
Au bal des célébrités « Faisons-nous un nom ! »
Notre époque est avide de produire des célébrités et les gens se mesurent comme les marques de lessive à leur taux de popularité. Peu importe que l’œuvre n’existe pas (les « socialite » comme Paris Hilton) ou que ces gens n’aient absolument rien fait pour aider leur prochain (la téléréalité et ses flatulences a remplacé le Téléthon qui au moins soignait des gens), pour élever le degrés de science de l’humanité ou… donner leur vie comme n’importe quel prix Nobel ou mère de famille.
Le : « Faisons-nous un nom durable » (Gn 12, 4) de la tour de Babel règne en maître et les idoles du PAF et autres youtubeuses fleurissent comme narcisses au printemps.
Cette version gréco-romaine des dieux du stade par lequel, grâce à ses exploits, le héros s’élève au-dessus des hommes pour se rapprocher des dieux est étrangère au judaïsme.
Au royaume de l’Esprit ne règnent en réalité que des inconnus.
La Torah : misère des héros fatigués
Les deux premiers millénaires règne un chaos indescriptibe : Adam est déchu, le doux Abel est assassiné, après 10 générations d’idolatrie Noé apparait, c’est un tsadik mais « dans sa génération »… celle du déluge, un tsadik en pantoufles qui serait passé inaperçu 10 générations plus tard dans celle d’Abraham nous dit Rachi.
Aux dix paroles d’amour du Sinaï et de la Création du monde répondent dix abominations sans nom :
« Il y eut dix générations depuis Adam jusqu’à Noé : c’est pour montrer combien Il est longanime, car toutes les générations allaient en L’irritant, jusqu’à ce qu’Il amena sur eux les eaux du Déluge. Il y eut dix générations depuis Noé jusqu’à Abraham : c’est pour montrer combien Il est longanime, car toutes les générations allaient en L’irritant, jusqu’à la venue d’Abraham notre père qui recueillit la rétribution de tous. »
Pirkei Avot 5, 2
Ceux qui ont vu les « Dix miracles d’Égypte et les dix sur la Mer » (PA 5,3) n’ont rien compris nous dit le Rambam (qui en tire la Loi qu’un miracle ne prouve rien !). Ils ont éprouvé l’Eternel par dix fois au désert dont la moindre n’est pas d’avoir construit le veau d’Or. Résultat : pas un de ceux qui ont traversé la mer n’entrera en Terre promise.
Et les juges et rois d’Israël ne valent pas mieux.
Samson meurt pour les beaux yeux de Dalila la Philistine.
Le Grand roi David qui vainc le géant Goliath a bien froid à la fin de sa vie… Ni son harem de dix concubines séquestrées comme des veuves (2 Samuel 20,3), ni toutes les couvertures et cheminées de son palais ne suffisent plus à le réchauffer, alors on glisse sous ses couverture pour lui réchauffer les pieds la plus belle femme du Royaume (et on imagine la plus chaude !) : Avishag la Shounamite. Et les Hakhamim nous disent que c’est surtout pour expier ses ardeurs passées, le meurtre du mari de Bethsabée pour lui voler sa femme quelques années plus tôt!
Misère des misères des héros fatigués. Havel havalim Akol Havel !
Les anti-héros de la Tsédaka
Les vrais justes ne sont donc pas des héros dans le judaïsme mais des justes du quotidien, cachés… Une tradition nous parle des 36 justes cachés (tsadikim Nitsarim), souvent désignés sous la forme simplifiée Lamed Vav, trente-six personnes dont l’existence sur Terre garantit la survie du monde. Les Nitsarim sont des exemples d’anavah, (d’humilité, comme Moïse « l’homme le plus Anav que la terre ait porté »), cette vertu même leur interdit de s’auto-proclamer « justes ». Les 36 sont simplement tout simplement trop humbles pour croire « qu’ils en font partie ».
Voilà les deux sources talmudiques qui en parlent.
Talmud Sanhédrin 97b (Babylonie milieu du 3ème siècle)
Tout d’abord le contexte : une discussion entre Abaye – « petit père », Roch Yéchiva de l’académie talmudique de Poumbedita (ancienne ville en Babylonie située dans les environs de l’actuelle ville de Falloujah en Irak) né vers 278 de notre ère, et son ‘adversaire’. Ce passage se situe dans une discussion sur le temps de la venue du messie dont le Talmud qui dit « que se vide la tête de ceux qui calculent la date de la fin des temps », bref la mystique messianique : ça rend fou !
« Elie, le prophète, dit au Rav Yehuda, frère du Rav Sala Asida: Le monde n’existera pas moins de quatre-vingt-cinq cycles de Jubilé , soit 4 250 ans. Et au cours du Jubilé final, le fils de David va venir. Rav Yehuda dit à Elie: Le Messie viendra-t-il au début ou à la fin du jubilé ? Elie a dit au Rav Yehuda: Je ne sais pas. Rav Yehuda a demandé: Est-ce que ce dernier cycle du Jubilé sera fini avant que le Messie vienne ou sera il pas encore fini avant sa venue? Elie lui dit: je ne sais pas. Rav Ashi dit: C’est ce qu’Élie lui a dit: jusqu’à ce moment-là, n’anticipez pas sa venue; à partir de ce moment , anticipez sa venue. Élie n’a pas informé le Rav Yehuda de la date de la venue du Messie. »
Ce passage introduit une discussion qui dit que si le Machiah ne vient pas c’est parce que l’homme ne peut pas être jugé (la succession des discussions apparemment sans lien dans la Guemara a un sens): « L’attribut du jugement (din) empêche la venue du Messie et nous ne sommes pas dignes de rédemption ». C’est parce que les hommes ne connaissent pas la Justice (Tsedaka, un terme qui qualifie la « charité » ou la doiture mais aussi la « Justice » car celui qui fait la charité rétablit la justice), une Justice qui qualifie le règne du roi messie. D’où les justes (tsadikim) cachés dont parle la guemara ensuite :
« A propos du verset « Heureux tous ceux espèrent en lui» ( Esaïe 30, 18 ), Abaye dit : ‘‘Le monde ne comporte pas moins de trente-six justes dans chaque génération qui célèbrent la présence divine’’, comme il est dit: « Heureux tous ceux espèrent en lui [ lo ] » ( Esaïe 30, 18 ). La valeur numérique de lo , orthographié lamed vav , est trente-six. La Guemara demande: est-ce vrai ? Rava ne dit-il pas : la rangée des justes devant le Saint, béni soit-Il, s’étend sur dix – huit mille parasangs [ancienne unité de mesure perse 1 parasang = 6 km], comme il est dit à propos de la cité de Dieu à la fin des jours : ‘‘Le pourtour aura dix-huit mille , et désormais le nom de la ville sera ‘l’Eternel y siège’ [Adonai Chammah] « ( Ézéchiel 48, 35 ) ?
