« Vous prendrez le premier jour un fruit de l’arbre de hadar, des branches de dattier, des rameaux de myrte et des saules de rivière » (Vayikra 23, 40).
Souccot, la fête des cabanes est une fête paradoxale. A la fois universelle et en même temps particulariste. Avec des rites extrêmement situés ethniquement (comme la construction d’une cabane) et en même temps la fête signifiant la vocation d’Israël pour les Nations. Israël est conduit dans des cabanes au désert pour éprouver sa fragilité et l’amour que lui porte l’Eternel :
« Ainsi parle Le Seigneur : Je te garde le souvenir de l’affection de ta jeunesse, de ton amour au temps de tes fiançailles, quand tu me suivais dans le désert, dans une région inculte ». (Jérémie 2, 2).
Et le Midrash commente :
« Quelle est donc celle qui monte du désert » (Cantique des cantiques 3, 6). Les Bné Israël se sont élevés grâce à leur séjour dans le désert. « La Torah vient du désert, la Manne et les cailles viennent du désert, le Michkan (Tabernacle-sanctuaire de la présence de D.ieu dans la tente) vient du désert, la Présence Divine (Shékhina) vient du désert, la Kéhouna (la prêtrise) et la Malkhout (la royauté) viennent du désert, le puits vient du désert, les nuées de gloire viennent du désert ». (Midrach Tan’houma, Chémot 14)
D.ieu « dresse une table dans le désert »(Psaume 78, 20)
Le Loulav
Il n’est pas de rite plus singulier que le balancement du loulav (bouquet contenant une palme de palmier, trois tiges de myrte et les deux branches de saule) et de l’etrog (Cédrat : sorte de citron originaire de perse) vers les 4 points cardinaux, le ciel et la terre, c’est-à-dire tout le cosmos ; un geste répété chacun des huit jours de la fête dans la cabane, un rite par lequel le particulier rejoint l’universel.
Etrange rite que celui du balancement du Loulav lors de la fête de Souccot. On rassemble le loulav et l’étrog (l’ensemble constitue les les Arba Minim) et on fait trois va-et-vient dans chaque direction : vers le sud, vers le nord, vers l’est, vers le haut, vers le bas et vers l’ouest. Chaque fois que les quatre espèces sont ramenées vers soi, le bas du bouquet touche le cœur. L’unité juive, celle de ce bouquet est l’un des principaux thèmes de Souccot. Les Quatre Espèces symbolisent quatre types de Juifs, ayant différents niveaux de connaissance de la Torah et de pratique des mitsvoth.
Le cédrat
Le cédrat (étrog) est joint au loulav. Selon le Talmud, les quatre espèces représentent quatre types de juifs. L’ensemble du bouquet l’union de la totalité du peuple les juif, quel que soit le degré d’attachement à Dieu de ses membres. La feuille de saule n’a ni goût ni odeur. Ce sont les personnes qui n’étudient pas la Torah et ne font pas de bonnes actions. La branche de palmier est comestible mais n’a pas d’odeur. Elle renvoie aux personnes qui étudient mais ne font pas de bonnes actions. La myrte a une bonne odeur mais n’est pas comestible, elle symbolise ceux qui accomplissent de bonnes actions mais n’acquièrent pas la connaissance. Le Cédrat a un bon goût et une bonne odeur. Il représente les personnes qui étudient et accomplissent de bonnes actions. (Talmud de Babylone, Vayikra Rabbah 30, 12).
Laissez moi vous livrer ici un souvenir personnel. Pendant toute mon enfance ma grand-mère m’envoyait à Noël un cédrat confit du cap Corse. Cette « madeleine de Proust » a bercé de son gout mon enfance. J’en comprends seulement aujourd’hui le sens.
