Ida, une anamnèse

Pologne, années 1960. Quatre jours avant de prononcer ses vœux, Anna, jeune orpheline élevée au couvent, poussée par les soeurs du couvent rend visite à sa tante Wanda, seule membre de sa famille encore en vie avant de consacrer pour toujours sa vie à Dieu. Elle découvre alors d’elle qu’elle est juive : « tu es une nonne juive ». Wanda  lui révèle l’histoire de sa famille dont tous les membres ont été tués durant l’occupation nazie. Elle est originaire de Lublin.

Wanda ne comprend pas la volonté de sa nièce de devenir nonne. L’orpheline et sa tante se mettent en quête de la vérité. Ensemble, elles prennent la route pour revoir la maison où est née la jeune femme- – une recherche que Wanda a manifestement retardée le plus possible, par peur de la vérité.  Wanda est une juge «rouge», qui, a appliqué avec férocité la doctrine stalinienne de ces années 60 et envoyé de nombreux polonais à la potence. Elle est dure, émotive, exprime ses opinions et son désir brutalement, elle aime l’alcool et les hommes. Ida, son opposée, est toute de droiture et d’innocence, elle est pieuse,  calme, timide et très morale. L’orpheline vit une profonde crise d’identité : est-elle catholique ou juive ? le film raconte les démons opposés de ces deux femmes dans le froid polonais et la neige.

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Les deux femmes comprennent peu à peu que des paysans polonais leur ont volé leur maison. Qu’après avoir caché et nourri la famille d’Ida, ils les ont liquidés de manière horrible dans les bois et conduite Ida la rescapée au couvent car « elle n’était pas brune de peau et circoncise comme son frère ». Tout le film est un road movie à la recherche des corps et de la mémoire de leurs disparus, Anna traînant une valise élimée et Wanda son alcoolisme  chronique. En chemin, elles prennent Lis en stop. Ida ne tarde pas à tomber sous le charme du séduisant jeune musicien. Finalement arrivée à bon port, elles se confrontent à un fermier et à son fils au cœur du drame.

Comme dans Shoah de Claude Lanzmann, Ida pénètre le fond de l’âme polonaise, le fait avéré que ce sont des gens du commun qui ont tué les juifs et volés leurs biens et qui s’expliquent pour justifier l’injustifiable. Une parabole sur l’extermination des juifs d’Europe. Une « nonne juive » qui retrouve son âme.

Ces femmes sont à la recherche de leurs disparus pour leur donner une sépulture digne. L’image du fils du fermier polonais prostré dans sa tombe – tuer les juifs c’est effacer sa propre humanité, son aveu, le linceul sur les os, sont les plus poignantes du film. Les plus dérangeantes aussi. Ce sont des milliers d’ombres qui hantent les campagnes de Pologne, d’Ukraine, de Hongrie ou de Russie,  et qui supplient les vivants de leur accorder le repos. Des femmes, des enfants, où sont-ils ?

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Une mémoire de disparus et une recherche de vérité en noir et blanc. Des portraits de Renoir dans un univers sombre et envoûtant. J’entends cet ordre impérieux d’un de mes amis rabbins un jour à ma femme : « Il faut retrouver les tombes ». Et aussi celle-ci entendue en Alsace :  « Il n’y a jamais eu de juifs ici ». Comment vivre sans savoir qui on est véritablement ? Sans se réconcilier avec ses disparus ? Peut-être que l’humanité ne voudra jamais de nous les Juifs.   « Tous mes os diront: Éternel, qui est semblable à toi, qui délivres l’affligé de celui qui est plus fort que lui, l’affligé et le pauvre de celui qui le dépouille? » (Tehilim 35, 10). Sous le nazisme, l’humanité a commis un second péché originel. Du sol,  le sang d’Abel crie vers Dieu.  Izkor.

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Réalisé par le résident britannique Pawel Pawlikowski, Ida est le premier film qu’il tourne dans sa Pologne natale.