Les juifs à Gérone et en Catalogne au Moyen-Age

Nahmanide à Gérone

C’est assez drôle après avoir travaillé il y a vingt ans sur la Catalogne romane de retrouver celle-ci, mais coté juif. De passage à Gérone voici quelques réflexions. Gérone

 

 

Les juifs à Gérone

L’histoire des juifs de Gérone commence en 890, l’année où un groupe de juifs en provenance du comté de Besalù, a vendu, au comte Dela, les terres sur lesquelles ils vivaient. Ce comte les installe en échange dans « sa ville de Gérone ». Plus tard en 1160, un document cite pour la première fois le «callis judaicus », habité par les juifs du XIIe siècle jusqu’à la fin du XVe siècle, mais c’est au XIIIe et XIVe siècles que le call connut son âge d’or.

 

Rue juive à Gérone

Dans le centre médiéval de Gérone, juste en dessous de la Cathédrale,
on découvre un entrelacs de petites rues pavées aux ombres sombres le Call Jueu

Géone-quartier juif

Gérone, quartier juif et Musée d’histoire des juifs

Haggadah de Gérone

Haggadah de Gérone, XIVème siècle, Musée d’histoire des juifs

A cette époque-là, le quartier juif abritait deux synagogues, des maisons d’habitation et des bâtiments communautaires ainsi que des abattoirs pour la viande kasher et des « mikvé » (bain rituels) dont on peut voir l’un d’eux au musée d’histoire juif.

 

Besalú Mikvé

Mikvé à Besalù (Catalogne) construit en 1264 à côté de la synagogue (détruite)

Mikvé a Gérone

Mikvé à Gérone utilisé de 1435 jusqu’à l’expulsion de 1492.

Parmi les habitants du call, les familles les plus aisées avaient pour noms Ravaia, Astruc, Benet, Saporta, Saltell, Caravita, Aninai, Sabarra ou encore Falco. Les juifs qui vivaient dans des calls étaient nombreux en Catalogne : 4000 à Barcelone, 800 à Gérone et à Perpignan, 500 à Lleida et 300 à Tortosa.

Lors de son passage à Gérone Benjamain de Tudèle qui visita les communautés juives jusqu’en Inde sans oublier l’Egypte et l’Afrique et qui fut le premier occidental à décrire la Chine avant Marco Polo rapporte vers 1160 :

La ville de Barcelone est à deux journées de là (Tarragone). Elle renferme une sainte réunion d’hommes sages et lettrés, de grands et nombreux chefs, tels que les docteurs Schescheth, Schealthiel et Salomon fils d’Abraham ben Chasdaï, dont le souvenir soit en bénédiction. Barcelone est une ville petite, mais jolie, située sur le bord de la mer. Les négociants y abordent de toutes parts avec leurs marchandises ; de Pise, de Gènes, de la Sicile, de la Grèce, d’Alexandrie en Egypte, de la Palestine, et des pays limitrophes. De Barcelone à Gironne, où se trouve une petite communauté juive, il y a une journée et demie de chemin. Le poète Zerachia le Lévite préside cette communauté.

 

Nahmanide… versus Maïmonide

 

Rue de Nahmanide2

Carrer del Manuel Cundaro à Gérone,
La rue où habitait Nahmanide

Rue de Nahmanide3

Carrer del Manuel Cundaro à Gérone,
La rue où habitait Nahmanide

C’est ici qu’est né en 1194 et a vécu Rabbi Moshé Ben Nahman, Nahmanide, souvent désigné par l’acrostiche Ramban (à ne pas confondre avec le Rambam, Maïmonide), l’une des plus hautes autorités du judaïsme espagnol de son temps Rabbin de Gérone puis chef spirituel de la communauté juive de Catalogne. Il était philosophe, cabaliste, talmudiste, poète, et pratiqua la médecine comme moyen de subsistance, à l’image de Maïmonide ou Juda Halevi et de nombreux juifs de son époque.

