Réparer les âmes

Le cri, Edvard Munch

En sortie de Covid, beaucoup de gens autour de nous, et ils portent des noms et des visages, sont dans de grandes souffrances psychiques.

Les femmes que soignait Freud à Vienne exteriorisaient la frustration émotionnelle, affective, sentimentale dans l’hystérie d’une société riche, pudibonde, scrupuleuse et faussement morale.
Aujourd’hui la psychose est partout, chez nos ados, anorexiques mentaux ou suicidaires, bipolaires, schizophrènes affectifs, aux crises d’angoisse ou de phobie multiples.
Les hôpitaux sont pleins. Un adulte sur 10 est en souffrance. Cette crise a visibilisé l’invisible.


Depuis 2 ans et demi, J’ai croisé ces ados tellement speciaux et attachants, aux questions désarmantes de réalisme : » Mais comment tu veux vivre dans le monde violent de competition et de consommation que vous avez fait », et aussi ces personnes admirables qui soignent dans les hôpitaux, les services sociaux, les CMP, avec des moyens dérisoires et une foi à déplacer les montagnes. Les curés de campagne ou les rabbins d’aujourd’hui.
J’ai vu tant de scènes de détresse ou de personnes arrivées au bout de tout. Des enfants, des parents, des familles disloquées.
Il y a des suicides d’enfants, des dessocialisations nombreuses, et curieusement beaucoup, beaucoup, d’enfants de dirigeants…
Ils ne sont que le symptôme de la psychose de toute une société, le décrochage avec la réalité et la fragmentation du réel avec fuite dans le délire ou la dépression sur fond de perte d’estime de soi souvent depuis l’enfance.
La télévision et ses starlettes d’une minute, ses infos du JT en mode mytho, on fait de notre société un Truman show. En politique les discours interchangeables ont remplacé le réel et toute idée à plus de 2 jours. Les vieux partis ont été clives par des comédiens d’un instant et il reste le chaos. Une polémique chasse l’autre. Instagram à créé une dictature des faux corps d’un selfie qui fragmente des ados en construction d’identité. On se croise sur FB mais rarement dans la réalité. A force de virtualité le monde Internet l’a fait disparaître.
Mon rav Haim Harboun, docteur en psychologie et élève d’Henri Baruch, m’a enseigné que toutes les maladies psychiques provenaient de la perte ou l’absence de l’estime, donc de la conscience, de soi. Combien c’est vrai.

Cette sanctification du temps dans la mitsvah est le seul but du judaisme. Une prise de conscience de l’existence par le questionnement.
Meatai, ‘ »à partir de quand » – commence le Talmud (Berakhot)… »Quand commence le soir, puis quand commence le matin ? » Et la guemara répond : « Quand tu peux distinguer le visage d’un ami d’un étranger à 3 coudées ».
En clair, notre capacité à faire exister les autres par empathie, réveille le jour pour nous, et nous fait exister, entrer dans un temps habitable ensemble par empathie.
La sortie de l’indifférence psychotique, ‘crée’ littéralement autrui en face de nous, séparé, responsable, elle unifie la conscience que nous avons de nous-même. Cet accueil d’autrui est aussi recueillement de soi, (e’had). Il est célébré par des processus d’abréaction ‘exotiques’ mais efficaces comme le Korban Pessah et les sacrifices du Temple dont la prière a conservé la trace sur nos langues.
Le Chabbat, lui, structure symboliquement le réel par ses interdits autour du pain, de l’habit, de la maison. Chacun devient le grand prêtre dans le michkane recevant ses amis pour particulariser (sanctifier) le vin et le pain. Juste « etre un humain là ou il n’y en a pas » comme dit Pirkei Avot.
Voilà ce que m’a appris mon Maître.

Les personnes en grandes souffrances psychiques sont le symptôme de la violence de ce monde violent pour nos sœurs et frères humains. Il est dans notre capacité a chacun par l’empathie de faire lever son jour pour autrui… et d’allumer la lumière pour nous.
Que D. bénisse votre jour.

