Le témoignage d’ Aimé Pallière (1868-1949), publié sous le titre « Le sanctuaire inconnu » en 1926, est crucial pour celui qui s’intéresse plus que superficiellement aux rapports entre judaïsme et christianisme et plus largement pour reprendre le titre d’un livre du rabbin Elia Benamozegh, le maître livournais de Pallière, aux rapports d’ « Israël et l’Humanité ». Ce témoignage incandescent, sorte d’ « histoire d’une âme » hors du commun vaut par sa sincérité, celle d’un chrétien qui en s’approchant du judaïsme découvrit le noachisme. Nous en publions ici quelques passages.
La rencontre d’Augustin Lémann
Pallière raconte son enseignement de la Bible par deux frères, devenus prêtres lyonnais, juifs convertis au christianisme. Augustin Lémann était professeur d’Ecriture Sainte et d’hébreu aux Facultés catholiques de Lyon :
« Nous traduisions les Psaumes des montées Schirê hamma’aloth et je crois bien que de ces montées-là nous ne sommes jamais redescendus. Cependant le professeur interrompit une fois cette étude, peut-être tout spécialement à mon intention. Ce fut pour traduire le VIIè chapitre d’Isaïe. On sait que ce chapitre contient un verset sur lequel s’édifie le dogme catholique de l’enfantement virginal du Messie : «C’est pourquoi le Seigneur Lui-même vous donnera un signe. Voici : la ‘alma’ concevra et enfantera un fils et elle l’appellera ‘Immanou-El’, Dieu avec nous». Les chrétiens voient dans ce passage une prophétie relative à la Vierge Marie et pour qu’il ait toute sa force, on comprend qu’ils s’appliquent à démontrer que le mot ‘alma’ signifie vierge et pas autre chose. Le fait qu’il y a en hébreu un autre mot, ‘betoula’, qui a cette signification-là sans contestation possible, ne les arrête nullement et M. Lémann étudia successivement avec nous les cinq ou six passages bibliques où ce mot ‘alma’ se trouve employé. Parmi ces versets, il en est au moins un qui semble fournir une démonstration absolument contraire à celle que nous recherchions, mais je vis, pour la première fois, que les théologiens se soucient peu de l’évidence, quand il s’agit d’une aussi glorieuse vérité que la virginité de Marie. M. Lémann avait bâti patiemment sur cette question-là un monument de subtilités, du haut duquel il triomphait, souriant derrière ses lunettes. Outre que ce point d’exégèse me paraissait assez choquant, j’étais déconcerté de voir que l’édifice doctrinal de la véritable Eglise était lié à un problème de ce genre et reposait en somme sur une base aussi fragile : l’interprétation douteuse d’un mot hébreu. Je le fus bien davantage quand, ayant relu tout le chapitre, je constatai, en m’aidant du contexte, qu’il s’agit manifestement pour le prophète d’un événement contemporain et non de l’époque messianique. Je me mis alors à étudier les autres textes prophétiques le plus souvent allégués à l’appui du dogme catholique : l’allusion au sceptre de Juda dans la bénédiction de Jacob mourant, la prophétie des soixante-dix semaines dans Daniel, la description de l’Homme de Douleur dans le LIIIè chapitre d’Isaïe, les célèbres versets du psaume XXII à propos desquels on accuse de faux les Massorètes, enfin les différents passages cités par l’évangéliste saint Matthieu en ces termes : «Ceci arriva afin que s’accomplit ce qui avait été annoncé par les prophètes…» Il m’apparut clairement que le sens donné à ces différents textes est forcé, arbitraire, tout conventionnel. Lus en français, ils avaient encore parfois à mes yeux une vague tournure catholique, mais en hébreu, ils ne signifiaient plus rien du tout, ou du moins ils signifiaient tout autre chose.
Le résultat le plus clair de ce travail d’exégèse fut de m’amener à reconnaître que les Juifs avaient parfaitement raison de ne point embrasser le christianisme sur la production de preuves scripturaires aussi inconsistantes. Mes croyances chrétiennes concernant l’avènement du Messie en la personne de Jésus, avènement annoncé dans tous ses détails, me disait-on, par les prophètes hébreux, reçurent ainsi un coup décisif dont elles ne devaient plus se relever. Ce changement s’opéra en moi sans que j’eusse à soutenir une de ces luttes qui accompagnent généralement les crises d’âme. Je n’avais nullement l’impression que je perdais ma foi, mais au contraire que celle-ci s’épurait et devenait plus conforme à la religion qui fut historiquement celle de Jésus.»
