Jean-François Millet, Les glaneuses, Musée du Louvre, 1857
Je dédie cette méditation à la mémoire de Meïr (Michel) ben Simha, à mon ami Jacob Ouanounou, féru du Midrach Péa et à son épouse Katia dans la peine ainsi qu’aux disparus du Mont Meron et à leurs proches.
PEA (le « coin » du champ)
Nous ne sommes que des moissonneurs de passage et même notre récolte, ce que nous croyons posséder, à commencer par notre vie ne nous appartient pas, nous sommes juste des gérants provisoires.
C’est une des leçons de la paracha Emor (« Parle ») au milieu de multiples observances sur la sainteté de cohanim et au milieu de l’énumération des fêtes juives, élément de texte complètement bizarre après avoir parlé de Pessah et Chavouot, et juste avant la description de Roch Achana.
« 9 Quand vous moissonnerez la récolte de votre pays, tu laisseras la moisson inachevée au bout de ton champ, et tu ne ramasseras point la glanure de ta moisson. 10 Tu ne grappilleras point dans ta vigne, et tu ne recueilleras point les grains épars de ta vigne. Abandonne-les au pauvre et à l’étranger: je suis l’Éternel votre Dieu. 11 Vous ne commettrez point de vol, point de dénégation ni de fraude au préjudice de votre prochain. 12 Vous ne jurerez point par mon nom à l’appui du mensonge, ce serait profaner le nom de ton Dieu: je suis l’Éternel. 13 Ne commets point d’extorsion sur ton prochain, point de rapine; que le salaire du journalier ne reste point par devers toi jusqu’au lendemain. 14 N’insulte pas un sourd, et ne place pas d’obstacle sur le chemin d’un aveugle: redoute ton Dieu! Je suis l’Éternel. »
Lv 19
Il y a trois dons aux pauvres des champs dans la paracha de ce jour :
Péa (« le coin », péot au pluriel pour les boucles de cheveux au coin du visage qu’on en doit pas couper ) Lv 19, 9 ; 23, 22.
Leket « Glaner » – les épis de grain tombés lors de la récolte Lv 19, 9
et Chikhha : « gerbes oubliées » – les gerbes oubliées et laissées dans le champ pendant la récolte (Dt 24, 19)
Tout cela doit être laissé au pauvre, aux glaneuses.
L’esclavage psychique conduit à des échecs répétés. La personne est tellement prisonnière de ses échecs passés, de ses fantômes familiaux ou psychiques que en position de répétition rassurante (l’échec est rassurant !) elle confond sa solitude avec la liberté, la morne routine avec l’indépendance. Autrui est alors un danger. Toute prise de risque aimante une terreur. Un mode de vie banal à l’âge moderne des réseaux dits ‘sociaux’. Voilà de quoi nous parle le récit de la sortie d’Egypte : de la sortie de l’esclavage suite à une parole d’amour. Evidemment les hébreux ignoraient tout de la suite.
Ce récit fondateur ne nous raconte pas quelques belles phrases de paix sur la liberté mais un violent processus d’abréaction psychique.Le passage de la mer est une reprise en main des rênes de leur existence par des esclaves hébreux.Au moment même où les égyptiens, figure du totalitarisme divinisé en la personne du Pharaon de l’époque ; lançaient leurs chevaux vers l’âbime.
Marc Chagall, le passage de la mer rouge, cavaliers égyptiens
Quitter nos peurs et faire confiance
La Sidra de ce jour est celle de la
sortie d’Egypte. Cette sortie d’Egypte est le commandement central de toute la
Torah nous dit le Maharal de Prague au XVIème siècle.
« Il faut se rendre compte que la Torah a fait de la sortie d’Egypte le sujet central de toute la Torah, la base de toutes les bases et la racine de tout. Il y a une multitude de mitsvot (commandements d’amour) dans le Torah qui sont venues pour nous faire éprouver le message de la libération. Pourquoi ce même sujet revient dans différentes mitsvot ? Pourquoi la fête de Souccot ? Pour nous rappeler que le Saint béni soit-Il a fait résider les enfants d’Israël dans le désert » (Maharal de Prague, Guévourot Achem 3)
Toute la vie du juif à chaque instant et à chaque génération est donc un « souvenir de la sortie d’Egypte ». On la rappelle lors du Chema au lever et au coucher, à Chabbat et bien sûr lors du seder de Pessah.
On rappelle la sortie d’Egypte par
cette bénédiction à Chabbat lors du Quidouch du vendredi soir après avoir allumé
les bougies (et dans toute la liturgie de Chaarit, l’office du matin).
« Tu es source de bénédiction, Éternel notre D.ieu, Souverain du monde, qui nous as sanctifiés par Tes commandements, et nous as désirés. Son Chabbat saint, Il nous l’a légué avec amour : commémoration de l’acte créateur, première des Solennités, souvenir de la sortie d’Égypte. »
Ce n’est pas Israël qui
est sorti d’Egypte un jour mais chacun de nous à chaque instant.
« A chaque génération, l’Homme doit se voir lui-même comme s’il était sorti d’Egypte » (TB Pessa’him chapitre 10 michna 5)
Une libération qui vise donc le temps de ce monde, cet instant mais permet surtout en cet instant même d’expérimenter la liberté de l’Eternité.
« On rappelle la sortie d’Egypte la nuit. Rabbi Elazar ben Azaria a dit : j’ai l’air d’avoir 70 ans, et je n’ai pas mérité que soit mentionnée la sortie d’Egypte la nuit, jusqu’à ce que Ben Zoma interprète le verset : pour que tu te rappelles le jour de ta sortie d’Egypte tous les jours de ta vie, l’expression « les jours de ta vie » désigne le jour, « tous les jours de ta vie » désigne la nuit. Les Sages disent : « les jours de ta vie » désigne ce monde ci, « tous les jours de ta vie » pour amener les jours du Messie » (Berakhot ch.1, michna 5)
Cet événement fonde l’identité de celui qui passe du temps imposé parle maître: l’esclave en Egypte, au temps choisi, celui de la liberté. Celui, celle qui sort de l’hébétude du temps fixé par le garde chiourme égyptien à fabriquer des briques , de l’abrutissement du temps subi de la to do list moderne… rencontre le visage de son prochain. Il suffit de se relever et de lever la tête pour rencontrer le sourire d’autrui. Mais encore faut-il le vouloir !
