mourir, la Torah l’enjoint de l’affronter comme un espace de décision et de responsabilité.

Chacun de nous en proclamant cet événement au monde est invité à écouter une autre voix.

On sait que le Ari zal décompose le mot Pessah en Pé sa’h, « la bouche qui parle ! » (Pri Etz ‘Haïm chaar mikraé kodech 4).

Le Zohar souligne que l’émergence de l’individu libre dans l’histoire permet sa prise de parole. Elle est la condition pour que la parole soit audible, ce qui est une réalité psychologique et mystique :


« Quand Moché vint, la Voix apparut, mais Moché était une voix sans parole, parce que la Parole était en exil, et pendant tout le temps où la Parole était en exil, Moché était une voix sans parole. »

Zohar, Vaéra 25a

Ce n’est pas pour Israël que D.ieu a parlé à Israël mais pour l’humanité entière. D.ieu n’est pas le D.ieu d’Israël mais de toutes les créatures passées, présentes et à venir. Le Saint béni soit-il nous a libéré d’Egypte, nous les juifs, pour que toute créature puisse se dire :

 » C’est moi que D.ieu dans son infinie miséricorde, Celui « que les cieux et la terre ne peuvent contenir » et dont « le monde est l’escabeau de ses pieds » (psaumes), Ribono Chel Olam, le maître du temps et de l’espace, appelle à sortir ici et maintenant d’Egypte « 

La sortie d’Egypte est une réalité psychique profonde, une sortie de l’Empire de l’illusion non pas pour habiter le monde de la Vérité mais pour sortir au désert, aller au Sinaï et entendre une autre voix. Le projet de D.ieu était que la sortie d’Egypte, le Sinaï et l’Entrée en Egypte se passe dans le même mois nous dit le Maharal, malheureusement Moïse n’avait pas mesuré l’état d’addiction d’un peuple passé par 200 années d’esclavage. L’Egypte était un Etat totalitaire dont il était impossible de sortir.

« Il n’y avait pas au monde un peuple dont les mœurs fussent plus abominables que celles de l’Egypte, particulièrement dans la dernière génération, qui asservit Israël »

Maharal de Prague, Guevourot Achem, 4

L’avènement d’Israël à la sortie d’Egypte a modifié la structure mentale et des Juifs et des Nations. Une mutation ontologique qui fait que la mort et la haine n’ont plus de pouvoir définitif en ce monde. La sortie d’Egypte touche l’être humain au coeur de sa réalité psychique comme une nouvelle naissance.

« Ainsi le peuple juif en Egypte était comme un fœtus qui se développait dans le ventre de sa mère, suite à quoi il sortit lorsque son développement fut terminé. Ainsi les enfants d’Israël grandirent et se développèrent en Egypte jusqu’à atteindre leur perfection par le nombre de 600 000 personnes ; alors ils sortirent ». 

Maharal de Prague, Guévourot Achem 3

Pessah est le premier jour des mois car à ce moment se met en route un processus de croissance d’Israël. Le Maharal[1] souligne que l’agneau sacrifié n’est pas un animal abouti comme le taureau mais un premier né de l’année, un animal en puissance. C’est à chaque instant Pessah car la dynamique de libération commencée avec le premier Pessah est encore à l’œuvre à chaque instant. Elle nous fait advenir à nous mêmes en sortant de l’Empire de l’illusion, de la confusion, de nos addictions et de nos petits mensonges pour enfin écouter quelqu’un d’autre que nous. Sortir d’Egypte c’est naître dans l’humanité libre.

Israël est un premier né au sens où il signifie une humanité enfin possible :

« Israel est le cœur de la création, c‘est pourquoi seul Israel est appelé ‘Adam’, les autres créatures existent par ricochet, par rapport à Israël. Israel a été le premier parmi les nations. »

Maharal de Prague, Tiferet Israël 5

La sortie d’Egypte n’est pas un fait de l’histoire pour le Maharal, elle est « éternelle »[1] , elle est un événement métaphysique indépassable qui engendre la Nation juive et sa liberté et la dépasse.[2] Israël la proclame mais tout être humain en vit.


[1] Netsa Israël 8

[2] Cf. Benjamin Gross, Le messianisme juif dans la pensée du Maharal de Prague, Albin Michel 1994.


[1] Guevourot Achem 36

Coronavirus, retrouver l’Unité psychique et la santé de l’âme et du corps à Pessah

Cette méditation est adressée à Maurice B. en salle de réanimation du Coronavirus et à un autre de mes amis qui se reconnaîtra.