L’hébreu
Je veux cependant livrer à mes lecteurs et amis inconnus un grand secret et je leur laisse le soin d’en tirer eux-mêmes la leçon qui s’en dégage. Dans cet attrait que le judaïsme avait pour moi, je crois pouvoir leur indiquer, sinon la cause initiale, du moins l’instrument qui en prolongea la durée et rendit possibles les changements que devait subir ensuite ma foi religieuse. C’est l’hébreu.
Oui, à cette époque de ma vie, la doctrine juive m’était encore trop peu connue pour pouvoir déterminer en moi une conviction bien profonde. Ce que j’en avais appris me venait uniquement par le canal de l’Ancien Testament et là, l’influence de l’Eglise qui me l’avait enseigné en imprimant à toute l’histoire du peuple juif son interprétation figurative de l’avènement messianique, s’imposait toujours à mon esprit, malgré les points de détail sur lesquels je m’étais exercé à la critique. Je puis donc supposer que, ma curiosité religieuse une fois satisfaite, mes rapports avec la Synagogue n’auraient eu aucune suite sérieuse. Je me serais lassé d’assister à des offices où le manque de tenue contrastait fâcheusement avec mes habitudes d’enfance. Encouragé par mes maîtres, j’aurais fini par entrer au séminaire, pour lequel ma vocation s’était dessinée de bonne heure, ou bien, si j’avais renoncé à la prêtrise, je serais aujourd’hui notaire dans quelque commune du Lyonnais, catholique plus ou moins tiède comme tant d’autres, gardant une respectueuse déférence pour les commandements de l’Eglise et donnant ma voix aux élections au candidat conservateur contre le représentant des idées avancées. Mais l’hébreu était là. L’hébreu exerçait sur moi une sorte de fascination et ce fut lui qui décida tout. D’autres que moi ont connu ce charme indéfinissable que possède la langue de la Bible ; comme moi ils ont senti le parfum mystique qu’exhalent ces textes vénérables, semblables à l’arôme subtil des fleurs desséchées entre les feuillets des vieux livres. Sous les syllabes hébraïques à la cadence sonore quelque chose de l’âme d’Israël arrivait jusqu’à moi.
Un passage biblique, un lambeau de prière du rituel que je parvenais à traduire me parlaient du judaïsme d’une manière bien plus pénétrante et plus dangereuse pour ma foi native que tous les propos savants qu’aurait pu me tenir, avec les meilleurs intentions du monde, un israélite instruit et convaincu. Quand j’ouvrais mon psautier, les mots avait pour moi un sens, une valeur d’émotion religieuse que je ne retrouvais plus ni en français, ni en latin.
La liturgie juive familiale
Simon Levy accueille Pallière à Nice.
Ce fut Simon Lévy qui me révéla la beauté de la liturgie juive et qui me fit comprendre aussi le caractère familial si particulier du culte d’Israël. En effet la demeure de ce pieux hazan, où je fus bientôt introduit, était un véritable sanctuaire tout embaumé du parfum des observances journalières. Il y accomplissait, avec la majesté d’un patriarche antique, selon le rythme si évocateur de l’année israélite, tous les rites domestiques. Quand, après le kiddouche du vendredi soir et des fêtes, il donnait, avec sa piété si expressive, la bénédiction à ses enfants et petits-enfants qui l’entouraient d’un culte touchant, il m’apparaissait comme un rabbin des anciens âges évoquant à mes yeux toute la foi, toute la ferveur des générations disparues. J’étais destiné à entrer quelques années plus tard dans l’intimité de cette chère demeure et Simon Lévy, qui m’avait accueilli dès l’abord avec une si franche amitié, finit par me considérer comme un de ses fils ; il me bénissait avec la même tendresse et je regarde comme une insigne faveur de la providence d’avoir pu jouir longtemps des bienfaits de ces relations si religieuses et si douces. Grâce à lui, j’ai pu connaître et comprendre tous les charmes de la vraie vie juive telle qu’elle était vécue jadis. Je l’entendais rappeler jour après jour, avec un intérêt sans cesse renaissant, les souvenirs de la piété d’autrefois, et d’avoir connu ce cher et noble vieillard, cela console un peu des tristesses que nous cause le judaïsme moderne devenu dans son ensemble si indifférent à l’influence bénie de la religion des ancêtres. […] Un de ceux qui me témoignèrent le plus de sympathie fut le doyen de la communauté, David Moïse vieillard aimable et cultivé. Apprenant que j’avais l’intention de passer une partie de mes vacances en Italie, il m’engagea vivement à poursuivre mon voyage jusqu’à Livourne où, me dit-il, le grand rabbin Elie Benamozegh serait ravi de me voir et pourrait me diriger très utilement.
