Vaye’hi : La bénédiction d’Israël

Voici le commentaire de la Sidra du Rav Haïm Harboun que j’ai développé à partir de ses indications, une partie s’appuie sur le commentaire de Jacob Ouanounou (parties : Les dix-huit bénédictions, Les bénédictions de D.ieu dans l’histoire)

Chagall, moi et mon village 1911
Marc Chagall, « Moi et mon village » (shtetel) 1911. Mrs Simon Guggenheim Fund, Museum of Modern Art, NYC. Photo DL Cette peinture me semble une bonne allégorie de la Parasha, l’histoire d’un juif en diaspora (Vitebsk, Biélorussie) qui devra s’exiler.


JACOB , UNE VIE COMBLEE DE JOURS

Une vie réussie ?

Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Voilà la question que se posent nombre de nos contemporains. Et les livres de bien-être, de réussite personnelle, fleurissent sur les étagères des libraires et les chaînes de télévision à mesure que grandit la perte de l’estime de soi qu’engendre inévitablement une société où il faut être une « super woman », un « self made man », une sorte de héros à jet continu… hors toute vie s’affronte à la réalité du désir humain : toutes nos plus grandes réalisations dans tous les domaines sont limitées. Limitées dans l’espace (Aussi grandes que soient les pyramides construites en Egypte par nos ancêtres ce ne sont que de vieux tombeaux ! ), mais surtout limitées dans le temps nous dit la Torah : quoi qu’il en soit nous ne pouvons vivre que de manière limité cent vingt ans tout au plus, cent quarante-sept ans pour une vie comblée de jours : Jacob vécut dans le pays d’Égypte dix-sept ans; la durée de la vie de Jacob fut donc de cent quarante-sept années. (Gn 47, 28). Une limite naturelle donc, que l’homme des Nations dans ses rêves les plus fous et les plus ‘religieux’ a parfois sublimé en une vie après la mort… qui n’est souvent que l’envers de son désir frustré ; mais la trajectoire humaine la plus commune est le plus souvent l’accumulation de richesses et d’hommages, un mode de vie des Nations dont se moque le psaume 49 :

Ecoutez ceci, vous toutes, ô nations, soyez attentifs, vous tous, habitants du globe,… Pensent-ils donc vivre toujours, ne pas voir la tombe?… Ils remarquent pourtant que les sages meurent, tout comme périssent le fou et le sot, en laissant leurs biens à d’autres. Ils s’imaginent que leurs maisons vont durer éternellement, leurs demeures de génération en génération, qu’ils attacheront leurs noms à leurs domaines. Or les hommes ne se perpétuent pas dans leur splendeur; semblables aux animaux, ils ont une fin. Cette attitude chez eux est pure folie: qu’ils puissent, de leur bouche, se déclarer satisfaits de l’avenir… Comme un troupeau parqué pour le Shéol et que la mort mène paître… Ne sois pas alarmé si quelqu’un s’enrichit, et voit s’accroître le luxe de sa maison! Car, quand il mourra, il n’emportera rien; son luxe ne le suivra point [dans la tombe]. Il a beau se dire heureux durant sa vie, s’attirer des hommages par son bien-être: il ira rejoindre la génération de ses pères, qui plus jamais ne verront la lumière. L’homme, au sein du luxe, s’il manque de raison, est pareil aux animaux: sa fin est certaine. (Ps 49, 2-21)

Chacun de nos  pas se dirige inéluctablement vers sa fin et cette limite de temps ne concerne pas que les individus mais aussi les civilisations des Nations : nous marchons sur les ruines des civilisations disparues, seules demeurent la Torah et la survie de l’espérance Israël. Voilà la Réalité.

 

Les jours d’Israël

Hors la Torah ne nous laisse pas dans cette frustration cette névrose qui veut une chose et son contraire à la fois face au temps qui fuit et qui nous tue. Elle nous dit qu’une vie est possible en ce monde malgré le néant de nos petites vies et notre imagination infinie pour nous inventer des petites idoles rassurantes qui nous cachent notre fin :la Paracha qui raconte la mort de Sarah s’appelle ‘Hayé Sarah, « les vies de Sarah », et celle qui raconte la mort de Jacob, Vaye’hi [Yaakov], « [Jacob] vécut ». A travers ces personnages emblématiques c’est chacune et chacun de nous qui est appelé à vivre une vie, certes mortelle, mais aussi, pleine, sensée, comblée de jours et de bénédictions, qui sanctifie le temps de ce monde et ainsi l’arrache au néant.

