La vraie Connaissance de Dieu c’est de l’aimer sans cesse, Moïse Maïmonide

Beaucoup de gens pensent que l’expérience de D-ieu est une affaire réservée à quelques mystiques dans des yéshivot ou des lieux retirés d’où l’on pourrait alors contempler l’Eternel en ayant quitté le temps et les occupations des hommes. Il n’en est absolument rien.

Un de mes amis à Bnei Brak, Jérémie Berrebi, me disait que dans le système du kollel, où les jeunes gens après leur mariage étudient à plein temps pour une longue durée, certains pour diverses raisons s’arrêtaient et, dépités, se retrouvant dans des business n’arrivaient pas à faire le lien avec leurs études antérieures (ceux qui étudient full time toute leur vie jouissent d’un forte consédération sociale dans le milieu haredi). Il me confiait qu’il leur disait : « C’est maintenant que ça commence, c’est maintenant que tu dois pratiquer les enseignements du Sédér Nézikim » (‘les dommages’ une partie du Talmud traitant des dommages et du droit des affaires, des lois relatives aux droits civil et pénal [1]). »

En réalité,  comme nous l’ont enseigné nos maîtres de vive voix, le judaïsme est une sanctification du temps, une prise de conscience et une intelligence de la réalité concrète. Le religieux est celui qui prend conscience par la mistva qui oriente de l’esprit vers D. à chaque instant de la profondeur du monde comme une sorte d’évidence qui l’oblige. La mistsva est toujours concrète et matérielle; sanctification d’une coupe, d’un fruit, d’un légume de la terre…

Peu de gens en ce monde s’intéressent à Dieu. Peut-on le connaitre ? et comment ? C’est ce que cherche à comprendre Maïmonide dans son Guide des égarés (Dalātat al-Ha’irīn en arabe ;  Mōreh ha-Nebūkhim en hébreu) .

maimonide

Maïmonide commence son discours sur la « vraie connaissance de Dieu » par une parabole :

J’ouvre mon discours en te présentant la parabole suivante : Le souverain est dans son palais, et ses sujets étaient en partie dans la ville et en partie hors de la ville. De ceux qui étaient dans la ville, les uns tournaient le dos à la demeure du souverain et se dirigeaient d’un autre coté ; les autres se tournaient vers la demeure du souverain et se dirigeaient vers lui, mais jusqu’alors ils n’avaient pas aperçu le mur du palais. De ceux qui s’y portaient, les uns arrivés jusqu’au palais, tournaient autour pour en chercher l’entrée ; les autres étaient entrés et se promenaient dans les vestibules ; d’autres enfin étaient parvenus à entrer dans la cour intérieure du palais et étaient arrivés à l’endroit où se trouvait le roi, c’est-à-dire la demeure du souverain. Ceux-ci, toutefois, quoique arrivés en cette demeure à entrer dans cette demeure ne pouvaient ni voir le souverain, ni lui parler ; mais après avoir pénétré dans l’intérieur de la demeure, ils avaient encore à faire d’autres démarches indispensables, et alors seulement ils pouvaient se présenter devant le souverain et lui parler. »

Puis il raconte que ceux qui étaient « en dehors de la ville » sont ceux qui n’ont aucune croyance religieuse ni spéculative ni traditionnelle.

Ceux qui étaient dans la ville mais tournaient le dos à la demeure du souverain » sont les gens d’opinion qui savent penser mais ont conçu des idées « contraires à la vérité » et se trompant sur ce fondement s’égarent.

Ceux qui « tournaient dans la demeure du souverain et cherchaient à y entrer, mais qui n’avaient pas encore aperçu la demeure du souverain » dit Maïmonide « c’est la foule des hommes religieux, c’est-à-dire des ignorants qui s’occupent de pratiques religieuses »,

Ceux qui « tournent autour du palais » sont les casuistes « qui admettent par tradition des opinions vraies, qui discutent des pratiques du culte, mais qui ne s’engagent point dans le spéculation sur les principes religieux fondamentaux ».