Le noachisme religion de l’humanité
Commence alors une longue correspondance et Pallière rapporte les lettres de Benamozegh, celle-ci se terminera deux ans avant la mort du maître de Livourne le 5 février 1900…
« Tout ce que je vous écris là, je vous le dis au point de vue général et de façon purement théorique. Pratiquement en effet, je me hâte de le déclarer, cela n’a aucune application dans votre cas particulier pour ce qui est du devoir que vous croyez avoir de vous convertir au judaïsme dans le sens que vous entendez. Certes, si vous vous sentez, de façon impérieuse, poussé à le faire, si vous l’exigez absolument, parce que sans cela la paix de votre âme est impossible, alors sans doute, je serai le premier à vous dire, comme d’ailleurs le Talmud nous y oblige à l’égard de quiconque réclame ce droit, car c’est un droit, d’entrer dans la Synagogue : Si vous voulez à tout prix qu’il en soit ainsi, si aucun argument dans le sens contraire ne vous arrête, alors soyez le bienvenu au nom de Dieu. Benedictus qui venit in nomine Domini. Mais sachez-le bien, lisez cette parole, méditez-la, relisez-la encore, méditez-la encore, car elle contient pour vous le nœud de toute la question religieuse : pour être dans la vérité, dans la grâce de notre Dieu, pour appartenir à la vraie religion et, que vous dirai-je de plus ? pour être notre frère comme vous voulez l’être, vous n’avez nul besoin d’embrasser le judaïsme de la manière que vous croyez, je veux dire de vous soumettre au joug de notre Loi. Nous, Juifs, nous avons nous-mêmes en dépôt la religion destinée au genre humain tout entier, la seule religion à laquelle les Gentils soient assujettis et par laquelle sont sauvés et vraiment dans la grâce de Dieu, comme l’ont été nos Patriarches avant la Loi. Pouvez-vous supposer que la vraie religion, celle que Dieu destine à toute l’humanité date seulement de Moïse et porte l’empreinte d’un peuple spécial ? Quelle contradiction ! Apprenez que le plan de Dieu est plus vaste. La religion de l’humanité n’est autre que le noachisme, non qu’elle ait été instituée par Noé, mais parce qu’elle remonte à l’alliance faite par Dieu avec l’humanité en la personne de ce juste. Voilà la religion conservée par Israël pour être transmise aux gentils. […] J’ai dit que vous êtes libre de vous faire prêtre – c’est-à-dire juif – ou de rester noachide c’est-à-dire laïque. Mais sachez que restant laïque; vous seriez, comme noachide, libre – et l’Israélite, lui, ne l’est pas – de prendre dans la loi juive, dans le mosaïsme, tout ce qui convient en fait de préceptes à votre piété personnelle, mais cela comme dévotion volontaire, comme oeuvre surérogatoire, et non pas comme une obligation, tandis que le juif, lui, n’a point la liberté de faire un choix ; il est soumis à toute la Loi. »
« Retenez bien ceci : vous seriez dans l’erreur, à votre tour, vous rétrograderiez, si vous vous convertissiez au judaïsme dans l’idée d’embrasser l’unique religion véritable destinée à l’humanité tout entière. Une telle conversion pour vous ne serait possible, je ne dis pas souhaitable, que si vous prenez le judaïsme pour ce qu’il est, c’est-à-dire en le considérant comme un sacerdoce qui suppose tout naturellement un autre aspect de la même religion, une autre loi, si vous voulez, appelez-la christianisme ou noachisme à votre gré. Vous y pouvez demeurer dans ce christianisme, à la condition bien entendu qu’il soit revu et corrigé par le sacerdoce israélite. »
« Une conclusion s’impose à nous : le catholicisme de votre naissance répond-il à l’idéal que nous venons d’exposer? Avec la franchise d’un honnête homme, sans l’ombre d’un préjugé de race ou de religion, mais au contraire avec toute la sympathie que j’ai toujours eue, et on me l’a reprochée, pour le christianisme en général et le catholicisme en particulier, avec Maïmonide et Juda Halévi, nos docteurs, qui voient dans le christianisme actuel le précurseur du messianisme futur, je vous réponds : oui et non à la fois. Oui, en tant qu’il est d’accord avec l’immuable vérité qu’il a combattue, tout en prétendant lui-même, par une singulière contradiction, à l’immutabilité et notamment en ce qui concerne la croyance à la Tradition en général, qui est propre au catholicisme. Non, en tant qu’il s’écarte de la doctrine professée par le magistère que Dieu même a établi, depuis le Pentateuque jusqu’à la fin du prophétisme et ses derniers échos avec Malachie. »
Le disciple de Benamozegh
Pallière fait rapporte plusieurs fois ses relations avec Benamozegh
« Benamozegh m’avait fait savoir qu’il viendrait lui-même me trouver à l’Albergo del Giappone où j’étais descendu. Je dois avouer que je fus surpris et même déçu quand il arriva. Je n’avais plus devant moi le rabbin kabbaliste en taled écoutant, recueilli, les notes stridentes du chôfar, mais un petit vieillard à la démarche hésitante, à la mise négligée, qui se présentait humblement, sans aucun prestige et sans même interrompre, semblait-il, le cours de ses méditations, car son regard demeurait fixé sur quelque point de concentration intérieure. Je venais de voir Léon XIII et l’on comprendra que le contraste ne pouvait manquer de m’apparaître saisissant.»
