VAYE’HI : au delà de nos morts

Jacob pleure Jospeh

Jacob pleure son fils Joseph, Marc Chagall

Jacob vécut

La dernière sidra de Berechit qui raconte la mort de Jacob est intitulée « Jacob vécut » tout comme la paracha qui racontait la mort de Sarah était intitulée ‘Hayé Sarah, « les vies de Sarah ».

Déjà dans la paracha précédente le Pharaon demandait au vieil Israël :

« « Quel est le nombre des années de ta vie ? » Et Jacob répondit à Pharaon : « Le nombre des années de mes pérégrinations, cent trente ans. II a été court et malheureux, le temps des années de ma vie et il ne vaut pas les années de la vie de mes pères, les jours de leurs pérégrinations. » » (Gn 47, 8-9)

Rachi commente cela en disant : « Les années de mon état d’étranger (guér). Toute ma vie, j’ai été étranger sur terre ». Jacob a vécu en étranger aux jeux de pouvoir de ce monde. Lire la suite de « VAYE’HI : au delà de nos morts »

VAYIGACH : au coeur de nos exils

 

Chagall

Marc Chagall, Joseph reconnu par ses frères

Cette Paracha est l’une des plus émouvantes de la Torah.

Voici donc les fils de Léa en fâcheuse posture. Benjamin a été pris la main dans le sac avec une coupe du vice-roi d’Egypte, Joseph, dans son sac. Les frères ont déchiré leurs vêtements en s’apercevant de ce dernier malheur qui les anéanti (Gn 41, 11). Un pur coup monté par Joseph.

« Le Midrach dit :

« Lorsque la coupe fut trouvée dans le sac de Benjamin, ses frères le frappèrent à l’épaule et lui dirent : Voleur, fils de voleuse ! tu nous fais honte comme ta mère a fait honte à notre père quand elle vola les pénates de Laban (Gn 31, 9 ) » (Midrach Haggadah et Tanhouma)

Le geste de déchirer ses vêtements est une sortie d’amnésie. La première fois qu’il est pratiqué dans la Torah c’est 22 ans plus tôt, lorsque Ruben le fils aîné de Jacob qui a sauvé Joseph en conseillant à ses frères de ne pas le tuer, retourna vers ses frères :

« Ruben revint à la citerne et voyant que Joseph n’y était plus, il déchira ses vêtements, et dit: « L’enfant n’y est plus et moi, où irai je? » » (Gn 37, 29-30)

C’est ensuite Jacob qui a déchiré ses vêtements en signe de deuil en apprenant la « mort » de Joseph dont les frères ont rapporté la tunique tachée de sang en guise de preuve.

« Et Jacob déchira ses vêtements et il mit un cilice sur ses reins et il porta longtemps le deuil de son fils. » (Gn 37, 40)

La déchirure est donc la trace mnésique de la mort de l’innocent. Les frères ont maintenant compris que le malheur qui les affecte est la récompense divine méritée de l’abandon de Joseph en esclavage vingt ans plus tôt. Juda va donc rappeler ce passé qui torture sa famille. Et c’est sur ce discours de Juda, qui n’imagine pas un seul instant s’adresser à une autre personne qu’à un haut fonctionnaire égyptien, que commence notre Sidra. Lire la suite de « VAYIGACH : au coeur de nos exils »

Mikets : renoncer à la Toute-Puissance

Voici donc Joseph, « l’homme aux rêves » qui croupit depuis 12 ans au fond de sa prison. L’échanson de Pharaon dont il a interprété le rêve qui a conduit à sa libération il y a deux ans l’a oublié. Joseph a trente ans, son père Jacob cent vingt… il lui en reste encore vingt à vivre pour atteindre l’âge de son père Isaac : cent vingt ans (Gn 35, 28).

Tout semble perdu, sauf, que voilà c’est Pharaon lui-même qui se met à rêver…

Songe de Pharaon – Marc Chagall

Le rêve de Pharaon

« Après un intervalle de deux années, Pharaon eut un songe, où il se voyait debout au bord (al ayor) du fleuve » (Gn 41, 1)

En réalité comme le remarque le Midrach lisant rigoureusement le texte, Pharaon n’est pas au bord du Nil, mais sur le Nil.

« Pharaon eut un songe, il se tenait sur le Nil. Alors que les justes, Dieu se tient (mitqayem) sur eux, comme il est dit : ‘‘le Seigneur se tenait (nitsav) sur lui’’ (Gn 28, 13)» (Midrach Berchit Rabba)

Quand pharaon se prend à rêver il se voit « au-dessus de la vie » qui irrigue toute l’Egypte de ses alluvions fertiles, il la domine, il est divinisé.

La divinisation des rois, une coutume Perse qu’Alexandre le Grand va s’attribuer de son vivant (apothéose) au grand scandale de ses généraux qui devaient se prosterner devant lui à la manière d’un empereur oriental (proskynèse) est une coutume banale en Egypte où le monarque porte couronne, sceptre et coiffe, des attributs royaux mais aussi des dieux comme Atoum, Rê, Osiris ou Horus, considérés comme à l’origine du pouvoir royal et comme les premiers souverains de la vallée du Nil. Quand Pharason est « sur le Nil », il est donc au-dessus de l’origine de la vie comme le Dieu de Jacob était « au-dessus de l’échelle » où montaient et descendaient les anges. Bref, dans ses plus beaux rêves non seulement il côtoie le divin au coude à coude… mais tout simplement il est le divin.

La Torah va passer son temps à contester cette assimilation de Pharaon à la divinité du Nil qui abreuve et vivifie l’Egypte.

« Prononce ces paroles : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici, je m’en prends à toi, Pharaon, roi d’Egypte, grand crocodile, couché au milieu de tes fleuves, toi qui dis: « Mon fleuve est à moi, c’est moi qui me le suis fait! »… Le pays d’Egypte deviendra une solitude et une ruine, et l’on saura que c’est moi l’Eternel parce qu’il a dit : « Le fleuve est à moi, et c’est moi qui l’ai fait. » » (Ez 29, 3.9)

Pharaon entre donc sur la scène de l’histoire juive par un rêve qui en fait le prototype des idolâtres. Pharaon est radicalement hétérogène à Israël comme l’huile et l’eau ne peuvent se mélanger. Joseph va vivre caché à son ombre, mais son successeur va bientôt s’opposer à Moïse comme Nimrod s’est opposé à Avram qui rejetait l’idolâtrie ambiante. Lire la suite de « Mikets : renoncer à la Toute-Puissance »

Vayechev : au bout de nos rêves

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Le violoncelliste, Marc Chagall

La paracha Vayéchev commence en disant :

« Voici l’histoire de la descendance de Jacob. Joseph, âgé de dix-sept ans, menait paître les brebis avec ses frères. » (Gn 37, 2).

Pourquoi les toledot, les descendants de Jacob ces 12 fils de Jacob et Léa qui constitueront les 12 tribus d’Israël ne sont pas nommés mais seulement le fils de Rachel : Joseph ? Le nom de Jacob est intimement lié à celui de Joseph contrairement aux autres enfants. Parce que Joseph va reprendre l’héritage de Jacob.

Joseph : maassé Avot Siman Lévanim

On a le sentiment que toute l’histoire de Jacob se résume en Joseph. C’est donc, pour souligner le rôle particulier qui incombera à Joseph dans la mission patriarcale.

Le Zohar dit joliment :

« C’est après que Joseph s’unit à Jacob que sa race commença à porter des fruits ; le soleil était uni à la lune. C’est pourquoi la Torah dit : ‘‘Voici l’histoire de la descendance de Jacob : Joseph, etc.’‘ Parce que tous les fruits qu’avait porté cet arbre étaient dus à l’union de Jacob avec Joseph. Le fleuve céleste dont les eaux ne tarissent jamais, charrie les âmes, en ce bas monde. Mais le soleil seul ne suffit pas pour faire porter des fruits à la terre ; Il faut encore l’intervention du degré appelé le ‘‘ juste’’. Le soleil, même approché de la lune, ne saurait porter des fruits. Aussi fallait-il que Joseph, qui est du degré appelé ‘‘Juste ‘‘s’unit à Jacob pour que sa race porta des fruits » ( Zohar Vayéchèv.)

Pour expliquer pourquoi la généalogie de Jacob succède immédiatement à celle d’Esaü, le Midrach dit (entre autres !) :

« Dieu rassura le patriarche effrayé par toute cette liste des princes édomites s’étalant sur un chapitre entier (Cf. Gn 36) et lui promit qu’une seule étincelle à lui et une autre à son fils Joseph suffiront pour détruire toute cette grandeur illusoire. Comme il est écrit (Ovadia 1, 18) : ‘‘La maison de Jacob sera un brin de chaume : ils le brûleront, ils le dévoreront, et rien ne survivra de la maison d’Esaü – L’Eternel l’a dit » (Midrach Tanhouma Berechit Rabba)

Le sort de Jacob se trouve donc dès le début associé à Joseph : Jacob a travaillé sept ans supplémentaires chez Laban pour avoir Rachel pour épouse qui lui donnera le fils bien aimé qu’il attendait. L’un et l’autre furent voués à la haine de frères envieux qui les obligèrent à s’expatrier. (Midrach Rabba) Lire la suite de « Vayechev : au bout de nos rêves »

VAYICHLAH, LE COMBAT AVEC SOI-MEME

Le commentaire de la Paracha inspiré de l’enseignement du Rav Haïm Harboun et de mon étude.