Le psalmodie des Thehilim – psaumes

La prière qui souhaite la pleine guérison se dit Refoua Chelema en hébreu. On souhaite à la personne de retrouver le Chalom (Chelema). Ce Chalom ne désigne pas seulement la paix mais l’état profond de l’Unité intérieure. le Chalom c’est la complétude; C’est pourquoi on dit en hébreu : « Ma Chlomer ? « – Comment vas-tu ? Comment est ton chalom ? es-tu unifié ce matin (ou en vrac) ?

La maladie, les trauma, la mort nous laissent en vrac, incapables de nous accueillir et surtout recueillir.

Le psaume raconte ce cri primitif du vivant :

« Unifie (iha’ed comme e’had) mon cœur pour qu’il craigne ton Nom »

יַחֵד לְבָבִי,    לְיִרְאָה שְׁמֶךָ

Ps 86,11

Le « Nom » dans la Torah, imprononçable, est celui de D.ieu, révélé à Moïse. Il renvoie à tous les noms et à tous les mots du monde et des rêves et à toute parole qui pourrait être prononcée. D. sait donc bien de quoi nous avons besoin avant même que s’ouvrent nos lèvres. Il n’a nul besoin de nos prières. Alors pourquoi prions nous ? Parce que celui qui prie accomplit la crainte du Nom, il fait révérence à D. et ainsi accomplit sa vocation d’être humain en se remplissant de l’amour de D. et surtout du prochain sans lequel toute prière est vaine. Il s’unifie comme D. est Un.

Hag Souccot Sameah ! Joyeuse fête des cabanes !

Le ‘Rabbinou’ de Chirac

Quelques pages de mon Livre Des Noces éternelles, un moine à la synagogue paru il y a quelques années. Que la mémoire de cette homme qui a tant fait pour les Juifs soit une bénédiction.

Je débarquais un jour de février 2012, avec mon chapeau ! chez le Grand Rabbin Haïm Korsia en plein Shabbat, il n’était pas encore Grand Rabbin de France. En effet, un de mes amis artiste peintre, Olivier qui habitait Reims m’avait proposé de rencontrer l’ancien rabbin de la ville avec qui il avait sympathisé, le rabbin Korsia qui avait été le collaborateur le plus proche de Joseph Sitruk, Grand Rabbin de France. Il nous accueillit un jour de Shabbat dans son petit appartement des boulevards maréchaux.

Un énorme bouquet de fleur apparut dans l’entrebâillement de la porte. Marie-Pierre s’exclama :

« Oh le beau bouquet !

Chirac apparut hilare derrière les fleurs. Il chantonnait :

– C’est Shabbat, c’est Shabbat ! et déclara affectueusement

– Comment va mon rabbinou ?

L’ancien président même s’il avait perdu certains de ses moyens restait alerte.

– Très bien ! asseyez-vous Monsieur le président.

Chirac salua un des fils de Haïm dont il était le parrain et s’écroula dans le canapé en skaï dans ce salon de 15 mètres carré où une bibliothèque peinait à supporter tous les talmuds estampés de lettres d’or sur leur dos. Nous étions trois hommes sur deux canapés, face à face, les femmes entamaient une discussion passionnée de leur côté.

Je n’avais jamais vu Chirac, il avait exactement les mêmes mimiques qu’aux Guignols de l’info. Il me désigna en parlant à Haïm :

– Lui aussi il est juif !

– On peut le dire comme ça si vous voulez (je ne l’étais pas alors)… répondit Haïm

– Bon, où sont mes bières ?

Stéphanie, l’épouse du Grand Rabbin Korsia, précédait tous ses désirs, elle lui glissa une première bouteille de Corona.

– Ah parfait… Alors c’est Shabbat ? (Comme s’il ne le savait pas !)

Au loin les femmes riaient et parlaient fort.Ah mais c’est un monde ! Elles ne savent pas se taire !

– On ne se tait pas à Shabbat ? demanda Chirac.

– Non on invite plutôt ses amis, répondit Haïm.

– Ah bon ? Alors, taisez-vous mesdames ! Il y a une autre bouteille ?

La bouteille arriva comme par enchantement sur le rebord du canapé.… et… une petite Pizza, peut-être ?

– Oui mais froide, c’est… Shabbat.

–  Ça ira mon rabbinou.

Le vieux président semblait savourer sa bière quand il se réveilla subitement :

– Mais ça pue ! Haïm, tu ne peux pas remettre tes chaussures, non ?