Comment ? D’abord en acceptant la réalité : Les jours d’Israël approchant de leur terme, il manda son fils Joseph (Gn 47, 29). Quand je dormirai avec mes pères, (Gn 47, 30). Jacob, a conscience de sa limite naturelle qu’il semble avoir accepté. Ensuite, en sanctifiant le temps. Ainsi la vie de Jacob se compte en jours : Les jours d’Israël approchant de leur terme. Comme s’il avait mémorisé chacun des jours de sa vie qui restent présents à sa conscience comme autant de bénédictions.

Rachi, le maître médiéval de Troyes, toujours lucide, commente :  » Ya’aqov vécut Pourquoi ce récit est-il « fermé » [c’est-à-dire non séparé du paragraphe précédent par un alinéa] ? C’est parce qu’il contient le récit de la mort de Ya‘aqov, laquelle a marqué le début de la souffrance de l’esclavage, et donc de la « fermeture » des yeux et des cœurs d’Israël. Autre explication : Ya‘aqov voulait livrer à ses fils le secret de la fin des temps (voir Rachi infra 49, 1), mais sa vision a été « fermée » (Beréchith rabba 96, 1). »

Et il interprète ensuite  Les jours d’Israël s’approchèrent de la mort « Lorsque la Tora dit de quelqu’un qu’il « approche de la mort », c’est qu’il n’atteindra pas l’âge de ses pères (Beréchith rabba 96, 3). Yits‘haq a vécu cent quatre-vingts ans, et Ya‘aqov seulement cent quarante-sept. De même est-il écrit chez David que « ses jours approchaient de mourir » (I Melakhim 2, 1). Or, il n’a vécu que soixante-dix ans, alors que son père en a vécu quatre-vingts. »

Jacob est capable comme David de « compter ses jours ». A l’homme qui s’affronte au temps et à l’histoire qui auront forcément une fin la Torah propose un chemin pour fixer le temps et l’imprimer dans la mémoire : les mitsvoth. En sanctifiant le temps, c’est-à-dire en le particularisant, en prenant conscience ici et maintenant dans le geste que cet instant de vie que cette vie, dont je ne suis que le gérant, vient de l’Eternel. La vie  des Mitsvoth  fixe le temps et l’imprime dans la mémoire. En séparant le temps, je le sanctifie. J’entre alors dans une attitude d’ouverture et de reconnaissance.  La sanctification de l’instant transforme tout le reste du temps :par le shabbat c’est toute ma vie de la semaine qui devient une Bénédiction. Comme nous le verrons bientôt à la fin de cette Parasha, la kedousha rejoint la berakha.

Joseph ordonna aux médecins, ses serviteurs, d’embaumer son père; et les médecins embaumèrent Israël. On y employa quarante jours; car on emploie autant de jours pour ceux qu’on embaume. Les Égyptiens portèrent son deuil soixante-dix jours. Les jours de son deuil écoulés, Joseph parla ainsi aux gens de Pharaon (Gn 50, 2-4)

Ce qui passe est susceptible de revenir. Le deuil, ces jours de pleurs, ne fait que passer, ils reviendront, autrement dit la vie est un cycle. Si on compare ce deuil à celui de la mort de Moïse qui utilise la même expression « ces jours de deuil étant définitivement terminés » on s’aperçoit que celui-ci est plus court : Les enfants d’Israël pleurèrent Moïse, dans les plaines de Moab, trente jours, épuisant complètement le temps des pleurs, le deuil de Moïse.(Dt 34, 8). 30 jours au lieu de 70 jours Pourquoi ? Parce que Moïse n’avait que deux enfants dont la Torah ne parle pas du Tout. En conclusion : La bénédiction de Jacob ce sont ses douze enfants à la base de la formation du peuple d’Israël.

 

Marche devant ma face !

« Que la Divinité dont mes pères, Abraham et Isaac, ont suivi les voies, Italékhou avotaï Léfanav (Gn 48, 15). Il y a là deux notions : celle de la marche Hallakh et devant la face Léfanav. 

Qu’est-ce qu’une vie réussie : C’est une vie qui marche devant D.ieu nous dit cette Paracha.