La Guemara répond: ce n’est pas difficile; ceci concerne la déclaration d’Abaye et désigne les trente-six justes qui observent la Présence Divine à travers un cristal lumineux [ be’ispaklarya ], et l’avis de Rava est que cela se réfère aux multitudes qui perçoivent la Présence Divine à travers un cristal, mais qui n’est pas lumineux lui. »
Talmud Soucca 45b
« Et Ḥizkiya a déclaré que le rabbi Yirmeya avait déclaré au nom du rabbi Shimon ben Yoḥai: ‘‘Je suis en mesure de dispenser le monde entier du jugement rendu pour les péchés commis depuis le jour de ma création jusqu’à aujourd’hui. Le mérite qu’il a acquis par sa justice et la souffrance qu’il a endurée ont racheté les péchés du monde entier. Et si Eliezer, mon fils, acquérait le mérite, calculé comme le mien, nous absoudrions le monde du jugement pour les péchés commis depuis le jour où le monde a été créé jusqu’à maintenant. Et le roi Jotham ben Ozias méritait-il des mérites calculés avec les nôtres. Bien sûr, nous dispenserions le monde du jugement pour les péchés commis depuis le jour où le monde a été créé jusqu’à sa fin.’’
La justice de ces trois personnes sert de contrepoids à tous les actes pervers commis au fil des générations et valide l’existence continue du monde.
Et Ḥizkiya a dit que le rabbin Yirmeya avait dit au nom du rabbin Shimon ben Yoḥai : ‘‘J’ai vu des membres de la caste des personnes de premier plan spirituel, qui sont vraiment justes et qui sont peu nombreux. Si elles sont au nombre de mille, mon fils et moi sommes parmi eux. Si elles sont au nombre d’une centaine, moi et mon fils sont parmi eux; et si elles sont au nombre de deux, moi et mon fils en sont.’’
La Guemara demande : sont-ils si peu nombreux ? Mais Rava n’a-t-il pas dit : ‘‘Il y a dix-huit mille justes dans une rangée devant le Saint’’, béni soit-il, comme il est dit : ‘‘Le pourtour (la rangée) aura dix-huit mille [coudées]… etc ? ‘’ (Ez 49, 35). Apparemment, les justes sont donc nombreux.
La Guemara répond : Ce n’est pas difficile. Cette déclaration de Rabbi Shimon ben Yoḥai fait référence au très petit nombre de personnes qui voient la Présence Divine à travers une cloison lumineuse comme un miroir, alors que cette déclaration de Rava fait référence à ceux qui ne voient pas la Présence Divine à travers cette séparation lumineuse.’’
La Guemara demande plus loin : ‘‘Et ceux qui voient la Présence Divine à travers une cloison lumineuse sont-ils si peu nombreux ?’’ Mais Abaye n’a-t-il pas dit : ‘‘ le monde ne compte pas moins de trente-six justes à chaque génération qui saluent chaque jour la Présence Divine », ainsi qu’il est écrit : ‘‘Heureux ceux qui espèrent en lui [ lo ]’’ ( Esaïe 30, 18 ) ? La valeur numérologique de lo , orthographié vav , est de trente-six, faisant allusion au fait qu’il y a au moins trente-six justes en tout dans chaque génération.
La Guemara répond : Ce n’est pas difficile. Cette déclaration d’Abaye fait référence à ceux qui entrent saluer la Présence Divine en demandant et en obtenant une permission, tandis que la déclaration de Rabbi Shimon ben Yoḥai parlent de ceux qui entrent sans même demander d’autorisation, pour qui les portes du Ciel sont ouvertes sans contrainte. Ils sont très peu nombreux. »
Pour le judaïsme la tsedaka (Justice) n’est pas une abstraction loin de la réalité humaine, à la manière idéaliste, une Justice qui garde les mains propres car elle n’a pas de mains.
La tesdaka convoque l’homme chaque matin quand il rencontre son prochain dans sa détresse, c’est une décision pour ou contre D-ieu de chaque rencontre. Cette protection de la vulnérabilité humaine, qui, selon la Torah est l’essence même de l’être humain est celle des héros ordinaires qui ne font que leur devoir.
Le Juste ne peut donc être que « caché », tout comme la Justice est toujours à accomplir te à venir. Le Juste est un anti-héros téléologique concret dont l’action en ce monde signale un nouvel ordre : celui de la Justice des temps messianiques.
C’est pourquoi la discussion porte au départ sur la venue du Machiah.
TODA ! EXCELLENT ARTICLE !
SHAVOUA TOV !
Denise Lorthois