A la pensée rationnelle de Maïmonide : il n’y a pas de miracles :ceux-ci, même l’ouverture de la mer à la sortie d’Egypte, ont été créée dans le massé berechit, l’œuvre du commencement, on parle d’ange quand on ne sait pas encore ce que la science découvrira,D. n’intervient pas dans les lois de sa Création le « monde suit son cours » , Nahmanide, son grand adversaire postérieur accepte le « surnaturel »  et propose d’approfondir notre expérience du monde visible : la Torah est remplie de secrets cachés (nistar), qu’il est interdit de révéler, car ils sont justement cachés. A l’homme de d’en découvrir le mystère par l’étude et la vie. Cette conception mystique ouverte engage tout une conception de la Providence en ce monde c’est  à dire de la présence de D. dans l’histoire.

L’ésotérisme de la Kabale et une méthode d’exégèse originale était le corollaire naturel de cette théologie.

Kabbale à Gérone

Amulette de Kabbale, Musée d’histoire des juifs de Gérone, XVIIème siècle :
Au centre, en trois cercles concentriques, on voit une Maguen David, bordée des deux côtés par deux étoiles, deux mains et quatre carrés, tous remplis avec des lettres de l’alphabet hébreu, qui, combinées de manière appropriée, forment des noms des anges, comme Raphael. Dans l’un des carrés a été écrit le Tétragramme divin. En bas est  répétée trois fois la phrase « Ha-Eish shaka ha-Eish » (le feu coule-s’arrête, dans le feu). Cette amulette a été utilisée pour éloigner les mauvais esprits Elle devait ressembler à celles des Juifs de la Gérone médiévale.

Comme le dit Yéshayahou Leibovitz, Nahmanide « vivait dans deux univers incompatibles l’un de l’autre et vivait, de plus, intensément dans chacun de ces deux mondes. D’un côté personne ne connaissait mieux que lui le Guide des égarés [de Maïmonide], mais d’un autre côté, Ramban est en fait le père de la kabale. »

Mais cette théologie avait aussi un enjeu en terme d’interprétation du texte sacré : Il fallait passer du Pshat (sens simple), au Remez (sens allusif), au Drash (sens allégorique), au Sod (sens secret), sans jamais lâcher un niveau en cours de route. Si quelqu’un analyse la totalité de la Bible avec ces 4 niveaux d’interprétation il arrivait au Pardès, au paradis, selon Nahmanide.

Cette conception émanatiste du sens tout comme la réflexion sur les séfirot de la kabbale est en fait à mon sens néo-platonicienne. Elle ne prend pas en compte l’apport conceptuel déterminant que fut la  seconde entrée en occident de la philosophie aristotélicienne via Averroès et Avicenne dont Maïmonide tira toutes les conséquences. Il eut le courage de rendre à ce monde son épaisseur et à la raison son indépendance par rapport à D. D. ne joue pas aux dés, pas plus qu’il n’est dans un « shoot them up » à faire mourir ses fils. On peut et on doit le prier pour sa santé, sa fortune ou son avenir mais il n’est pas le super ministre de la santé, le ministre des finances ou un assureur général de l’humanité. Le monde suit son cours et l’homme est invité à l’éthique heur s’il veut produire du bonheur et non de la mort et des guerres, et, au service de Dieu, pour rien. Lishma. Pour le Nom. Parce que c’est simplement sa vocation sur cette terre.

Reste que selon l’adage talmudique : « tout dépend de D. sauf la crainte de Dieu » et c’est un paradoxe de se dire que tout dépend de D. et que nous sommes seuls responsables.

 

La dispute de Barcelone

Ami personnel du roi Jaume Ier, Nahmanide fut de ce fait admiré aussi par les chrétiens.