Pour le judaïsme la sortie d’Egypte est le fondement psychique de l’individu libre, une sortie du pays idolâtre, de la dispersion de soi dans les objets de ce monde. Comme l’homme, la femme, ont peur, ils « tuent le temps », s’enferment dans des to do lists interminables pour ne pas laisser d’espace à leur liberté puis ils évoquent ces contraintes pour mieux justifier leur incapacité à prendre soin des autres. Pour fuir leur responsabilité d’amour envers autrui car ils ont peur de s’abimer (c’est à dire d’être englouti par l’abîme). On peut traverser toute sa vie comme cela, abruti par l’esclavage d’Egypte sans prendre conscience de ses émotions et en méprisant celles d’autrui. L’empathie a un prix, se relever et saisir la main tendue. Sortir de la peur et du carcan qu’on s’est soi-même imposé. C’est juste une question de choix.
Comme le dit le Rabbin Haïm Harboun :
« Vous savez on peut traverser toute sa vie comme une mouche »
Sortir d’une vie amère
Le propre de l’esclave est de ne plus rien éprouver pas même sa liberté, il est devenu un objet sous la main de son maître et se considère comme tel. Son absence d’empathie ne l’effraie pas mais elle terrorise les autres. Un « coeur de pierre » dit la Bible. Il en vient à expliquer son esclavage pour de fausses raisons qui donnent raison à ses bourreaux ou à « la faute à pas de chance ». Son emploi du temps n’a plus de place pour autre chose que sa peur. Il n’a aucune chance de se libérer si une autre parole que la sienne ne l’appelle pas pour le libérer de son handicap. Une parole étrange et inconnue de lui qui le dé-route au sens propre. « D.ieu fit donc dévier le peuple du côté du désert « (Ex 13, 10) une parole d’amour. Encore faut-il l’entendre.
Israël ne croit pas aux grandes idées sur la liberté comme il en traîne tant dans les livres sur le bonheur dans les gares, qui n’ont jamais changé ni le monde ni libéré le psychisme des individus, et encore moins fait avancer personne d’un pas. Dans l’antiquité, chez Socrate, le stoïcien Marc Aurèle ou la Bible il n’est de spiritualité que de pratique (Cf les recherches de Pierre Hadot). Le processus de libération n’est pas une « idée » née au fond d’un chambre studieuse mais un acte thérapeutique accompagné d’émotions angoissantes: « remplis d’effroi, les Israélites jetèrent des cris vers l’Éternel » (Ex 40, 10), une pratique. Elle touche le corps. Là ou il n’y a pas de corps, de voix, de peau, d’odeur… il n’y a qu’illusion (CF la virtualité des relations sur les réseaux sociaux).
Les hébreux sont donc « angoissés »-Et pour cause, ils ont tué le dieu de l’Egypte, l’agneau et ont badigeonné son sang les linteaux de leur maison, on est loin de la Phénoménologie de l’Esprit. On est en plein processus corporel d’abréaction. L’esclavage n’est pas une plaisanterie, au bout de 200 ans il structure les psychés de manière durable et celui qui veut s’en sortir seul retombera dans les mêmes erreurs de son narcissisme ou de son handicap à aimer. Son incapacité à se laisser aimer et être le paralyse tout simplement.
Une abréaction consiste en la réduction de la tension émotive lorsque l’affect et la verbalisation du souvenir font irruption en même temps à la conscience. Des gestes et des paroles expliquent l’expérience qui a donné naissance à cette tension. Ce phénomène se produit au moment où sont levées les résistances contre des affects qui n’ont pas été ressentis comme ils auraient dû l’être dans le passé.
Il s’agit de créer un processus de décharges émotionnelles qui, en libérant l’affect lié aux souvenirs d’un traumatisme jusqu’alors refoulé, en annule les effets pathogènes. Les hébreux tuent donc le dieu de l’Egypte et badigeonnent son sang, un acte d’une rare violence qui annule l’emprise du dieu de l’Egypte : Pharaon qui se rêve al ayor « sur le fleuve» (Gn 41, 1) . Al, c’est-à-dire « au-dessus » et non pas « sur la rive » comme traduisent la plupart des Bibles. Pharaon s’imagine comme le maître du principe nourricier de l’Egypte donc, le maître de la vie, un petit dieu qui commande aux cycles de la nature et des cataractes.
Ainsi en est-il du récit de la sortie d’Egypte, une abréaction répétée à l’infini par Israël et que les autres religions ont essayé en vain de s’approprier en le transformant en ce qu’il n’est pas : une abstraction. Un récit performatif donc.
Evidemment les hébreux attribuent tout de suite à leur Libérateur et à l’humble Moïse la puissance maléfique de Pharaon; un grand classique du « père castrateur » en psychanalyse. L’esclave porte ses valises dans sa tête et trouve sa situation antérieure de soumis plaisante : « N’est-ce pas ainsi que nous te parlions en Égypte, disant: ‘Laisse-nous servir les Égyptiens? » (Ex 14, 12) mais surtout il confond la vie et la mort, : « Est-ce faute de trouver des sépulcres en Égypte que tu nous as conduits mourir dans le désert? » (Ex 14, 10); Au hébreux qui ratiocinent Moïse répond : « Soyez sans crainte! vous, tenez-vous tranquilles! « (Ex 14, 13-14)
Pessah, pas une fête juive mais un évènement ontologique
Toute la difficulté d’une personne qui a des affections du lien social ou des addictions tient au fait qu’elle se fait des fausses images de la réalité. Une substance ou un rapport faussé à autrui remplit sa vie comme une amertume de l’existence. Comment le réparer (Tikkoun) ?
Dans le chapitre 3 du Guévourot Achem le Maharal de Prague nous explique avec son génie habituel que non seulement chaque juif doit célébrer la sortie d’Egypte à chaque instant mais que le soir de Pessah en lisant à la Haggadah à ses enfants qui raconte cette libération il doit l’annoncer au monde entier :
« Le soir de Pessah on n’a pas seulement l’obligation de se rappeler de la sortie d’Egypte mais on a une obligation supplémentaire celle de raconter et de diffuser l’évènement de sortie d’Egypte pour annoncer le Nom de Dieu au monde entier (baeolam) » (Maharal de Prague, Guévourot Achem 3)
Pourquoi ? parce que la libération psychique d’un individu, sa sortie d’Egypte n’est pas un évènement juif mais un évènement universel, ontologique qui concerne le cosmos et toute la création.
Le processus de guérison inventé par la tradition d’Israël procède par symboles et aveux.
