Béhar, sur la montagne

Mon commentaire de la Paracha ce Chabbat

Désert de Juda, mai 2019

La Paracha de Bé’har suit celle d’Emor qui parle de la sainteté des Cohanim qui suit celle de Quedochim qui parle de la sanctification d’Israël. Elle précède celle de Be’houkotaï qui dit les conséquences de ce que va nous arriver si nous sanctifions ce monde… ou pas…

Je vais vous parler de trois sujets de notre paracha : de la Chemita et du Yovel, d’Erets Israël et de la Guéoula.

Faut-il préciser que je n’aurais absolument rien à vous dire aujourd’hui si je n’avais pas vu « le dos du rabbin Harboun » comme disait Yéhouda Ha Nassi, le compilateur de la Michna, en parlant de son vénéré maître Rabbi Meïr[1].

J’ai été aussi éclairé par l’enseignement de Jacob (Ouanounou) sur Quedochim.

Be’har, sur la montagne

Tous les commentateurs à commencer par Rachi se demandent, pourquoi préciser à propos de la Chemita qu’elle a été donnée « sur la montagne » ce qui en fait un point central ?

Mais surtout les Hakhamim ne sont pas d’accords : Les lois de la Chemita et du Yovel ont-elles été données de manière générale sur le Sinaï[2] et en détail dans la tente d’assignation et au pays de Moab (Rabbi Ishmaël) ou en détail avec les secondes tables de la Loi (Nahmanide) ? De son côté R. Akibba pensait qu’il n’y avait pas 3 révélations mais une seule au Sinaï ?  Et c’est l’avis retenu par la tradition.

Ceci un premier et précieux enseignement.

Car son enjeu est celui de l’Unité de la révélation mais de la manière dont elle fait UN avec nous.

Comment se représenter cela ? La Torah (écrite- miqra) est un cône enveloppé dans un autre cône celui de la Torah orale (chébé al pé – sur les lèvres) et dont les sommets se rejoignent au Sinaï point focal de la révélation. Il y a une unité de la transmission qui arrive jusqu’à nous entre les paroles hakhamim et de nos pères. Ce qu’un père enseigne à son fils est Torah lemoché mi Sinaï. Torah donné par Dieu lui-même au Mont Sinaï. Chébé al pé – sur TES lèvres, befira ouvlévavéra « dans TA bouche et dans TON cœur pour que tu la mettes en pratique » (Dt 30, 10-14)

Cette constatation est vertigineuse en terme de responsabilité. Elle renvoie à chacun de nos instants ici et maintenant. Lo bachamaïm, pas au ciel. Selon l’adage talmudique « elle n’est plus au ciel ».

C’est chacun de nous qui sort d’Egypte chaque matin, à Chabbat. De même c’est chacun de nous qui est contemporain en cet instant du Sinaï, contemporain de la Révélation qui se déploie sous ses yeux. Tout enseignement d’un père à son fils est Halakha lemoché mi Sinaï, Une parole donnée par Dieu au Sinaï.

La Torah est é’had, UNE et nous en sommes responsables ici et maintenant, nous devons devenir uns avec elle mes frères bien aimés. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Les limites de notre désir d’être

 « L’Éternel parla à moïse au mont Sinaï, en ces termes: « Parle aux enfants d’Israël et dis-leur: Quand vous serez entrés dans le pays que je vous donne, elle se reposera la terre un Chabbat pour l’Éternel. » (Lv 25,1 -2)

Désert de Juda, mai 2019

Le maître du temps

Notre paracha d’aujourd’hui est rythmée par le chiffre 7 qui renvoie à l’idée d’un cycle de temps accompli.

Les 7 années de la Chemita,

וְשָׁבְתָה הָאָרֶץ, שַׁבָּת לַיהוָה

Véchavata aarets Chabbat l’Adonaï

« elle reposera la terre, un Chabbat pour l’éternel » (Lv 25, 2)

Et pour celui qui n’aurait pas compris la Torah nous annonce :

 וּבַשָּׁנָה הַשְּׁבִיעִת, שַׁבַּת שַׁבָּתוֹן יִהְיֶה לָאָרֶץ

ouvachana achéviit chabbat chabbaton adonaï laarets

« La septième année, un Chabbat chabbatique (un Chabbat absolu) sera accordé à la terre, un Chabbat en l’honneur de l’Éternel. » (Lv 25, 4).