Combat de Jacob

Une leçon de psychologie moderne

À nouveau cette Paracha est un remarquable monument de psychologie. C’est la plus longue de l’année et on y trouve une immense série de noms. On sait que Jacob qui y devient Israël est le prototype de la figure du juif et d’Israël.

Cette sidra nous livre avec force détails la rencontre de Jacob avec Esaü. Jacon l’a perdu de vue depuis 36 ans : 20 années passées chez Laban, 14 à la yéchiva de Ever (Midrach) et deux années sur le chemin du retour. Jacob n’a pas oublié la violence structurelle de son frère, alors lui envoie des messagers pour calmer sa colère et lui prouver que les clauses de la bénédiction paternelle -source de la haine d’Esaü – ne se sont pas réalisées. La colère d’Esaü ne se justifie donc plus.

Mais Jacob qui fuit devant Ésaü a non seulement peur (Vayira Yaakov meod) mais, plus grave, il est angoissé (vayétser lo) nous dit la Paracha. (Gn 32, 8)

Pourquoi ce yétser ? Pour le Midrach c’est le manque de foi en Dieu qui conduit à la peur :

Pinhas ouvrit[1] [sa leçon] au nom de R. Réouven : ‘‘ Fie-toi au Seigneur de tout ton cœur ’’ (Prov 3, 5). Ils sont deux qui bien que le Saint béni-soit-Il les eût assuré de sons secours eurent peur ; l’élu des patriarches et l’élu des prophètes. L’élu des patriarches, Jacob ‘‘ Car le Seigneur s’est choisi Jacob, Israël, pour qu’il lui appartienne’’ (Ps 135, 4). Or le Saint béni-soit-Il lui dit : ‘‘Je suis toujours avec toi’’ (Gn 28, 15). Pourtant il eut peur : ‘‘ Le Seigneur dit à Moïse : Ne crains pas Og [le roi de Basan] car il est dans tes mains’’ (Nb 21, 34). S’il dit : Ne crains point c’est qu’il eut peur de lui. (Midrach Rabba sur Gn 32, 8)

Pourquoi ce yétser ? Parce qu’il se rappelle de la parole d’Esaü : veaarga et yaakov ari « Je tuerai Jacob mon frère ! ». Que reproche Ésaü le Jacob ? De lui avoir volé deux choses : son droit d’ainesse et la bénédiction de son père. Cette bénédiction ce n’est pas seulement une simple formule, la bénédiction dans le monde juif constitue l’héritage. Cette berakha est bekhora (droit d’aînesse et héritage). Pour un plat de lentilles Ésaü a perdu son droit d’ainesse et la bénédiction constituée d’une double part d’héritage pour l’ainé vis-à-vis du cadet. Esaü est cet l’homme qui vit dans l’instant, qui vend tous ses droits pour un plat de lentilles et qui comprend les conséquences de sa parole et de ses actes des années plus tard. Lire la suite de « VAYICHLAH, LE COMBAT AVEC SOI-MEME »

Lekh Lekha (va pour toi!) et l’émergence de la femme comme sujet

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Marc Chagall: Abraham pleurant Sarah.1931

Abraham et le monothéisme

Pour la tradition juive Abraham est la figure du croyant monothéiste, de celui qui confronté à de multiples épreuves n’abandonnera pas le monothéisme. Dieu demande à Abraham des renoncements de plus en plus importants : son pays, son village de naissance, son père : « Quitte ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle » (Gn 12, 1). Enfin son fils Isaac.

Sa démarche nous l’oppose à Nimrod constructeur de la tour de Babel mais aussi à son père idolâtre :

Le Midrach enseigne :

 » Nimrod, dit à Abraham : es-tu bien Abraham fils de Tèrah ?
– Sais-tu que je suis l’auteur de toutes les œuvres, du soleil, de la lune, des étoiles et des astres ? Les hommes sont issus de moi. Pourquoi as-tu détruit mon idole ?
À ce moment, le Saint béni soit-Il inspire Abraham qui répond :
– Que votre Grandeur me permette de répondre
– Parle !
– Depuis la création du monde, le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest. Ordonnez donc au soleil de se lever demain à l’ouest et se coucher à l’est. J’attesterai alors que vous êtes le maître du monde. De plus, si vous êtes l’auteur des êtres humains, vous devez connaître avec certitude toutes leurs pensées intimes. Dites-moi donc maintenant ma pensée et mes projets immédiats.

Nimrod, perdu dans ses pensées, caresse sa barbe. Abraham s’adresse à lui :- Ne soyez point surpris. Vous n’êtes nullement le maître du monde, mais plutôt le fils de Kouche. Et si vous étiez le maître du monde, pourquoi n’avez-vous pas sauvé de la mort votre père ? Mais, comme vous ne l’aviez point sauvé, ainsi serez-vous incapable d’échapper vous-même à la mort.

Aussitôt, Nimrod convoque Tèrah et dit :

– Quel traitement réserver à ton fils qui détruisit mes idoles ? Son châtiment serait de le brûler vif !

Mais Nimrod dit à Abraham :

– Prosterne-toi devant le feu et tu auras la vie sauve.
– Je me prosternerai plutôt devant l’eau qui éteint le feu
– Alors prosterne-toi devant l’eau !
– Si c’est ainsi, mieux vaut s’incliner devant les nuages qui supportent l’eau.
– Incline-toi devant les nuages !
– Alors mieux vaut s’incliner devant le vent qui disperse les nuages.
– Très bien, incline-toi devant le vent !
– N’est-il pas mieux de s’incliner devant Dieu qui maîtrise le vent ?
– Alors Nimrod, [s’emportant], dit : assez parler ! Je ne me prosterne, quant à moi, que devant le feu. Je t’y jetterai et que vienne ton Dieu te délivrer.
Aussitôt, on le fit sortir pour le jeter dans une fournaise ardente. Ligoté, enchaîné, placé sur une pierre, il fut entouré de toutes parts de bois ayant cinq coudées de longueur et cinq de hauteur qu’on eut bien soin de flamber.

À ce moment, tous les voisins et les concitoyens vinrent conspuer Tèrah, le frappant sur la tête : – honte ! humiliation ! Le fils que tu disais appelé à hériter ce monde et le monde à venir est en train de brûler vif par les soins de Nimrod !

Mais le Saint béni soit-Il, plein de clémence, descend et le sauve ! »

Abraham n’est pas une personne miraculeusement épargnée de l’idolâtrie dès avant sa naissance, Abraham c’est un homme qui s’arrache en conscience à un milieu baignant dans des croyances idolâtres. Abraham c’est celui qui est revenu de toutes les idolâtries :

Le Midrach s’étonne de ce prodige :

« Rabbi Chimône Ben Yohaï dit : Abraham, notre père, ne reçut d’enseignement ni de son père ni de son maître. Comment a-t-il appris la Tora ? Le Saint béni soit-Il lui a donné des reins aussi grands que des vases débordant de sagesse qui lui enseignaient la Tora et la connaissance durant toute la nuit. Rabbi Léwi dit : il apprit par lui-même la Tora. »

Et souligne l’aspect volontaire de la démarche d’Abraham qui s’oppose à tout son environnement culturel et religieux dans une Babylonie où le culte des astres était une évidence sans discussion :

« Abraham avait trois ans lorsqu’il sortit de la caverne [où l’avait caché son père pour le soustraire à la colère de Nimrod]. S’interrogeant sur le créateur du ciel, de la terre et de lui-même, il passe toute la journée, à adresser ses prières au soleil. Le soir, le soleil se couche à l’occident et la lune se lève à l’orient. Voyant la lune entourée d’étoiles, il se dit : voilà le créateur du ciel, de la terre et de moi-même ; ces étoiles sont ses ministres et ses serviteurs. Toute la nuit, il adresse donc ses prières à la lune. Au matin, la lune disparaît à l’ouest et le soleil se lève à l’est. Il dit : ces deux [astres] sont dépourvus de puissance. Un souverain est au-dessus d’eux, à Lui j’adresserai mes prières et devant Lui je m’inclinerai ! » (Midrach Rabbah sur Gn)

Le lekh lekha : « va pour toi », est une injonction : « pense par toi-même ! ». Cette libre pensée va de pair avec l’émergence de la nomination féminine, c’est-à-dire l’émergence de la femme comme sujet.

Et curieusement la sortie de l’idolâtrie, c’est à dire une manière de se référer au monde, à autrui et à dieu comme un moyen et non comme une fin en soi est liée à l’émergence de la femme comme sujet. Le vrai sujet de la paracha n’est pas Abraham mais Sarah.

De la nomination des femmes et de l’émergence de la femme comme sujet.

« Abram prit Saraï son épouse » (Gn 12, 5)

On remarque que lors de la génération d’Adam le père du genre humain, la femme est nommée icha, d’un nom tiré de celui de l’homme, ich. « Et l’homme dit: « Celle-ci, pour le coup, est un membre extrait de mes membres et une chair de ma chair; celle-ci sera nommée Icha, parce qu’elle a été prise de Ich. » » (Gn 2, 23). Rachi en conclut que « nous apprenons d’ici que le monde a été créé avec la langue sainte, [étant donné que seule la langue hébraïque relie les mots « homme » et « femme » à une racine commune] (Beréchith rabba 18, 4).