Le korban Pessah
Pour la Torah, Pessah est la
fête de l’Un. En effet, selon la tradition des Sages d’Israël et l’enseignement
du rav Harboun, les os de l’agneau du sacrifice pascal, le korban Pessah[1], ne
devaient pas être brisés, cassés en deux, ils devaient être un. La bête ne
devait pas être bouillie c’est-à-dire à demi cuite mais entièrement grillée[2]. Lors
de la grillade, la bête devait rester entière et ne pas être découpée
auparavant en morceaux. L’agneau devait être : ben chana, (fils de l’année, il
a un an), tamim, entier, e’had, un, sans
défaut. Tout se passait le mois un de l’année, se déroulait en un jour car le
korban Pessah ne devait pas être consommé le lendemain[3] ; « On se procure un agneau par
maison » (Ex 12, 3), la famille devait rester unie[4], rester
dans un seul lieu jusqu’au matin[5] ; le
pauvre est invité à la table dès le début de la Haggadah, l’étranger, le
serviteur, la servante, l’orphelin, la veuve… tous sont un comme le peuple doit
être un, e’had.
Le soir de Pessah tout juif enseigne à ses enfants comment ordonner sa vie en homme et en femme libre. Il s’agit d’ordonner et de structurer sa propre existence personnelle comme être de liberté en profondeur.
Il s’agit d’un processus psychologique abréactif (qui vise à provoquer un choc émotionnel) réalisé dans le Seder de Pessah par la consommation de l’agneau (korban Pessah) dans une liturgie sociale incompréhensible pour qui ne l’a pas vécue et ne peut en saisir la violence psychique. Je me souviens d’un Seder de Pessah avec mon ami Gérard Haddad où j’ai fini plié en deux sur un lit avec de violentes coliques néfrétiques (calculs dans les reins)
La réparation de l’inconscient par le langage, avouer son amertume
Un autre processus de réparation psychologique est à l’oeuvre : La nomination.
Nomination de la matsa (pain non levé), du Maror herbes amères… la Haggadah dit :
« Rabbane Gamaliel disait. Celui qui ne mentionne pas à Pessah ces trois choses n’a pas rempli son devoir, ce sont l’agneau pascal, le pain azyme et les herbes amères. PESSAH, MATZA, MAROR.»
Il s’agit donc de convoquer la mémoire émotionnelle liée au gout et aux odeurs, qui est totalement intuitive car elle ne passe pas par la raison et de nommer ces émotions. Celui qui est incapable de nommer cette amertume qui lui empoisonne la vie ne l’a tout simplement pas identifiée.
Si l’on en croit les neurologues, les goûts et les odeurs sont plus évocateurs que les autres systèmes sensoriels comme la vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher. L’émotion gustative ou olfactive touche directement la mémoire sans passer par l’intelligence rationnelle te l’analyse cognitive. Le goût est directement connecté sur une région qui sert de capteur émotionnel au cerveau : l’amygdale. L’émotion gustative provoque donc une émotion sans passer par le néo-cortex, siège de la conceptualisation de la rationalité et du langage. C’est ce qui fait qu’une odeur ou un goût peut réveiller tout un mode de souvenirs d’enfance, comme la madeleine de Proust ou un plat cuisiné par votre maman que vous aviez oublié sans que celui qui le ressent n’arrive à conceptualiser comment ce souvenir l’envahit en une puissante émotion et parfois des larmes. L’hippocampe et l’amygdale, deux régions impliquées dans la mémoire sont donc convoquées à ce seder qui est un mémorial, un rappel de la libération de la sortie d’Egypte que chacun doit actualiser de manière personnelle pour se projeter dans un futur, celui de la libération finale de la Géoula.
« Ces herbes amères pourquoi les mangeons nous ? C’est parce que les Egyptiens firent une vie amère à nos pères en Egypte ainsi qu’il est écrit : ‘‘ Il leur rendit la vie amère par une dure servitude en les employant à faire du mortier, des briques et des corvées dans les champs, toutes sortes de travaux imposés avec rigueur » dit la Haggadah.
On peut transposer à Pessah ces lignes d’Antonio Damasio
appliquées au cerveau et au vivant :
Lorsque les sentiments, qui décrivent l’état interne du vivant à un moment précis sont « placés », voir « situés » au sein de la perspective actuelle de l’organisme dans son ensemble, alors la subjectivité émerge. Et à partir de ce moment les événements qui nous entourent et auxquels nous participons (et les souvenirs que nous remémorons) sont investis d’une nouvelle capacité : ils peuvent importer à nos yeux, influencer le cours de notre vie. Les événements nous importent ; ils sont automatiquement qualifiés de bénéfiques ou non. Sans cela les inventions culturelles de l’humanité ne pourraient exister.
Toute la question est donc celle de savoir si nous voulons rester au milieu de nos esclavages et d’une vie d’échec ou si nous voulons répondre à l’amour et à la liberté qui vient à nous et quitter l’Egypte. Sachant que notre libérateur sera forcément vu comme un esclavagiste, qui veut limiter notre liberté… l’esclavage finalement semble si doux à celui qui vit sous le joug; Comme diront les hébreux au désert :
« Nous nous souvenons des poissons que nous mangions en Egypte, et qui ne nous coûtaient rien, des concombres, des melons, des poireaux, des oignons et des aulx. » (Nb 11, 5)
Sortie d’Egypte naît une personne qui va à son tour libérer l’humanité : le Juif.
Les autres ? comme dit un psaume : « Tel est le destin des insensés et l’avenir de qui aime les entendre , troupeau parqué pour les enfers que la mort mène paître… » (Ps 49, 13-14) bienvenue en enfer.
Voilà ce qui apparaît à celle ou celui qui veut bien prendre le temps de la réflexion et ose une parole.
Après, D.ieu, l’amour, appellent, et c’est à la personne de choisir. Mais l’Egypte est tellement séduisante…
[1] D’un mot qui signifie « s’approcher » car on s’approchait du
Grand Prêtre au Temple.
[2]« N’en mangez rien qui soit à demi
cuit, ni bouilli dans l’eau mais seulement rôti au feu, la tête avec les
jarrets et les entrailles » (Ex
12, 9)
[3]« Et l’on en mangera la chair cette
même nuit …Vous n’en laisserez rien pour le matin ; ce qui en serait resté
jusqu’au matin, consumez-le par le feu. » (Ex 12, 8. 10)
[4]« Celui dont le ménage sera trop peu
nombreux pour manger un agneau, s’associera avec son voisin, le plus proche de
sa maison, selon le nombre des personnes ; chacun, selon sa consommation,
réglera la répartition de l’agneau. » (Ex 12, 4)
[5]« Que pas un d’entre vous ne
franchisse alors le seuil de sa demeure jusqu’au matin. » (Ex 12, 22)
Je reprends ici deux interprétations du début de la paracha, l’une du Rav Harboun : « La belle captive » et l’autre de mon ami Jacob Ouanounou : « Le fils rebelle ». La paracha est bien sur beaucoup plus riche que ces deux points d’entrée.