Drôle de pléonasme que ce « Chabbat Chabbton », un « Chabbat chabbatique ». Le repos absolu !

Et ce cycle de 7 ans est encore multiplié 7 fois avec le Yovel tous les sept fois sept ans :

« Tu compteras chez toi sept années chabbatiques, sept fois sept années, de sorte que la période de ces sept années sabbatiques te fera quarante-neuf ans » (Lv 25, 8)

Et si nous avions oublié, Le dernier verset de notre sidra se termine d’ailleurs par le commandement du chabbat tous les sept jours. « Observez mes Chabbats (tichmokhou) et craignez mon sanctuaire (oumiqédachi -miqdach ! tikhaou): je suis l’Éternel. (Ani Adonaï)» (Lv 26, 2)

La Torah ne bégaie pas. Quand elle répète un mot c’est pour frapper l’esprit de son auditeur. Là c’est une avalanche qui nous dépossède de notre désir d’exister de maîtriser notre temps et notre espace.

Dieu est celui qui maîtrise mon temps que moi je subis. Le Chabbat, la Chemita, le Yovel en sont les marqueurs sanctifiants, des butées à mon désir d’être maître du temps que je crois le mien. Le temps est à Dieu.

Le juif est donc celui qui sanctifie le temps, qui le particularise pour le « destiner à », qui l’ordonne pour que cette destination, ce « destin » soit providentiel.

Le maître de l’espace et de la terre

Mais Dieu n’est pas seulement l’Eternel qui me fait « perdre mon temps ». Il est aussi celui qui maîtrise mon espace, la terre dont j’avais cru qu’elle était à moi. De manière brutale :

« La terre est à moi » (Lv 25, 23).

 Il nous dit : « le pays que je vous donne » et ensuite Il nous le reprend ! Et tous les 7 fois sept ans nous perdons tout ! Mais alors que sert d’amasser ?

Tiens, pourquoi « Ani Adonaï » ? cette formule brutale qui clôt la paracha. Il renvoie directement à la Paracha Quedochim.

Rappelez-vous dans Quedochim : Quedochim tiyou, « vous serez saints comme Moi Je suis saint ». Comment être « saint, en miroir de D-ieu » nous avait dit Jacob… en obéissant à 51 mistvot très concrètes visant à protéger le prochain, qui se terminaient par une seule explication : « Ani Adonaï ». Comme si D-ieu établissait une butée qui n’a pas besoin de se justifier à notre désir prédateur envers le prochain que nous devons aimer non pas « comme nous même » (une erreur de traduction de la Septante) mais Vehaavvta Lekhakha et Kamora (Lv 25, 18)« car il est comme toi ».

C’est-à-dire parce que, lui aussi il désire ce monde. Lui aussi a des droits qui sont une limite pour les miens et mon désir prédateur.

Ce Ani Adonaï qui clos la Paracha pose une limite à notre désir de prolonger notre être dans des biens de nous étendre territorialement fut-ce au détriment d’autrui.

Comme une sorte de ‘Orla de l’arbre.

La terre ne nous appartient jamais définitivement ni dans le temps (Chemita) ni dans l’espace (Yovel). L’Eternel est la butée de désir humain prédateur. Au moment du Yovel chacun « retournera (vechav – une techouva physique et spirituelle) vers son héritage ancestral » qui ne peut en aucun cas lui être aliénée. « La terre ne sera pas vendue pour l’éternité car la terre est à moi, car vous n’êtes que des étrangers domiciliés chez moi. (Ki guérim, vetoshavim atem) » (Lv 25, 23)

Bref après nous avoir dit : la terre (aarets) ani noten lakhem « que je vous donne »… on nous dit que nous ne sommes que des « étrangers résidents » des métayers de passage en CDD…

Là encore la justification de tout cela n’en est pas une c’est une formule sans appel : Ani Adonaï Eloékhem !

« Je suis l’Éternel votre Dieu, qui vous ai fait sortir de la terre d’Egypte pour vous donner la terre de Canaan, pour être Dieu pour vous. » (Lv 25, 38)

La sortie d’Egypte, thème central de toute la Torah si l’on en croit le Maharal de Prague.

