Le commentaire de la Paracha de ce jour par le Rav Harboun, de mémoire, j’ai gardé les commentaires de l’assemblée.
Rembrandt, La fiancée juive (probablement Rebecca et Eliézer),
Amsterdam, Rijksmuseum, photo Didier Long
» Notre Paracha est titrée ‘Hayé Sarah, « la vie de Sarah » ou plutôt « les vies » car en hébreu la vie est toujours au pluriel, une plénitude de vie. Et très curieusement ce que nous raconte cette péricope, ce n’est pas la vie de Sarah mais sa mort et pas seulement la sienne mais aussi à la fin de la paracha on apprend la mort d’Abraham.
Qu’est-ce qu’une vie réussie ?
Ce que nous enseigne d’abord la Torah ici c’est le rapport intime qui est noué entre la mort et la vie dans le judaïsme. Le judaïsme est art de vivre dans le temps, d’accepter le temps.
Qu’est-ce qu’une vie (haïm) juive ? Dès le début la Torah nous dit Vayéiou ‘Hayé Sarah : « Et les jours de Sarah furent » puis « cent ans, vingt ans et sept ans (127 ans), Shanei ‘Hayé Sarah : « c’était les années de la vie Sarah ». Les jours de la vie de Sarah sont des années et non l’inverse (le mot shana est répété quatre fois parce qu’en vieillissant on peut devenir dur d’oreille !). Pourquoi ? Parceque chacun de ces jours est une plénitude de vie. Et la Torah dit de la même manière plus loin à propos d’Abraham qui arrive à la fin de sa vie: veélé iomeï sheneï haïé avraham asher ‘hai, « Et ceux-ci sont les jours des années de la vie d’Abraham ».
Par contre la Torah qui ne parle jamais pour ne rien dire, nous dit : Shené ‘hayé Ishmaël : « Et ce sont les années de la vie d’Ishmaël ». En clair : on compte la vie d’Ismaël en années par contre celle de Sarah ou Abraham se compte en jours.
Une vie juive c’est une vie qui maîtrise le temps pour lui imprimer sa plénitude et non pas l’inverse : une vie qui « passe le temps », qui est maîtrisée par le temps. Par les bénédictions et les misvoth je prends conscience du temps, je donne à chaque instant et à chaque jour sa plénitude. Le juif c’est celui qui choisit volontairement de prendre attention au temps et non pas de le subir, la vie n’est pas un passe-temps une réalité dont nous devrions nous distraire mais un espace de liberté, de décision pour ou contre Dieu et sa Torah. Ainsi je deviens acteur et non plus spectateur de ma propre vie, ce n’est plus le temps qui a prise sur moi mais moi qui m’approprie ma liberté. Il y a deux manières de vivre: en idolâtre, c’est à dire celui qui est fasciné par l’idole, le spectacle miroitant, qui passe son temps à rêver dans le monde des idées; où alors en s’investissant de manièer consciente dans ce monde devant D.ieu. La vie juive est donc une vie consciente, volontaire et libre qui assume le temps au lieu de le subir.
Choisir entre l’idolâtrie et la perversion
On assiste ensuite à un véritable conte qui nous rapporte comment Abraham avancé en âge envoie son serviteur Eliezer pour trouver une femme à Isaac. Mais c’est là qu’on est très étonné. Car il fait jurer à son serviteur par le D.ieu du ciel et de la terre de na pas prendre une femme en Canaan. Eliézer doit donc se rendre dans la maison de son père, ce pays d’où il est sorti. Abraham c’est un monsieur qui est toujours la tête dans les étoiles, dans les cieux, il a tout quitté pour D.ieu dont il est le premier croyant. Comment cet homme-là peut-il envoyer son plus haut serviteur, vers ce qu’il a définitivement abandonné ? chez des idolâtres ! Chez Laban !