Il y a en fait deux manières de vivre. L’une qui est de vivre devant ses idoles, de vivre en Egypte devant nos idoles de pouvoir, de réussite matérielle, sociale, intellectuelle, religieuse… des réalités qui sont bien visibles elles mais sont impuissantes à saturer le désir humain car leur consommation le relance au lieu de l’épuiser. Et une autre, qui est de de vivre devant D., un D. que l’on ne voit pas. Marcher devant D. signifie aller de l’avant dans le malheur alors que tout semble perdu, tomber sept fois et se relever huit. Ne pas mettre son espoir dans ce monde mais en Lui. L’idole d’un mot grec eidolon qui signifie « regarder » est brillante, bien visible, elle oublie que c’est D.ieu qui regarde et juge le monde et pas les hommes ni leurs créations. La Torah insiste sur ces yeux de D.ieu. (un anthropomorphisme bien sûr !) : « Fais ce qui est juste et agréable aux yeux du Seigneur, afin d’être heureux » (Dt 6, 18)

Seul le fait de marcher devant D. nous dit la Torah comble le désir humain, fait d’une vie une vie pleine, qui n’est pas laissée au néant.

La Halakah (littéralement : « La marche à suivre ») nous guide sur ce chemin. Elle le balise. Rien n’est écrit, mektoub, (destin en arabe). Cette tradition de jurisprudence orale du Talmud et des responsa des Hakhamim dit les conditions de possibilité de notre liberté mais elle ne l’écrit pas à notre place. Il nous reste à la réaliser !!! avec tous les risques et incertitudes que cela comporte.

La vie du Juif ne peut pas être statique c’est une marche permanente, halakh. On ne s’arrête pas devant Dieu selon l’expression  Léfanav,  devant lui ; Il ne suffit pas de marcher derrière mais d’aller encore plus en avant.

Ce Léfanav est le programme adressé à Abraham par l’Eternel : « l’Eternel apparut à Abram, et lui dit: Je suis le Dieu tout-puissant. Marche devant ma face-  italakh lefanaï, et sois intègre. » ;  le cri de David amélekh pourchassé qui, dos au mur, supplie dans sa grotte le Psaume 142, 3 : Echpokh léfanav qi’hi ; tsarati léfanav aguid. « A pleine voix je crie vers l’Eternel, à pleine voix je supplie le Seigneur; je répands devant lui ma plainte, je lui fais part de ma détresse. » ; le sanglot du roi Ezéchias qui « tourna la face vers le mur et implora l’Eternel en ces termes : « De grâce, Seigneur, daigne te souvenir (ana Adonaï zérakh na) que j’ai marché devant toi (italakhti léfaneira) fidèlement et d’un cœur sincère, et que j’ai fait ce qui te plaît! » Puis il éclata en longs sanglots. (II R 20, 2-3)… il y a dans cette expression non pas l’idée d’une ballade d’agrément mais celle d’un combat permanent contre de désespoir et ce qui semble de prime abord la seule vérité en ce monde : la victoire des idoles et de l’enflure vaine et le malheur du juste. La bénédiction de Jacob est à ce prix : « Que la Divinité dont mes pères, Abraham et Isaac, ont suivi les voies; que la Divinité qui a veillé sur moi depuis ma naissance jusqu’à ce jour; que l’ange qui m’a délivré de tout mal, bénisse ces jeunes gens! (Gn 48, 15)

N’oublions pas que tout ceci ne concerne pas un lointain passé d’ancêtres vénérables mais que chacun de nous est convoqué par ces récits pour les mettre en pratique, se mettre en marche : « Kol mah shé’ira laavot siman labanim  (Maassé avot siman lebanim) – « Tout ce qui est arrivé aux pères (les patriarches) est un signe pour les fils », c’est-à-dire chacun de nous, notre peuple vit ces péripéties aujourd’hui même.

 

L’EGYPTE COMME UNE MALEDICTION

Gochen, c’est où?

Dans le fond, il apparaît qu’il faille lire et comprendre les versets de Vaigash et de Vaye’hi en continuité. Le dernier verset de Vayigach est : Vayéchev Israël Beérets Mitsraïm, Beérets Gochen, Vayéa’hazou Ba, Vayifrou Vayirbou Méod : Israël (Jacob) s’est installé dans le pays d’Egypte, dans le pays de Gochen, il en a pris possession, il a fructifié et s’est multiplié (Gn 7,27). Et dans Vaye’hi : Israël s’établit donc dans le pays d’Égypte, dans la province de Goshen; ils en demeurèrent possesseurs, y crûrent et y multiplièrent prodigieusement. (Gn 47, 27). Cette expression relie notre Paracha à celle de la semaine dernière.