De même dans le second récit de création c’est encore l’homme qui nomme la femme non pour elle-même mais comme une fonction de reproduction qui teinte son nom : « L’homme donna pour nom à sa compagne « Ève » [du verbe ‘haya, « vivre » : qui donne la vie à ses enfants] parce qu’elle fut la mère de tous les vivants. » (Gn 3, 20)

Pendant les dix générations suivantes qui vont jusqu’à Noé alors que la violence grandit sur terre, les femmes seront « des femmes de » mais sans jamais être nommées. Seules les descendantes de Caïn, Ada et Cilla, femmes de Lamec, sont nommées par la Torah (Gn 4, 19) mais dans une pure définition objectale et fonctionnelle : l’une assumant le rôle de fille à plaisir et l’autre la fonction de mère comme le présente Rachi qui condamne ces mœurs :

« Telles étaient les mœurs de la génération du déluge : l’une pour donner des enfants, et l’autre pour le plaisir. On faisait absorber à la seconde une potion destinée à la rendre stérile, on la parait comme une jeune épousée et on la nourrissait de mets succulents. Quant à la première, elle était humiliée et endeuillée comme une veuve. »

Lors de la génération de Noé, père de l’humanité après le déluge, la femme de Noé n’est pas nommée elle est seulement eéchet Noah, de même que « les trois épouses de ses fils », Sem, Ham et Yaphet. (Gn 7, 13).

On le remarque, jusque-là, le féminin n’émerge que comme fonction du masculin. Le monothéisme d’Abraham, le refus du mensonge idolâtrique signe l’émergence de la femme comme sujet et non plus comme objet à disposition de l’homme.

Car il va falloir attendre Abraham, après vingt génération depuis Adam, Abraham, le père de tous les peuples (av‘haam), pour qu’une femme soit nommée pour elle-même, de manière unique et sans « fonction ». C’est Saraï dont Dieu changera bientôt le nom en Sarah.

Quand Rachi commente : « Abram prit Saraï son épouse, Loth fils de son frère, et tous les biens et les âmes qu’ils avaient acquis (hanefech acher assou) à Harân. Ils partirent pour se rendre dans le pays de Canaan… » (Gn 12, 5)… il explique que cette expression signifie qu’ils avaient fait entrer ces âmes sous les ailes de la chekhina (Beréchith raba 39 14) et que Sara convertissait les femmes quand Abram convertissait les hommes.

On est donc, après ce lent murissement de l’humanité qui a conduit de transgression, en assassinat, en destruction massive (maboul = le déluge) résultat d’une perversion morale généralisée, puis d’une perversion proclamant l’abaissement de l’image du père avec ham, fils de Noé, une nouvelle étape de l’humanité. Dans une lente progression on est passé du père des humains, au père de l’humanité et avec Avram au père de toute l’humanité, capable de nommer sa femme comme son égale.

Le Talmud souligne l’universalisme d’Abraham comme de Sarah :

« Abram c’est Abraham (Chroniques 1, 27) : Au début il est devenu père [du seul peuple] d’Aram [av-Aram]et à la fin le il est devenu « père d’une multitude [av amon] de nations » (Gn 17, 5). Saraï c’est Sara ! Au début elle est devenue princesse de sa nation [Car Saraï signifie littéralement « ma princesse »], et à la fin elle est devenue princesse du monde entier (TB Berakhot 13a).

Le Talmud de Babylone (Meguila 14a) dit que ce nom avait une autre raison : sa grande beauté que les gens contemplaient. Ce que confirme et le texte et Rachi.

« Tharé le père d’Abraham a engendré trois fils Abram, Nacor et Harân » (Gn 11, 27). Hors il se trouve que « La femme d’Abram avait nom Sarai, et celle de Nacor, Milka , fille de Harân, le père de Milka et de Yiska.» (Gn 11, 29). Rachi affirme que :

Yiska c’est Sara, ainsi nommée parce qu’elle « voyait » (sokha) par l’esprit divin, et que tous « contemplaient » (sokhin) sa beauté. Ou encore : Yiska est à rapprocher de nesikhouth, qui suggère l’idée de noblesse, tout comme le mot Sara suggère celle de princesse.

Le Talmud (Meguila 14a) affirme qu’il y eu 48 prophètes et 7 prophétesses en Israël : Sarah, Myriam, Deborah, Hannah, Abigaïl, Houldah et Esther. La première des matriarches est donc aussi la seule qui sera définie comme une prophétesse (nevia), la mère de la prophétie dont Abraham, « qui lui était inférieur en prophétie », souligne Rachi, doit écouter la voix : « … tout ce que Sarah te dira, écoute sa voix ! » (Gn 21, 12). Etrange situation par laquelle le premier homme écoutant et obéissant à la voix de Dieu qui l’appelle doit d’abord écouter… celle de sa femme.

L’alliance avec Abraham

Nous trouvons dans cette paracha deux des trois formes d’alliance (bérith) entre Dieu et Israël.

Tout d’abord, on trouve l’alliance qui symbolise le lien de la terre d’Israël et l’Eternel. Celle-ci n’est pas un pays comme les autres, son influence spirituelle sur ses habitants est puissante. Dans notre sidra que nous trouvons la première forme de cette alliance entre la terre d’Israël et Dieu :

« Ce jour-là, l’Eternel conclut avec Abram un pacte en disant : Je donne à ta descendance ce territoire, depuis le torrent d’Egypte jusqu’au grand fleuve, le fleuve d’Euphrate… » (Gn 15,18)

La deuxième forme de l’alliance concerne chaque individu en Israël. Il s’agit de la circoncision (brith Mila). Abraham la subira a 99 ans et son fils Ismaël à 13 ans :

« Voici le pacte que vous observerez qui est entre moi et  vous,  jusqu’à ta dernière postérité : circoncire tout homme parmi vous » (Gn 17, 10)

Enfin, la dernière forme de l’alliance concerne l’ensemble d’Israël : le don de la Torah au Sinaï.

A part l’alliance conclue avec Noé après le déluge, Dieu ne fit d’alliance qu’avec Israël.

La sidra Lekh lékha, nous raconte le déroulement de cette « alliance entre les morceaux » (brith ben habétarim), la Torah nous indique le déroulement de cet acte.

 « Prépare-moi une génisse âgée de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. Abram prit tous ces animaux, divisa chacun par le milieu et disposa chaque moitié en regard de l’autre » Mais il ne divisa point les oiseaux. Les oiseaux de proie s’abattirent sur les corps, Abram les mit en fuite » [..] Puis voici qu’un tourbillon de fumée et un sillon de feu passeront entre ces chairs dépecées, Ce jour-là, l’Éternel conclut avec Abram un pacte » ( Gn 15, 9-10. 17-18)

Rabbi Yossef Albo dans son ouvrage Séfèr ha’ikarim, explique que l’alliance doit constituer un lien durable entre deux êtres au point de faire des deux une seule personne. Chacun des deux a le devoir de sauvegarder l’existence de l’autre comme la sienne propre. C’est la raison pour laquelle, les animaux sont coupés en deux.

Seule la mort sépare ces deux moitiés. Il en est de même pour les contractants de cette alliance.

Dans cet esprit, le partage évoque une réciprocité entre Dieu et Abraham. L’alliance élève en quelque sorte Israël au niveau de partenaire de Dieu, une alliance qui engage Dieu à l’égard des hommes si ces derniers respectent leur engagement.

Commentaire psychologique de la Torah : le déluge et l’ivresse de Noé, l’alliance noachide

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Marc Chagall, L’arche de Noé, 1961-1966

La banalité du mal[1]

« L’Éternel vit que les méfaits de l’homme se multipliaient sur la terre, et que le produit des pensées de son cœur était uniquement, constamment mauvais; et l’Éternel regretta d’avoir créé l’homme sur la terre, et il s’affligea en lui-même. » (Gn 6, 5-6)

Les dernières lignes de Béréchith nous parlaient de la victoire du mal ; de l’étendue qu’avaient prise les forces de l’instinct. Le mal absolu s’était banalisé sur terre.

L’inconséquence était la règle du comportement : l’idée de Dieu était présente à l’esprit des hommes, mais reléguée dans un coin de la conscience, elle ne dictait plus les mobiles de l’action quotidienne. L’unité dans la conduite faisait complètement défaut et seules les règles individuelles, des valeurs personnelles régissaient l’action des hommes. Dieu était l’objet de vénération réservée aux prières du jour de repos, mais Il n’avait rien à voir avec les préoccupations journalières. « Nos Rabbins ont enseigné : La génération du déluge n’a aucune part dans le monde à venir. […] Nos Rabbins ont enseigné : La génération du déluge s’est élevée hautainement à cause du bien que le Saint, béni soit-Il, leur a prodigué. » résume le Talmud (TB Sanhédrin 108b). La confusion d’avant le déluge est décrite par les Hakhamim comme un mélange de ce que Dieu avait séparé, un retour à la confusion du tohu bohu originaire :

Car toute chair avait corrompu son chemin sur la terre. R. Johanan a dit : Ceci enseigne qu’ils ont fait copuler des bêtes et des animaux, des animaux et des bêtes; et tous ceux-ci ont été mis en rapport avec l’homme, et l’homme avec eux tous. (TB Sanhédrin 108b)

La tragédie de Babel est celle d’une confusion incestueuse. Seul un homme dépourvu de tout esprit mondain et entier dans sa pensée et ses actes pouvait entreprendre, par son exemple de réveiller le monde endormi. Cet homme sera Noé.

Dès le premier verset notre sidra on nous le présente : Ich tsadiq tamim haya bédorotav ; eth haélohim hithalèkh Noa’h : il était un homme pieux qui avait le courage d’aller jusqu’au bout de ses opinions, de marcher avec Dieu toujours et partout.