La belle captive
La sidra Ki-tetsé commence ainsi : Ki
Tétsé lamiléama, quand tu partiras en guerre. Pourquoi : quand « TU » ? ».
Pourquoi pas Ki-Tétséou : quand VOUS
partirez à la guerre ? A-t-on déjà vu un homme partir seul à la guerre ?
Cette formulation a interpellé nos Sages qui ont compris cette guerre comme
une guerre très particulière, celle contre le monde des pulsions intérieures.
En effet nos pulsions nous entrainent souvent bien loin d’où nous aurions voulu
aller. Elles semblent parfois irrépressibles. Quand le monde de ses pulsions
domine un individu c’est la définition même de l’addiction.
La guerre dont il est parlé ici selon une première explication est donc
celle contre un ennemi qu’on doit vaincre pour rester maître chez soi. Cet
ennemi à maîtriser ce sont les pulsions égoïstes qui nous dominent : le
sexe, l’argent, le pouvoir…. Le Yotser
hara désigne non pas le « mauvais » penchant comme certains traduisent
–avez- vous déjà vu quelqu’un « pencher » du mauvais côté et tomber ?
mais plutôt nos pulsions profondes sans limites, nos appétits incontrôlés.
Une autre explication de nos sages dit qu’il s’agit d’une guerre bien
réelle. La première réaction de l’homme en guerre, c’est la peur de perdre sa
vie. Fragilisé dans le cœur de ce qui fait l’estime de soi, cet homme, en
réaction, va vouloir vivre à tout prix. «
Mangeons et buvons car demain nous mourrons » (Is 22, 13) devient sa devise
comme l’expliquent nos Sages[1].
Quoi qu’il en soit de l’une ou l’autre explication la mort est au bout de
la vie limitée de tout être humain, une durée et une prise de conscience que la
guerre exacerbe ; et ce savoir affecte notre manière de nous comprendre et
de vivre les instants successifs du temps qui passe qui sont toujours les
derniers… Notre désir de vivre est déterminé par la possibilité de son
extinction. Et notre Sidra raconte le cheminement du désir et ses conséquences à
travers trois épisodes qui semblent séparés mais sont en fait liés :
Le commentaire de la Paracha de Kora’h qui suit est inspiré de l’enseignement du Grand Rabbin Haïm Harboun. Pour lui qui a vécu dans l’insécurité du Mellah la dévalorisation de soi est la source de tous les maux psychiques, ce complexe d’infériorité conduit à la surestimation de soi et à un regard faussé sur la réalité. Ainsi la faute des explorateurs est d’avoir vu les habitants de la Terre sainte comme des géants car ils se voyaient « comme des sauterelles ». Cette mésestime de soi conduit au plus grand mal : le Lachion Hara (la mauvaise langue) qui détruit à distance les personnes, les communautés les familles et même la « terre ruisselante de lait et de miel ».
En cela Haïm Harboun suit l’enseignement de Maïmonide qui, dans sa lettre adressée au fils de Saladin, Al-Afdal, La Guérison par l’esprit, pose d’abord un diagnostic avant d’évoquer le chemin de la guérison spirituelle :
« Les médecins-philosophes nous ont singulièrement mis en garde contre les méfaits du complexe d’infériorité, et ils ont tracé la voie permettant de traiter ceux qui cultivent un tel penchant jusqu’à ce que ce mal – qui est à l’origine de tous les autres – disparaisse complètement »[0]
Grandir autrui, se regarder, le regarder comme D. nous regarde est donc la base de toute guérison psychique et sociale. « Fuis la rabbanout » nous dit le Pirkei Avot, c’est à dire « fuis les honneurs et les délires de grandeur », grandis les autres, » ne juge pas ton prochain avant d’avoir été à sa place » (PA 2, 4).
Tout le Talmud est plein de cet enseignement :
« Celui qui s’humilie, le Saint bénit soit-Il, l’exaltera, et celui qui s’exalte lui-même, le Saint béni soit-il, l’humilie, celui qui recherche la grandeur, la grandeur le fuit, mais la grandeur recherche celui qui la fuit. » – TB Erouvin 13b
« Hillel disait ‘Mon humilité est mon exaltation, et mon exaltation est mon humilité.’ » – Exode Rabbah 45, 4
C’est ce qu’a fait Haïm Harboun tout au long de son existence.
» Kora’h, fils de Yiçhar, fils de Kehath, fils de Lévi, forma un parti avec Dathan et Abirâm, fils d’Elïab, et On, fils de Péleth, descendants de Ruben. Ils s’avancèrent devant Moïse avec deux cent cinquante des enfants d’Israël, princes de la communauté, membres des réunions, personnages notables ; et, s’étant attroupés autour de Moïse et d’Aaron, ils leur dirent : « C’en est trop de votre part! Toute la communauté, oui, tous sont des saints, et au milieu d’eux est le Seigneur ; pourquoi donc vous érigez-vous en chefs de l’assemblée du Seigneur ? » (Nb 16, 1-3)
La paracha de Kora’h relate un épisode dramatique semblable à celui du veau d’or. Elle est directement liée aux évènements précédents, avec de multiples rappels. Moïse et Aaron sont accusés de « s’élever au-dessus de l’assemblée de Hachem » (Nb 16, 3). On leur dit juste avant : « c’en est trop pour vous » (alehem rav lakhem), bref ils sont trop grands (rav). Alors que les explorateurs avaient vu la Terre promise « une terre ruisselant de lait et de miel » (Nb 13, 27), les factieux estiment, eux que l’Egypte était « une terre ruisselante de lait et de miel » (Nb 16, 13). Et curieusement alors que les explorateurs avaient estimé que la Terre promise « dévore ses habitants » (Nb 13, 32), la faction de Qora et des descendant de Ruben qui lance la révolte va être elle-même mangée par la terre : « La terre ouvrit sa bouche et les engloutit » (Nb 16, 32). Il est donc question de nourriture, de dévoration et de complexe d’infériorité.
Kora’h l’arrière-petit-fils de Levi ainsi que les descendants de Ruben,
Dathan, Aviram et On vivent donc dans le ressentiment d’une grandeur perdue, un
sentiment d’infériorité dont Moïse et Aaron sont le symptôme et qui les conduit
à vouloir prendre le pouvoir. Pourquoi ?