Nous savions déjà que Goshen est en Egypte et qu’Israël s’y est multiplié, pourquoi nous le répète-t-on ? Pour nous montrer qu’Israël s’enferre à rester là. Car Vayéa’hazou a un double sens : « prendre possession » mais aussi « s’empêtrer » comme dans la Sidra Vayéra, Vayar, Vehiné Ayil Néé’haz Baseva’h Béqarnav, « Il vit, et voici qu’un bélier était pris dans un buisson par ses cornes »(Gn 22,13). Néé’haz a la même racine que Vayéa’hazou. Israël est donc empêtré dans un beau pétrin: l’Egypte, où au lieu de vivre en étranger, la famille de Jacob s’assimile et s’embourbe.

Sortir du pétrin égyptien

Jacob a vécu 17 ans de ses 147 ans en Egypte. Il supplie Joseph d’emmener son corps loin de là, chez ses pères, c’est-à-dire à Hébron :

« Si tu as quelque affection pour moi, mets, je te prie, ta main sous ma hanche pour attester que tu agiras envers moi avec bonté et fidélité, en ne m’ensevelissant point en Egypte. Quand je dormirai avec mes pères, tu me transporteras hors de l’Égypte et tu m’enseveliras dans leur sépulcre. » Il répondit: « Je ferai selon ta parole. » Il reprit: « Jure-le-moi » et il le lui jura; et Israël s’inclina sur le chevet du lit. (Gn 47, 29-30)

Rashi commente :

Bonté et vérité La bonté que l’on témoigne aux morts est une « bonté de vérité », car on n’en attend rien en retour (Beréchith rabba 96, 5).

En réalité c’est bien en Egypte, en terre étrangère, un pays de malédiction, que la descendance d’Israël va croître.

Israël s’établit donc dans le pays d’Égypte, dans la province de Goshen; ils en demeurèrent possesseurs, y crûrent et y multiplièrent prodigieusement. (Gn 47, 27) […] Joseph demeura en Égypte, lui et la famille de son père et il vécut cent dix ans. (Gn 50, 21). A Jacob qui lui demande : « Qui sont ceux-là ? Joseph répond : – Ce sont mes fils, que Dieu m’a donnés dans ce pays […] Approche-les de moi, je te prie, que je les bénisse. » (Gn 48, 8-9)

La bénédiction et la malédiction de l’Egypte

Tous les fils de Joseph sont nés au pays d’Egypte. Et Jacob  va les bénir :

Il bénit Joseph, puis dit: « Que la Divinité dont mes pères, Abraham et Isaac, ont suivi les voies; que la Divinité qui a veillé sur moi depuis ma naissance jusqu’à ce jour; que l’ange qui m’a délivré de tout mal, bénisse ces jeunes gens! Puisse-t-il perpétuer mon nom et le nom de mes pères Abraham et Isaac! Puisse-t-il multiplier à l’infini au milieu de la contrée. » (Gn 48, 15-16)

Là encore il est question de bénédiction. Mais pourquoi l’Egypte ? Pourquoi cette volonté de en pas s’y fixer ou y être enterré ? Face à la bénédiction, l’Egypte semble s’opposer comme une malédiction. Jacob tient à inculquer à sa postérité que quels que soient la prospérité et le confort dont elle jouira dans la diaspora seul Erets Israël reste son héritage. Il fait cette remarque parce qu’il voit ses enfants s’installer confortablement en Egypte. Jacob demanda à être enterré en Israël. D’où l’importance de ce pays lié à la vie et à la mort.