« Vous sanctifierez la cinquantième année vous proclamerez la liberté sur la terre et pour tous ses habitants » (Lv 25, 10)

La terre semble comme le témoin de la sanctification du le temps qui l’ordonne… à la liberté d’autrui.

C’est à prendre ou à laisser.

De la terre

On ne peut pas comprendre cette discussion sur la terre, sa possession les esclaves… sans la replacer dans le monde antique.

La terre antique c’est la « patrie », la terra patria, la terre des pères divinisés. On y verse des libations sur des autels familiaux pour les ancêtres censés vivre sous terre à Rome ou en Grèce. En Canaan, les rites hiérogamiques de fécondité parfaitement décrits par les prophètes (baal, arbres sacrés…) unissent sexuellement la terre et les cieux sur les montagnes et les collines par des cultes de prostitution qui miment l’union de la terre et du ciel.

Dans cet univers mental, celui qui n’a pas les mêmes dieux du foyer et de la terre est un étranger, un barbare qui n’a pas de droit… ou un esclave qui est une chose, res qui ne peut rien posséder. L’esclave c’est d’abord celui qui vient de loin, d’ailleurs donc, qui n’a aucun des droits liés au culte civique et à la terre des ancêtres, la terra patria. On en fait ce qu’on en veut.

Dans ce monde la Torah est juste une Révolution.

Car la terre selon la Torah c’est juste l’opposé. L’homme ne peut la posséder. C’est la terra fratria la terre du frère qui a un droit dessus et peut le « racheter ». L’esclave ne peut l’être indéfiniment. On ne peut pas le faire travailler à Chabbat et il recouvre sa liberté lors du Yovel. L’étranger résident (guer tochav), le barbarus, le berbère ! est considéré comme un frère à part entière que je dois protéger :

« Et si ton frère s’appauvrit et que ses ressources faiblissent à tes cotés, tu le renforceras -prosélyte et résident (guer tochav)- pourqu’il vive avec toi. Ne prends de lui ni usure ni intérêt… » (Lv 25, 35 sv…)

Et, là encore, avec pour seule justification ANI ADONAÏ ELOEKHEM (je suis l’Eternel votre Dieu)…

La sanctification de la terre signifie l’orienter vers l’existence d’autrui.

Et toute notre Paracha qui nous parle de terre et de propriété ne semble viser qu’un but : éviter de léser son prochain. Qu’est ce que ça veut dire ?

 « Ne vous lésez pas l’un, l’autre » (Lv 25, 14) ?

Quand est-ce que je lèse mon prochain ?

Cette intériorisation de la Torah c’est-à-dire du droit que Dieu donne à notre prochain est au cœur de la paracha et le cœur de la Torah :

« Si donc tu fais une vente à ton prochain, ou si tu acquiers de sa main quelque chose, ne vous lésez point l’un l’autre. » (Lv 25, 14)

Une phrase qui est répétée 3 versets plus loin :

« Ne vous lésez point l’un l’autre, je suis votre Dieu! » (Ani Adonaï Elohekhem) (Lv 25, 17)

On retrouve à nouveau la butée du « Ani Adonaï ».

La guemara du traité Baba Metsia (la porte du milieu) sur les ‘dommages personnels’ commente notre paracha [en gras le texte brut de la guemara] :

« Le verset parle de maltraitance verbale. La baraïta poursuit: dites-vous qu’il s’agit de maltraitance verbale [ be’ona’at devarim ] ou peut  être ne parle – t – il que d’exploitation financière [ be’ona’at mammon ] ? […] Ceci concerne les mauvais traitements verbaux. » (Baba Metsia 58b)

« La question est posée au cœur de chaque individu, car seul lui sait quelle était son intention quand il a parlé. Et en ce qui concerne toute question donnée au coeur, il est dit: « Et tu craindras ton Dieu » ( Lv 25, 17 ), parce que D-ieu est au courant de l’intention du coeur. (Baba Metsia 58b)

Rabbi Yohanan dit au nom de Rabbi Shimon ben Yoḥai : Plus Grande est la transgression de mauvais traitements verbaux que celle d’ exploitation monétaire, car concernant les mauvais traitements verbaux, il est dit: «Et tu craindras ton Dieu » Mais en ce qui concerne l’ exploitation monétaire, il n’est pas précisé: «Et vous craindrez votre Dieu». Et Rabbi Elazar a expliqué : « La maltraitance verbale affecte le corps ; mais cela, l’ exploitation monétaire, n’affecte que l’argent. (Baba Metsia 58b)

