Chemini : le monde repose sur la pure générosité

Voilà ce qu’a dit le Rav Harboun ce Shabbat. Si des erreurs se sont glissées ce sont seulement des trous dans ma mémoire. Le talmid « est une citerne bien cimentée qui ne perd pas une goutte. Etc… » 🙂 (Pirké avot 2, 11)

Sefer torah

Quand j’étais enfant au Mellah de Marrakech, arrivé à l’âge de 4 ans chaque famille choisissait pour son enfant un rabbin. Il y avait beaucoup de rabbins et chacun avait son petit heder (Heder ça veut dire chambre en hébreu). C’était la seule école. Il y avait donc une grande cérémonie à la synagogue et on remettait à l’enfant la planche, « La planche » louah (le bois) en hébreu comme en arabe. Le Rabbi nous remettait donc une petite planche de la grandeur d’un livre et le premier jour il collait sur sa surface une première feuille, comprenant les lettres manuscrites de l’alphabet hébraïque. On la répétait avec un autre enfant plus âgé, et, au fur et à mesure on apprenait par cœur non pas la Genèse ou l’Exode mais tout le livre du Lévitique. Pourquoi ? Parce que dans le Lévitique on a toutes les mitsvoth !

Nous voici donc dans la Lévitique avec la parasha de Chemini. Et la Paracha de Chemini se distingue de l’ensemble de ce livre car elle est moins halakhique, elle raconte une histoire pleine d’enseignements laquelle ?

Nadab et Abihou, un feu profane

Sur l’ordre de Moïse,  Aaron et ses enfants préparent « un veau et un agneau âgés d’un an, sans défaut », plus, « un taureau et un bélier pour rémunératoire, à sacrifier en présence de l’Éternel ». Ils les immolent pour le sacrifice… et « Un feu s’élança de devant le Seigneur, et consuma, sur l’autel, l’holocauste et les graisses. A cette vue, tout le peuple jeta des cris de joie, et ils tombèrent sur leurs faces. » (Lv 9, 24) … jusque-là tout va bien ! Imaginez, c’est le grand jour, un immense rassemblement de dizaine de milliers de personnes. Tout le monde porte attention à Aaron le grand-prêtre. Et voilà que ses deux fils, les malheureux Nadab et Abihou, pris d’une frénésie sacrée « prenant chacun leur encensoir, y mirent du feu, sur lequel ils jetèrent de l’encens, et apportèrent devant le Seigneur un feu profane sans qu’il le leur eût commandé. ». Bref, ils mettent le feu… « Et un feu s’élança de devant le Seigneur et les dévora, et ils moururent devant le Seigneur. » (Lv 10, 1-2). Les deux malheureux périssent dans l’incendie. « Moïse dit à Aaron: « C’est là ce qu’avait déclaré l’Éternel en disant: Je veux être sanctifié par ceux qui m’approchent et glorifié à la face de tout le peuple! » »

Et la Torah nous dit : « Et Aaron garda le silence. ». Ce silence d’Aaron a fait couler beaucoup de salive et d’encre !

Le midrash est plein de pitié pour ces deux jeune gens. Pourquoi ont-il amené des torches ? Et pourquoi sont-ils morts ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

Rachi qui était vigneron ne va pas chercher son explication bien loin… seulement quelques versets plus loin  ! alors il explique :

« Rabi Yichma’el a enseigné : « Parce qu’ils sont entrés dans le sanctuaire après avoir bu du vin. ». La preuve en est qu’après leur mort, il a été fait interdiction à ceux qui restaient d’entrer dans le sanctuaire après avoir bu du vin ! » (verset 9). »

Et effectivement quelques versets plus loin on trouve le précepte suivant :

« « Tu ne boiras ni vin ni liqueur forte, toi non plus que tes fils, quand vous aurez à entrer dans la Tente d’assignation, afin que vous ne mouriez pas : règle perpétuelle pour vos générations; et afin de pouvoir distinguer entre le sacré et le profane, entre l’impur et ce qui est pur, et instruire les enfants d’Israël dans toutes les lois que l’Éternel leur a fait transmettre par Moïse. » (Lv 10, 9-11)

Le midrash est miséricordieux avec ces braves Nadab et Abihou qui n’ont pas pris conseil auprès de Moïse et Aaron pour amener leur feu. Ils n’ont pas péché par manque de ferveur mais par excès d’ardeur religieuse. Ils ont profané le nom divin par un enthousiasme religieux dévoyé une mystique délirante sans limite.

