
Suite de la discussion avec un de nos frères, juif orthodoxe de Bnei Brak.
Concernant l’élection d’Israël et les rapports entre judaïsme et christianisme
On ne peut qu’être d’accord. Mais comment vis tu une religion qui s’est trompée pendant 1900 ans ? Pourquoi lui donner raison malgré le « pardon » accordé ? Qu’apporte le christianisme « en plus » du Judaïsme ? Je te pose une question qui je l’espère ne te choquera pas. Nous sommes là pour discuter, pas pour nous combattre. Pour le Judaïsme, le christianisme est considéré comme un comportement idolâtre. C’est d’ailleurs pour cela que nous n’avons pas le droit d’entrer dans des églises alors que nous pouvons entrer dans des mosquées. Comment peux-tu expliquer cela ? Comment considères-tu le christianisme comme purement monothéiste?
DL : Merci pour ta franchise. Aucune question ne me choque. Selon mon point de vue, le christianisme est une torah orale particulière, celle d’un rabbi juif pharisien de Galilée, Jésus qui a vécu toute sa vie sous la Torah (participation aux fêtes, Mitsvot comprises, purification dans des mikvaot avant d’aller au Temple, etc… je montre cela dans mon livre Jésus le rabbin qui aimait les femmes). Ce rabbi pharisien marginal, sans doute assez nationaliste, ne pouvait pas se targuer de l’enseignement d’un grand maître (comme Paul par exemple qui dit qu’il a appris la torah aux pieds de Gamaliel, le petit fils d’Hillel) avait un enseignement qui s’adressait aux juifs et se situait dans les strictes limites d’Israël : « N’allez pas chez les païens et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Sur votre route, proclamez que le Royaume des cieux est tout proche. » (Mt 10). Cet enseignement pharisien visait clairement à rassembler Israël dans une période de grande trouble religieux (Cf : le Talmud : « après Hillel et Shammaï il y avait deux torot en Israël ») et politique. Plus précisément je montre à la suite de Geza Vermes que l’enseignement de Jésus se rapproche de celui de la piété des hassidim (baignée des psaumes) comme deux figures charismatiques du judaïsme galiléen qui ont vécu autour de l’an 70 : Honi le traceur de cercles et Hanina ben Dosa qui apparaissent dans le Talmud. Jésus a donc fondé un mouvement en vue de rassembler tout Israël pour la Rédemption finale qu’il espérait dans une situation d’oppression romaine. Il s’est trouvé dans une opposition frontale face aux sadducéens, ennemis politiques (proches du pouvoir romain et du temple et fondamentalistes de l’Ecriture qui avaient bien l’intention que rien ne change) et ennemis religieux des pharisiens, ce qui lui a coûté sa vie .
Ce messianisme apocalyptique, présent aussi à Qoumrân, évacué de l’orthodoxie rabbinique après 70 mais en réalité sans doute pas avant le 4ème siècle, était fortement présent dans la piété du second temple et réapparait régulièrement dans l’histoire juive comme l’a montré Gershom Scholem.
Ce rabbi réformateur non-violent (Mt 5,38-48 : « Vous avez appris qu’il a été dit: oeil pour oeil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant »), après sa mort, a été reconnu par ses disciples juifs comme « messie », une assertion banale à l’époque et qui ne recouvre pas ce que chrétiens ou juifs entendent aujourd’hui par ce terme ; les révoltés de Galilée après l’an 6 (Cf. Ac 5,37) étaient des rois-messies qui protestaient contre la présence de païens en terre sainte, Bar Kohba a été reconnu par Akiva comme messie lors de la seconde révolte messianique juive en 135, etc…
Selon mon point de vue, je pense donc que le christianisme n’était qu’une des multiples possibilités du judaïsme avant la destruction du temple par Rome en 70.
Après la mort de Jésus, ses disciples, d’abord les femmes (il leur enseignait la torah, ce que je montre dans mon livre), ont proclamé qu’il était ressuscité selon la croyance pharisienne.