Marie-Pierre parla avec Chirac qui se souvenait très bien de son père député des Yvelines et maintenant décédé, ami de rugby et du Conseil Général de Franck Borotra (Il siégeait à coté de Christine Boutin !). Une lueur s’alluma sur le visage du vieil homme qui avait dirigé la France et demandé pardon pour le Vel d’Hiv : « Ah oui, je me souviens… ». Marie-Pierre s’en souvenait, elle aussi. Elle avait couvert l’évènement. Yvan Levaï l’avait désignée pour cela alors qu’elle était journaliste à France Inter. Elle avait toujours vu dans cette tâche mémorielle une sorte de signe. 

Elkabbach qui avait embauché Marie-Pierre à France 2… Un jour, alors que nous croisions Elkabbach avec Nicole Avril son épouse (dans un restaurant à huitre à Montparnasse !), il m’avait dit : « C’est un peu grâce à moi qu’elle est venu vous voir dans votre monastère ! ». Je lui « devais » ma femme ! Lui, le juif laïc d’Algérie comme Haïm Korsia. Laïc comme Marie-Pierre. Les juifs de la république.

Le vieux président qui avait perdu sa mémoire courte avec l’âge, se souvenait du Vel d’Hiv’, et les juifs, eux, ne l’oublieront jamais. Même si Dieu oubliait, le peuple juif, lui, n’oublie pas.

« Celui qui rêve d’une oie peut espérer acquérir la Sagesse » (Berakhot 57 a)

Un autre vol d’oies sauvages comme celles que j’avais vues le second jour de Hanouka sont passées à nouveau le dernier jour de Hanouka, ce dimanche, au dessus de ma maison.

En route vers l’Andalousie et Sefarad.

Oies sauvages

Le plus étranges est qu’il y avait les mêmes sur la Hanoukia qu’un couple d’amis nous a offert pour notre mariage. C’était étrange.

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Au Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme

20181118_143123Au Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme à Paris il y a une Soucca du XIXème siècle d’Autriche ou d’Allemagne du sud, composée de 37 panneaux numérotés (pour la remonter chaque année ! ). On y voit une représentation de Jérusalem avec ses murailles, le Kotel et la mosquée Al Aqsa ; au centre un paysage de la région du lac de Constance et à droite un écu avec les premiers mots du décalogue et un décor floral qui rappelle le sens de la fête. C’est très émouvant.

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J’ai enregistré là-bas pour un film sur les gestes dans le judaïsme, en l’occurrence le cédrat pour moi, le cédrat c’est le coeur intelligent, Lev Khorkhma, l’amour intelligent, désintéressé… on est tombé sur cette Soucca, les réalisateurs ont décidé de filmer là.

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Il y a aussi là l’expo sur Freud. A voir absolument.

Chacun de nous peut se dire : « C’est pour moi que le monde fut créé « , Chana Tova !

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Du point de vue du judaïsme, chaque vie humaine a une valeur infinie :

« Adam a été créé unique, pour t’apprendre que tout celui qui détruit la vie d’une seule personne, l’Ecriture considère qu’il a anéanti un monde entier et tout celui qui rétablit la vie d’une seule personne, l’Ecriture considère qu’il rétablit un monde entier ;(…)

Et pour raconter la grandeur du Saint, béni soit-Il : car lorsqu’un homme frappe des pièces de monnaie avec un moule, c’est toujours la même pièce qui apparaît ; en revanche, lorsque le Saint, béni soit-Il, façonne les hommes avec le moule d’Adam, chaque créature est différente de l’autre.

C’est pour cela que chacun a le devoir de se dire  » C’est pour moi que le monde fut créé ». »

« La Michna cite une autre raison pour laquelle Adam le premier homme a été créé seul : à savoir l’importance de maintenir la paix entre les peuples, de sorte que personne ne dit à un autre: « Mon père est plus grand que ton père ».»

(Talmud de Babylone, traité Sanhédrin 37a)

Nous savons que la techouva a été créé avant l’homme pour que l’homme renaisse par la techouva :

« La Gemara raconte: Il y avait des voyous [ biryonei ] qui vivaient dans le quartier de Rabbi Zeira. Il les a rapprochés et les a traités avec amitié, afin de les amener à se repentir de leurs péchés, mais les autres Sages ont désapprouvé ses actions.

À la mort de Rabbi Zeira, ces voyous ont dit: « Jusqu’à présent, il y avait le petit homme avec une jambe brulée, à savoir Rabbi Zeira, qui priait pour nous avec compassion. Qui va prier avec compassion pour nous maintenant? »

Ils ont pensé à cela dans leurs cœurs et se sont repentis. En fin de compte, les actions de Rabbi Zeira ont été prouvées comme elles se sont repenties.»