La Guemara raconte que le tanna qui récitait des mishnayot et des baraitot dans la salle d’étude enseignait une baraïta devant le tribunal de Rav Naḥman Yitzḥak : Quiconque humilie un autre en public, c’est comme s’il versait son sang.  (Baba Metsia 58b)

Donc D-ieu est celui qui nous ordonne la protection de notre prochain : protection de notre violence verbale, de notre rapacité financière qui est considérée : « comme si on versait du sang »

Je vous rappelle qu’on parle de la sanctification du temps dans le Yovel et on se retrouve dans… Baba Metsia qui parle des responsabilité civile et financière ! « La vache, la fosse, le feu » dit le traité. L’homicide volontaire ou involontaire par une vache laissée en liberté, par un feu qui est devenu un incendie immaitrisable, par une fosse creusée et qui n’a pas été protégée et ou tombe un enfant !

Ce respect du droit de notre prochain, de l’étranger, n’est évidemment pas seulement une réalité de jurisprudence. Il a un visage psychologique. Celui de l’empathie. Il doit aller jusqu’à la compassion, la capacité à comprendre ses émotions pour lui en donner le droit en les accueillant.

La Torah ne demande rien d’autre à l’homme.

Le Choulhane Aroukh est lapidaire :

« La Torah ne condamne que la haine » (Choulhane Aroukh 29, 18).

Essayons de comprendre ce que signifie le Yovel.

De la Géoula (Rédemption)

Quand notre Sidra nous parle du Yovel un mantra lancinant revient 15 fois de suite sous toute ses formes : Géoula (le rachat, la rédemption), Goël (le rédempteur).

« Et dans tout le pays que vous posséderez, vous accorderez le droit de rachat (Géoula) sur les terres. » (Lv 25, 25)

« Si ton frère, se trouvant dans la gêne, a vendu une partie de sa propriété, son plus proche parent aura la faculté de racheter וְגָאַל (végaal) ce qu’a vendu son frère. » 

« Quelqu’un dont personne n’a racheté גֹּאֵל le bien (goél), mais qui retrouve des ressources suffisantes pour le racheter  גְאֻלָּתוֹ (guéoulato) lui-même, supputera les années de la vente, rendra l’excédent à celui à qui il avait vendu, et rentrera dans son bien. » (Lv 26, 25-27)

Mais contre toute attente la Sidra ne nous parle pas de la fin des temps, des Hevlei Hamachia’h ces douleurs d’enfantement du Messie qui vont vous prendre demain dans l’isoloir quand il va vous falloir choisir entre Gog et les démagogues ou le Messie ou son âne…

Dans la Torah le mot « rédemption », « rédimer » appartient au langage de la responsabilité envers autrui et du droit.

Le go’el c’est celui qui rachète, celui qui remplit une obligation envers un proche parent préserver le patrimoine familial de la mainmise d’un étranger, ou pour venger l’honneur de la famille comme dans le livre de Ruth[3] ou la loi du Lévirat (Dt 25, 5-6) qui ordonne au frère d’un époux décédé, sans avoir eu d’enfant, d’épouser la veuve afin de perpétuer le nom du mort et d’éviter à la veuve une vie de misère.

Le Go’el d’Israël c’est D-ieu lui-même qui nous a sauvés d’Egypte et nous ramène sur notre terre.

La Guéoula dans la Haftarah

La Haftarah (Jr 32, 6-27) nous confirme cette importance de la Guéoula pour éclairer la Paracha de Bé’har.

Le pauvre Jérémie est en prison à force d’avoir fustigé le péché du peuple et l’injustice qui règne en Israël. Et bien sûr, arrive ce qui devait arriver, Nabuchodonosor et les Chaldéens dressent le siège de la ville pour déporter Israël.

Et à ce moment, contre toute raison, Dieu dit au Prophète Jérémie de racheter (‘hagueoula) à Hanamel le fils de son oncle, un champ à Ananot au nord de Jérusalem (Tribu de Levi) pour sept schekel et dix pièces d’argent.