A partir de là est né dans le monde juif de la diaspora, une « torah aux nations » sous l’impulsion d’un autre rabbi pharisien : Paul.
C’est à ce moment historiquement et sans doute pas avant la fin du 3ème siècle que s’éteint le prosélytisme juif vers les nations qui était très actif dont le christianisme prend le relai, depuis 20 siècles. Il n’y a ni chez Jésus, ni chez Paul une volonté d’abolir les mitsvot coté juif ou de remettre en causes les promesses à Israël car « les dons de Dieu sont sans repentance » (Rm). Le christianisme assimile donc Jésus à la schekinah, elle qui se trouve au milieu de deux ou trois personnes assemblées pour étudier la torah, qui résidait dans le temple de Jérusalem. Il ne s’agit donc pas d’un « polythéisme », sauf pour les naïfs qui disent qu’il y a 3 dieux, etc… Dieu est Un pour le christianisme comme pour le judaïsme. Toute la question est de savoir que veut dire « purement » monothéiste. Si ça veut dire que Dieu est dans les cieux et que la vie des hommes ne le concerne pas, le christianisme n’est pas « purement monothéiste ». Si ça veut dire que Dieu intervient dans l’histoire des hommes et que nous devrons rendre des compte de nos actions et de tout ce que nous avons fait contre sa volonté d’amour (manifestée dans la révélation de sa Torah) pour tous les hommes… pas seulement les juifs, alors oui Dieu est UN et unique, principe d’unification par l’amour.
Le point de désaccord entre juifs et chrétiens ne me semble pas là mais dans la reconnaissance ou non de Jésus comme accomplissement des Ecritures, préexistant en Dieu avant la création du monde, messie, etc… et qu’il doit revenir.
Qu’est-ce que cela a changé dans le monde depuis 20 siècles?
Sous l’influence d’une forme de judaïsme ‘oubliée’ qui est devenu ce qu’on a appelé le « christianisme », le monde a abandonné le paganisme, le polythéisme, ses peurs religieuses ancestrales (qu’on retrouve encore en Afrique !), construit la civilisation du capitalisme créant de la richesse pour le bien commun, protégé les faibles grâce aux droits de l’homme, construit des sociétés où la protection de l’innocent, interdit l’esclavage, la polygamie… etc… l’Islam a bien sur participé de ce mouvement sur un certain nombre de points et nos frères juifs bien sûr. Malgré les guerres, la bêtise religieuse, les idoles, etc… bref, grâce aux torot orales juive et chrétienne, aux sages et aux justes de toutes les religions et croyances.
D’où viennent les erreurs théologiques du christianisme selon moi ? D’avoir oublié qu’il est une forme du judaïsme, d’avoir perdu le contact avec Israël et les sources juives.
La parole de Yeshayahou Lebowitz me semble lumineuse : « nous ne naissons ni dans le judaïsme ni dans le christianisme ; nous naissons dans l’humanité ».
Concernant les habitants non-juifs (goïm) de la Terre d’Israël
Pourquoi parler de chasser qui que ce soit ? est ce que les millions d’arabes israéliens sont chassés par qui que ce soit ? Sais tu qu’ils ont exactement les mêmes droits que les juifs ici ? Même financement d’écoles, même allocations familiales etc…
La Torah nous dit de ne pas laisser de peuple idolâtre sur cette terre. Il est clair que les musulmans ne le sont pas. Rien n’empêche des musulmans d’habiter en Israël et d’acheter n’importe quel bien. Aucune loi ne les en empêchera.
