Souviens-toi
La vie nous traverse parfois de coïncidences étranges. Il y a quelques mois nous étions de passage chez ce grand passeur d’âmes qu’est notre ami Gérard Haddad. Au-delà d’être un grand intellectuel de note temps et un guérisseur d’âmes, nos rencontres qui sont généralement des seder de fêtes ou des repas se tissent de coïncidences étranges que je ne saurais expliquer. Ainsi avions nous dîné chez lui avec Antonietta sa femme, et avec Ruth et Shelomo Selinger. Gérard nous montrait la maquette d’une statue de Shelomo.
Shelomo Selinger et Gérard Haddad
Quelques mois plus tard visitant l’allée des justes à Yad Vashem (ma femme a travaillé sur la Shoah) je tombais en plein soleil sur la statue de Shelomo. J’étais assez secoué. C’était tellement étrange.
La musique des anges
En juin dernier, un mercredi, j’entrais dans une salle municipale pour écouter ma fille de 10 ans chanter dans une pièce de théâtre appelée Brundibar. C’est un opéra pour enfants écrit par Hans Krása qui fut interprété pour la première fois le 23 septembre 1943 par les enfants déportés du camp de la mort de Theresienstadt. Un SMS est alors arrivé de Shelomo, il invitait à visiter son atelier le dimanche suivant. J’ai fait alors cette vidéo :
Schelomo est un rescapé de Theresienstadt, un médecin de l’Armée rouge l’a récupéré dans un tas de cadavres alors qu’il bougeait encore la main.
Les nazis, que leur nom soit effacé, ont tué son père (zal) en lui faisant aspirer de l’eau sous pression avec un tuyau. Shelomo a dessiné tout cela.
La veille de cet opéra pour enfant, je me suis retrouvé par hasard à diner à côté d’un client dans le digital que je n’avais pas vu depuis 5 ans (il travaillait alors chez Google après avoir quitté Celio), une bonne surprise. Le dimanche suivant… je tombais sur lui dans l’atelier de Shelomo… il me prit pour une sorte de revenant.
Ce premier janvier nous avons été invité par Rami le fils de Shelomo grand chirurgien réparateur de corps et jazzman à un niveau professionnel à ses heures perdues. Je n’oublierai jamais.
Rami Selinger
C’était la fête des pères. Rami, son fils, jouait du saxo, une mélodie magnifique comme les anges de la kedoucha doivent jouer devant l’Eternel … j’ai reconnu le tuyau, mais alors que d’autres en avaient fait un instrument de mort pour son grand père, lui il en tirait de la musique, une musique céleste minashamaïm !!! Et il jouait pour son père!!! Qu’y a-t-il de plus prodigieux ? Qu’un fils fasse cela pour l’anniversaire de son père… Dites moi, si vous n’avez pas un pierre à la place du coeur, vous devez vous aussi ressentir ce que je ressens non ?
Ruth Selinger
Ce premier jour du mois janvier septième anniversaire de la mort de mon ami Jean-Louis Rambaud (zal) dans une avalanche, nous avons été invité chez Rami, Ruthy sa maman m’a raconté sa propre histoire. Comment son père arrivé en Israël , à la montée de Staline en 1924 avait laissé derrière lui ses parents, sa sœur et ses deux frères, sans plus jamais les revoir.
C’est seulement en 1981, qu’il avait appris de son neveu, récemment sorti de la Russie, l’histoire de son frère David, se battant avec l’Armée Rouge contre l’armée Nazi en Russie, la pourchassant en Pologne, puis en Allemagne jusqu’à Berlin. Il s’était battu sous les ordres de Joukov à Stalingrad et partout en Russie et en Allemagne.
Du fait de la paranoïa de Staline, voyant dans chaque jeune brillant un potentiel ennemi personnel qui allait comploter contre lui, son oncle se trouvait en danger de mort.
Ingénieur en chimie avant la 2ème guerre mondiale, il avait été mobilisé à l’armée rouge au grade de simple officier. Durant les années de guerre il s’est vu attribuer les plus hauts insignes et médailles honorifiques pour son courage et ses victoires aux combats. De simple officier il avait monté tous les échelons militaires jusqu’au grade de Colonel.
Ruthy avait retrouvé toutes ces victoires, mentionnées dans son dossier militaire qu’elle avait, fait exceptionnel ! retrouvé.