Ibn Ezra nous explique que Kora’h, arrière-petit-fils de Lévi était un fils
premier né (Ex 6, 21), donc avec un droit d’ainesse et qu’il s’est rebellé au
moment de l’inauguration du tabernacle car il a vu Aaron et Moïse prendre sa
place légitime d’officiant. Et bien sûr ce n’est pas un hasard que ce chapitre
suive celui sur l’intronisation des lévites racontée au chapitre 8.
De même Ruben qui était lui-aussi un premier né a perdu ce statut au profit des descendants de Joseph (Gn 48, 5) ce qui explique que ses descendants se rallient à Kor’ah.
Le Maharal de Prague dit qu’après la faute du veau d’or, le droit d’ainesse est devenu sans valeur. Les bikourim (offrande des premiers nés à Chavouot) le rappellent.
La Paracha de Bé’har suit celle d’Emor qui parle de la sainteté des Cohanim qui suit celle de Quedochim qui parle de la sanctification d’Israël. Elle précède celle de Be’houkotaï qui dit les conséquences de ce que va nous arriver si nous sanctifions ce monde… ou pas…
Je vais vous
parler de trois sujets de notre paracha : de la Chemita et du Yovel, d’Erets
Israël et de la Guéoula.
Faut-il
préciser que je n’aurais absolument rien à vous dire aujourd’hui si je n’avais
pas vu « le dos du rabbin Harboun » comme disait Yéhouda Ha Nassi, le
compilateur de la Michna, en parlant de son vénéré maître Rabbi Meïr[1].
J’ai été
aussi éclairé par l’enseignement de Jacob (Ouanounou) sur Quedochim.
Be’har, sur
la montagne
Tous les
commentateurs à commencer par Rachi se demandent, pourquoi préciser à
propos de la Chemita qu’elle a été donnée « sur la montagne » ce qui
en fait un point central ?
Mais surtout les Hakhamim ne sont pas d’accords : Les lois de la Chemita et du Yovel ont-elles été données de manière générale sur le Sinaï[2] et en détail dans la tente d’assignation et au pays de Moab (Rabbi Ishmaël) ou en détail avec les secondes tables de la Loi (Nahmanide) ? De son côté R. Akibba pensait qu’il n’y avait pas 3 révélations mais une seule au Sinaï ? Et c’est l’avis retenu par la tradition.
« Moïse, l’homme le plus humble que la terre aie porté » (Nb 12, 13)
Socialisation et émergence de la conscience
La socialisation humaine se produit pas imitation. Pour le petit d’homme, les processus cognitifs se mettent en place par imitation d’une langue, de manières de manger, de vivre, de rêver… d’une morale que le groupe humain estime une manière de s’humaniser c’est-à-dire de survivre en groupe.
Ce processus reproductif a son envers, il produit du « on », de la bien-pensance, qui oublie pourquoi la morale, ce véritable art de vivre qui habite toutes les cultures est née. La loi est fait pour vivre, « Choisis la vie » nous répète la Torah (Dt 30, 19). L’art de vivre peut donc être transformé en prêt à penser, en normalisation mortifère, prête à brûler tout ce qui ne lui ressemble pas ou ce qu’elle avait adoré la veille.
Hanna Arendt a résumé cela en une phrase célèbre :
« A cet égard, l’effondrement moral total de la société respectable sous le régime de Hitler peut nous enseigner qu’en de telles circonstances ceux-qui chérissent les valeurs et tiennent fermement aux normes et aux standards moraux peuvent changer en une nuit… et qu’il ne restera plus que la simple habitude de tenir fermement à quelque chose. Bien plus fiables sont ceux qui doutent et sont sceptiques, non parce que le scepticisme est bon ou le doute salutaire mais parce qu’ils servent à examiner les choses et à se former un avis. Les meilleurs de tous sont ceux qui savent seulement une chose : que quoi qu’il se passe, tant que nous vivrons, nous aurons à vivre avec nous-mêmes. »
Hanna Arendt, Responsabilité personnelle et régime dictatorial , 1964.
La conscience humaine n’est donc pas le produit du groupe mais in fine d’une décision personnelle.
Le processus de bouc émissaire ou de harcèlement dans les groupes humains naît de la volonté d’exclure le différent, le non normé, ce qui ne ressemble pas à un produit de la culture ambiante.
Ce ‘autre’ de la culture dont le juif assume la place parmi les Nations, manifeste la violence normative qui habite toute culture pour se reproduire et subsister, son envers obscure, un non-dit escamoté.
C’est exactement ce qui arrive à Moïse dans la Paracha de ce Chabbat :
« Miryam et Aaron médirent de Moïse, à cause de la femme éthiopienne (kouchite) qu’il avait épousée, car il avait épousé une Ethiopienne » (Nb 12, 1)
En clair, la femme de Moïse Tsipora (Sephora) est noire. Elle ne se fond pas dans la masse.
La perte de l’estime de soi à la racine du lachon hara
Et très curieusement cette particularité renvoie directement Myriam la sœur de Moïse puis Aaron son beau-frère à une crise psychologique profonde… ils se sentent diminués, ils perdent l’estime d’eux-mêmes au point de se dire que eux-aussi sont grands, sont prophètes les égaux de Moïse.
« et ils dirent: « Est-ce que l’Éternel n’a parlé qu’à Moïse, uniquement? Ne nous a-t-il pas parlé, à nous aussi? » » (Nb 12, 2)
Or nous dit le texte en un jeu de mots :
« Véaich Moché anan méod, aadam acher al penei aadama : Or, cet homme, Moïse, était fort humble, plus qu’aucun homme qui fût sur la terre. » (Nb 12, 3)
En clair Moïse est parmi tous les adam, les humains, celui dont le visage est le plus proche de l’adama, la terre… on ne peut pas être plus bas… donc forcément Aaron et Myriam devraient s’estimer au-dessus de lui. Mais ils veulent le rabaisser plus bas que terre.
Il m’est arrivé un « miracle » ce matin. Au moment où ma femme est entrée dans la cuisine et a fouillé dans une de ses poches… cette pièce est tombée : 1 Chekel israélien (photo) ! Il est interdit de manier des espèces à Chabbat… on vide donc nos poches avant, comment bigre ce Chekel était arrivé là ?
