
De nombreux récits nous sont parvenus du coeur de l’Holocauste. Quelques uns m’ont particulièrement touché. L’un est un rouleau enterré au pied d’un crématoire par le sonderkommando Zalman Gradowski; un autre celui d’un policier juif qui a amené sa femme et sa petite fille au train : Calel Perechodnik. Celui de Chil Rajman décrit Treblinka et la destruction de son peuple. Enfin le pojet Oneg Shabbos d’historiens du ghetto de Varsovie qui ont choisi de documenter leur vie avant d’enfermer ces archives dans des bidons à lait enterrés montre le travail patient et minutieux d’un groupe d’historiens soucieux de faire vivre un monde dont il savait qu’il était en train d’être englouti.
Une volonté réunit des écrivains : l’écriture était pour ces gens qui savaient qu’ils allaient mourir la seule manière de survivre, de transmettre un monde bientôt disparu, celui du judaïsme ashkénaze de la mitteleuropa.
Je me permet de les partager avec vous en ce jour de Yom haShoah. L’Holocauste reste un trou noir au fond de l’âme européenne. il faut lire ces lignes fivéreuses et hallucinées d’hommes qui les ont laissées pour qu’on ne les oublie pas.
Du point de vue historique il faut lire ou relire Raul Hilberg : La destruction des juifs d’Europe, Saul Friedlander : Les années de persécution / Les années d’extermination, Annette Wieviorka : Déportation et génocide et l’ère du témoin . Sans oublier le documentaire Shoah de Lanzmann.
Zalmen Gradowski
Le récit de Zalmen Gradowski, un Sonderkommando, a été déterré près du crématoire III de Birkenau, à l’intérieur d’une gourde allemande en aluminium fermée par un bouchon en métal, un carnet de 14,5 x 9,5. Publié sous le titre Au cœur de l’enfer c’est le plus poignant. Il commence ainsi :
« Cher lecteur…
Je dédie ces lignes à ton intention, que tu puisses apprendre au moins en partie comment et de quelle atroce manière ont été exterminés les enfants de notre peuple. Et que tu réclames vengeance pour eux, et pour nous, car qui sait si nous, qui avons dans nos mains les preuves factuelles de toutes ces atrocités nous pourrons survivre jusqu’à l’heure de la libération. C’est pourquoi je veux par mon écriture éveiller en toi un sentiment, semer une étincelle de vengeance, et qu’elle s’embrase, enflamme tous les cœurs, et que soient noyés dans des océans de sang ceux qui ont fait de mon peuple une mer de sang. »
Tout le texte, celui d’un prophète, montre cette volonté d’accumuler des preuves de la barbarie nazie qui se déchaîne, de résister à l’effacement de la mémoire, celle de ses proches qu’il cite avec leur date de mort et la volonté qu’on publie sa photo avec sa femme.

Il faisait partie du Sonderkommando, ces « équipes spéciales » qui assuraient le fonctionnement des chambres à gaz et des crématoires d’Auschwitz-Birkenau, ces juifs chargés d’aider les SS à faire entrer leur propre peuple dans les locaux de déshabillage et de gazage.
Seule lune veille encore sur lui : « Que ton unique rayon, que ton cierge de deuil luise à jamais sur la tombe de mon peuple. Que ce soit la flamme du souvenir que toi seule peut allumer pour lui. ». Des pages magnifiques écrites comme une meguila d’Esther.
« Alors, je courais là-bas, vers ce rivage, vers ce coin où se tenaient avec une sainte piété quelques dizaines de juifs en prière, et là je puisais cette lumière, je captais cette étincelle avec laquelle je pouvais m’enfuir dans ma chambrée. Et à sa chaleur fondait le gel qui glaçait mon cœur… J’avais alors un joyeux shabbat. J’étais emporté sur les vagues de mes années disparues, et lorsque je revenais au rivage, à mon shabbat d’aujourd’hui, mon cœur fondait en larmes. J’étais comblé, j’avais un Shabbat de pleurs »
Trés religieux, Gradowski sera l’un des chefs de la résistance au sein du Sonderkommando, il a probablement été tué durant la révolte du Sonderkommando en octobre 1944 ou peu avant. Un crématoires est alors dynamités et une petite troupe de quelques centaines de révoltés, pauvrement armée, se bat contre des milliers de SS en armes et de chiens hurlant qui finissent par les massacrer. Les dernières lignes de Salman Gradowski datent du 6 septembre 1944.
Il ne sera édité en yiddish et en Israël qu’en 1977. Lire la suite de « Témoins de l’Holocauste »