« Je ne puis reproduire ici la suite de cet entretien qui dura plusieurs heures. Elle n’intéresse pas directement le sujet de ce récit. J’eus la conviction en écoutant Benamozegh que j’étais en présence d’un homme de Dieu, éclairé, pour employer le langage catholique, de lumières surnaturelles »
« En prononçant ces paroles, le maître tenait pour la première fois les yeux fixés sur moi et son regard avait une expression particulière qui me frappa. Il semblait me dire : Si vous ne me comprenez pas ou si vous me comprenez mal, vous allez laisser échapper l’occasion décisive qui ne se retrouvera plus, tandis que si vous marchez dans la voie que j’ouvre devant vous, vous serez l’homme que j’attendais.
Et il n’est que trop certain, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, que mon esprit façonné par la discipline dogmatique du catholicisme, avait de la peine à saisir dans son ampleur la doctrine juive que m’exposait Elie Benamozegh. Mais comment s’étonner de cette difficulté que j’éprouvais à voir dans le judaïsme autre chose qu’une religion constituée sur le même modèle que les autres, lorsque je constate que tant d’israélites de naissance se méprennent non moins gravement sur la nature de leur héritage spirituel, sur les rapports du particularisme et de l’universalisme au sein du judaïsme, sur la position respective des grandes religions, en un mot sur tout l’ensemble du plan divin ? »
« L’entretien terminé, je reconduisis Benamozegh pendant quelques instants dans les rues de Livourne, puis il me pria de le laisser. Je le suivis des yeux ; il s’éloignait à petits pas, absorbé dans ses réflexions qu’il accompagnait de gestes involontaires, salué respectueusement par quelques passants et regardé avec curiosité par les autres que surprenait l’étrangeté de son allure. Ce fut, non ma dernière visite, mais notre unique entrevue. »
« Et maintenant, je vais dire une chose qui n’aura sa plénitude de sens que pour un très petit nombre de mes lecteurs, pour ceux-là seulement qui croient à l’existence des forces invisibles, à l’exaucement de la prière, aux influences mystérieuses, profondes et décisives, qui nous viennent du monde dans lequel sont entrés ceux que nous appelons les morts, mais qui sont infiniment plus vivants que nous : c’est à partir de ce moment-là que j’ai compris Elie Benamozegh et la doctrine qu’il m’avait exposée. C’est à dater de cette heure que je me suis vraiment senti son disciple. »
Judaïsme, Christianisme, Islam
Ici se termine mon récit. La suite ne serait plus l’histoire du Sanctuaire inconnu, mais celle des serviteurs du Sanctuaire. Je veux dire qu’après avoir retracé mes étapes personnelles vers le judaïsme, il me faudrait exposer maintenant comment j’ai vu les juifs le comprendre et le vivre. Ce serait là le sujet d’un autre récit qui aurait aussi son intérêt. Peut-être l’écrirai-je un jour, mais l’heure pour cela n’est pas venue. Si l’on attend de moi, comme conclusion, une profession de foi, j’ajouterai seulement ceci :
Au sein du peuple juif, l’action de l’esprit de Dieu, difficile, laborieuse, mais incessante, a abouti à ce phénomène historique, unique dans les annales religieuses de l’humanité, le prophétisme, qui est le grand miracle de l’histoire d’Israël et comme la fleur magnifique dans laquelle s’est épanoui son génie national. Chez les prophètes, le développement de la pensée religieuse a atteint son point culminant. Adonaï, Dieu d’Israël, s’est révélé à eux comme le Dieu unique, père de tous les hommes. L’humanité étant alors conçue comme une grande famille, la foi juive a fini par briser tous les cadres nationaux ou, pour mieux dire, en les respectant, elle les surmonte et les dépasse ; elle ne connaît plus aucune limite, ni dans le temps, ni dans l’espace ; elle résume et condense dans l’espérance messianique ses plus hautes, ses plus universelles aspirations. Mais ce n’est pas seulement par son étendue que la foi juive se place au premier rang des croyances religieuses