Dans la synagogue ensuite on a écouté la Torah et la Sidra de Ki Tissa qui commence ainsi :
« L’Éternel parla à Moïse en ces termes : « Quand tu feras le recensement des enfants d’Israël, chacun d’eux paiera au Seigneur le rachat de sa personne lors du dénombrement, afin qu’il n’y ait point de mortalité parmi eux à cause de cette opération. Ce tribut, présenté par tous ceux qui seront compris dans le dénombrement, sera d’un demi-Chekel, selon le poids du sanctuaire; ce dernier est de vingt ghéra, la moitié sera l’offrande réservée au Seigneur. Quiconque fera partie du dénombrement depuis l’âge de vingt ans et au-delà doit acquitter l’impôt de l’Éternel. Le riche ne donnera pas plus, le pauvre ne donnera pas moins que la moitié du Chekel, pour acquitter l’impôt de l’Éternel, à l’effet de racheter vos personnes. » (Ex 30, 11-15)
Je retrouvais mon Chekel ! Et ma moitié !
« Quand Tu feras le recensement » ou plutôt comme dit exactement le texte :
Ki Tissa et Rosh beneï Israël : « Quand tu élèveras la tête des enfants d’Israël » (Ex 30, 12)
ce que le traité du Talmud Baba Bathra (10b) interprète comme une élévation spirituelle : Celui qui donne réalise une élévation spirituelle.
Chacun de nous est un Univers créé par D-ieu
Un être humain est un monde nous a dit notre ami Jacob Ouanounou faisant référence à son professeur Emmanuel Lévinas (né à Kaunas en Lituanie le 30 décembre 1905). On n’a donc pas le droit de compter les gens, comme en mathématiques on ne peut pas additionner ou soustraire les infinis. Le Talmud explique :
« C’est pour cela que l’homme a été créé seul, pour t’apprendre que celui qui ôte la vie à un fils d’Israël, détruit un monde entier ; et celui qui sauve la vie d’un fils d’Israël, sauve un monde entier.» (Talmud de Babylone, Sanhedrin 5, 5)
Chacun de nous est donc un Univers clos qui ne communique pas avec les autres comme si la parole était neutre et sans distorsion ou parasite mais avec des aléas, ce qui nous rend si seul et demande que nous parlions à l’infini. Chacun de nous comprends à sa façon la Torah… Dieu parle à chaque homme, à l’arbre, à la pierre, au ruisseau… dans le secret avec des mots que lui seul peut comprendre. Par Amour comme dit la prière. Parfois avec des signes : un Shekel ou une dispute. Dans le couple les quiproquos sont multiples et engendrent parfois, D. nous en garde, disputes et malentendus ! Et parfois ces quiproquos d’amoureux blessés ou d’amis sont des manières de se retrouver. Qui n’en a fait l’expérience ?
Le Talumd dit :
« Un seul être fut créé à l’origine pour le bien de la paix entre les hommes, de telle façon que nul ne puisse dire à son prochain : Mon père est plus grand que ton père ! Et aussi pour proclamer la grandeur du Saint, béni soit-il. L’homme peut tirer plusieurs pièces de monnaie de la même matrice, et elles se ressembleront toutes. Mais le Roi des Rois a fait chaque être humain avec la matrice du premier d’entre eux ; et pourtant, aucun n’est identique à l’autre. En conséquence, chaque individu doit dire : C’est pour moi que le monde fut créé ! » (TB, Sanhedrin, Mishna, 4, 5)
La Responsabilité du chef
La « Responsabilité pour autrui » de Levinas, reçue de son maître talmudiste lituanien, doit être comprise selon lui comme « une mistva pour autrui ».
Si Moïse demande à Dieu d’être effacé de son livre puisqu’Israël a fabriqué le Veau d’or, et de pardonner Israël (dans la même section où les femmes amènent leur or pour construire le Michkane- la tente de la rencontre ce qui est l’exacte inverse du veau d’or), c’est parce que Maoïse se donne à son peuple, si celui-ci doit mourir il meurt avec lui, si celui-ci n’entrera pas en Terre promise… lui non plus et c’est ce qui arrivera. Il est complètement solidaire de son peuple.
Un manager, un dirigeant ce n’est pas quelqu’un qui a la pouvoir et ses attributs ou de la richesse mais quelqu’un qui donne sa vie. En latin Ministre, vient de minister qui veut dire « Serviteur ». Combien l’ont oublié ?
Moïse demande à Dieu : « Découvre-moi donc ta Gloire. » (Ex 33, 18)… Et Lui, lui répond en lui découvrant son amour.
« C’est ma bonté tout entière que je veux dérouler à ta vue, et, toi présent, je nommerai de son vrai nom l’Éternel; alors je ferai grâce à qui je devrai faire grâce et je serai miséricordieux pour qui je devrai l’être. » (Ex 33, 19)
Et il lui dit les attributs de la miséricorde que nous disons à Kippour cette fête non pas des expiations mais du rachat, du remplacement (Kapper) :
Il lui dit :
« Tu ne saurais voir ma face; car nul homme ne peut me voir et vivre. » (Ex 33, 20)
Et le Talmud nous dit que D-ieu lui a montré le nœud de la nuque de ses tefilines qui montrent son attachement à Israël.
« »Et je retirerai ma paume et tu verras mes traces » – Rav ‘Hana bar Bizna dit, Rabbi Chim’on le Pieux a dit : Cela nous enseigne que le Saint béni soit-Il a montré à Moïse le nœud des tefillin » (TB Berakhot 7a).
Que gagne celui qui se donne ? D-ieu lui révèle sa bonté. Il révèle à Moïse les 13 attributs de Sa miséricorde :
« ADONAÏ est l’Être éternel, tout puissant, clément, miséricordieux, tardif à la colère, plein de bienveillance et d’équité. il conserve sa faveur à la millième génération; il supporte le crime, la rébellion, la faute, mais il ne les absout point : il poursuit le méfait des pères sur les enfants, sur les petits-enfants, jusqu’à la troisième et à la quatrième descendance. »» (Ex 34, 6)
Ce que le Rabbi Hama bar Hanina traduit :
» De la même façon que la Torah nous dit de D-ieu qu’Il a donné des vêtements à des hommes qui n’en avaient pas (Gn 3), nous devons donner des vêtements à ceux qui n’ont pas les moyens de s’habiller ; de la même façon que la Torah nous dit de D-ieu qu’Il a rendu visite à quelqu’un qui souffrait (Gn 18, 1), nous devons rendre visite aux malades; de la même façon que la Bible nous dit de Dieu qu’Il a procédé à une inhumation (Dt 36, 6), nous devons rendre les derniers devoirs aux défunts » (TB, Sota 14a)
Il n’y a rien de plus à chercher dans ce monde.