« Voici les générations (tolédot) de Noé. Noé fut un homme juste, intègre (tamim), entre ses contemporains (ses générations (dor); il se conduisit selon Dieu. » (Gn 6, 9)

Pourquoi les générations (tolédot) de Noé ? Parce que, souligne Rachi, Berchit Rabba (30, 6) nous dit que les générations laissées par le juste ce ne sont pas ses enfants mais ses bonnes actions. Comme on donne à ses enfants on ne devrait jamais se retenir de commettre une bonne action. Ainsi qu’il est écrit, « Le souvenir du Juste est une bénédiction » (Michée 10, 7).

Quelles luttes pour pouvoir résister au courant ! Quelle force de caractère pour supporter les railleries des puissants de l’heure ! Noé lui-même, pose sa foi en digue devant les flots de la violence déchaînée.

Au : « Il y avait un homme juste et intègre parmi ses contemporains, et Noé marchait devant Dieu : Noa’h Ich tsadiq tamim haya bédorotav ; eth haélohim hithalèkh Noa’h » répondra, avec les mêmes mots, le « Marche devant moi et soit intègre : Ithalek lefanaï veyié tamim » (Gn 17, 1) adressé comme un ordre par Dieu à Abraham.

Noé est donc un juste dans sa génération mais d’une justice relative par rapport à ses contemporains, pas un absolu. Rachi dit qu’à l’époque d’Abraham « il aurait compté pour rien » et le Talmud abonde :

Johanan a dit: Dans ses générations, mais pas dans les autres générations. Resh Lakish soutenu: [Même] dans ses générations – combien plus encore dans les autres générations. R. Hanina a dit : Pour illustrer le point de vue de R. Johanan, à quoi cela peut-il être comparé? A un tonneau de vin couché dans une voûte d’acide : à sa place, son odeur est parfumée [par rapport à l’acide]; ailleurs, son odeur ne sera pas parfumée. R. Oshaia a dit : Pour illustrer le point de vue de Resh Lakish, à quoi cela peut-il être comparé ? À une fiole d’huile de nard située au milieu des détritus : si elle est parfumée là où elle est, combien plus au milieu des épices ! (TB Sanhédrin 108 a)

Pourquoi le déluge va-t-il durer 40 jours ? Parce que c’est la durée de la formation d’un fœtus humain nous rappellent nos sages (Berechit Rabba 32, 7). Dieu enclot donc dans l’arche une famille humaine et ses enfants et sept couples d’animaux purs et deux impurs pour faire renaitre l’humanité corrompue par le péché c’est-à-dire qui s’est conduite de manière mortelle pour elle-même. « La catastrophe nous est présentée comme une reconstruction » souligne Hirsch[2].

Pourquoi sept couples de quadrupèdes et d’oiseaux mâle et femelle (7, 2.3) emmenés dans l’arche ? Parce que selon Ibn Ezra ce nombre est indépendant du système décimal.

Puis pourquoi sept jours d’attente avant les 40 jours et 40 nuits du déluge ? Dans le Talmud de Jérusalem (TJ Moed Katan 3, 5) Rabbi Zeira demande :

D’où sait-on que Dieu a tenu sept jours de deuil pour le monde ? De ce qu’il est dit : « Il arriva au bout de sept jours que les eaux du déluge furent sur la terre » (Gn 7, 10)

Noé est un second Adam ancêtre d’une nouvelle humanité, certes il est un « juste parfait » un ish ha-adama (Gn 9, 20) qui règne sur la terre comme Joseph en Egypte remarque le Zohar, un juste qui a lui-aussi échappé à la corruption de son entourage (symbolisée par le désir de la femme de Putiphar), mais il reste cependant pas un juste qui n’a pas joint le michpat, la clémence, à sa justice comme Abraham. Joseph avait besoin d’un appui pour le soutenir il « marchait avec Dieu » alors qu’Abraham marchait « devant Dieu » sans besoin de soutien souligne Rachi.

Le mot téba n’est employé que deux fois dans la Torah remarque Elie Munk, pour parler de l’arche de Noé et du berceau de Moïse (Ex 2, 3). Il s’agit à chaque fois de « sauver de la mort le rédempteur de l’humanité – et le rédempteur du peuple élu » [3], le futur prophète de l’alliance avec l’humanité et avec Israël ».

Noé sauve sa famille et sa peau mais pendant les 20 ans de la construction de l’arche il ne convaincra pas ses contemporains à l’instar d’Abraham intercédant pour Sodome, ou de Moïse implorant le pardon pour le peuple quitte à être effacé du livre de Dieu (Ex 32, 32) regrette la tradition qui lui reconnait néanmoins le mérite d’avoir sauvé le genre humain.

L’holocauste de Noé et la culpabilité existentielle

Cain et Abel avaient déjà offert pour l’un les fruits de la terre et des premiers nés de leur bétail .

 Caïn présenta, du produit de la terre, une offrande au Seigneur, et Abel offrit, de son côté, des premiers-nés de son bétail, de leurs parties grasses. Le Seigneur se montra favorable à Abel et à son offrande, mais à Caïn et à son offrande il ne fut pas favorable; Caïn en conçut un grand chagrin, et son visage fut abattu. Le Seigneur dit à Caïn; « Pourquoi es-tu chagrin, et pourquoi ton visage est-il abattu? Si tu t’améliores, tu pourras te relever, sinon le Péché est tapi à ta porte: il aspire à t’atteindre, mais toi, sache le dominer! » »(Gn 4, 3-7)

Dieu avait agréé le sacrifice d’Abel et pas celui de Caïn et la tristesse de Caïn avait conduit au meurtre d’Abel. Quel est le péché de Caïn ? « Si tu t’améliores, tu pourras te relever, sinon le Péché est tapi à ta porte: il aspire à t’atteindre, mais toi, sache le dominer! » (Gn 4, 7) : de ne pas avoir su résister à sa pulsion violente, refusant de s’améliorer, de travailler sur lui-même. Les « holocaustes » rédiment des péchés commis en pensée et pas en acte dit le Zohar. Le sacrifice est donc lié à la culpabilité.

L’initiative vient-elle de Noé ? de Dieu lui-même ?

Maimonide dans son Guide des égarés dit que chaque fois que Dieu réfléchit al libo (dans son cœur) « et Dieu se dit dans son coeur: « Désormais, je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme » (Gn 21, 7), comme lorsque Dieu « s’affligea dans son cœur (al libo) » (Gn 6, 6) d’avoir créé l’homme. Cela signifie que Dieu n’a pas envoyé de messager à l’homme pour réaliser une action.

Rachi défend l’opinion diamétralement opposée : « Noé s’est dit : si le Saint béni-soit-Il m’a ordonné de faire entrer certaines bêtes par sept ce ne peut être que pour en offrir en sacrifice (Berechit Rabba 34, 9). ». Le sacrifice n’est pas spontané, c’est Dieu qui l’a sinon ordonné au moins suggéré. Le sacrifice lui est agréable et l’Éternel le désire.

Entre culte spontané et service de Dieu ordonné on ne peut trancher. Dit en d’autres termes, le sacrifice peut probablement être conçu comme un acte spontané de l’homme pour racheter le sentiment de culpabilité inhérent à son existence, et dans le cas de Noé probablement lié aux millions de morts du déluge (« Pourquoi eux et pas moi ? »). Dieu méprise ces sacrifices comme le montreront les prophètes car ils relèvent d’une conception erronée de la justice qui ne conduit à aucune amélioration personnelle ou sociale. Mais ce sacrifice peut aussi être un service de Dieu selon la vue de Rachi, une action de grâce destinée à frustrer la violence primitive de l’homme, une capacité de renoncement pour désirer de manière libre : « le penchant du cœur de l’homme est mauvais dés son enfance (Yetser lev ha-adam ra) » constate la Paracha… mais celui-ci peut le vaincre.

L’ « odeur agréable » n’est pas celle d’un bon ragout car pour le judaïsme l’odorat est le sens le plus spirituel. Un midrach explique que, descendant de l’arche Noé contempla l’immensité du désastre et fondit en larmes. Son sacrifice serait alors une supplication envers Dieu pour épargner le monde à l’avenir. Le sacrifice de Noé serait donc le signe d’un dévouement gratuit et spontané de Noé envers Dieu, un acte spirituel.

Le monde suit son cours

Juste après le déluge Dieu dit :

« Désormais, je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme, car les conceptions du cœur de l’homme sont mauvaises dès son enfance ; désormais, je ne frapperai plus tous les vivants, comme je l’ai fait. Plus jamais, tant que durera la terre, semailles et récolte, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit, ne seront interrompus. » (Gn 8, 21-22).

Selon Rabbi Itsak, avant le déluge il suffisait de labourer son champ une fois tous les 40 ans ! (Berechit Rabba 34, 13) et rabbi Chmoule Bar Nahman disait quand il souffrait de maux de tête : « voilà ce que nous devons à la génération du déluge ! ». Selon certains Sages l’apparition des saisons est la marque du temps post-déluvien. Une intéressante discussion d’astronomie du traité Berakhot (58b-59 a) sur le verset de Job : « Il crée l’Ourse, l’Orion et les Pléiades » (Jb 9, 9), montre que les sages pensaient que le déluge était du a un changement opéré par le créateur dans la disposition des étoiles :

« Car au moment où le Saint, béni soit-Il voulut amener le déluge sur le monde, il prit deux étoiles de Pléiades et amena le déluge sur le monde. Et quand il voulut le boucher, il pris deux étoiles de l’Ourse et le boucha.