Il y est mentionné également que « le Camarade , le maréchal Staline en était au courant… ». Joukov, commandant de l’armée rouge voulait le nommer « Gouverneur de la lace de Berlin, » – Staline s’y était opposé, disant qu' »un juif ne peut pas tenir ce poste ».
Sa mission à Berlin terminé, le haut commandement de l’armée lui avait arrangé un poste important dans la recherche nucléaire militaire à Moscou, – loin des yeux et du pouvoir de Staline. Ainsi son oncle avait pu échapper au terrible sort de tant d’officiers, victimes de la folie de Staline.
Elle m’avait dit :
» Je sors mon oncle de l’oubli à la lumière de la vie. »
Elle cherchait les traces de sa famille dans les archives russes, apprenant cette langue, comme moi-même je l’avais fait avec la mienne de corse dans les Archives de Gênes. Voilà comment la mémoire transgénérationnelle ashkénaze l’avait menée de l’intuition à l’histoire faisant d’elle une chercheuse d’âmes perdues.
Je regardais ses yeux briller dans l’ombre et je voyais la passion de l’âme russe, l’étincelle ashkénaze. Quand le visage quasi impassible est traversé par un étrange sourire et que les yeux jettent dans étincelles dans l’ombre. Esh ! Le feu de D-ieu en ce monde. Esh!
Ressuscité d’entre les morts
En fait je crois que Shelomo est une sorte de ressuscité d’entre les morts. Voici une photo de lui prise il y a quelques jours par Ruthy. Il a aujourd’hui 88 ans et il sculpte le granit. Oui le granit, pas le calcaire, la pierre la plus dure qui soit. Shelomo travaille la pierre, comme toujours, de ses mains, en taille directe. Une sorte de combat. Comme Jacob avec l’ange.
Toutes photos suivantes :© Ruth Selinger
Il exécute une commande pour le mémorial des juifs déportés de Luxembourg, une commande de l’état de Luxembourg, demandée par la communauté juive, pour commémorer les milliers des juifs dont le sort et la responsabilité de l’Etat allaient être effacés de l’histoire. Le monument sera érigé près de la grande cathédrale de la ville de Luxembourg, non loin de l’endroit où autrefois était la synagogue.
Mais avant l’inauguration il faut tailler la pierre, un bloc de granit rose, de 3m30 x 1m20 x 90 cm, qui provient de » la clarté » en Bretagne. Shelomo a commencé cette œuvre il y a environ 7 mois, dans un hangar de « La Générale du Granit » à Louvigné-du-Désert (rien que le nom est tout un programme !). Le travail devra durer encore un an. Le titre de cette sculpture est Kaddish.
Shelomo habite dans les environs et revient de temps à autre à Paris. Ruthy l’accompagne. Fidèle comme un ange gardien.
Le travail de Shelomo est une avoda, une oeuvre spirituelle. Il sculpte la pierre pour ressusciter les âmes qui ont disparu à nos yeux. Il leur rend leur visibilité, celle de la remémoration, de l’anamnèse.
Je suis en assez bonne santé mentale il me semble. Je ne crois pas aux miracles. De mon maître le rabbi Haïm j’ai appris Maïmonide, une théologie rationaliste. Je crois que D. laisse le monde « suivre son cours ». Mais depuis que je suis parti sur les traces de ma mémoire des connexions improbables se font. Loin, très loin. inexplicables. Il est tellement étrange de voir tout cela de mes yeux de chair.
Je ne suis qu’un témoin, un passant. J’écris pour laisser une trace, pour que les âmes des camps, celles qui savent lire et celles qui n’ont pas pu apprendre sachent que nous ne les avons pas oubliées. Nous sommes là. Nous savons que vous êtes là dans l’ombre. Et nous ne vous oublions pas, vous faites partie de nous. Sans vous nous ne serions pas là. Et nous ne vous effacerons pas de nos mémoires.
Baroukh ata Adonaï Mékhayé ha-métim.
Bonjour, je suis arrivée par hasard sur votre site en flanant sur ce qui concerne mon ami Shelomo dont je possède plusieurs granits, bronze et bois. J’ai eu aussi l’honneur d’écrire u livre sur lui, de faire l’avant propos du livre sur les dessins, et la joie d’ l’accueillir à Troyes au pays de Rachi..
J’aime beaucoup ce que vous présentez là .y compris sur Gerard Haddad qui m’avait dédicacé son livre à l’Institut Rachi.
Marie-Françoise Bonicel