Pourquoi l’Egypte est aussi une malédiction ? parce qu’en Egypte ils vont oublier l’héritage de liberté des pères, qui ils sont. L’Egypte symbolise ce lieu d’asservissement psychologique à un monde qui n’est pas le leur. Ils perdent leur identité et de ce fait sont en exil d’eux-mêmes, de leur propre vérité. Cet emprisonnement intérieur a pour corollaire naturel l’esclavage. Nos prisons sont dans nos têtes et nos cœurs avant de devenir matérielles ! La prise de conscience de l’esclavage physique de l’addiction aux idoles, est un retour à la réalité. Un choc salutaire. Ils ont cru être citoyens de l’Egypte qui les accueilli… et ils seront bientôt les jouets de Pharaon qui se prend pour un dieu qui domine « sur le Nil », le dieu local qui arrose de vie par ses canaux toute l’Egypte, comme il se voit  dans ses rêves les plus fous (Cf. « Pharaon eut un songe, où il se voyait debout au bord du fleuve » Gn 41, 1, al ayior « sur le fleuve » et non « à coté »). Le retour au réel sera brutal.

Pourquoi l’Egypte est aussi une malédiction alors que Joseph lui a porté la bénédiction ? Rachi  commente : « Les Égyptiens portèrent son deuil soixante-dix jours. » (Gn 50, 3) en disant : « Quarante jours pour l’embaumer, trente jours pour le pleurer. [Ils l’ont pleuré aussi longtemps] parce que son arrivée en Egypte leur avait apporté la bénédiction : la famine avait pris fin et les crues du Nil avaient repris ». La maître de Troyes avait déjà commenté le « Jacob salua Pharaon et se retira de devant lui »  de Vayigash (Gn 47, 10) en citant le Midrash : « Ya’aqov bénit Pharaon Comme il est d’usage quand on prend congé d’une haute personnalité : on la bénit et on lui demande la permission de se retirer. Et quelle bénédiction lui a-t-il transmise ? Que les eaux du Nil montent à ses pieds, car l’Egypte ne reçoit pas d’eau de pluie. C’est le Nil qui l’arrose grâce à ses crues. A partir du moment où il a été ainsi béni, toutes les fois que Pharaon est venu se placer au bord du Nil, ses eaux sont montées à sa rencontre et ont irrigué le pays (Midrach tan‘houma Nasso 26). » Joseph est donc une bénédiction pour l’Egypte.

Au bord des fleuves de Babylone…

Le juif en diaspora donne le sens profond à la culture où il vit, il s’intègre et au moment où la société le perçoit comme un élément étranger qui en dénonce l’idolâtrie  par sa seule présence elle le rejette comme un corps étranger hétérogène qui ne peut être mélangé dans le culture. Par une réaction paranoïaque la culture des Nations qui se sent démasquée dans sa propension idolâtrique nous rejette alors violemment. On se méfie de nous, nsou étions sympathique et d’un coup notre différence irréductible résiste. On nous accuse d’une emprise sur tout : la finance, la presse et les média, la culture, d’être des traîtres internationaux  inassimilables alosr que nous avons construits nos pays de passage, etc… le juif en diaspora assume un rôle de bouc émissaire, devenu le conseiller du prince il est violemment rejeté car sa seule présence montre la vanité de l’idolâtrie de l’Egypte, c’est ce qui est arrivé à Joseph. à  Isaac Abravanel le savant juif et trésorier royal de Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille en 1492.

Le Maharal de Prague commente : « Puisqu’il n’y avait (en ce temps-là) en Israël aucun lieu de résidence particulier. Ils n’avaient pas de pays particulier comme il y a pour toute nation, et ils sont nés dans un pays qui n’est pas le leur. » et « c’est parce que Israël se trouvait en Egypte, il était inévitable qu’ils soient asservis. ». En clair, être étranger et minoritaire dans un pays qui n’est pas le sien rendait inéluctable l’asservissement et ensuite la fuite. Que ce soit en Egypte il y a 4000 ans, en Espagne il y a 500 ans, ou en Allemagne et dans la Vienne d’il y a un siècle !

Mais, par une ruse de l’histoire et un clin d’oeil de l’Éternel, même cette malédiction de l’Egypte se retourne au profit d’Israël et devient une bénédiction. Car ce n’est pas Jacob ou Joseph qui écrivent leur propre histoire. In fine, c’est D.ieu lui-même qui écrit l’histoire et les fait « entrer dans l’histoire ». Comment le savons-nous ? Par la réponse de Joseph à ses frères : « Vous, vous aviez médité contre moi le mal: Dieu l’a combiné pour le bien, afin qu’il arrivât ce qui arrive aujourd’hui, qu’un peuple nombreux fût sauvé … Et il les rassura et il parla à leur cœur.» (Gn 50, 20-21) ; même la malédiction d’’Egypte se retourne en bénédiction. Et D. ne lâche pas son peuple.