Le cédrat de Souccot, selon la tradition juive doit être sans tache, avec sa queue, non greffé, il fait l’objet d’une surveillance très stricte et coûtait donc très cher aux juifs des siècles derniers. Depuis le XVIIème siècle au moins Gênes était la place de marché où toute l’Europe centrale juive de Prague en Tchéquie, Cracovie en Pologne (Prusse orientale à l’époque) ou de Lituanie venait se fournir pour ces fruits rituels, avant que la production Corse ne supplante celle de la côte ligure. La variété « diamante », de Calabre dont les villes de Cetraro et Diamante portent le nom et qu’on trouve aussi en Corse, était suspecte du point de vue rituel, le « cédrat de Corse » espèce la plus ancienne présentait la particularité rare d’être encore cultivé « franc de pied », c’est à dire sans greffe. C’est ainsi qu’en 1875, grâce à de prestigieux rabbins de Lituanie, avec à leur tête les Rav Kovna et Yits’haq El’hanan Spector, ainsi que les Rav Israël Salanter et Chlomo Kluger, tous des maîtres reconnus et très respectés du judaïsme lituanien, interdirent l’utilisation des éthroguim de Corfou à Soukkot pour encourager ceux de Corse. (Source : revue Kountrass)
J’ai retrouvé dans les archives de Gênes depuis le XVIIème siècle de multiples témoignages su ces cédrats. Gênes était la place de marché où les « allemands » (c’est-à-dire les ashkénazes d’Europe centrale) venaient se fournir en étrogim. Ainsi, en 1676, des marchands juifs de Prague, Cracovie et de Lituanie venus acquérir des étrogim sont emprisonnés à San Remo faute de porter le « chapeau jaune »… En 1684 est fondée pour 20 ans une compagnie dont les rabbins contrôlent les bénéfices destinée à exporter des étrogim et des palmes de San Remo et Gênes vers Francfort. Le prix est fixé par le chef des communautés juives de Gênes pour ne pas vendre à un prix trop haut pour les pauvres… En 1699, à Testes, un notaire reçoit la plainte des juifs Isach Ghaertz et Moïse Incava contre à la Compagnie Thoma Vethen & Scaaf au sujet de 180 étrogim cueillis à Menton et introduits à Gênes via San Remo, car ceux-ci sont impropres à l’usage pour Soukkot car ils sont tachés et sans queue… à partir du XIXème siècle seuls les cédrats corses sont considérés cachères car francs de pied.
Quadosh
La cabane comme la tente au désert renvoient directement à la figure du mishkan, cette « tente de la présence » nomade où D. résidait au désert. Moins une réalité d’espace qu’une réalité d’amour.
Tout le message de Souccot est là. L’homme pas plus que D. ne peut résider dans une « demeure ». L’amour dans famille ne peut se mesurer en nombre de mètres carrés.
A la question : Comment l’Eternel que la terre et les cieux ne peuvent contenir réside-t-il dans un espace de 2 coudées par deux coudées et demi ? Le Talmud répond : c’est comme un couple, après leur fiançailles le lit est toujours trop grand pour eux… mais quand ils ont vieilli… même la place du village n’est pas assez grande pour eux. Le Temple, la tente, la cabane sont des signes qui ne sont pas des fins en soi.
Ha-Kuadoh baroukh ou, le Saint béni soit-Il, habite le Mishkan, sa tente au désert au milieu du camps, le Temple mais il habite aussi les hymnes d’Israël, c’est à dire la liturgie, le sacrifice des lèvres : « Tu es pourtant le Saint, trônant au milieu des louanges d’Israël. En toi nos pères ont eu confiance, ils ont eu confiance, et tu les as sauvés. » (Psaume 22, 4-5), l’espace restreint de la cabane, de la tente, fait signe de tout l’univers, il n’est pas un lieu où D. ne soit. Et on nomme parfois D. a-maqom, le Lieu, comme dans la bénédiction du shabbat : Baroukh Ashem Kevod Mimekomo. « Béni Soit sa gloire en son Lieu » (sous entendu : sa Gloire réside quel que soit le lieu) dite par les Séraphim, les Hayot dans les Cieux. Toute bénédiction vient de D. et le seul pouvoir de l’homme est de laisser passer cette bénédiction en ce monde. (Il n’existe pas de « saints » dans le judaïsme, D. seul est Ha-Kadosh-baroukh-ou.