de l’humanité, c’est par son essence même et sa profondeur. Adonaï se révélant comme le Dieu de sainteté, c’est dans l’intimité même de la conscience que la religion trouve désormais sa plus pure, sa plus complète expression. Tous les éléments de moralité épars dans les autres cultes s’y trouvent réunis comme en un faisceau. «Soyez saints, car Je suis saint, moi, Adonaï» : ce précepte, qui résume tous les autres, est en même temps pour le judaïsme une croyance et une règle de vie. Sans nier la valeur et l’influence des autres religions, je crois donc qu’il est facile de démontrer que celle d’Israël occupe dans l’histoire de l’humanité une place à part, qu’entre elle et les autres, il n’y a pas seulement une différence de degré, mais une véritable différence spécifique. En raisonnant ainsi, je ne sépare point d’ailleurs le judaïsme de ses deux grands rameaux, le christianisme et l’islamisme, qui se sont répandus sur le monde apportant partout la connaissance du Dieu unique, du Dieu de Moïse et des Prophètes, et dans lesquels les théologiens de la Synagogue nous montrent deux puissants moyens dont la Providence divine s’est servie pour porter aux nations païennes les bienfaits de la révélation hébraïque et pour préparer l’avènement des temps messianiques.
II me semble que deux faits s’imposent à notre attention : c’est, d’abord, que toutes les vérités divines dont vivent les âmes au sein du christianisme et de l’islamisme sont des vérités juives, si bien que l’on n’en pourrait pas citer une seule que le judaïsme ne possède et qui ne lui ait été empruntée. Que certaines de ces vérités aient été mieux compriseset mises plus complètement en valeur dans le christianisme que chez le peuple juif dans son ensemble, c’est cequ’il m’a été donné de constater, mais c’est là une autre question. En second lieu, il n’est pas douteux que les deuxgrandes religions, filles de l’hébraïsme, ont méconnu plusieurs vérités juives importantes et en ont accepté d’autres qu’elles ont recouvertes d’additions de provenance étrangère, constituant une altération et non pas un enrichissement. […]
L’Humanité ne peut remonter aux principes essentiels sur lesquels doit reposer la société humaine sans rencontrer Israël…
A ceux de mes frères chrétiens qui liront ces pages j’adresse donc, en terminant, cet appel : Vous qui ne connaissez que le corps du judaïsme et qui, pour parler comme le philosophe Renouvier, le trouvez indigne, avez-vous jamais cherché à pénétrer son âme ? La seule pensée qu’elle a palpité dans l’âme de Jésus devrait vous inspirer le désir de la connaître. II y brille une lumière capable d’éclairer singulièrement les destinées du christianisme et d’apporter la solution à bien des questions que vous vous posez.
A mes frères israélites, je dirai d’autre part : L’Eglise, cette autre vivante énigme, a l’habitude de représenter la Synagogue, le rouleau sacré à la main et un bandeau sur les yeux. Il y a une large part de vérité dans cette image, non point dans le sens qui lui est donné par la théologie, mais dans celui que nous révèlent à la fois l’histoire juive et le présent état du judaïsme. Vous possédez des trésors que vous ne connaissez pas ou que vous ne savez pas utiliser, et, non contents de laisser improductif votre patrimoine spirituel, vous fermez les yeux, parfois volontairement, sur l’action du doigt de Dieu en Israël. Quand donc deviendrez-vous les ouvriers conscients de l’oeuvre que le Dieu de vos pères a voulu par vous accomplir dans le monde ?
Elie Benamozegh, dans le titre de son grand ouvrage, a résumé toute l’histoire universelle envisagée au point de vue divin : L’Humanité ne peut remonter aux principes essentiels sur lesquels doit reposer la société humaine sans rencontrer Israël. Israël, de son côté, ne peut approfondir sa propre tradition nationale et religieuse sans rencontrer l’Humanité.
Merci Didier,
Votre blog m’aide beaucoup
Salutations de Israel,
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