Le Maharal par un jeu de racines communes entre Galout (exil, diaspora, dispersion) et Géoula (Rédemption) en conclut que même la galout fait partie du plan Divin, du maassé berechit, Israël apportant, via sa dispersion, la Lumière aux nations.

L’histoire de Joseph c’est celle d’Israël à sa suite, une histoire providentielle où même la souffrance est rédimée. Si l’histoire d’Israël était seulement humaine cela fait bien longtemps qu’Israël comme tous les empires, aurait été rayé de la carte… ou plutôt de l’histoire.

 

LA BENEDICTION

La berakah est fondamentale dans cette Parasha et dans la vie individuelle et collective du peuple juif. Le Talmud nous exhorte : « Celui qui use des biens de ce monde sans bénédiction profane une chose sainte » (Tossefta. Berakhot 4, 1 ). « Tout homme est tenu de dire cent bénédictions par jour » disait Rabbi Méïr (TB Menahot 43b). le premier traité du Talmud, comme une sorte de B à BA de la vie juive est Berakhot, les bénédictions. Le traité discute des règles du Shema, de la Amida, du Kiddoush (sanctification), de la Havdala (séparation)…Qu’est-ce que ces « bénédictions » qui structurent la vie juive signifient ?

Les dix-huit bénédictions [1]

[Jacob] bénit Joseph, puis dit: « Que la Divinité dont mes pères, Abraham et Isaac, ont suivi les voies; que la Divinité qui a veillé sur moi depuis ma naissance jusqu’à ce jour;16 que l’ange qui m’a délivré de tout mal, bénisse ces jeunes gens! Puisse-t-il perpétuer mon nom et le nom de mes pères Abraham et Isaac ! Puisse-t-il multiplier à l’infini au milieu de la contrée. » (Gn 48, 15-16)

Revenons à ce que signifie la bénédiction à partir de la Téfila (prière) et en son centre la Amida.

La Amida (litt. « Debout ») ou Shemoné Esré (« Les dix-huit ») comporte dix-huit bénédictions (19 en réalité, la douzième–birkat ha minim,  ayant été ajoutée au 1er siècle contre les sectateurs –minim, qui foisonnaient autour d’Israël).

D.ieu n’a aucun besoin de notre prière, il se suffit à Lui-même. Quel droit aurions-nous de nous d’adresser la parole au Ribono shel Olam au Maître du monde couchés dès notre lit le matin et debout ensemble à la synagogue ?

On dit la Amida comme on participe à une audience royale : on s’incline en se présentant devant le trône, on fait trois pas en arrière en prenant congé et à on ne se retourne pas à la fin mais on marche en reculant par respect. On parle en chuchotant dans une atmosphère d’intimité et de respect.

Dans le Talmud de Babylone il y a un commentaire dans lequel un disciple de Rav interprète la 18ème bénédiction Modim Anahnou en disant que compte vraiment le début et la fin :

Le début : Modim Anahnou Lakh Shehata ou Adonaï Eloheinou « Nous reconnaissons humblement, (nous sommes d’accord avec Toi)… que tu es l’Eternel notre D.ieu »… et la fin : … Al sheanarnou modim lakh, Baroukh El aodahot « Nous qui te rendons grâce, Béni soit de D.ieu des louanges ». C’est D.ieu lui-même qui autorise et demande à l’homme qu’il le bénisse pour s’acquitter de Sa bénédiction. Voilà le grand secret, voilà pourquoi nous avons le droit de prier, seulement parce que D. l’autorise et nous le demande.

L’homme s’adresse à D. car  c’est D.ieu lui-même qui bénit l’assemblée, ce que signifie la bénédiction des Cohanim à la fin de la Amida.

Pourquoi dix-huit bénédictions ? A Rabbi Akiba qui faisait remarquer que celui qui les connaissait se devait de dire les dix-huit bénédiction (à l’époque on disait la Amida par cœur) mais qu’un résumé suffisait, Rabbi Eliézer répliqua : « Qui fait de sa prière un rituel fixe, sa prière n’est pas supplications », (TB Berakhot Chap. 4, 28b) la question n’est donc pas de savoir si le texte est complet ou résumé : l’essentiel est la ferveur.

