La médecine de Maïmonide, quand l’esprit guérit le corps

Ariel Toldéano, La médecine de Maïmonide, quand l’esprit guérit le corps, in Press 2018.

Le sommet de la sainteté : prendre soin d’autrui

Ce chabbat nous avons lu la Paracha Quédochim :

Quédochim Tiyou : « Soyez saints… comme moi je suis Saint ».

J’ai entendu cet enseignement ce Chabbat de mon ami Jacob Ouanounou qui lui-même parlait à la suite de son maître de l’ENIO Emanuel Lévinas :

On peut se demander quel est ce commandement qui nous demande d’êtres Saints c’est à dire « séparés » comme Dieu est séparé de notre condition et de notre monde profane, comment être « comme D-ieu » en une sorte de  » miroir » ? Quadosh comme le « méqoudechet » que dit le Hattan (fiancé) à la Kala lors du mariage signifie « particulariser », et particulariser dans un but, pour un usage. Israël est la kallah de l’Eternel, des gens un peu « particuliers » donc, pour Lui. Comme nos actions doivent être pour Lui. Mais comment faire ?

Jean Cocteau accompagnent écrivait : « Le verbe aimer est difficile à conjuguer… Son passé n’est pas simple… Son présent n’est qu’indicatif… Et son futur est toujours au conditionnel. » Comment, alorsaimer D-ieu, ce qui est la première injonction du Chema. Et rappelait notre ami Jacob, En hébreu l’impératif et le futur sont le même temps.

S’agit-il d’être meilleur ou exalté ou consumé de l’amour de D-ieu jusqu’à son dernier nerf ? D’envisager le ciel en oubliant le sol partout et jusqu’au dernier souffle ? De poser deux paires de téfilines, trois ? ? ? De s’enfermer dans un monastère au désert ou une yechiva dans un monde oublié jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Avec une poignée d’élus ?

Quédochim à la suite de cet ordre ne nous donne aucune indication sur la sainteté de l’Eternel mais nous donne simplement 51 des 613 mitsvoth[1], des injonctions très concrètes qui nous demandent de ne pas garder de haine dans son coeur, de protéger la vie d’autrui, de na pas couper l’angle de sa moisson pour la laisser au pauvre ou de payer l’ouvrier aprés le coucher du soleil… on n’est pas loin de la Phénoménologie de l’Esprit ou d’un discours programmatique sur les « voies de la Providence ». Ces injonctiosn se finissent par, « car je suis l’Eternel » et consistent en des obligations envers le prochain ; à commencer par : Veahavta lereakha kamokha qu’il faut traduire non pas par « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » mais par « Tu aimeras ton prochain car il est comme toi-même » et donc a les mêmes droits que toi, un appel à la justice d’abord donc :  » ton prochain a autant que toi le droit de vivre « . Une sentence qui résume toute la Torah si l’on en croit le Rabbi Hillel. Les versets « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, Je suis l’Éternel » (Lv 19, 18) et « Tu aimeras l’Éternel ton D.ieu » (Dt 6, 5) ont d’ailleurs la même valeur numérique ! 

Et, c’est dans cette paracha Quédochim nous explique le docteur Ariel Toledano, qui vient d’écrire La médecine de Maïmonide, quand l’esprit guérit le corps, que le Rambam va trouver le fondement de son activité de Médecin.

« Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain : je suis l’Éternel. » (Lv 19, 16)

Manuscrit médical hébraïque médiéval, Musée de Gérone

L’obligation de prendre soin de la vie d’autrui

Tout semble avoir été écrit sur Maimonide… sauf sur ce que lui-même considérait comme le sommet de sa pratique… la médecine. Il fallait donc un médecin, un praticien pour comprendre ce savoir de D-ieu en acte.

Si une personne à même de sauver la vie de son prochain ne le fait pas nous dit Maimonide elle enfreint la mitsva :

« Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » (Lv 19, 16)

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Le messianisme juif dans la pensée de Moïse Maïmonide

Le prophète Elie annonce l’arrivée du Messie, Haggadah de Venise, 1609

Contrairement au christianisme, la foi messianique n’est pas centrale dans le judaïsme. Voici quelques textes du maître andalou Moïse Maïmonide qui a longuement réfléchi à ce sujet.