 » Je me promenais sur un sentier avec deux amis — le soleil se couchait — tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture — il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville — mes amis continuèrent, et j’y restai, tremblant d’anxiété — je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature. » Edvard Munch, dans son journal de 1892

2 commentaires sur « Réparer les âmes »

  1. Merci pour votre texte.
    Terrible de voir le mal que la pandémie a fait mais nos dirigeants n’ont fait que l’empirer.
    Je voudrais ajouter ceci :
    la pandémie n’est pas fini, le Covid n’est pas fini, les problèmes ne sont pas finis. J’entends cela et ça me désespère. Pourquoi ? Je fais partie des personnes fragiles. Pas aussi fragile qu’une personne immunodéprimée – on ne parle pas d’eux non plus, et quand one fait, on dit juste qu’ils devront rester chez eux, comme si c’était une solution viable, comme si ces gens n’avaient pas de vie, ne devaient pas travailler, pouvaient tous s payer un tel luxe. Nous sommes punis par les mesures, par l’inconscience collective et par l’oubli.
    J’étais en Israël dix-huit mois, quand je suis revenue en France, j’ai pris les transports, je pouvais le faire à peu près sereinement car on portait encore le masque. Maintenant, j’ai peur de nouveau. Je sors mais je dois calculer mes trajets. Je ne fréquente quasiment que des personnes fragiles car cela nous permet d’avoir une vie sociale.
    Et que dire de nos rabbins ? Ils font un scandale quand les libéraux organisent des offices de chabat sur zoom mais le scandale, c’est d’exclure de facto les plus fragiles des synagogues et de prendre le risque de nous éloigner de la pratique. Je lutte contre le dégoût et la pensée, chaque chabat, que je suis quantité négligeable et mes amis également.
    On peut crever : nous sommes des statistiques.
    J’ai 35 ans. En Israël, j’ai été vaccinée très rapidement. En France, pour la troisième injection, comme J’AVAIS L’AIR en bonne santé, j’ai dû insister auprès de trois médecins estimant que ma pathologie n’était pas suffisamment grave. Et pourtant, la grippe saisonnière suffit pour m’envoyer à l’hôpital.
    Je suis folle de rage de voir que même pour les gens de la communauté, des gens pourtant généreux, on ne compte pas.
    Je fais encore chabat.
    Si je ne le fais plus, ce ne sera pas seulement de ma responsabilité, mais de celles des communautés, nombreuses, de nous exclure comme des moins que rien. Pourtant, pendant des années, j’ai fait 6 kilomètres de marche pour venir prier. Mon oncle a apporté des masques payés sur ses propres deniers à sa synagogue : plus personne ne les met, alors il n’y va plus : il approche des 70 ans.
    J’espère, vraiment, que vous prendrez le temps de me lire, et si vous le pouvez, d’agir aussi à ce niveau là, car moi, personne ne m’écoute, quelle que soit la manière dont je l’explique: c’est normal pour absolument tout le monde que je n’ai plus aucune vie juive publique et mes amis malades également.
    Je vous souhaite bien du courage dans les tâches que vous menez déjà, si difficiles – et de ce que vous avez fait aussi pour moi que je n’ai pas oublié.

    Sandra

  2. « Il est dans notre capacité a chacun par l’empathie de faire lever son jour pour autrui… et d’allumer la lumière pour nous. »
    J’ai bien peur que cela ne soit pas garanti, les discours politiques actuels en témoignent. La volonté de persuader, de convaincre de voter pour x ou y ne permet pas de faire progresser la réflexion mais au contraire elle enferme dans un parti pris. La lumière s’allume à la lumière d’une plus grande source de clarté. Si la vérité est obscurcie par des fanatismes, la clarté ne brillera pas mais restera confuse.

    Dans le discours politique, il y a pourtant de brillantes exceptions à signaler. Ce matin, sur France Inter, Jean Louis Bourlanges faisait part de ses réflexions sur la situation politique de l’Europe, sur universalisme et particularités, sur l’économie de ce Pays. Des indications clefs ont été fournies afin d’allumer la lumière des auditeurs en quelques mots. Que l’on accepte ou que l’on rejette le propos, chacun pouvait se situer : pour ou contre.

    Vous évoquez dans votre texte les difficultés psychologiques de certains, notamment parmi les jeunes. Comment les inciter à faire lever un jour moins angoissant que le cri de Munch ? Dire la vérité n’est pas sans risque; jouer sur les faiblesses est de la manipulation. Comment respecter son semblable ? En s’appuyant sur quelles valeurs : métaphysiques, théologiques, rationalistes ?

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