MICHNA PEA 1,1
On trouve dans le Talmud de Jérusalem tout un traité appelé Péa :
Il commence ainsi :
« Les devoirs dont l’accomplissement n’a pas de limite sont : l’abandon de l’angle du champ aux pauvres lors de la moisson ; l’offrande des prémices [Ex 23, 19], le sacrifice offert au Temple lors des trois visites annuelles [Pessah, Chavouot, Souccot], la charité (tsedaka), et l’étude de la loi. Les devoirs qui donnent à l’homme une récompense dans ce monde et dont la récompense principale est dans le monde qui vient sont : honorer ses parents, la charité, la fréquentation des écoles religieuses, l’hospitalité, la sollicitude pour les malades, la dot des fiancées, les derniers honneurs dus aux morts (hévra Kadicha), la recueillement dans la prière (hassidout), le rétablissement de la paix entre l’homme et son prochain. Mais le devoir le plus important est l’étude de la Torah qui équivaut à tous les autres. »
Yerouchalmi, Péa, Michna 1,1
Etrange programme qui met au cœur des fêtes et de la vie juive la mitsvah de Péa et en fait le commencement de la vie juive et du désintéressement de soi pour servir ses parents, la pauvre, le malade, la fiancée vulnérable, le mort dont le corps dépend des autres, D.ieu dans la prière, le prochain dont la colère l’exile hors de lui.
L’Etude équivaut à tout cela puisque le cœur de la Torah et de son étude selon rabbi Akiba est d’aimer son prochain parcequ’il est comme soi-même, c’est-à-dire reconnaitre son droit à une existence qui vaut autant que la mienne.
Ou autrement dit, comme le commente R ‘ Yassa au nom de R’ Yohanan dans la guemara de cette michna.
« Celui qui est capable d’une calomnie renie la source de toute vérité (la divinité) »
Yerouchalmi, Guemara Péa 1
Car la médisance (Dt 33, 10) est la plus grande des offenses envers le prochain car elle est la seule arme qui tue sans limite de distance ni de nombre de personnes (elle atteint tout le corps social).
Bien étrange message que cette mitsvah Péa pour notre ‘civilisation du capitalisme’ qui vénère la réussite et pèse les gens à leur fortune. Alors que le capitalisme allie à la démocratie est devenu un triste chacun pour soi, se desinteressant du prochain s’il ne vaut pas, et avec pour unique finalite que les plus riches le soient toujours plus et soient encore plus seuls. La belle affaire !
Celui qui ne fait pas place au pauvre dans sa vie a loupé sa vie. Pourquoi ? parcequ’il est incapable d’accueillir sa propre humanité dans sa vulnérabilité. Il se croit fort mais il est faible.
LE PAUVRE QUI EST EN TOI
Quand nous disons : Adonaï sefataï tifta…, « Eternel ouvre mes lèvres pour que je publie ta louange » au début de la Amida la prière centrale d’Israël, (avec le Chema qui commence non pas par parle mais : « écoute ! », nous devons entendre les autres versets du psaume :
« Car tu ne souhaites pas de sacrifices, je les offrirais volontiers tu ne prends point plaisir aux holocaustes, Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un coeur brisé et broyé. »
Ps 51, 17-19
Quand il commence sa récolte… l’homme commence à devenir riche.
C’est donc un esprit brisé que demande l’Eternel et non pas les sacrifices, les prières ou la réussite sociale. Un cœur de pauvre. C’est le début de toute la vie en ce monde et dans l’autre nous dit la premier michna du traité Péa Talmud de Jérusalem.
La guemara du talmud e Jérusalem dit que R’ Isaac demande pourquoi la Terouma (obligation de prélèvement de la récolte pour les cohanim) n’est pas énumérée dans cette michna et R’ Yossé lui répond « la coupe du premier épi correspond pour Péa à l’entassement de tout le grain », la coupe du premier épi précède la récolte alors que la Terouma suppose l’engrangement.
Le don au pauvre commence donc avec le premier instant où j’amasse fortune ; Pourquoi ? Parce que si je ne pense pas au pauvre et au pauvre qui est en moi à cet instant où « je commence » je vais m’enorgueillir et considérer que le monde m’appartient. Bref endurcir mon cœur.
DONNER TOUS SES BIENS AUX PAUVRES ?
Pourquoi Leket et Chikha après Péa ? Au cas ou on a rasé tout le champs en oubliant dit R’ Yossé dans le Talmud. Impossible d’échapper à ce devoir donc.
On peut donner 1/60eme a minima dit R’Yossé mais on peut aussi tout donner ! R’ Yossa en présence des R’ Yohanan conteste cela et dit que l’offrande aussi minimale soit-elle peut suffire et que toutes les mesures prescrites ont été limitées par les Rakhamim.
Un certain R’ Gamaliel Ben Ininia remarque que si l’on doit donner un cinquième de ses biens… au bout de 5 ans on n’a plus rien !
Un autre dit que c’est seulement la première année.
Et R’ Aboun raconte qu’à Babylone on doit donner la différence entre un objet acheté et le même objet trouvé un peu plus cher, en tout cas c’est ce qu’on fait à Babylone !