– Il aurait dû lui rendre !

– Un puits ne se remplit pas de sa margelle. Ou bien un accusateur ne devient pas défenseur.

– Il aurait dû lui créer deux autres étoiles !

– « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (Qo 1,9)… » (TB Berakhot 59 a)

Bref : un puit ne peut se remplir de l’eau qui s’accumule sur sa margelle ; les étoiles qui avaient provoqué le déluge par leur absence ne sauraient être amenées au tribunal céleste pour mettre fin au cataclysme ; Dieu s’en tient en définitive à son œuvre de création originaire.

On peut tenter une hypothèse : le mal qui régnait avant le déluge était dû à une absence de prise de conscience du temps, de cette distraction des fins dernières a découlé l’addiction dans un monde de l’instantanéité et du plaisir immédiat maximisé et à jet continu. Cette absence de conscience de soi c’est l’idolâtrie, un rapport faussé au monde, réduit à sa factualité, à la bestialité et à la guerre.

Après le déluge, le monde fonctionne selon ses lois et Dieu n’y interviendra plus comme le signifie l’arc en ciel, signe de l’alliance de Dieu avec l’humanité, c’est-à-dire de la continuité du temps qui ne peut plus être interrompue par aucun maboul (déluge) ni hamas (violence). Le temps réglé par les astres et les saisons suit désormais son cours et chacun peut avoir mal à la tête ou s’enrhumer en son temps… Ce principe de stabilité est un fondement talmudique qu’énonce le Rambam : « Le monde suit son cours habituel », il est « interdit d’interagir dans le monde en espérant un miracle »[4].

 L’ivresse de Noé et l’annonce de la faiblesse humaine

Cependant Noé ne parviendra pas à conserver parfaitement intact sa témimouth, et il est probable que les huit personnes qu’il a sauvé dans l’arche, dont ses trois fils, ont quand même été touchés par la corruption du monde antédiluvien où ils ont vécu. Si Dieu a tenté de faire renaitre la vie sur terre après que les hommes l’aient détruit, cet anéantissement par l’homme de son environnement restant une possibilité actuelle, les 40 jours de gestation pour former un nouvel Adam n’ont semble-t-il que partiellement réussi.

Car suit le malheureux épisode où le seul juste de l’humanité finit ivre mort au fond de sa tente, probablement avec sa femme disent les sages. Un spectacle affligeant face auquel ses trois enfants vont avoir des attitudes différentes. La Torah si bavarde ensuite sur les noms des descendants de Noé est laconique sur cet épisode :

« Noé, d’abord cultivateur planta une vigne. Il but de son vin et s’enivra, et il se mit à nu au milieu de sa tente. » (Gn 9, 20-21)

Peu auparavant on nous avait précisé le nom « programmatique » des enfants de Noé :

« Noé engendra trois fils: Sem, Cham et Japhet. » (Gn 6, 10)

  • Sem-Chem, signifie « nom, renommée, prospérité ». Ce nom symbolise l’étude, la spiritualité, l’intelligence, la science, la Torah, les sémites.
  • Japhet vient de yofi qui signifie « la beauté ». Japhet est compris comme le père des grecs et des peuples indo-européens. Japhet c’est la séduction, la beauté, l’harmonie, l’art. Il sera l’ancêtre d’Abraham.
  • Ham, signifie « chaud », c’est la passion bouillonnante, l’impulsif, la force. Il engendrera Canaan. Les Sages ont vu en lui la force rusée qui conduit à la révolte contre Dieu en construisant la tour de Babel. Car de Ham descendra Nimrod, le roi qui construira la tour de Babel et les villes de Babylone et Ninive.

Alors que Noé va s’enivrer, Ham va voir la nudité de son père, et, au lieu de le couvrir il va sortir pour l’annoncer à ses deux frères. (Gn 9, 21-22). Le Talmud s’offusque profondément de ce qui apparait comme banal de prime abord.

En réalité l’acte de « découvrir la nudité[5] » désigne l’inceste dans le Torah : « Nul d’entre vous ne s’approchera de quelqu’un de sa parenté, pour en découvrir la nudité. » (Lv 18,6) Le commandement se fait encore plus précis : « Tu ne découvriras pas la nudité de ton père, ni celle de ta mère » (Lv 18,7). Le Talmud et la Tradition juive lisent donc cet acte comme un véritable inceste, le regard incestueux de Ham viole le père souverain puis en fait l’annonce. Le midrache affirme même que Cham aurait castré son père. On retrouvera ailleurs dans la Torah un cas d’inceste suite à l’ivresse : Lot est enivré et ses deux filles qui, ne trouvant plus d’hommes, en profitent pour coucher avec leur père (Gn 19, 30-38)

Sem et Japhet, quant à eux, vont protéger Noé, leur père, ce juste déchu et lui apporteront son manteau pour le couvrir en venant à reculons pour ne pas « découvrir sa nudité ». « Sem et Japhet prirent la couverture, la déployèrent sur leurs épaules, et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père, mais ne la virent point, leur visage étant retourné. » (Gn 9, 23).

Le roi est nu et le regarder est une malédiction pour Ham. Le fils de Ham, Canaan sera condamné à servit Sem et Japhet c’est la « malédiction de Noé ». Pourquoi ? parce que la dévalorisation du symbole paternel, aussi bas soit-il, conduit directement à la destruction de l’estime de soi de l’enfant. Celui qui voit son père détruit par l’alcool peut avoir du mal à incarner la fonction symbolique paternelle. Sem et Japhet vont se protéger de cette malédiction en ne regardant pas.

D’autres commentateurs ne verront pas une connotation sexuelle dans le regard sur la nudité de Noé. D’ailleurs l’ivresse n’est pas un interdit biblique. Ce que voit Ham c’est la pauvreté, la honte, l’humiliation de son père. On peut imaginer que ce fait abaisse l’image que Ham se fait de son père, il en découvre la faiblesse et cet affaiblissement est un affaiblissement psychique pour lui-même, une malédiction qui le déconstruit et que lui, le cadet annonce à ses frères, une révélation qui est probablement son erreur la plus grave car elle conduit à un affaiblissement de la fonction totémique paternelle.

La nudité naturelle pour Adam et Eve avant le péché et qui devient le symbole de leur fragilité après, au point de terroriser désormais Adam « J’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché » (Gn 3, 10), cette nudité qui ne signifie pas la seulement sexualité mais la faiblesse, la limite, qu’il faut cacher avec un manteau mais que Dieu voit quand même : « Le Seigneur Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit » (Gn 3,21), est brutalement annoncée par Ham qui ridiculise Noé.

La Torah met en parallèle Noé et Adam les premiers hommes des deux mondes.

Selon le psychanalyste Gérard Haddad les trois noms des enfants de Noé suggèrent trois types de subjectivité. Ham c’est celui qui rejette sa filiation ses origines en faisant boire son père (le talmud ajoute qu’il a forniqué avec lui). Il se condamne par son comportement. Chem c’est le Nom, le symbole de la rationalité, de l’étude. Sem et Japhet ne peuvent pas fonctionner de manière séparée car ils portent ensemble le manteau qui va recouvrir la nudité de leur père. L’alliance entre la réflexion logique, le science d’une part ; et d’autre part la beauté et l’harmonie des formes, l’art, est un idéal talmudique : Il faut qu’un jour Japhet viennent habiter dans le tente de Chem souligne Gérard Haddad[6].

On peut penser que ces trois subjectivités représentent le psychisme ordonné de l’homme, du « juste parfait » : quand la sensibilité est au service de l’intelligence et que toutes deux l’emportent sur l’émotion impulsive.

L’alliance avec l’humanité

Les descendants de Sem Cham et Japhet sont les 70 nations de la terre. Un chiffre symbolique qui représente toute la terre. Ce sont ces même 70 nations pour lesquelles 70 taureaux étaient offerts lors de la fête universaliste de Souccot. Israël sera la nation « une », particulière, séparée des 70 autres.

Mais l’alliance que fait Dieu n’est pas une alliance avec Israël mais avec l’humanité. Dieu est le Dieu non pas d’Israël mais de toute l’humanité.

Si Israël a sa loi, il ne demande pas pour autant au non-juifs d’y adhérer. L’alliance noachide a sa loi : les sept impératifs moraux qui, d’après la tradition juive, ont été données par Dieu à Noé. Une loi en sept points énoncée ainsi dans l’une des plus ancienne Baraïta (IIe s. de notre ère) :

« Nos Docteurs ont dit que sept commandements ont été imposés aux fils de Noé : le premier leur prescrit d’avoir des magistrats ; les six autres leur défendent :  le sacrilège;  le polythéisme;  l’inceste;  l’homicide;  le vol;  l’usage d’un membre de l’animal en vie ». (TB Sanhédrin 56 b)

Six commandements négatifs donc et un septième positif, l’obligation d’établir des tribunaux. Pourquoi des tribunaux ? Parce que sans tribunaux il n’y a pas de tsedaka, de justice. Noé est un tsadik de sa génération un juste. L’administration de la justice, signe l’existence de la loi noachique car sans tribunaux point de justice. Selon la Tradition juive, tout non-Juif vivant en accord avec ces sept lois est considéré comme un Gentil Vertueux et a sa part dans le monde à venir comme un juif. Les adhérents à ces lois sont souvent appelés B’nei Noah’ (Enfants de Noé) ou noachides[7].