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Les chemins qui mènent à D-ieu, avec Moïse Maïmonide

Il envoie ses ordres sur la terre, sa parole vole avec une extrême rapidité.

Il répand la neige comme des flocons de laine, sème le givre comme de la cendre.

Il lance par morceaux des glaçons: qui peut tenir devant ses frimas?

Il lance un ordre, et vient le dégel; il fait souffler le vent: les eaux reprennent leur cours. (Téhilim 147, 15-18)

olivier-sous-la-neige

Ce matin l’olivier à ma fenêtre, photo DL

Résumé : Notre perception nous permet en voyant le frima sur l’olivier, l’arbre immortel de la méditerranée, de comprendre que de monde réagit à des principes vivants, des lois, dont la beauté et la présence en nous nous illumine d’une lumière éternellement renouvelée. L’étrange n’est pas que nous comprenions les lois de l’univers dans son silence infini mais qu’y projetant notre esprit, celui-ci nous réponde. Celui qui a perdu une fois de sa vie la mémoire dans un trauma (ex : sortie d’un suicide) sait que le fait que les mots se posent sur les choses en les épousant est en soi un miracle. Quels sont le chemins pour aller à D-ieu qu illuminent le corps et l’âme ? 

  • celui de l’allégorie prophétique, c’est à dire l’étude
  • celui de la mistwah qui permet de conformer sa vie à l’amour et le vérité de D-ieu en ce monde  

Essayons de le comprendre avec le Dalâlat al’ Hâyirîn (le guide de ceux qui sont indécis ou égarés) relu à la lumière du Michné Torah, La répétition de la Torah. Lire la suite de « Les chemins qui mènent à D-ieu, avec Moïse Maïmonide »

La vraie Connaissance de Dieu c’est de l’aimer sans cesse, Moïse Maïmonide

Beaucoup de gens pensent que l’expérience de D-ieu est une affaire réservée à quelques mystiques dans des yéshivot ou des lieux retirés d’où l’on pourrait alors contempler l’Eternel en ayant quitté le temps et les occupations des hommes. Il n’en est absolument rien.

Un de mes amis à Bnei Brak, Jérémie Berrebi, me disait que dans le système du kollel, où les jeunes gens après leur mariage étudient à plein temps pour une longue durée, certains pour diverses raisons s’arrêtaient et, dépités, se retrouvant dans des business n’arrivaient pas à faire le lien avec leurs études antérieures (ceux qui étudient full time toute leur vie jouissent d’un forte consédération sociale dans le milieu haredi). Il me confiait qu’il leur disait : « C’est maintenant que ça commence, c’est maintenant que tu dois pratiquer les enseignements du Sédér Nézikim » (‘les dommages’ une partie du Talmud traitant des dommages et du droit des affaires, des lois relatives aux droits civil et pénal [1]). »

En réalité,  comme nous l’ont enseigné nos maîtres de vive voix, le judaïsme est une sanctification du temps, une prise de conscience et une intelligence de la réalité concrète. Le religieux est celui qui prend conscience par la mistva qui oriente de l’esprit vers D. à chaque instant de la profondeur du monde comme une sorte d’évidence qui l’oblige. La mistsva est toujours concrète et matérielle; sanctification d’une coupe, d’un fruit, d’un légume de la terre…

Peu de gens en ce monde s’intéressent à Dieu. Peut-on le connaitre ? et comment ? C’est ce que cherche à comprendre Maïmonide dans son Guide des égarés (Dalātat al-Ha’irīn en arabe ;  Mōreh ha-Nebūkhim en hébreu) .