Rabbi Yéochoua Ben Lévi elliptique comme tous les maîtres du Talmud et la langue hébraïque elle-même répond à propos de ce chiffre de dix-huit : « par rapport aux dix-huit vertèbres de l’échine » (qui saillent quand on se penche pour saluer précise Rabbi Lévi) (TB Berakhot Chap. 4, 28b). Est invoqué en filigrane l’enseignement des psaumes : « Tous mes os diront: « Seigneur, qui est comme toi? » Tu défends le pauvre contre un plus fort que lui, le malheureux et l’indigent contre leur spoliateur. » (Ps 35, 10). L’attitude est donc celle de celui qui prie du plus profond de soi, avec tous ses os.

Les hassidim, ces hommes pieux qui remontent à la Grande Assemblée (http://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_Assembl%C3%A9e) « attendaient une heure entière, après seulement ils prononçaient la Amida, pour orienter leur cœur vers leur père qui est aux cieux » (TB Berakhot Chap. 5, Mishna 1). Ces hassidim sont associés aux anawim par les téhilim. L’anaw, le pauvre (Cf Moïse,« l’homme le plus humble-anaw que la terre aie porté »), pas au sens de l’absence de richesse mais de l’humble (de humus la terre), cette homme de la terre qui attend tout des Cieux et non de ses propres forces. Il ne s’agit pas d’être dans une attitude suffisante mais de désir profond et dépouillé de soi devant le Haqadosh ou baroukh ou, le Saint, béni-soit-Il dont un Sage en sueur du traité Berakhot répond à ses disciples qui s’étonnent : « qu’on ne saurait discuter avec lui ni l’acheter » (TB Berakhot Chap. 4, 28b).

Le Shaliah Tsibbour ( litt. « l’envoyé de l’assemblée ») redit l’Amida pour s’assurer que tous les membres de l’assemblée se sont correctement acquittés des bénédictions.

On n’a le droit d’arrêter la Amida qu’en cas de « danger de mort imminente ». Le Talmud dit dans une Michna: « Fut-ce un roi qui le salue il ne répondra pas ; et fut-ce un serpent,  à s’être enroulé sur son talon, il ne s’interrompra pas » (TB Bérakhot V, Mishna 1).

La Guémara (33a) ne pouvait laisser cette mishna aussi imprécise… Rav Shéshèt argumente : «  : « On a enseigné qu’un serpent, mais un scorpion il s’interrompt. » Bref, la règle s’applique seulement à un serpent, qui ne mord pas et ne sent pas agressé mais dans le cas d’un scorpion susceptible d’attaquer à tout moment il faut s’interrompre… à quoi on objecte au Rav Shéshèt une baraïta : « Le simple fait d’avoir vu un homme tomber dans une fosse aux lions ne signifie pas qu’il est mort afin d’autoriser sa femme à se remarier, par contre si un homme tombe dans une fosse remplie de serpents et de scorpions on peut témoigner de son décès, donc les serpents sont aussi dangereux que les scorpions… » (TB Bérakhot V, 33a)… etc…

Bref, on ne doit pas s’interrompre par respect devant le Souverain du monde.

D’autre part tous sont égaux devant la face de D.ieu dans la prière :

« Mais le Saint, béni soit-il, n’est pas ainsi car devant Lui tous sont égaux, femmes, esclaves, pauvres et riches ! Tu en vois une preuve dans le fait que la même chose est écrite de Moïse, le maître de tous les prophètes, et d’un pauvre homme. De Moïse il est écrit : ‘Une prière de Moïse, l’homme de Dieu’ (Ps 90,1) et d’un pauvre homme il est écrit : ‘Prière d’un malheureux quand il est accablé’ (Ps 102,1). Dans les deux cas le mot ‘prière’ est employé, pour t’apprendre que tous sont égaux devant Dieu dans la prière » (Exode Rabbah XXI,4)

 

Les bénédictions de D.ieu dans l’histoire

Dans toute la Torah il est question de bénédictions. Ces bénédictions racontent comment l’Eternel a comblé Israël de bénédictions et à travers cette descendance, toute l’Humanité. La sanctification c’est-à-dire la capacité qu’a le juif de particulariser un jour comme le Shabbat, une partie de la récolte comme les prémisses, chaque instant dans des bénédictions permet à l’homme d’être si j’ose l’expression une sorte de « voleur de temps », il arrache du néant ce temps voué à la mort en le sanctifiant.