On sait par Rachi (dans son commentaire de Vayichlah) qui est Laban, le frère de Rebecca, fils de Bethouel. Lorsque Jacob va rencontrer Esaü il dit : « Ainsi parle ton serviteur Jacob, avec Laban j’ai séjourné (garti) » (Gn 32, 5) … et Rachi explique que les lettres du mot GaRTI on la valeur numérique de 613. « c’est-à-dire, avec Laban j’ai séjourné, mais j’ai gardé les 613 commandements et je n’ai pas appris de ses mauvaises actions ». Envoyer son serviteur chercher une fille de Laban pour Isaac c’est choisir pour lui une fille d’idolâtre.
Qui étaient les cananéens de leur côté ? Des gens qui offraient leurs filles aux dieux baal et Moloch. Des menteurs, des voleurs, des assassins à jet continu du matin au soir. S’il ne pleuvait pas on tuait une malheureuse enfant pour satisfaire de soi-disant dieux.
De deux maux, entre les pervers et les idolâtres, entre le cananéen et l’araméen, Abraham choisit donc le moindre !
Car l’idolâtrie se situe simplement au niveau de la raison, on peut revenir de l’idolâtrie par un raisonnement, en comprenant. Par contre, le pervers, c’est quelqu’un dont la conduite est ancrée dans une pratique régulière depuis très longtemps et qui a donc un très lourd héritage psychique des habitudes parfois impossibles à changer. Abraham choisit donc Laban qui ne corrompra pas son fils ni son petit-fils Jacob.
La générosité de Rebecca
On connaît la suite de l’histoire, Eliézer le serviteur voit Rebecca qui était « très belle à goût voir, vierge ». L’homme la regarde « avec stupéfaction ». Et Rebecca répond au portrait-robot qu’a dressé Abraham. Masi après tout quoi de surprenant c’est la règle de l’hospitalité du désert de donner à boire à un homme au bord du puits… Alors comment Eliézer reconnait que Rebecca est la jeune fille promise à Isaac ? Car non seulement elle lui donne de l’eau à boire avec sa cruche mais elle répond au portrait-robot dressé par Abraham : « Si elle dit : bois et je ferai aussi boire tes chameaux, c’est elle ! ». Elle est généreuse avec les bêtes. C’est une femme généreuse et c’est cette générosité qui la désigne. par ce geste le serviteur sait que « par elle je saurai que tu as montré de la bonté (« hesed) envers mon maître » (24, 14)
Rembrandt, La fiancée juive (probablement Rebecca et Eliézer),
Amsterdam, Rijksmuseum, photo Didier Long
Celui qui est bon avec les hommes et les bêtes est un être généreux. D’ailleurs le Shoulan Haroukh commande que si une bête se réfugie chez vous, vous ne pouvez pas la chasser. Vous devez la nourrir. Figurez-vous que c’est ce qui m’est arrivé… un chat s’est réfugié chez moi et je l’ai gardé 15 ans. Vous ne pouvez savoir comment j’ai pleuré comme il est mort !
[Éclats de rire dans l’assistance ! un certain Fabrice M. lance : « C’EST LE CHAT DU RABBIN !!! », et tous se gaussent : « Il portait la kippa ? » ; un autre : « Le chat avait lu le Shoulan Aroukh ! » ; « De la bonne viande casher » … etc… avant que l’ambiance ne revienne à l’étude, NdS*].
Vous riez mais c’est ce que prescrit la Torah !
Rachi dit de ces années de la vie de Sarah « Toutes étaient égales pour le bien ». On peut noter que ce qui caractérise Abraham –on l’apprend par la bouche de son serviteur Eliézer–c’est sa générosité, il « avait donné tout ce qu’il avait à Isaac » (Gn 24, 36), et la Torah le répète à la fin de la paracha (25, 5). Ce qui a rempli sa vie, c’est cette générosité, celle de Sarah, qu’il a voulu pour la femme de son fils unique. »
* NDS : Note du Scribe
NB : Je dois dire que j’ai moi-même recueilli un chat qui mange casher, s’arrête de travailler à Shabbat… (photo)… là, Fabrice, j’ai un doute…