(Talmud de Babylone, traité Sanhédrin 37a)

 

 

Rabbi Chimon Bar Yohai, un spirituel en temps de persécution

 

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Pour comprendre les feux de Lag BoOmer, et son ambiance « messianique » en même temps que la désolation du massacre des 24 000 disciples de Rabbi Akiva il faut le restituer dans son contexte historique qui est central pour comprendre comment est né et s’est structuré le Talmud, une littérature en temps de guerre pour une époque d’une brutalité sans pitié.

Peu avant le seconde guerre Judéo romaine (115-135), Chimon ben Yohaï natif de Galilée est le disciple préféré de Rabbi Akiva avec qui il a étudié treize ans à Bene-Braḳ (Lv Rabba 21) après avoir étudié à Yavné sous Gamaliel II (TB Berakhot 28a). Rabbi Akiva l’appelait ” mon fils “. Il avait pour condisciple Rabbi Meïr lui aussi disciple de Rabbi Akiva. Akiva n’ordonna rabbin R. Chimon qu’après R. Meïr, ce qui le blessa (TJ Ter., 46b, TJ Sanhédrin, 19a).

On le célèbre à Lag Ba Omer, le 18 iyar, le 33ème jour du Omer – période située entre Pessah et Chavouot, de 7 x 7 = 49 jours (d’où penta-Kosté, le 50 ème jour en grec). On y allume de grands feux qui rappellent cette désolation.

Les années de persécution romaine

Les persécutions des Juifs sous le règne de l’empereur Hadrien qui culminera avec la seconde guerre judéo-romaine d’inspiration messianique (115-135) va mener au massacre de nombreux juifs.

L’Imperium règne en maître sur ses provinces taxées et fournisseurs du commerce international d’esclave, la première énergie de Rome. La Judée, est une de ces province « normalisée », marginale mais verrou stratégique vers l’empire Parthe (Babylone) un immense Empire d’Asie qui finira par déstabiliser la puissance romaine en 161 en conquérant le royaume Arménie.

Déjà, la première guerre judéo-romaine en 65-70 a abouti à la destruction du Temple et au massacre de 25% de la population de Judée.

Lire la suite de « Rabbi Chimon Bar Yohai, un spirituel en temps de persécution »

Yom Azikaron-Yom Haatsmaout : « Jérusalem si je t’oublie… »

Hier c’était Yom Hazikaron, le jour du souvenir, et aujourd’hui Yom Haatsmaout, le jour anniversaire de l’Indépendance de l’Etat d’Israël qui a tout juste 70 ans.

Cette liberté d’Israël sur sa terre est pour nous le signe du début de la Délivrance.

Si c'était Jérusalem Couv

Je suis particulièrement fier de recevoir aujourd’hui le livre publié sous la direction de Michel Gad Wolkowicz et Michaël Bar Tsvi, Si c’était Jérusalem en hommage à Raphaël Draï, zal, et Benjamin Gross, zal. Ce sont les 1000 pages d’un congrès de 90 intellectuels auquel j’ai participé : Georges Bensoussan, Philippe Val, Frédéric Encel, Marc-Alain Ouaknin, Cyril Aslanov, Daniel Sibony, Simon Epstein, Dina Porat, Eliette Abécassis, Shmuel Trigano, Jean-Jacques Moscovitz, Richard Prasquier, Rivon Krygier, Jacques Tarnéro… organisé par l’Association Schibboleth actualité de Freud.

Je suis térs fier d’avoir apporté ma pierre à cet édifice.

Je porte toujours une bague qui me répète le verset d’un psaume :

אִם-אֶשְׁכָּחֵךְ יְרוּשָׁלִָם תִּשְׁכַּח יְמִינִי

« Jérusalem si je t’oublie que ma main droite m’oublie » (Ps 137, 5)

Si c'etait Jérusalem

Ce livre sur Jérusalem pose des questions essentielles : Comment se constituent un peuple et une identité intérieure ? Comment s’élaborent un récit et une vérité historique ? Comment se construisent le sujet politique et un certain rapport à la Loi ? Souvent détruite mais néanmoins vivante, souvent conquise mais toujours souveraine, cette capitale de la survie possède deux visages, à en croire les légendes anciennes : Jérusalem terrestre, Jérusalem céleste. L’une, visible, évoque deuil et lamentation. L’autre, insaisissable, apporte paix et éternité.

On trouvera ci-après ma conférence qui est dans le livre avec les références :

Je suis heureux que Micha aie publié ce gros livre qui montre à quel point le symbole Jérusalem est inscrit dans notre mémoire dans notre culture. Lisez le c’est un bel éclairage polyphonique sur Jérusalem (acheter ici)

Une présentation de Micha et Jacques Tarnéro.