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Maïmonide commence son discours sur la « vraie connaissance de Dieu » par une parabole :

J’ouvre mon discours en te présentant la parabole suivante : Le souverain est dans son palais, et ses sujets étaient en partie dans la ville et en partie hors de la ville. De ceux qui étaient dans la ville, les uns tournaient le dos à la demeure du souverain et se dirigeaient d’un autre coté ; les autres se tournaient vers la demeure du souverain et se dirigeaient vers lui, mais jusqu’alors ils n’avaient pas aperçu le mur du palais. De ceux qui s’y portaient, les uns arrivés jusqu’au palais, tournaient autour pour en chercher l’entrée ; les autres étaient entrés et se promenaient dans les vestibules ; d’autres enfin étaient parvenus à entrer dans la cour intérieure du palais et étaient arrivés à l’endroit où se trouvait le roi, c’est-à-dire la demeure du souverain. Ceux-ci, toutefois, quoique arrivés en cette demeure à entrer dans cette demeure ne pouvaient ni voir le souverain, ni lui parler ; mais après avoir pénétré dans l’intérieur de la demeure, ils avaient encore à faire d’autres démarches indispensables, et alors seulement ils pouvaient se présenter devant le souverain et lui parler. »

Puis il raconte que ceux qui étaient « en dehors de la ville » sont ceux qui n’ont aucune croyance religieuse ni spéculative ni traditionnelle. Lire la suite de « La vraie Connaissance de Dieu c’est de l’aimer sans cesse, Moïse Maïmonide »

L’Origine de la barbarie, Maïmonide

L’origine de la violence

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Statut de Maimonide à Cordoue

En matière de barbarie Maïmonide en connaissait un rayon. Toute sa vie est une fuite face à la persécution. On peut dire que Maïmonide est le premier juif caché, ce que seront les marranes des siècles suivants. Il naît à Cordoue sous la dynastie tolérante des Almoravides en 1138 mais à 13 ans sa famille doit fuir vers Fès où se trouve le fief des Almohades, l’Etat islamique de l’époque qui a envahi Cordoue, des fanatiques qui imposent la conversion à l’Islam ou la mort violente par décapitation. Maimonide fuit à Fès… le siège des Almohades ! y devient professeur à l’université d’Al Quaraouiyine, probablement imam, juif caché. Comment le sait-on ? Simplement parce que quelques années plus tard, au Caire, Maimonide sera accusé d’apostasie de l’Islam devant un tribunal islamique (Source : Haïm Harboun, Maïmonide pourquoi l’Egypte ?). Ce qui lui vaut la dénonciation des médecins égyptiens et…. de membres de la communauté juive qui l’accusent de vivre en conversos. Maïmonide s’en tirera.
Reconnu comme l’un des plus célèbres herboristes et phytothérapeutes de l’époque, il devient médecin de la cour des Fatimides à Fostat (Le Caire de l’époque), médecin attitré du secrétaire de Salah El Din (Saladin), le  vizir Al-Fadhil puis du sultan Salah-Al-Din.
Dans son Guide des égarés le Rambam, un des plus grands esprits de tous les temps, s’interroge, sans animosité quand on connait son histoire personnelle, sur l’origine de la barbarie. Il écrit (en arabe avec des lettres hébraïques car les juifs ne devaient pas utiliser la langue du Coran) :

Ces grands maux que les hommes s’infligent les uns aux autres, à cause des tendances, des passions, des opinions et des croyances, découlent tous d’une privation ; car ils résultent de l’ignorance, c’est-à-dire de la privation de la science. De même que l’aveugle, à cause de l’absence de vue, ne cesse de se heurter, de se blesser et de blesser aussi les autres, quand il n’a personne pour le conduire dans le chemin, de même les partis d’entre les hommes, chacun selon la mesure de son ignorance, s’infligent à eux-mêmes et aux autres des maux qui pèsent durement sur les individus de l’espèce (humaine). S’ils possédaient la science qui est à la forme humaine ce que la faculté visuelle est à l’œil, ils seraient empêchés de se faire aucun mal à eux-mêmes et aux autres car la connaissance de la vérité fait cesser l’inimitié et la haine »

Plus loin Maïmonide relisant Isaïe (11, 6-8) et sa prophétie de l’agneau vivant en paix avec le loup et le léopard avec la chèvre aux temps messianiques indique que le sujet même de la vraie connaissance est D-ieu lui-même. Lire la suite de « L’Origine de la barbarie, Maïmonide »