« Fais l’acquisition de mon champ qui est à Anatot, car, ayant le droit de rachat (haguéoula), c’est à toi d’acquérir » « car tu possèdes le droit d’héritage et de rachat (haguéoula) » (vv. 6 et 8)

Ce qu’il fait en établissant un contrat signé avec témoins et en posant un poids de monnaie sur une balance (ce qui deviendra la base halakhique des contrats juifs). Et il fait cacher ce contrat dans un vase en argile enfoui sous terre.

C’est évidemment absurde d’un simple point de vue humain. Acheter au moment où la ville va être envahi par les chaldéens et que Nabuchodonosor roi de Babylone va déporter le peuple en Exil. C’est une folie. On n’achète pas un bien quand on va partir ! Mais Dieu promet à Jérémie que le peuple reviendra sur sa terre et qu’on y achètera à nouveau des champs.

« On y achètera des champs à prix d’argent, on dressera des actes, on les scellera, on assignera des témoins; [cela se verra] dans le canton de Benjamin, aux alentours de Jérusalem, dans les villes de Juda, dans les villes de la montagne, dans les villes de la plaine et dans les villes du Midi, car je ramènerai leurs captifs, » dit le Seigneur. » (Jr 32, 44)

En clair, aucune tragédie n’est assez forte et définitive pour supprimer le droit d’Israël sur sa terre. La promesse de Dieu est inaliénable.

La Galout et la Géoula

De la Galout à la terre

Israël est donc ce peuple né sur une terre étrangère. Qui grandit dans un désert où personne ne possède rien et ne peut rien revendiquer. A qui l’Eternel donne une terre qui ne lui appartient pas. Et reçoit une loi au Sinaï avant même d’être sur sa terre. La Torah précède la terre, le droit de filiation précède celui du sol. Tout l’inverse des autres nations. Que signifie la terre pour nous ?

Qui d’entre nous n’a vécu cette émotion viscérale de se retrouver « à la maison » sur notre terre en regardant Jérusalem ou le désert de Juda ? L’arrachement de partir ? L’espoir fou de posséder une maison en Israël ? Le sentiment pacifié d’être au seul endroit où la vie juive est vraiment et totalement possible ?

Et pourtant nous somme en Exil en galout.

Quel sens cela peut-il avoir ? Après tout Dieu peut tout ! il aurait pu nous créer circoncis et nous faire vivre en frères avec une même langue sur la terre d’Israël sans passer par la souffrance de la Galout.

On a du mal à s’en rappeler mais sans Eliézer Ben Yehuda on n’entendrait pas parler la langue sacrée devenue langue de la rue sur la terre de D-ieu. On parlait le Yiddish, le judéo-arabe…

Pourquoi la Galout ? Pourquoi sommes-nous loin de notre terre ? De toute Chemita ? Et pire que ça ! Nous sommes dispersés parmi les nations, en vrac, incapables de nous recueillir. Que signifie notre vie en Galout ? en Exil ?

 » L’exil survient dans le monde à cause de l’idolâtrie, des relations incestueuses et du meurtre, et pour le non respect du repos de la terre lors de l’Année Chabbatique.  » (Pirké Avot 5, 9)

Galout et Géoula selon le Maharal

Une réflexion du Maharal de Prague est là clé pour comprendre cet étrange mystère.

Le Maharal de Prague (Moreinou Ha-Rav Lévi), Rabbi Yehouda ben Betsalel Loew, 1512-1609, l’ami intime de Tycho Brahé (qui a inventé la relativité du mouvement et par qui s’effondra le concept d’immuabilité des cieux) et de Kepler (l’astrophysicien inventeur des 3 principes), interprétait les rêves de Rodolphe II de Habsbourg !

Selon le Maharal, les deux verbes « exiler » et « rédimer », qui donnent les mots Galout et Géoula, l’Exil et la Rédemption, ne diffèrent que par une lettre. Ils contiennent tous les deux guimel et lamed, mais galout contient hé (valeur de guematria : 5) et gueoula contient aleph (valeur 1). La différence entre eux a pour valeur 4. Le chiffre du monde, des 4 dimensions.

En clair, entre la galout et la Géoula il y a un monde à construire !

Que signifie la liberté proclamée lors du Yovel ? Que liberté sur notre terre est la Rédemption elle-même.