Maimonide inscrit le don de la loi dans l’histoire. Il dit que les sept commandements noachide remontent à Adam. L’interdiction de manger de la chair d’un animal vivant, la cruauté, a été ajoutée pour Noé (Gn 9, 4) puis….

Quand Abraham a surgi, en plus de ceux-ci, il a reçu le commandement de la circoncision. Il a également ordonné les prières du matin. Isaac a séparé la dîme et ordonné un service de prière supplémentaire avant le coucher du soleil. Jacob a ajouté l’interdiction de manger le nerf sciatique. Il a également ordonné les prières du soir. En Egypte, Amram a réçu les commandements qui concernent d’autres mitsvot. En fin de compte, Moïse est venu et la Torah a été complétée par lui. (Maïmonide, Michné Torah Sefer Choftim, Melakhim Melakhim ouMilkhamot  9, 1)
Parfois ces sept commandements noachides sont réduits à un seul qui semble tous les contenir, l’abandon de l’idolâtrie ou polythéisme. Tout homme qui abandonne l’idolâtrie est juif :

Les familles se querellèrent l’une avec l’autre. La famille de Yehouda dit : C’est grâce à moi que Mordekhaï a pu naître, puisque David n’a pas tué Chim’i ben Guéra. Et la famillle de Binyamin dit : il vient de moi. […] Rabbi Yo’hanan dit : toujours il venait de Binyamin. Et pourquoi l’appelle-t-on yehoudi ? Parcequ’il a renié l’idolâtrie, car tout homme qui renie l’idolâtrie est appelé yehoudi (juif). (TB Méguila 13 a)

Maïmonide souligne la centralité du renoncement à l’idolâtrie, il explique dans le Guide des Egarés que « le but principal de la Loi est d’extirper l’idolâtrie »[8] et ajoute dans le Michné Torah[9] :

«  IV/ Le commandement qui proscrit l’idolâtrie a, à lui seul, la même importance que tous les autres réunis, selon le verset : ‘‘Quand, par erreur, vous n’aurez pas exécuté toutes ces ordonnances…’’ (Nb 15,22). La tradition nous a enseigné que ce texte vise l’idolâtrie. On en peut déduire qu’avouer l’idolâtrie revient à désavouer la Loi tout entière, tous les prophètes et tous les commandements dont ont été chargés les prophètes depuis Adam jusqu’à la consommation du monde, inversement, désavouer l’idolâtrie, c’est avouer la Loi tout entière, tous les prophètes et tous les commandements dont ont été chargés les prophètes depuis Adam jusqu’à la consommation du monde.

L’interdiction de l’idolâtrie est donc bien le commandement essentiel.

V/ Un Israélite pratiquant l’idolâtrie est assimilé sous tous les rapports au non-juif et non pas à l’Israélite qui se serait rendu coupable d’une transgression sanctionnée par la lapidation. Qui est passé au culte idolâtre a apostasié la Loi tout entière. De même les Israélites hérétiques ne sont plus à aucun égard, comptés pour Israélites. »

L’archétype biblique du rejet de l’idolâtrie n’est pas Noé mais Abraham. En lui seront « bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12, 3), c’est à dire toutes les Nations. C’est pour cela que l’épisode de la tour de Babel suit immédiatement l’énonciation des 70 descendants de Noé.

[1] J’emprunte ce rapprochement avec Hanna Arendt à mon ami Gérard Haddad.

[2] Commentaire du rav S .R. Hirsch sur le Pentateuque, Tome 1, Berechith, Kountrass editions 1995, pg. 213

[3] Elie Munk, La voix de la Torah, la Genèse, Association Samuel et Odette Levy Nouvelle édition 2007, pg. 95.

[4] Maïmonide : Mishneh Torah, lois des rois, XII, 1

[5] Ervah, “nudité” : Lv 18, 6.7.8.9.10.11.12.13.14.15.16.17.18.19 et 20, 11. 17.18.19.20.21 et Ez 22, 10…

[6] Conférence Akadem, sept. 2013 en ligne.

[7] Le fondement halakhique antique de ce statut (Maïmonide, Michné Torah Sefer Choftim, Melachim 9, 1) a été analysé par Elia Benamozegh, rabbin de Livourne du XIXème siècle, dans Israël et l’humanité.

[8] Guide des égarés, III, 30.

[9] Michné Torah, Livre de la Connaissance, chapitre II, « Qu’il est interdit de rendre un culte à rien de ce qui est créé… », Traduction de Valentin Nikiprowetzky et André Zaoui (Le livre de la connaissance, Quadridge/PUF, 196, pg. 232.)

Le livre de la Genèse raconte-t-il vraiment les premiers instants de l’univers ?

Suit ici une réflexion inspirée des enseignements des Rav Haïm Harboun et Rav Nathan Mrejen

Nous avons lu hier la Paracha Berechit. Quand on demande aux gens ce que raconte le Livre de la Genèse ils répondent souvent « la Création du monde »… ce qui n’est pas faux. Mais de quelle création parle-t-on ? des premiers instants de l’Univers que décrit aussi la théorie scientifique du big bang ? Mais alors dans ce cas qui faut-il croire la science ou la Torah ? Peut-on faire une lecture de ce texte comme un reportage du commencement de l’Univers ?

big bang

Qu’est ce qui a été créé en premier ? « Qui a commencé ? »

Une célèbre page de la guemara du traité Haguiga s’étonne « Lors de la création il a créé le ciel puis la terre » comme le dit le premier verset de la Torah « Au commencement lorsque D. créa les Cieux et le terre » alors qu’il est dit plus loin dans l’ordre inverse « Le jour où l’Éternel D. fit la terre et le ciel il n’y avait encore aucun arbuste des champs… » (Gn 2,5). Pourquoi cette incohérence logique ? Pour nous prévenir, bien sûr! disent les Hakhamim de ne pas opérer une lecture littérale.

D’après l’école d’Hillel la terre a été créée en premier, à quoi les disciples de Chammaï qui pensaient que le Ciel a été créé en premier. A quoi les disciples d’Hillel répondaient : « d’après vous on bâtit l’étage et après la maison ? » (TB Haguiga 12a)… Mais selon les autres Sages tout a été créé en même temps comme les deux mains de D-ieu car « Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied : quelle est la maison que vous pourriez me bâtir, le lieu qui me servirait de résidence ? Mais, tout cela, ma main l’a créé ! » (Is 66, 1-2) à rapprocher de : « C’est ma main qui a fondé la terre, ma droite qui a étendu les cieux. Je leur adresse mon appel : aussitôt ils se présentent ensemble.(Iakhdav) » (Is 48, 13).

Rachi le célèbre Maître de Troyes, vigneron au Moyen-Age ajoute :

« Au commencement, Eloqim créa » Ce texte demande, en fait, à être explicité. C’est comme nos maîtres l’ont expliqué : Le monde a été créé pour la Tora qui est appelée « le “commencement” de Sa voie » (Michée 8, 22), et pour Israël qui est appelé « le “commencement” de Sa moisson » (Jr 2, 3). Mais si tu veux l’expliquer selon le sens littéral, fais-le ainsi : Au commencement de la création des cieux et de la terre, alors que la terre était tohou et vohou et que les ténèbres…, Elohim a dit : « que la lumière soit ! » Ce texte ne vient pas nous donner l’ordre de la création, nous dire que ces éléments ont été créés en premier. Si tel était le cas, le texte aurait dû porter barichona (« en premier lieu »), car on ne rencontre jamais le mot réchith dans la Bible sans qu’il soit lié au mot suivant. Exemples : « Au commencement (beréchith) du règne de Yehoyaqim » (Jr 26, 1), « le commencement (réchith) de son royaume » (infra 10, 10), « les prémices (réchith) de ton blé » (Devarim 18, 4). Ici, de même, tu dois expliquer : « Au commencement, Elohim créa… », comme s’il était écrit : beréchith bero, « au commencement de l’acte de la création », à rapprocher de : « au commencement (te‘hilath) où Hachem parla à Osée » (Osée 1, 2), c’est-à-dire : « au commencement de la parole adressée par le Saint béni-Soit-Il à Osée, Hachem dit à Osée. ». […] Force est donc d’admettre que le texte ne nous enseigne absolument pas l’ordre chronologique de la création (Gn rabba 1, 6, Lv rabba 36,4)

Bref le fait de penser la création comme précession historique est une erreur. Ce n’est pas de cela que le texte parle.

Alors comment résoudre ce paradoxe originel ?

Le paradoxe originel

Rabbi Yossé dit que l’expression amayim, « les eaux » vient de chécham mayim, c’est-à-dire une forme contractée de ech et maïm le feu et les eaux.

La création contient donc en son principe des opposés comme l’eau et le feu, des paradoxes qui ne sont pas contradictoires du point de vue du Saint, béni soit-Il mais pas réconciliable du point de vue de la nature ou de la logique humaine.

L’enseignement de Rabbi Akiba propose que chamayim et arets sont les noms du Saint, béni soit-Il. Comme si la nomination originaire se référait à une unité originaire paradoxale incompréhensible pour l’homme qui ne peut la penser qu’en terme de confusion, lui qui vit non pas dans le monde de l’UN mais dans celui de la séparation, du langage, condition de possibilité et d’intelligibilité et aussi nostalgie de l’unité perdue (cf Babel).