« La charité (le don) sauve de la mort » : tsedaka tatsil mimavet
« Le riche ne donnera pas plus, le pauvre ne donnera pas moins ». Un riche ne vaut pas plus qu’un pauvre nous dit le Paracha. Forcément, Dieu ne demande pas seulement à l’homme ses biens mais ce qu’il a et dont il n’est que le gérant provisoire. Lui-même. Et la richesse n’y est pour rien.
Donner donc.
Le Livre des Proverbes (10, 2) nous dit tsedaka tatsil mimavet : la charité (qui est aussi la justice en hébreu) sauve de la mort. « Mais quoi donc, demandait notre ami Jacob, celui qui est riche non seulement il est riche mais en plus il va être sauvé de la mort ou vivre plus longtemps ? et le pauvre non ? »
Un très intéressante étude américaine mené par Harvard sur 75 ans ce qui est extrêmement rare a montré cela, on ne meurt pas plus tôt parce qu’on est riche ou pauvre. Qu’est-ce qui nous garde heureux et en bonne santé tout au long de la vie ? Si vous pensez que c’est la célébrité et l’argent, vous n’êtes pas les seuls – mais, d’après le psychiatre Robert Waldinger, vous vous trompez. Directeur d’une étude d’une durée 75 ans sur le développement adulte, Waldinger a recueilli des données sans précédent sur le bonheur et la satisfaction. Et voilà ce qu’il dit :
« Nous avons appris trois grandes leçons sur les relations. La première est que les connexions sociales sont très bonnes pour nous et que la solitude tue. Il s’avère que les personnes qui sont plus connectées socialement à leur famille, leurs amis, leur communauté, sont plus heureux, sont physiquement en meilleure santé, et vivent plus longtemps que ceux qui sont moins bien connectés. Et expérimenter la solitude apparaît être toxique. Les gens qui sont plus isolés des autres que ce qu’ils souhaiteraient s’avèrent être moins heureux, leur santé décline plus tôt en milieu de vie, les capacités de leur cerveau déclinent plus vite, et ils ont des vies plus courtes que les gens qui ne sont pas seuls. Et le plus triste est qu’à tout moment, plus d’un Américain sur cinq déclare se sentir seul. »
Les (bonnes) relations nous rendent plus heureux et en meilleure santé plus longtemps. Et pas l’argent ou la célébrité comme tout le monde le croit. C’est tout.
Nous les juifs, nous le savons depuis 4 000 ans.
La Torah nous a ordonné de donner le Mahatsit hashekel dans l’enceinte du Beth Hamikdach à partir de Roch ‘Hodech Adar jusqu’à Roch ‘Hodech Nissan.
Ashékel maatist ashékel : « un demi Chekel ».
Parce que dans les lettres de « Ashékel maatist ashékel » il y a TSEDAKA (le don, la justice) entouré par EMET (la vérité) et MAVET (la mort). Disons que nous avons résumé tout cela.
Celui qui ne donne pas, qui ne se donne pas, qui ne va pas vers les autres, est déjà mort. Voilà le snes de tsedaka tatsil mimavet.
D-ieu, lui sait ce que la femme ou l’homme donne
Une jolie histoire pour finir, une baraïta (‘au dehors’ ou ‘ceux qui sont resté dehors’ (lors de la discussion), en araméen : désigne les discussions du Talmud non retenue par les Sages mais conservées) :
« On enseigne dans une baraïta : on raconte sur Benjamin le juste qui était préposé à la caisse de la charité.
Une femme se présenta un jour devant lui et lui dit « Mon maître, nourris-moi ! Il lui répondit : Il n’y a rien dans la caisse. Rabbi, lui dit-elle, si tu ne me donnes rien, sept enfants et moi-même allons mourir de faim ». Il lui donna alors de son propre argent.
Plus tard, il tomba malade et était à l’agonie. Les archanges dirent devant le Saint béni doit-Il : « Maître du monde. Tu as dit que « celui qui sauve la vie d’un fils d’Israël, sauve un monde entier » et Benjamin le juste qui a nourrit une femme et ses enfants va mourir dans un temps de vie si court…de suite son décret fut déchiré. » (TB Baba Bathra 11a)
En fait, les miracles ne prouvent rien. Le vrai miracle est que Dieu nous compte parmi les siens. C’est déjà beaucoup.
Le Lekh (« Va !») que Dieu adresse deux fois à Abraham, deux appels entre lesquels s’inscrivent ses actes de foi envers l’Eternel au début de sa vie nomade et au Mont Moryia, est une manière de parler moins respectueuse que le Bo (« viens ») adressé à Moïse. Lekh ! c’est « File ! », Bo ! c’est « Viens ! ». Cette formulation montre le respect de l’Eternel pour Moïse et la grandeur qu’il accorde à cet anaw, cet humble, d’une racine qui veut dire « courbé » souligne Rachi.
Chagall : la sortie d’Egypte (détail du tableau du buisson ardent)
Chagall : le don de la Torah au Sinaï (détail du tableau du buisson ardent)
La libération de l’idolâtrie d’Egypte, naissance du am Israël et le commencement du temps
La délivrance d’Egypte relevait de la volonté du peuple hébreu qui décide de sortir. La volonté divine ne fait que confirmer ce désir. Une fois que la volonté du peuple hébreu de quitter l’Egypte est manifestement exprimée, l’Eternel leur dit :
« Au dixième jour de ce mois, que chacun se procure un agneau pour sa famille paternelle, un agneau par maison… Vous le tiendrez en réserve jusqu’au quatorzième jour de ce mois ; alors toute la communauté d’Israël l’immolera… on prendra de son sang et on en teindra les deux poteaux et le linteau des maisons dans lesquelles on le mangera » (Ex. 12, 1- 7)
Pourquoi immoler un agneau avant de partir ?
Rachi commente la dernière plaie : la mort des premiers nés qui toucha aussi bien les hommes libres ou esclaves que les bêtes (Ex 5, 5) :
« ‘‘Et tout premier-né d’animal’’ : Parce qu’ils les adoraient en tant que divinités. Lorsque le Saint béni soit-Il punit un peuple, Il punit aussi ses divinités (Mekhilta sur Chemoth 12, 29) ».