Nous l’avons remarqué quadosh « saint » désigne le fait de particulariser en hébreu. Israël est particularisé pour les Nations, signifiant. La haftara (lecture des Prophètes) de ce shabbat, d’Ezéchiel, un récit de genre apocalyptique qui raconte la guerre de Gog et Magog souligne cette sainteté du Saint, Ha Kadosh ou baroukh ou . « Et mon saint nom, je le ferai connaître au milieu de mon peuple Israël, […]; et les nations reconnaîtront que je suis l’Eternel, saint en Israël !.
Il n’existe pas de fête plus universelle que la fête de Souccot qui célèbre l’universalité du judaïsme pour toute l’humanité. Celle-ci faisait partrie des trois fête de pélerinage où on montait au Temple de Jérusalem du monde entier slon le commandement biblique : « Trois fois par an paraîtront tous les mâles devant Hachem, ton D.ieu, à l’endroit qu’Il choisira, à la fête des Matsot, et à la fête de Chavouot, et à la fête des Souccot… ». (Dévarim 16, 16). Le peuple arrivait devant les portes de la ville ne chantant les Psaumes des montées si l’on en croit la Mishna : « « Nous nous sommes tenus à tes portes, Jérusalem ! » (Mishna Bikourim 3, 2 et les commentateurs). La ville fleurissait de cabanes et de loulavim rapporte le Talmud : « Ainsi était la coutume des habitants de Jérusalem : un homme sortait de sa maison avec son Loulav dans les mains, il partait à la synagogue avec son Loulav dans les mains, il lisait le Chéma’ et priait avec son Loulav dans les mains. Pour te faire savoir combien ils montraient d’empressement à l’accomplissement des Mitsvot ». (TB, Soucca, 41b)
Ce jour-là étaient offertes dans le Temple de Jérusalem 70 taureaux en l’honneur des 70 nations du monde. Le parvis des païens, immense par rapport à celui d’Israël, était là pour rappeler au fidèle que le Temple était aussi pour les Nations, avec Israël au mileu. La cour des gentils, c’ets à dire des païens entourait le saint qui contenait le saint des saints. L’Éternel habitant le Saint des Saints au cœur du parvis d’Israël. Une maison vide de toute statue, c’est-à-dire de tout dieu, phénomène unique pour les religions antiques signifiant qu’il ne fallait pas se tromper sur le compte de D. Celui-ci n’habitant une maison construite de main humaine… que du point de vue humain. Comme le résume le Psaume :
« Il est une chose que je demande à Hachem, que je réclame instamment : c’est de séjourner dans la maison d’Hachem tous les jours de ma vie, de contempler la splendeur d’Hachem et de fréquenter Son sanctuaire ». (Téhilim 27, 4)
» Va leur dire qu’ils fassent un sanctuaire pour que Je réside parmi eux. C’est comme si J’abandonnais les hauteurs et descendais pour demeurer parmi eux ! Et non seulement cela, mais aussi, va et fais-leur des étendards en Mon nom. Pourquoi ? Parce qu’ils sont Mes enfants ! » ». (Bamidbar Rabba, 6)
On paraissait dans le maison de D. pour se « montrer » à lui et surtout le voir. On montait à la colline du Temple d’où les « psaumes-chants des montées » (shir hamaalot). D. « résidait dans les hauteurs » et « abaissait son regard » vers son peuple. Comme apporte Maïmonide : « Lorsque les Bné Israël (fils d’Israël) venaient se montrer, de la même manière qu’ils se montraient devant Hachem, ils pouvaient contempler la splendeur de Sa sainteté et la maison où Il réside ». (Rambam « Hilkhot ‘Haguiga » Chap.2, Loi 1). Le peuple entrait dans la cour du Temple avec le chant du Hallel (littéralement « la joie » allelu-ya, la joie en D.) constitué des psaumes 113-118, et on tournait autour de l’autel les loulavim.
La joie de Souccot
L’ambiance était à la liesse selon le commandement du Deutéronome (Dt 16, 13-15) :
Tu célébreras la fête des tentes durant sept jours, quand tu rentreras les produits de ton aire et de ton pressoir. Et tu te réjouiras pendant la fête… Tu fêteras ces sept jours en l’honneur de l’Éternel, ton D., dans le lieu qu’Il aura choisi ; car l’Éternel, ton D., t’a béni, dans tous tes revenus, dans tout le labeur de tes mains, et tu pourras t’abandonner à la joie.