Galout et Géoula :  deux faces d’une même réalité

Qu’est-ce que la Rédemption ? C’est le fait de revenir et de vivre en paix sur notre terre. Une action physique et intérieure à la fois.

Qu’est ce que la Guéoula, Maimonide est formel :

« Qu’il ne te vienne pas à l’esprit qu’à l’époque de Machia’h sera annulée quelque chose dans la marche du monde, ou que sera changée la nature de la création : le monde continuera selon sa nature, et ce qui est dit par Isaïe « le loup habitera avec le mouton et la panthère paîtra avec l’agneau » est une parabole et une allégorie, dont le sens est qu’Israël résidera en paix parmi les méchants du monde» [4]

Pour les Hakhamim du Talmud, à la suite de notre Haftarah, l’exil, la Galout, la dispersion est la punition de la faute d’Israël.

Abraham est le premier à qui D-ieu promet la terre dans la Torah.

« Toute la terre (kol aarets) que tu vois, à toi je la donnerai ainsi qu’à ta descendance, pour toujours (ad aolam) » (Gn 13, 15).

Le rabbi Yitzḥak dit: Au moment de la destruction du Premier Temple, le Saint, Béni soit-Il, trouva Abraham debout dans le Temple. Il a dit à Abraham: « Qu’est-ce que mon bien-aimé fait dans ma maison? » Abraham dit à Dieu: Je suis venu au sujet de mes enfants pour découvrir pourquoi D-ieu a détruit le Temple et les a exilés d’Eretz Yisrael. Dieu dit à Abraham: La raison en est que tes enfants ont péché et qu’ils sont donc exilés du pays. Abraham dit à Dieu: Peut – être ont-ils péché involontairement et ils ne méritent pas un châtiment aussi terrible ? (TB Menachot 53b)

Mais le Maharal de Prague l’envisage de manière plus profonde et il donne une définition positive de la galout (exil) à partir de sa réflexion sur la proximité des mots galout et géoula (rédemption). La Galout et la Géoula sont les deux faces d’une même réalité ontologique nous apprend le Maharal de Prague.

Pour le Maharal de Prague les arguments du Talmud[5], et de Nahmanide sur le fait que l’attitude d’Abraham envers Sarah (quant il la cache à Pharaon), seraient la cause ultime de l’Exil ne sont pas recevables.

Selon lui la Galout et la Guéoula sont les deux faces de la profondeur du réel.

La relation entre Israël et les Nations et un fait providentiel voulu par Dieu.

Comme souvent chez le Maharal deux réalités antinomiques produisent un moment, de la contradiction, du paradoxe nait une dynamique providentielle. Ainsi de l’opposition de Esaw et Yaacov, de la Galout et de la Geoula . L’opposition de ces contraires inscrite dans la création permet la mise en oeuvre d’une histoire providentielle.

Sans l’exil, Israël ne pourrait pas racheter son péché, retrouver son intégrité première, ne pourrait pas découvrir sa supériorité sur les Nations de la terre, (Dt 28, 1) et ne pourrait se répandre parmi les nations pour accomplir sa mission de Révélation.

L’exil est une donc une réalité permanent constitutive du caractère d’Israël.

Le « véritable sens de l’exil est la joie » dira un rabbin hassidique.

Car voir le Temple détruit et un renard sortir du Saint des saints c’est déjà voir la Rédemption comme l’affirme Rabbi Akiba en éclatant de rire, à la grande surprise de ses compagnons à la fin du traité Menakot (Talmud, Makkot 24b)[6] qui finissent par lui répondre : « Akiva, tu nous as consolés ! Akiva, tu nous as consolés ! »

L’exil, condition de la « découverte » psychique de soi

Ce retour sur la terre a un sens non seulement physique mais aussi psychologique.

Car ani mégalé, m’a dit le Rabbin Harboun de la racine : guimel, lamed, hé, du verbe galé : « découvrir », signifie « je découvre »

Le juif qui passe de la diaspora à la terre d’Israël « découvre » dans ce passage une réalité qu’il ignorait jusque-là. Il se découvre, il connait sa souffrance.

« En Israël nous sommes dans le Maassé Berechit le gan Eden et en Galout nous vivons dans le maasé Merkaba de l’exil. Celui qui n’est pas passé par la galout n’a jamais souffert et ne peut pas comprendre quelqu’un qui souffre » 

… m’a enseigné le Rav Haïm Harboun à la suite du Maharal.