La première bénédiction de la Torah est celle de Dieu qui bénit le Shabbat : vayivarekh Elohim et iom ashévii.

Dieu bénit le septième jour et le proclama saint, parce qu’en ce jour il se reposa de l’œuvre entière qu’il avait produite et organisée. (Gn 2, 3)

La seconde bénédiction, vise à travers la postérité d’Abraham, tous les peuples de la terre, Ki varèkh avaréréikha:

Je te comblerai de mes faveurs; je multiplierai ta race comme les étoiles du ciel et comme le sable du rivage de la mer et ta postérité conquerra les portes de ses ennemis. Et toutes les nations de la terre s’estimeront heureuses par ta postérité (Gn 22, 17-18)

La troisième bénédiction est celle de Jacob  par Isaac qui vole la bénédiction d’Esaü. Et le pauvre Esaü crie de douleur : «  » Moi aussi bénis-moi, mon père! … N’as-tu pas réservé une bénédiction pour moi?… Ne possèdes-tu qu’une seule bénédiction, mon père ? Mon père, bénis moi aussi! » Et Esaü éclata en pleurs. » (Gn 27, 34.36.38). Tout cela est poignant.[2]

La bénédiction suivante est celle de Moïse qui à la fin de sa vie et c’est sa dernière parole dans la Torah proclame , Ashreikha Israël mi Kamora…:

Heureux es-tu, Israël! Qui est ton égal, peuple que protège le Seigneur? (Dt 33, 29)

La dernière bénédiction est au début des téhilim de David, Ashrei Aish lo alakh :

Heureux l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants (Ps 1, 1)

Mais les téhilim se terminent par « Alléluia » et pas par une bénédiction finale.

Que tout ce qui respire loue le Seigneur! Alléluia! (Ps 150, 6)

Car nous attendons la bénédiction finale, celle du Machiah. Si un soi-disant messie ne bénit pas Israël, il n’est pas le Machiah.

C’est D.ieu lui-même qui bénit le peuple d’Israël et toute l’humanité à travers lui tout au long de l’histoire humaine. Et ceci sans arrêt. Nos humbles prières de bénédiction rendent grâce à sa Majesté source de toute bénédiction. Voilà ce que nous dit le sefer Bereshit de la bénédiction du Shabbat à celle des fils de Joseph en passant par celle d’Abraham, Isaac et Jacob. Azak ou Baroukh.

Réaliser sa bénédiction[3]

Tous ceux-là sont les douze tribus d’Israël; et c’est ainsi que leur père leur parla et les bénit, dispensant à chacun sa bénédiction propre. (Gn 49, 28)

Quand on analyse les bénédictions de Jacob à ses enfants on voit que Jacob mentionne les qualités intrinsèques de chaque enfant :

« … Gad sera assailli d’ennemis, mais il les assaillira à son tour. Pour Asher, sa production sera abondante; c’est lui qui pourvoira aux jouissances des rois. Nephtali est une biche qui s’élance; il apporte d’heureux messages. C’est un rameau fertile que Joseph, un rameau fertile au bord d’une fontaine; il dépasse les autres rameaux le long de la muraille. […] Benjamin est un loup ravisseur: le matin il s’assouvit de carnage, le soir il partagera le butin… » (Gn 49, 18 et sv.).

Rachi commente : « il les bénit », [chacun individuellement, et tous collectivement, octroyant à chacun les bénédictions attribuées aux autres à titre individuel] (Midrash tan‘houma 17. Voir Rachi Chemoth 1, 19).

C’est cette qualité de chacun qui fait l’objet de la bénédiction  Ce qui revient à dire  que la vraie bénédiction pour un homme est en fait de développer au maximum la qualité principale innée qui est en lui  Chacun doit développer sa bénédiction.

Il y a un aspect individuel et collectif à cela, la bénédiction faite à Israël est la bénédiction de chacun et de tous. C’est le sens de la Amida, individuelle et collective à la fois. La révélation faite à Israël rédime celle des Nations, de toute l’humanité. C’est le sens de Bereshit.

[1] La suite de la derasha suit le commentaire de Jacob Ouanounou à shabbat que j’enrichis de Talmud.

[2] NB : alors que Jacob a « tout donné » il donne aussi d’autres choses à ses servantes, n’est-ce pas étrange ?

[3] Ici reprend le commentaire du Rav Haïm Harboun

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