Le traité Haguiga se demande pourquoi les scélérats comme les justes profitent de la lumière en ce monde alors que D. a séparé la lumière des ténèbres. Et il explique que D. l’a mise en réserve à l’usage des justes pour les temps à venir (TB Haguiga 12a). La création est donc une réalité paradoxale « qui n’a pas encore eu lieu » mais qui va advenir lors de la délivrance. Une sorte de processus entre le début et la fin du monde qui renvoie l’homme non pas à l’origine ou à la fin mais à son présent, l’histoire où il peut choisir la lumière ou les ténèbres à chaque instant.

J’ai reçu un enseignement du Rav Mrejen à ce sujet.

« C’est pourquoi l’homme (ich) quitte son père et sa mère, il s’unit à sa femme (ichto) et ils ne font qu’une seule (ehad) chair » (Gn 2, 24) : Il s’agit d’un paradoxe du masculin et du féminin qui désirent s’unir pour réaliser l’Unité (ehad) de éternelle et qui se repoussent comme les pôles opposés d’un aimant. ich et icha qui sans le Yah deviennent Ech, le feu destructeur. Paradoxe étrange car sans la femme l’homme ne peut se comprendre, laissé à sa solitude. Nous y reviendrons.

Haguiga 12a

Celui qui lit littéralement la Torah est juste un malheureux

Et rabbi Yossé rapporte ensuite une baraïta : « Malheur aux créatures qui voient et ne savent pas ce qu’elles voient qui se tiennent debout et qui ne savent pas pourquoi elles se tiennent debout, la terre sur quoi repose -t-elle ? Sur des colonnes puisqu’il est dit « il fait trembler la terre sur ses bases et ébranle les colonnes qui la supportent » (Job 6, 9). Ces colonnes sont sur l’eau puisqu’il est dit : « Pour Celui qui étend la terre sur l’eau » (Ps 136, 6).

A la Renaissance Le Maharcha[1] indique que Yossé commence son enseignement par la mot « Malheur » parce qu’il déplore le « malheur » qui consiste à croire en une description physique de la nature alors que le but de ce texte est de révéler le fondement spirituel de l’univers. En quoi est-ce un « malheur » ? Parce que l’oubli de cette reconnaissance de la profondeur spirituelle de l’univers conduit à l’absence de prise de conscience de la responsabilité de l’homme qui consiste à changer le monde.

J’ai reçu un autre enseignement du Rav Mrejen à ce sujet : ce qui est curieux c’est qu’après avoir créé les réalités spirituelles de la terre (erets) et des cieux (achamaïm) :

« Dieu fit l’espace, opéra une séparation entre les eaux qui sont au-dessous et les eaux qui sont au-dessus, et cela demeura ainsi. Dieu nomma cet espace le Ciel. Vayiqra Elohim laraqia chamaïm. (Gn 2, 7-8)

Pourquoi alors que les Cieux (chamaïm) et la Terre (erets), réalités spirituelles , ont été créées, le  Raqia doit il être « nommé »  chamaïm, « les Cieux »? Comme si on n’avait pas compris… Parceque l’homme a besoin de la nomination pour attribuer un sens spirituel à la réalité, pour considérer ce monde selon son élévation spirituelle, pour penser par allégorie.

Dit en d’autres mots : celui qui s’assimile au monde des choses considère la réalité et les autres comme des choses et en devient une. C’est ce qu’on appelle l’idolâtrie.

Si je ne vois les femmes que comme des proies sexuelles je deviendrai un objet sexuel et je ne pourrai pas comprendre la féminité ni la richesse sentimentale d’une relation réelle et pas fantasmatique. Si je ne considère les autres que comme des objets sociaux rapportés à leur surface financière je perdrai la gratuité sans laquelle aucune relation vraie n’est possible. Si je considère les autres comme des objets de ma séduction ou de mon pouvoir je serai réduit à mon rôle de maître ou d’esclave, d’objet sous la main ou de tyran inaccessible te je ne serai jamais libre, etc…. Et le sexe, l’argent ou le pouvoir ne sont que des catégories de l’idolâtrie parmi d’autres…

On est déterminé par la manière dont on regarde le monde. L’homme qui voit et vit ainsi ne peut donc qu’être malheureux puisqu’il n’accomplit pas sa vocation spirituelle, ce pour quoi il est fait, ce pour quoi l’Eternel l’a rendu contemporain de Lui-même par amour.

J’entends déjà un de mes enfants me poser la question « Mais alors qu’est-ce qu’il y avait ‘avant’ la lumière et les ténèbres ?»

L’Etat originaire : la solitude

Berechit explique ce qu’il y avait ‘avant’ : « Or la terre n’était que solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de Dieu planait à la surface des eaux. » (Gn 2, 2). Rachi commente :

Tohou et vohou Tohou signifie « étonnement, stupéfaction », l’homme étant frappé d’étonnement et de stupeur en présence du vohou.[2]

Les deux mots hébreux tohu et bohu son treliés par et. Tohu signifie « inhabité, inhabitable, le désert ». Comme il est écrit :

« Il le rencontre dans une région déserte, dans les solitudes (tohu) aux hurlements sauvages; il le protège, il veille sur lui, le garde comme la prunelle de son œil. » (Dt 32, 10)

Le second mot bohu ne se rencontre que trois fois dans la Torah il et est donc difficile à définir, il est toujours lié à tohu.

Rachi décrit ce réalité comme stupéfiante. « Tohou et vohou Tohou signifie étonnement, stupéfaction, l’homme étant frappé d’étonnement et de stupeur en présence du vohou. »

L’homme est donc interloqué, sans voix face au chaos qu’il est avant la parole de D. Sans D. sa vie est un « désert où hurle la solitude »

C’est de cette agitation que la femme vient le tirer, comme une réalité paradoxale sans laquelle il ne peut trouver sa propre signification.

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul »

Le couple humain est une réalité paradoxale en quête de l’unité originaire et qui sans elle se repousse et se détruit. « L’Éternel-Dieu dit: « Il n’est pas bon que l’homme soit isolé; je lui ferai une aide digne de lui. » » (Gn 2, 18). L’homme est en danger sans son vis-à-vis. Il risque de se croire pouvoir réaliser l’unité de Dieu. Il lui faut une femme avec il va pouvoir réaliser l’unité le ehad qui est en Dieu.

Le Zohar déclare :

« Un homme seul, ou une femme seule, n’est que la moitié d’un corps » (Zohar III 7b, 109b, 296a)

Et les Hakhamim disent :

« L’épouse d’un homme est comme son propre corps. » (Talmud Menahot 93b, Bekakhot 35b).

 

« Une aide qui soit face à lui Si l’homme a du mérite, elle lui sera une aide. S’il n’en a pas, elle sera contre lui et le combattra » (Beréchith rabba 17, 3. et Yevamoth 63a).

Le Tohu Bohu c’est donc « l’avant » de la création et du couple humain. Un espace de confusion sans vis-à-vis (lumière/ ténèbre ; haut/ bas ; jour/ nuit ; terre/ eau ; homme/femme…) donc sans signification.

Berechit ne raconte pas les premiers instants de l’univers mais comment chacun de nous peut ici et maintenant choisir d’advenir en ce monde comme un être humain dans la avoda hachem, en couple.

Tohu Bohu

[1] MaHaRCHA (initiales de Morénou Harav Rabbi CHmouel Aidels – « Notre Maître Rabbi Samuel Eidels ») Rabbi Chemouel Ben Yeouda Halevy Edel de Pologne (1555-1631). Commentaire du Talmud intitulé Hidouchei Maharcha (Hidouchei signifiant « Nouvelles Explications par »).

[2] Et Rachi ajoute « En français médiéval : « estordison ». Vohou signifie vide et solitude. La face de l’abîme A la surface des eaux qui étaient sur la terre. Et le souffle de Elohim planait Le trône de la majesté divine se tenait dans les airs et planait à la surface des eaux grâce au souffle de la bouche du Saint béni soit-Il et par Sa parole, comme une colombe qui plane sur son nid (Gn rabba 2, TB Haguiga 15a). En français médiéval : « acoveter ». »

 

176 : le chiffre du bonheur dans la Torah

Qu’est-ce qu’une vie réussie ? C’est ce que nous le raconte la paracha de Nasso

La Paracha de Nasso est la plus longue avec 176 verset s ont remarqués nos Sages. Et ils ont aussi remarqué que le plus long des Tehilim, le Psaume 119, possède lui aussi 176 versets. D’autre part, nos Hakhamim ont remarqué que le traité le plus long du Talmud Baba Batra (la « dernière porte »), qui s’intéresse aux questions liées à la responsabilité individuelle et aux droits des détenteurs de propriétés possédait lui aussi 176 dapim (pages). Alors les Hakhamim (les Sages d’Israël) se sont posé la question.  Pourquoi 176 et pas 175 ou 177 ?

Vous pouvez compter, le psaume alphabétique (ou acrostiche) 119 comporte les 22 lettres de l’alphabet hébraïque multipliées par 8 versets soit 176 versets. Le chiffre 8 représentant la perfection, celle de la circoncision au 8ème jour et du monde qui vient.

Ce psaume qui chante les louanges de la Torah commence par la lettre Aleph comme si celui qui obéissait était un enfant qui épelle les lettres de l’alphabet de l’existence devant Dieu :

Achrei témimei derekh aolékhim betorath adonaï

Heureux ceux dont la voie est intègre, qui suivent la Loi de l’Eternel !

Heureux ceux qui respectent ses statuts, le recherchent de tout leur cœur,

qui, se gardant bien de commettre aucune injustice, marchent dans ses voies (derekh)!