Entre la galout et la Géoula il y a donc un monde. Celui de la techouva. Un retour qui est aussi bien physique, qu’intérieur, un chemin de responsabilité envers tout homme, toute femme qui vient à nous à qui nous et qui mérite que nous le considérions comme le messager de la Rédemption.

Un dernier point. Personnel celui-là.

La dernière fois que j’ai commenté l’écriture c’était dans une église. Mon meilleur ami avait été enseveli dans une avalanche sur une montagne avec deux de ses compagnons et je demandais pourquoi ils étaient montés Bé’har, « sur la montagne ». Je parlais de Moché au Sinaï, de Eliyahou à l’Horeb.

Depuis 10 ans j’ai cherché et j’ai compris une chose : Qu’on soit un grand tsadik ou un racha, Dieu est toujours à la même distance de nous et on peut revenir.

Mes frères et sœurs bien aimés, la téchouva est possible.

Un jour notre Exil prendra fin, car rien n’est impossible à Dieu.

Tizkou lamitsvot!


[1] La gemara raconte que le rabbin Yehuda HaNasi a déclaré: Le fait que je sois plus incisif que mes collègues est dû au fait que j’ai vu le rabbin Meir de derrière, c’est-à-dire que je m’étais assis derrière lui quand j’étais son élève. Si je l’avais vu de face, je serais encore plus incisif, comme il est écrit: «Et tes yeux verront ton maître» ( Esaïe 30:20 ). (Erouvin 13b)

[2] Maimonide explique que : « durant les soixante-dix ans qui séparèrent la destruction du Premier Temple et l’édification du Second, et aussi après la destruction de celui-ci, on ne compta pas l’année du Jubilé, mais seulement (sans interruption) les cycles de sept ans »

[3] La mère de Ruth, Noémi, revient dans le pays de son époux Elimelekh. Celui-ci est mort, elle est veuve et sans ressources. Selon la loi juive, un proche parent (qarov) pourrait racheter l’ancienne terre de son mari, et la transmettre à son fils. C’est le goel (un mot qu’on peut traduire par sauveur).

[4] Michné Torah, Lois des Rois, 12

[6] Il arriva encore une fois que Rabbane Gamliel, Rabbi Elazar ben Azaria, Rabbi Josué et Rabbi Akiva se rendirent à Jérusalem. Quand ils atteignirent le mont Scopus, ils déchirèrent leurs vêtements. Quand ils arrivèrent au Mont du Temple, ils virent un renard qui sortait du lieu du Saint des Saints. Les autres se mirent à pleurer ; Rabbi Akiva rit.

Ils lui dirent : « Pourquoi ris-tu ? »

Il leur répondit : « Pourquoi pleurez-vous ? »

Ils lui dirent : « Un lieu [tellement saint] qu’il en est dit : “L’étranger qui l’approche mourra” (Nb 1, 51), sur lequel s’est maintenant accompli : “Pour le mont Sion en ruines, traversé par les renards”, (Lam 5, 18) nous ne devrions pas pleurer ? »

Il leur dit : « C’est pour cela que je ris. Car il est écrit : “Je me fis assister de témoins dignes de foi, d’Urie le pontife et de Zacharie, fils de Yebérékhyahou.” Quel est le lien entre Urie Et Zacharie ? Urie vécut [au temps du] Premier Temple, et Zacharie [au temps du] Deuxième Temple ! La Torah fait cependant dépendre la prophétie de Zacharie de celle d’Urie. Avec Urie, il est écrit : “Par conséquent, à cause de vous Sion sera labourée comme un champ ; [Jérusalem deviendra un monceau de ruines, et le Mont du Temple comme les hauts lieux d’une forêt.]” Avec Zacharie, il est écrit : “De vieux hommes et de vieilles femmes s’assiéront encore dans les rues de Jérusalem.”.

« Tant que la prophétie d’Urie ne s’était pas accomplie, je craignais que la prophétie de Zacharie s’accomplisse pas non plus. Mais maintenant que la prophétie d’Urie s’est accomplie, il est certain que la prophétie de Zacharie s’accomplira elle aussi. »

Sur ces mots, ils lui répondirent : « Akiva, tu nous as consolés ! Akiva, tu nous as consolés ! »

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