Sage juif, Ryland Haggadah, fol. 28b, Catalogne, XVème siècle

En juillet 1263 à Barcelone Nahmanide fut convoqué de Gérone à Barcelone pour s’opposer à Paul Christiani, un juif converti au christianisme devant toute la cour d’Aragon et les princes de l’église. La Dispute durera quatre jours. Le sujet ? la venue du Messie et sa nature c’est à dire le point de rupture entre judaïsme et christianisme, le sens de l’exil du peuple juif, dépossédé du pouvoir politique. Avec pour enjeu la fondation politique de l’église. Si le messie n’était pas venu elle était seulement un pouvoir humain. Qui des chrétiens ou des juifs avaient raison. Nahmanide s’engage dans la dispute et répond aux arguments talmudiques de Christiani avec humour. Il rend les citations à leur contexte et montre que si les Sages du judaïsme avaient véritablement cru en la messianité de Jésus… ils se seraient convertis. Il montra surtout que le messianisme n’avait pas une position centrale pour la foi juive. En cela il était d’accord avec Maimonide.

Nahmanide, avait d’avance reçu la promesse du le roi Jacques de sa pleine liberté de parole et il fut récompensé par son protecteur. Il gagna la bataille mais pas la guerre. L’hostilité des Dominicains lui fut désormais acquise. Ils obtinrent que les livres de Nahmanide soient brûlés et qu’il soit exilé pour deux ans puis son bannissement à perpétuité.

 

Un billet aller Gérone-Jérusalem

A 72 ans, vers 1267, Nahmanide quitta l’Espagne pour aller vivre dans les ruines désolées de Jérusalem.

Il y écrit :

Nombreux sont les lieux abandonnés [en Israël] et grande est la profanation. Plus un endroit est sacré, plus il a été dévasté. Jérusalem est l’endroit le plus désolé de tous.

Pour aussitôt retrouver l’espoir :

Ce que D.ieu affirme là, « Je laisserai la terre si dévastée que vos ennemis… » (Lévitique 26,32-33) constitue une bonne nouvelle, qui proclame que durant tous nos exils, notre terre n’acceptera pas nos ennemis. Il s’agit d’une grande preuve et d’une garantie pour nous, car dans tout le monde habité, on ne peut trouver une aussi bonne et grande terre qui a toujours été habitée et qui pourtant est aussi en ruines qu’elle ne l’est [aujourd’hui].Car depuis le moment où nous l’avons quittée, elle n’a accepté aucune nation ou peuple et ils ont tous tenté de s’y installer, mais en vain.

Peu avant de mourir à Jérusalem vers 1270, Nahmanide, écrivit à ses enfants restés à Gérone.

 Je suis un homme qui a ressenti la piqure de la douleur. J’ai laissé la table dressée et je me suis éloigné de mes amis et de mes compagnons, car le voyage est long et plein de soucis. Moi qui était prince pour mes frères je vis dans des auberges de passage. Maisons et héritage, j’ai tout abandonné, l’âme et l’esprit j’y ai laissé.

Il ne reste plus de communauté juive en Catalogne qu’à Barcelone et Perpignan. Sur les 300 000 juifs qui vivaient en Espagne au XVème siècle il sont aujourd’hui 0,2% de la population espagnole.

Lettres de l’exil séfarade : Nahmanide

Barcelone, juillet 1263. L’Espagne catholique est au fait de sa puissance. Le roi d’Aragon Jaime Ier piqué par la curiosité… et l’Inquisiteur Raymond de Pennafort, provoque devant sa cour et tout ce que l’Espagne catholique compte de mitres, théologiens, inquisiteurs, artisans, habitants de Barcelone et des faubourgs…. Rabbi Moïse ben Nahman (Nahmanide) né à Gérone en 1194, l’une des plus hautes autorités du judaïsme espagnol de l’époque, et, Paul Christiani, dominicain et juif converti au christianisme pour une Disputatio (« dispute » théologique dans l’esprit de l’époque, c’était avec la lectio le second pilier de l’étude) qui va durer quatre jours. Le match à grand spectacle, (à Barcelone Fabrice ! ), promet d’être passionnant, il est précédé d’une vaste campagne de communication en vue de conversions des juifs au christianisme, d’interventions du pape auprès du Roi (deux Bulles visant à ce que le roi modifie son attitude envers les juifs et censure les écrits rabbiniques)… Au menu: la venue du Messie et sa nature.

Girona - Call juderia

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