Et Maïmonide arrive au bout de son argument :

« Nous avons déjà exposé plusieurs fois que l’amour de D-ieu est en raison de la perception ; ce n’est qu’à la suite de l’amour que peut venir ce culte duquel les docteurs aussi ont appelé l’attention, en disant  » c’est le culte du cœur » (Sifri) […]

« Mais si tu pries en remuant tes lèvres et en te tournant vers le mur en pensant à ce que tu as à vendre et à acheter ou si tu lis la Loi avec ta langue tandis que ta langue s’occupe de la construction de ta maison […] , alors il ne faut pas croire que tu t’approches d’un but quelconque ; au contraire, tu te rapproches de ceux dont il est dit ‘ Tu es prés de leur bouche mais loin de leur coeur’ (Jr 12, 2)»

Maïmonide en vient enfin à ce qu’est la vraie connaissance ce D-ieu :

« C’est à cet état que font allusion les Sages en parlant de la mort de Moïse, d’Aaron et de Myriam, et en disant que tous trois moururent par un baiser. Ce passage disent-ils, ‘Et Moïse, le serviteur de l’Eternel, mourut là dans le pays de Moab par la bouche (l’ordre) de l’Eternel’ (Dt 34, 5), nous enseigne que Moïse mourut par un baiser, de même il est dit d’Aaron : ‘Par la bouche de l’Eternel … et il y mourut’ (Nb 33, 38). De même ils disent de Myriam qu’elle aussi mourut par un baiser, mais qu’au sujet de celle-ci on ne dit pas : ‘par le bouche de l’Eternel’ parce que c’était une femme et qu’il n’est pas concevable pour elle de se servir de cette allégorie (Baba Bathra 17a). Ils veulent dirent que tous trois moururent dans la jouissance que leur fit éprouver cette compréhension et par la violence de l’amour […] Cette espèce de mort, disent les Sages, par laquelle l’homme échappe à la mort véritable, n’arriva qu’à Moïse, Aaron et Myriam ; les autres prophètes et les hommes pieux sont au-dessous de ce degré. Mais dans tous la compréhension et l’intelligence se fortifient au moment de se séparer du corps, comme il est dit : ‘’Ta justice marchera devant toi et la Gloire de l’Eternel te suivra’’ (Is 58, 8)»

Et le Rambam conclut cette pointe ultime du Moré Nevoukhim (Guide des égarés) :

« Applique-toi à comprendre ce chapitre, et fais tous tes efforts pour multiplier les moments où tu puisses être avec D-ieu, ou chercher à t’élever vers lui, et pour diminuer les moments où tu t’occupes d’autres choses, sans chercher à arriver à lui. Ces conseils suffisent pour le but que j’avais dans ce traité ».

Maïmonide rejette donc une conception mystique ou émotionnelle du judaïsme. La connaissance de D-ieu n’est pas selon lui le fruit d’une projection de l’imagination humaine qu’il assimile à l’idolâtrie et à la superstition. Son idéal spirituel consiste dans le calme en une intense discipline de l’esprit, une analyse rationnelle de la réalité pour la rendre à son créateur, une vigilance intellectuelle et un souci de clarté qui sont au coeur de la tradition séfarade.

Le Choulhane Aroukh au XVIème siècle reprendra dés son début cette idée d’aimer D. sans cesse :

« J’ai fixé Hachem constamment devant moi (Ps 16, 8). C’est là un principe important dans la Torah, pour la conduite des justes qui marchent devant D-ieu, car la façon de s’asseoir, de se mouvoir, de s’occuper, n’est pas la même lorsqu’on est seul dans sa maison ou en présence d’un grand roi…(CH 1, 1)

Le Guide des égarés doit être lu avec son jumeau, le Mishneh Torah, qui médite sur la Torah. L’action pratique des mitsvot est également une action spéculative, visant à connaitre D-ieu. La vraie Connaissance de Dieu c’est de l’aimer sans cesse en pratiquant ses mitsvoth.

Traduction de Munk pages 615, 626.

[1] Nézikin : Cet ordre traite principalement des lois relatives aux droits civil et pénal, de l’idolâtrie, d’éthique et de morale. Il est composé de 8 traités :

  • Baba kamma : (première porte) traite des dommages corporels et matériels, ainsi que de leur réparation
  • Baba metsi’a :(porte intermédiaire) traite des lois sur les objets perdus, les prêts, les salaires
  • Baba bathra : (dernière porte) traite des associations, ventes, héritages
  • Sanhédrine : traite des tribunaux et de leur fonctionnement, ainsi que des crimes capitaux
  • Makkott : (punitions corporelles)
  • Chevou’ot : (serments)
  • Edouiyoth (témoignages) : extraits de discussions et controverses tirées de la Mishna
  • Avoda zara : (cultes étranger) traite de l’idolâtrie
  • Horayot : (décision légale) traite de la licéité des décisions

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