Tu parles d’une partie de la population…mais cette population trinque à cause de leurs frères qui préfèrent haïr Israël pour toujours. Le Hamas a été élu à Gaza! La majorité des gens ont voté pour un parti vouant à la destruction d’Israël
Ces images ne sont pas neutres
http://www.dailymotion.com/video/xdd3ve_l-islam-au-grand-jour_news/
Cela existe et 3 de mes amis sont décédés suite à des attentats commis par ces gens là. Le plus agé avait 21 ans ! Il est donc clair qu’Israel est devenu parano. Les routes étaient ouvertes autrefois… Le mur n’a été imaginé que depuis la série d’attentats sanglants.
Sur la violence
Tu as raison mais Dieu ne demande pas de croiser les bras et de prier en se laissant massacrer. C’est impossible ! Les checkpoints sont indispensables , absolument indispensables et tout ceci peut s’arrêter le jour où un héros musulman pourra demander à son peuple qu’il faut tourner la page et désormais accepter de vivre avec ses voisins juifs.
Cela n’arrivera sans doute pas… Si c’était le cas, un autre ennemi du peuple juif réapparaitra. Il ne peut pas y avoir de pause dans ces conflits avant la venue du Messie.
DL : Tu as raison de dire qu’un monde sans violence est une illusion, que le shalom appartient à Dieu au final et que nous attendons la libération du Messie qui vient. Mais d’ici là nous sommes bien responsable de la paix sur cette terre.
Je crois justement que ce que nous enseigne la Torah, elle nous éduque, c’est à construire le shalom avec nos simples moyens humains… fut-ce au péril de notre vie.
Concernant la liberté des chrétiens ou des musulmans en territoire israélien, celle-ci ne porte pas à discussion puisqu’elle existe avec évidence. Mon problème concerne ce que j’ai vu dans les territoires : il s’agit d’une asphyxie programmée de ceux qui y vivent pour les réduire au néant. Je dis simplement qu’on ne peut pas justifier cela à cause de la Torah « la Torah n’a été donnée que pour faire la paix dans le monde ». Je suis d’accord avec Yeshayahou Leibowitz quant il dit que : « l’occupation détruit la moralité du conquérant » que l’occupation est « une opération de conquête par la violence»… Que la constitution d’un Etat palestinien contrôlé (armement) avec un gouvernement fort qui puisse combattre le terrorisme est le seul gage de la sécurité d’Israël et que la situation actuelle est la plus sûre manière pour qu’Israël se fasse chasser de son patrimoine légitime. Faisons déjà ça, c’est de notre responsabilité aux juifs, aux musulmans et aux chrétiens.
Sur la Terre d’Israël
Enfin, pour revenir sur notre sujet il ne me semble pas que la terre d’Israël soit un absolu comme l’Eternel. C’est toute la terre et les cieux qui sont à Dieu selon Gn 1,1 « berechit bara elhoim vehet aaretz et ashamaim ». Comme le dit mon ami Hervé Elie Bokoza dans son excellent Israël-Palestine, la paix à la lumière de la Torah citant R. Menahem b. Salomon le Méiri (1249-1306) :« Chaque endroit où résident la sagesse et la crainte de Dieu est comparable à la terre d’Israël. Selon la parole de nos maîtres : « celui qui réside à Babylone est considéré comme s’il vivait en terre d’Israël ». En effet, tout ce qui a été dit sur l’importance de vivre en Terre sainte vient du fait que sa nature nous dispose à la sanctification, alors que les difficultés et les souffrances de la vie font que, en dehors d’elle, notre disposition à la sagesse et à la crainte de Dieu est plus difficile. C’est pourquoi, s’il existe un lieu sanctifié pour la sagesse et la crainte de Dieu, comme c’était le cas à Babylone, il doit être considéré au même titre que la terre d’Israël » (Beth habe’hirah) Beaucoup aimé ta citation du Talmud sur ton blog. Effectivement, c’est la raison pour laquelle le peuple juif s’est formé dans le désert… Au lieu de se concentrer sur des acquisitions matérielles (Terre et richesses), ils ne devaient que se concentrer sur leur formation spirituelle.
Qu’en penses tu?
Je suis heureux de notre discussion. Amitiés. Didier.