Dans le Midrash, Rabbi Eliézer dit : « Ils ont été condamnés parce qu’ils ont osé enseigner la Loi en présence de Moïse leur professeur. Quiconque enseigne la loi en présence de son maître est passible de mort ». Et le midrash ajoute : « Il arriva un jour qu’un disciple enseignait la Torah en présence de son maître. Rabbi Eliézer dit à sa femme Ima Shalom : « Il ne passera pas le shabbat ». Il mourut. Après Shabbat les Sages vinrent vers lui et lui dirent : « Maître es-tu un prophète ? ». Il leur répondit : « Je ne suis ni prophète ni fils de prophète mais voici ce que j’ai appris de mes maîtres : ‘‘Quiconque enseigne la loi en présence de son maître est passible de mort ‘’ ».

A moins que le midrash ne minimise leur mort : « Et un feu s’élança de devant le Seigneur et les dévora », leur âmes mais pas leur vêtements ! en observant que deux versets plus loin on dit « Ils s’avancèrent et les transportèrent dans leurs tuniques hors du camp, selon ce qu’avait dit Moïse. »

Le Traité Sanhédrin (52a) commente : « Moïse et Aaron fois marchaient, avec Nadab et Abihou derrière eux, et tout Israël à leur suite. Alors Nadab dit à Abihou : ‘’ Ces vieillards ne devraient pas tarder à mourir, et alors nous serons les leaders de notre génération.  » Mais le Saint, béni soit-Il, leur dit: ‘‘Nous allons voir qui va enterrer qui ! ‘’ Rabbi Papa dit : Ainsi, les hommes disent : ‘‘Beaucoup de vieux chameau sont chargés avec les peaux de plus jeunes’’ ».

Suivant l’idée de R. Eliezer, la Haggadah, plus tard, blâme les fils d’Aaron en raison de leur trop grande estime d’eux-mêmes : s’ils sont restés célibataires, c’est parce qu’ils considèrent qu’aucune  femme n’est assez bonne pour eux ! Ils se sont même considérés comme plus important que Moïse et Aaron, tout en aspirant secrètement au moment où ils seraient à la tête du peuple !

Cet orgueil est confirmé par la Pessikta de Rav Kahana : Aba Hanoun dit : ils sont morts, car ils n’étaient pas mariés… Beaucoup de femmes espéraient les épouser, mais eux disaient : « notre oncle est roi, notre père, grand-prêtre, nous sommes vices-prêtres, quelle femme est digne de nous ?

 

Ne fais pas des paroles de la Torah une pioche pour creuser

En fait si Nadab et Abihou sont mort c’est parce qu’ils ont utilisé le spirituel pour paraître. Le « feu profane » est la fausse spiritualité qui détruit la possibilité même de la vraie.

Nadab et Abihou se voient déjà à la place de Moïse et Aaron : prophète et Grand prêtre mais n’en ont rien à faire d’Ashem. Nous avons un peu de mal à comprendre pourquoi cette parade religieuse devant tout le peuple est un si grand orgueil pour eux… mais tout simplement parce que le Grand-prêtre avait le pouvoir d’oindre ou non le roi. Nadab et Abihou se revêtent du vêtement sacerdotal (qui ne brule pas) mais en réalité celui-ci n’est qu’un moyen de briller, de paraitre, leur âme est spirituellement vide.

Le Pirké Avot que nous commençons ce Shabbat et pendant tout la période du Omer résume :

Rabbi Tsadok disait : « Ne fais pas des paroles de la Torah une couronne pour t’enorgueillir ni une pioche pour creuser. Car ainsi a dit Hillel : ‘‘Celui qui se sert de la couronne de la Tora comme instrument périra.’’ D’où l’on conclura que celui qui tire un profit mercantile des paroles de Tora ôte sa vie du monde. » (Pirké Avot 4, 7).

En réalité il existe une faute plus grave que de ne pas pratiquer les mitsvot, c’est de les utiliser pour paraître. Celui qui fait cela instrumentalise le spirituel et finalement l’Eternel lui-même. Il profane.

Et Dieu sait combien l’orgueil peut prendre des formes subtiles, cachées, habillées de spirituel. Puisqu’il fait de Dieu un objet de ce monde, un outil à sa main, une pioche. Mais la réalité c’est que cette pioche l’enterre vivant.

Celui qui fait cela, non seulement détermine sa propre existence en lui donnant pour seul horizon les objets qui l’entourent mais en plus, il ruine aussi la possibilité même du spirituel c’est-à-dire un comportement éthique qui signifie le soin que l’Eternel prend de nous.