Et Midrach ajoute que Moïse prit la parole quand on lui ordonna d’immoler l’agneau :
« Maître de l’Univers ! Comment puis-je accomplir une telle chose ? Tu sais bien que l’agneau est un dieu égyptien. Comme il est dit : ‘‘Or, nous immolerions sous leurs yeux la terreur des Égyptiens et ils ne nous lapideraient point ! ’’ (Ex 8, 22). Dieu répliqua : ‘‘Aussi longtemps que tu vivras, Israël ne partira pas d’ici avant d’avoir tué les dieux égyptiens précisément sous leurs yeux, afin de leur montrer que leurs dieux ne sont vraiment rien.’’ » C’est effectivement ce qu’Il [D-ieu] fit, car cette nuit-là, Il tua les premiers-nés égyptiens et cette même nuit, les Juifs abattirent leurs agneaux et les mangèrent. Lorsque les Egyptiens virent leurs premiers-nés tués et leurs dieux abattus, ils ne purent rien faire, ainsi qu’il est dit : ‘‘Tandis que les Egyptiens enterraient ceux que l’Eternel avait châtiés parmi eux, même tous leurs premiers-nés ; parmi leurs dieux, l’Eternel exécuta aussi Son décret.’’ (Midrach Rabba Ex 16, 3)
Il s’agit donc de se séparer des dieux des Egyptiens, c’est à dire de l’idolâtrie d’Egypte. Les Hébreux ont été esclaves pendant deux siècles environ. Cette condition d’esclavage a façonné en eux une personnalité d’esclave. Ils sont conditionnés par l’idolâtrie. Il s’agit donc de créer en eux un processus d’abréaction, de tuer physiquement l’addiction intérieure qui leur colle à la peau pour changer de vie.
L’agneau était un objet d’adoration pour les Egyptiens.
L’agneau mâle c’est le futur bélier, la force en puissance vénérée par le chamanisme paléolithique qui attribuait aux animaux une âme que le chasseur s’appropriait. L’agneau c’est aussi le symbole du peuple nomade, de ce qui précède la sédentarité, l’Empire. En se constituant comme peuple Israël va recevoir sa terre la sortie d’Egypte et l’entrée en terre promise auraient dû être selon le plan de Dieu un même mouvement d’une seule génération comme le montre le Maharal. Pessah symbolise le passage du paléolithique au néolithique, de l’âge des nomades, comme les Patriarches « araméens errants » à la sédentarisation, via l’esclavage d’Egypte. Lire la suite de « BO : LA NAISSANCE D’ISRAËL COMME PEUPLE »→
Marc Chagall, la neuvième plaie, l »obscurité sur l’Egypte
L’appel de Moïse qui initialise la paracha a été lu par beaucoup de commentateurs comme un reproche :
« Dieu adressa la parole à Moïse, en disant : « Je suis l’Éternel. 3 J’ai apparu à Abraham, à Isaac, à Jacob, comme Divinité souveraine ; ce n’est pas en ma qualité d’Etre immuable que je me suis manifesté à eux » (Ex 6, 2-3)
Rachi commente ce verset en disant :
Il a instruit son procès (voir 2 R 25, 6) pour s’être exprimé en termes durs lorsqu’il lui avait demandé : « Pourquoi as-tu fait du mal à ce peuple ? »[1] […] Beél Chaddaï. Je leur ai fait des promesses et chaque fois je leur ai dit : « Je suis beél Chaddaï ». Et de mon Nom Hachem je ne me suis pas fait connaître (lo noda’ti) à eux. Le texte ne dit pas : « je n’ai pas fait connaître » (lo hoda’ti), mais : « je ne me suis pas fait connaître » (lo noda’ti). Je n’ai pas été connu d’eux dans mon attribut de vérité, qui fait que je m’appelle Achem, digne de confiance pour tenir parole. Car je leur ai fait des promesses, mais je ne les ai pas encore exécutées.
En clair : les Patriarches ont éprouvé l’Eternel comme Chaddaï, « celui qui limite » (dai : « ça suffit ») et n’ont pas eu besoin de miracle comme Moïse pour reconnaitre et adhérer à Dieu. Ils ont fait confiance à Dieu bien de manière nishma, désintéressée bien que les promesses qu’Il leur a faites et n’ont pas été encore exécutée, et ce jusqu’à leur mort. Moïse et le peuple ont, eux, besoin de signes, avancent toutes sortes de bonnes raisons avant d’obéir à Dieu : « Je suis bègue… que vont-ils me dire ? Quel est ton Nom ? etc… ». Ce qui peut être lu comme un manque de confiance en Dieu.
Après avoir répété les promesses faiets aux Patriarches, Dieu s’adresse à nouveau à Moïse pour lui fixer sa mission, dans la droite ligne du reproche initial, bien sûr, il renâcle :
« L’Éternel parla à Moïse en ces termes : « Va, dis à Pharaon, roi d’Égypte, qu’il laisse partir de son pays les enfants d’Israël. » 12 Mais Moïse s’exprima ainsi devant l’Éternel : « Quoi! les enfants d’Israël ne m’ont pas écouté et Pharaon m’écouterait, moi qui ai la parole embarrassée! » » (Ex 6, 10-12)
Toute la suite de l’histoire répond à ce premier enfermement de Moïse qui aurait dû bondir de joie à l’annonce de la libération par Dieu de l’esclavage, avec un sourd en chef : Pharaon.
L’enfermement de Pharaon
Un conditionnement psychique ou social eut-il se stratifier à tel point que tout jugement moral disparaisse ? C’est la question lancinante que pose le livre de Chemot à propos de Pharaon, ce puissant sans autre nom que sa fonction. Lire la suite de « VAERA : PEUT-ON PERDRE TOUT JUGEMENT MORAL ? »→
Le Livre de Chemot (les noms) ou Livre de l’Exode raconte la croissance d’Israël, de sa vie de fœtus en Egypte, à sa naissance en sortant d’Egypte, à l’expérience de la Loi avec le don de la Torah au Sinaï puis à sa longue éducation au désert.
Le Maharal écrit :
« Ainsi le peuple juif en Egypte était comme un fœtus qui se développait dans le ventre de sa mère, suite à quoi il sortit lorsque son développement fut terminé. Ainsi les enfants d’Israël grandirent et se développèrent en Egypte jusqu’à atteindre leur perfection par le nombre de 600 000 personnes ; alors ils sortirent ». (Maharal de Prague, Guévourot Achem 3)
Le livre raconte donc l’histoire de la libération psychique du peuple : libération physique de l’esclavage d’Egypte, libération spirituelle par le don de la Torah au Sinaï, et enfin rechute dans le veau d’or, et construction d’un culte libérateur grâce au michkane qui permit de vivre avec la présence divine. Lire la suite de « Chemot : « Dis moi ton Nom » »→