Les lévites se tenaient sur les marches qui séparent la cour de hommes de celle des femmes et jouaient de la harpe, de la cithare, des clochettes, des trompettes…
Rabbi Yéhochoua’ ben ‘Hanania a dit : Quand nous nous réjouissions pour Sim’hat Beth Hachoéva [« La joie de la maison où l’on puise
(de l’eau) »], nous ne ressentions pas la fatigue ! Comment ? La journée commençait avec le sacrifice permanent du matin [suivi des libations], puis se succédaient la prière de Cha’harit, le sacrifice de Moussaf, la prière de Moussaf, l’étude au Beth Hamidrach, le repas du matin, la prière de Min’ha, le sacrifice permanent du crépuscule et enfin Sim’hat Beth Hachoéva [Etait-il concevable qu’ils ne dormirent pas du tout ? Un homme ne peut pas survivre plus de trois jours sans repos. La Guemara vient nous préciser qu’ils somnolaient de temps en temps l’un sur l’épaule de l’autre.] (TB Soucca, 53a)
« Le puisage de l’eau » se réfère à l’eau que Les Cohanim (prêtres du Temple) puisaient l’eau d’une source qui se trouvait à proximité du Temple (TB Soukka 4, 9) et la versaient ensuite sur l’Autel du Temple accompagnée de prières pour la pluie. Une eau et une pluie qui ont une valeur spirituelle ainsi que l’explique le Talmud de Jérusalem (TJ Soucca 5, 1)
Rabbi Yéhochou‘a ben Lévi disait : « Pourquoi [le Temple de Jérusalem] est-il appelé « La Maison du Puisage » ? Car de là est puisée l’Inspiration divine. »
Rabbi Yona disait : « [Le prophète] Yonah ben Amitaï [Jonas] alla à Jérusalem à l’occasion de la fête et il se rendit à la joyeuse cérémonie du puisage de l’eau [à Soukkot], et l’Inspiration divine reposa sur lui. Cela nous enseigne que l’Inspiration divine ne repose que sur celui dont le cœur est en joie. »
Hosana / Hoshiana– « de grâce, exauce nous »
Le psaume 118 est au cœur de la liturgie juive de la fête de Souccot, la fête des Tentes, à l’automne. Selon la tradition rabbinique, les orants faisaient des hakafot (« circuits » ou « circumbulations »), ils tournaient autour de l’autel des offrandes du Temple, avec des branches de saule dressées. Ces prières chantées demandaient une année de pluies abondantes, n’oublions pas que Souccot est une antique fête des récoltes. C’est ce qu’on fait aujourd’hui à la synagogue en tournant autour du rouleau de la Torah avec le loulav, en chantant les hosanot : « Hoshiana – de grâce, exauce-nous! ». (nb. C’est de là que vient le récit chrétien des Rameaux).
L’universel et le particulier
Souccot célèbre l’Unité d’Israël et sa particularisation (kadosh) au milieu des Nations pour signifier une humanité vivante devant D.. L’universalisme biblique n’a donc rien à voir avec l’en-cyclo-païdeia, « la culture répandue à travers tout le cosmos » grecque, ou le logos, principe unique et ultime qui traverse de part en part le cosmos stoïcien. Un universalisme à la base de celui des grandes religions monothéistes.
L’universalisme juif ne propose pas aux nations de se « convertir » au judaïsme… mais plus simplement d’abandonner le paganisme qui traverse toute culture. Même la conversion au judaïsme n’est pas une conversion, un changement de religion, mais un processus de guyour c’est-à-dire l’abandon d’habitudes étrangères au judaïsme, dont les religions humaines. Et si les nations « montent à Jérusalem au dernier jour », ce n’est pas pour devenir juives mais pour adorer le Dieu Unique. C’est-à-dire pour vivre la richesse d’une culture purifiée de son idolâtrie égoïste et du point de vue ethnocentré à tendance totalitaire qui habite les cultures humaines.
Pour parler de manière contemporaine, pour Israël le Global ce n’est pas « le Local sans les murs ».
Soleil dans ma soucca
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NB : Et pour finir… dans un tout autre style une Soucca mobile croisée ce dimanche matin en plein XVIème arrondissement de Paris :