Cela est confirmé par un autre passage de cette Paracha. Pourquoi L’Éternel parle à Aaron en lui disant, après la mort de ses fils : « Tu ne boiras ni vin ni liqueur forte, toi non plus que tes fils, quand vous aurez à entrer dans la Tente d’assignation, afin que vous ne mouriez pas: règle perpétuelle pour vos générations; et afin de pouvoir distinguer entre le sacré et le profane, entre l’impur et ce qui est pur… » (Lv 10, 8-10). Parce que la mitsvah, la capacité de sanctifier le temps, de séparer le pur de l’impur, ce qui fait vivre de ce qui tue… suppose une conscience, une volonté entièrement libre. Rachi précise : « D’où l’on déduit qu’un service effectué en état d’ébriété n’est pas valable (Zeva‘him 17b). ». La mitsvah est un acte libre devant Ashem, elle ne vise et n’est déterminée que par et pour Lui et n’a aucun autre but. C’est un acte désintéressé. Sinon elle creuse la tombe de celui qui la pratique à grand coups de pioche.

Qui était Moïse ce vieux que nos deux aspirants à la fausse sainteté rêvaient de voir passer dans la tombe pour s’arroger sa place, un anaw. Le Juif doit être un anaw, un humble. Regardez Maïmonide en Egypte. Il est médecin du Sultan fatimide (chiite). Il passe sa journée au palais, il est épuisé, on vient le voir tard sans la nuit… et lui, il ouvre sa porte. Maïmonide le médecin des pauvres et des riches, des juifs et des arabes, qui dans le dénuement le plus complet ne veut rien recevoir pour son travail religieux.

Regardez Rachi… qui n’a jamais demandé le titre de Rabbin et qui était vigneron !

Vous croyez que ces gens-là étaient dans le paraitre ?

 

 » Vous serez saints, parce que Je suis saint « 

« Je suis l’Éternel, qui vous ai tirés du pays d’Egypte pour être votre Dieu; et vous serez saints, parce que je suis saint. » (Lv 11, 45)

Ça veut dire quoi aspirer à la sainteté de Dieu ? ça signifie un comportement éthique et discret qui en veut pas parâtre. Habille celui qui est nu, comme D.ieu revêts celui qui est nu. L’Ethique découle de la sainteté de D.ieu  « Car c’est le Seigneur votre Dieu qui est le D.ieu des d.ieux et le Seigneur des Seigneurs, le D.ieu grand, puissant et redoutable, l’impartial et l’incorruptible, qui rend justice à l’orphelin et à la veuve, et qui aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau » (Dt 10, 17-18).

(Dt 10, 17-18).Le Pirké Avot dont nous lisons le premier chapitre aujourd’hui cite les conseils des Hakamim : « Le monde repose sur trois piliers : la Tora, le culte et sur la pure générosité »… « Que ta maison soit largement ouverte et que les pauvres y soient accueillis comme les membres de ta propre maisonnée. »…  « Fais-toi un maître, acquiers toi un compagnon d’étude et juge tout homme sous un jour favorable. »… « Éloigne toi d’un voisin malveillant, ne te ligue pas avec celui qui fomente le mal, et ne désespère pas de l’adversité. »… « Ne te fais pas à la fois juge et partie. »… « Aime le labeur, hais le pouvoir et ne cherche pas à te faire remarquer du pouvoir. »… « Compte parmi les disciples d’Aaron : aime la paix et recherche-la sans cesse, aime les personnes et rapproche-les de la Tora. »… « Parle peu et agis beaucoup ; accueille toute personne en lui faisant bonne figure. »

Mais est-ce que vous vous rendez compte que ces propos ont été écrits il y a 2000 ans. A un moment où une vie n’était rien, quantité négligeable !

Mais comment voulez-vous expliquer cela à ceux qui aujourd’hui coupent des têtes comme on coupe des carottes ?

Nous ne croyons pas à la sainteté d’un humain comme les goyim. Aussi parfait soit-il l’homme faute… et il peut faire teshouva. Nous sommes sanctifiés, c’est-à-dire pas meilleur que les autres mais particularisés, différents. Nous ne pouvons pas utiliser cette différence pour donner une impression de supériorité sur les autres, les non-juifs. Le service désintéressé du spirituel, la Mitzvah est au bénéfice de toute l’humanité.

Celui qui ne l’a pas compris n’a jamais pratiqué de manière désintéressé, en paraissant c’est lui-même qu’il tue, il « ôte sa vie du monde ». ll n’a pas la crainte de Dieu.

Antiguenos de So’ho reçut [la Loi orale] de Chimone le Juste. Il disait : « Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître en vue de recevoir une récompense, mais soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans chercher à recevoir une récompense ; et que la crainte des Cieux soit sur vous. » (Pirké Avot 1, 3)

 

 

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