On parle enfin du roi Monobaz qui distribua tous ses biens aux pauvres disant quand on le lui reprocha que ses ancêtres avaient amassé pour la vie ici-bas et lui pour le monde futur.
Alors quoi ? Que signifie ce don sans limite puisque les sage nous disent que le don d’argent doit être limité ?
LE DON DE SOI
La charité (tsedaka) concerne les vivants mais la bienveillance (hessed, générosité) concerne aussi les morts, elle est d’une autre nature, concerne les pauvres et les riches car comme le remarque R’ Yohanan bar Maria au nom de R’ Yohanan en prenant appui sur le verset :
« La grâce (hessed) de l’Eternel dure d’éternité en éternité en faveur de ceux qui le craignent ; sa bienveillance (tsedaka) [s’étend] aux enfants des enfants »
Ps 103, 17
Le hessed inclut la tsedaka mais c’est le hessed qui est éternel pas l’argent !
La guemara répond donc que pour l’argent il y a une limite mais pour le don de soi ; le hessed, c’est no limit !
On le voit Pea’ vise donc bien plus que de donner simplement son argent ou payer des impôts en se croyant acquitté le l’obligation au prochain. Pea signifie s’engager envers la vulnérabilité d’autrui, sa fragilité existentielle, et cette bienfaisance (hessed) n’a pas de limite.
On remarquera que la Michna nous dit dès le début que Péah, le devoir envers le pauvre « n’a pas de limites », je suis débiteur de la vulnérabilité de mon prochain infiniment et sans limite. Voilà comment on commence à devenir un peu humain nous dit le Talmud.
L’ENFANCE SPIRITUELLE
Le chapitre 19 du Lévitique ou se trouve la mitsvaj Péa commence par l’appel à la sainteté.
« L’Éternel parla à Moïse en ces termes: « Parle à toute la communauté des enfants d’Israël et dis-leur: Soyez saints! Car je suis saint, moi l’Éternel, votre Dieu.«
Lv 19, 1
Pourquoi ? Parce que dépouiller le pauvre, c’est à dire se comporter comme un salaud, revient à profaner Dieu lui même. Rachi cite Michée :
« Ne dépouille pas le pauvre […] car Hachem combattra leur combat »
Michlei 22, 22 et 23
Et après l’appel à la sainteté « Révérez, chacun, votre mère et votre père, et observez mes sabbats: je suis l’Éternel votre Dieu »– 19, 2). Le devoir d’honorer ses parents est sans limite continue la guemara te semble manifester le respect de la sainteté (particularité) d’Israël. Pourquoi ?
Quand on demanda à R’Eliézer jusqu’où il fallait honorer ses parents il répondit :
« C’est à moi que vous demandez cela ? demandez donc à Dama ben Netina. Ce dernier qui était Av bet Din ( Juge en chef) fut frappé un jour au visage par sa mère d’un coup de sandale, en présence de tout le bet Din ; et comme la sandale tomba terre il la ramassa et la tendit à sa mère, pour qu’elle n’eut pas le peine se baisser … »
Yerouchalmi, Péa, 1
Car :
« L’œil qui se rit d’un père et n’a que dédain pour les rides d’une mère, puisse-t-il être arraché par les corbeaux de la vallée, dévoré par les aigles ! »
Pv 30, 17
Quand nous sommes arrivés dans ce monde, un ventre nous a donné la vie, des bras nous ont porté, un sein nous a nourri, une femme nous a souri, un papa nous a parlé. On n’a qu’une maman.
Celui qui ne sait pas qu’il est entré ainsi en ce monde, qui ne se rappelle pas sa fragilité et le fait qu’il est un débiteur insolvable de sa propre existence et ne se comporte pas ainsi n’a juste rien compris au film de sa vie… depuis le début.
Respecter nos parents qui nous ont donné la vie, Respecter et protéger la vie de nos enfants est le b à ba de la vie en ce monde. L’alphabet d’une humanité possible.
Même les goïm savent cela : Un dicton espagnol dit : Cría cuervos – littéralement « Élève des corbeaux ! », d’après le dicton espagnol « cría cuervos y te sacarán los ojos » : « élève des corbeaux et ils te crèveront les yeux ». Ce dicton est devenu le titre d’un film de Carlos Saura; Les critiques conservateurs, accueillirent le tableau Les Glaneuses de Jean-François Millet (voir en tête de l’article) comme le symbole d’une révolution populaire menaçante, quand les journaux de gauche y virent le peuple rural appauvri par le Second Empire; On dit que grand prince Luther qui avait conduit le révolte des paysans en Allemagne, parlé d’égal à égal avec les princes de la noblesse allemande et mené la guerre des paysans au pape – prince de la Captivité babylonienne de l’Eglise, à travers toute l’Europe a quitté ce monde en disant dans son dernier souffle : « Nous ne sommes que des mendiants ».
La leçon de Pià, « le coin du champs », est donc universelle. Péa est au coin de chacun de nous.
Accueillir la vulnérabilité en soi et dans les autres, est le commencement d’un sentier d’humanité dans ce monde et dans l’autre. Heureux qui sait cela !
Que la mémoire de ceux qui partent de ce monde à Méron ou Maison Alfort et que nous chérissons soit une bénédiction.
Tizkou la-mitsvot