Tu as promulgué tes ordonnances (tsiouta – mitsvah), pour qu’on les observe (lichmor) strictement.

Ah! puissent mes pas être fermes, pour que j’observe (lichmor) tes préceptes!

Alors, je ne serai point déçu, en portant mes regards sur tous tes commandements (mitsvoteikha).

Je te rendrai grâce en toute droiture de cœur, en m’instruisant des règles de ta justice.

Tes statuts, je les observerai (eshmor): ne m’abandonne en aucun temps. »

Ce psaume commence par le mot Achrei, un mot crochet qui dans la Bible renvoie au joug de la Torah. C’est d’ailleurs le premier mot du premier verset des Théhilim, le Psaume 1, qui résume le « joug de la Torah » (le psaume 2 résumant le joug des Cieux et la venue du Machiah[1])

Achrei haish. Acher lo halaKh. Ba’atzat rechaim ouvdérékh ‘hataïm lo amad ouvmochav létsim lo iachav

Heureux l’homme qui ne suit point les conseils des méchants, qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs, et ne prend point place dans la société des railleurs,

Ki im betorah adonaï efétso ouvtorato yégé iomam valayla

mais qui trouve son plaisir dans la Loi de l’Eternel, et médite cette Loi jour et nuit! »

Le Psaume 112, 1 nous confirme ce lien entre la plénitude du bonheur et le plaisir pris au respect des commandements :

« Alléluia ! Heureux l’homme qui craint l’Eternel, qui prend grand plaisir à ses commandements !

Puissante sera sa postérité sur la terre : la race des justes est bénie! » (Ps 112, 1-2)

8 fois 22 c’est donc un peu une plénitude de louanges. La méditation de la Torah permanente qui devient un chemin de vie, un derekh (chemin) ou l’on marche (halakh, marcher)… selon la Halakha justement, procure un bonheur serein et durable. Le psaume 84 reprend cette idée d’un bonheur familial et en chemin à la fois.

« Heureux ceux qui habitent dans ta maison, et sans cesse récitent tes louanges! Sélah!

Heureux l’homme qui met sa force en toi, dont le cœur connaît les vraies routes! » (Ps 84, 1-2)

Le chemin du tsadik est donc un chemin de plénitude et de joie.

« Heureux le peuple connaissant les chants de victoire (terouah’ : la sonnerie du chofar), cheminant, Eternel, à la lumière de ta face ! »

Sans cesse ils sont en joie à cause de ton nom, et s’élèvent par ta justice. (Ps 119, 16)

Nous disons la prière du Achrei, un psaume alphabétique acrostiche (Ps 145) et des versets des psaumes ci-dessus cités trois fois par jour : deux fois à Chaarit, le matin, et une fois à Min’ha, l’après-midi. Cette halakha est tirée de l’enseignement de Eleazar ben Avina dans le Talmud qui rapporte :

« Rabbi Eléazar a rapporté cette affirmation de Avina [son père] : ‘‘ Quiconque dit : ‘Psaume de David…’ (Ps 145) trois fois par jour est assuré du monde futur’’ ; Quelle en est la raison ? Si nous disons ‘parce qu’il suit l’ordre alphabétique’ -on devrait dire: ‘Heureux ceux dont la voie est intègre…’(Ps 119) qui se présente avec de huit façons. Mais parcequ’il y a ‘Tu ouvres tes mains’ (v. 16) on devrait dire le grand Hallel où il est écrit ‘Il donne du pain à toute chair’ (Ps 136, 25) » (TB Berakhot 4b)

L’enfance de l’apprentissage spirituel et les lettres du bonheur

Le psaume 145, l’Achrei a le double mérite d’être alphabétique, il renvoie à l’enfance de l’apprentissage spirituel qui épèle les lettres du bonheur, et de rendre grâce à Celui qui accorde la subsistance. Le Talmud rapproche les versets du Achrei et du Grand Hallel qui remercient pour les nourritures terrestres « Tu ouvres ta main et rassasie tout être avec bienveillance » (Ps 145, 16) // « Il donne du pain à toute chair, sa bienveillance est éternelle » (Ps 136, 25) pour nous enseigner que la prise de conscience du lien entre la nourriture et la crainte de Dieu est une des clés du monde futur. Ce verset 16 est le verset final de la Birkat amazone, de nos fins de repas.

176

On retiendra que le chiffre des176 versets de cette paracha ou du psaume 119 multiplie les 22 lettres de l’Alphabet hébraïque par la plénitude du monde à venir (chiffre 8), comme si l’attitude de l’enfant qui étudie était une des clés du monde futur, comme si la vraie attitude spirituelle du tsadik était celle de celui qui ne sait pas et qui chaque matin dit : « aujourd’hui je commence ». Achrei le premier mot des tehilim et du monde qui vient.

Certains commentateurs ont remarqué que ce huitième jour du monde qui est aussi celui de la brit mila est celui du premier commandement de Dieu à Abraham lors de sa circoncision à l’âge de 99 ans : « Je suis le Dieu tout-puissant (Chaddaï); marche (ithalekh) devant ma face, sois irréprochable (tamim)» (Gn 17, 1). L’enlèvement de la Orla qui sépare l’homme de Dieu rend l’homme parfait, tamim, – un mot qui signifie « sans défaut » comme la bête offerte en sacrifice au Temple ; non pas irréprochable mais « sans obstacle » dans son alliance, sa relation, avec le Saint, Beni soit-il.

Achrei, Le Bonheur, le premier mot du premier monothéiste. C’est tout ce que nous souhaitons à la fille de Clara qui vient de naître.

[1] « Les grands de la terre se liguent entre eux contre l’Eternel et son Messie… celui qui règne dans les cieux s’en amuse et les tourne en dérision » (Ps 2)

« Aime ton prochain comme toi-même »: une erreur de traduction et de point de vue ?

aimer« Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Cette phrase du Lévitique que nous avons lue à Chabbat dans la paracha Kedochim, largement reprise partout, vient évidemment, et c’est assez peu connu du cœur du judaïsme.

Cependant sa postérité repose sur une sorte de malentendu dû une erreur de traduction. La traduction la plus proche de Vehaavvta Lekhakha et Kamora, « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18) n’est pas la bonne il faudrait plutôt traduire :

« Tu aimeras ton prochain, car il est comme toi ».

Cette erreur de traduction de Lv 19, 18b et 34 ou plutôt ce glissement de sens  a des conséquences très importantes. Ce n’est pas une erreur « chrétienne » mais juive. Car la traduction par le grec « agapêseis ton plêsion sou hôs seauton » « comme toi-même » provient de la traduction de ce passage par la communauté juive hellénistique dans la Septante vers 270 avant notre ère. On en trouve la trace dans le Talmud :

 « On raconte que cinq anciens traduisirent la Torah en grec pour le roi Ptolémée, et ce jour fut aussi grave pour Israël que le jour du veau d’or, car la Torah ne put être traduite convenablement » (Talmud Babylone Soferim 1, 7).

Bref « Traduire c’est trahir », cette phrase est choquante mais je vais montrer que nos Sages avaient raison.

Le malentendu de l’amour

Le problème avec l’amour c’est qu’il y a souvent malentendu, c’est parfois une sorte de « je vous ai compris » qui repose sur une illusion, un contentement narcissique, une jouissance de soi qui se heurtera forcément au mur du réel de l’altérité d’autrui dès le lendemain. C’est ainsi que naissent les haines et les guerres, les trauma familiaux des « divorces qui ne s’arrêtent jamais », de blessures inconsolables, d’amours déçus.

Le veaavta n’est donc pas une extension du domaine de l’amour, un narcissisme étendu à autrui ; mais prend pour point de départ autrui en disant « Regarde il est comme toi, il veut juste vivre ! » pour revenir à soi-même et fort de cette émotion qui voit autrui dans sa faiblesse lui porte secours. Une empathie réciproque qui s’abstient d’un jugement ‘premier’. Il ne s’agit donc pas d’une espèce de commandement d’amour illimité et héroïque -qui en fait revient à se mettre à la place de l’Eternel- mais un appel à regarder autrui avec ses propres yeux et à essayer de se mettre à sa place, adopter son point de vue… et non pas un amour illimité de soi qui s’étend aux autres et ne reste qu’un narcissisme, une charité bien ordonnée qui commence par soi-même.

Cette relation horizontale avec celui qui devient mon frère, celle qui devient ma soeur et dont le constat des droits m’oblige, se conjugue avec une verticalité. Car le vehaavta, « Tu aimeras » du Chema, « De tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force » vise l’Eternel qui par définition est absent de ce monde. « L’amour Eternel » vient de D. et l’homme est invité à cette réciprocité, mais cet élan se heurte immédiatement à l’obligation de chercher la Justice. « La justice, la justice tu la chercheras » (Choftim).

Cette empathie provoque un oubli de soi qui revient à soi-même. Je me vois dans les yeux d’autrui ramené à ma simple valeur, un parmi d’autres, et à ce moment je peux faire communauté, accepter autrui comme un autre moi et non plus comme l’extension de moi-même. Ce qui revient à un travail d’analyse et de reconnaissance de ma propre violence prédatrice qui asservit les autres pour les dominer ou les séduit… pour les dominer encore. Le frère n’est pas un objet sous la main dans un rapport narcissique idolâtrique. Voilà ce que dit la Torah et nos Sages, très loin du monde grec donc. Lire la suite de « « Aime ton prochain comme toi-même »: une erreur de traduction et de point de vue ? »