Kippour… jour de perte de nos illusions les plus religieuses

Etrange jour que celui de Kippour où nous passons une journée entière à nous rappeler les jours de Kippour où le temple existait avant sa destruction en l’an 70 de notre ère. On raconte « à perte de vue » le prêtre entrant dans le Temple, prononçant le Nom divin, comment il était habillé, etc… A quoi sert-il de décrire ces rites que personnes d’entre nous n’a vécu ?

De nombreux juifs se précipitent à la synagogue en ce jour qu’ils croient le plus religieux de l’année, mais pourquoi finalement ?

Le processus religieux juif, comme le montre Maimonide, est un processus d’abstraction.

Quand les juifs ont perdu leur temple physique détruit par Nabuchodonosor en -586 et qu’ils ont été déportés en Babylonie, ils ont reconstruit un Temple non plus dans l’espace mais dans le temps : Le Chabbat. Une sanctification du temps abstraite qui définissait de nouveaux contours, une structuration de la vie non plus physique mais logique et surtout psychique.

Quand les juifs ont perdu le second Temple en l’an 70 de notre ère détruit par les armées de Titus, il ont inventé la tefilah comme « sacrifice des lèvres ». Processus d’abstraction des sacrifices physiques remplacés par des paroles. Des prières prononcées au même moment que les sacrifices du Temple avec Moussaf en plus à Chabbat, le sacrifice de ce jour.

Il est écrit à propos de Kippour : « C’est pour vous un Chabbat des Chabbat (Chabbat chabbaton), et vous opprimerez vos âmes » (Lv 16, 31)

Cette expression « Chabbat chabbaton », le chabbat des chabbats, est appliquée ailleurs au Chabbat (Ex. 31, 15 et 35, 2 et Lv 23, 3), et à l’année sabbatique (Lv 25, 4). Rachi en conclut que cette répétition signifie l’interdiction de tout travail.

Le Maharal dans son commentaire de Chabbath Chouva (le chabbat entre Roch achana et Kippour) explique : « afin que nous ressemblions à des anges ».

Privé de toute jouissance physique, habillés de blanc, comme le grand-prêtre c’est à dire d’une couleur qui contient toutes les autres et n’en est aucune, sans activité, le jeûne amplifie encore cette idée d’éloignement des contingences du monde matériel.

Chabbat construit un sanctuaire dans le temps, mais nous y vivons l’oneg, le « plaisir » de la chair, de la nourriture, des amis, de la famille, de la prière, du Quidouch : qui transfigurent le vin et la pain produits pendant le temps profane de la semaine … Chabbat sublime l’aspect pulsionnel pour le rendre à sa gratuité. Kippour porte l’abstraction à un niveau incorporel. Là il n’y a… plus rien pour une journée. Vivre à cette altitude est impossible pour l’humain qui est chair et ne comprend que ce qui est chair.

Ce processus d’abstraction vise à nous faire comprendre que D. n’a nul besoin de nos prières, à extirper en nous l’orgueil religieux, la croyance que par nos prières nous pourrions avoir le plus simple effet sur D.ieu (ce qu’est l’idolâtrie). Ces prières sont faites pour nous et non pas pour Lui, pour que nous changions réellement en abandonnant nos rêves les plus religieux et aussi nos fantasmes de toute puissance pour pardonner notre prochain et accepter le pardon de D.ieu sans qui nous ne serions rien.

Comme chacun le sait ce jour est celui du Grand Pardon.

Toute l’année et particulièrement au mois de Elloul et jusqu’à Yom Kippour, nous récitons les Séli’hot, dont le coeur sont les 13 attributs de miséricorde. Alors que nous répétons 26 fois ce Vayaavor à Kippour, les 13 noms divins donnés à Moïse, on raconte qu’était prononcé une fois l’an le nom de D.ieu dans le Saint des Saints la partie la plus sacrée et vide du Temple (les temples de l’antiquité avaient des statues dans leur sanctuaire), celui de D., dont plus personne ne se souvient de la prononciation et qu’il est interdit de dire en dehors de la prière.

Moise veut voir D.ieu mais Lui lui répond que c’est impossible. Il est à perte de vue. Penser D.ieu est impossible pour l’homme. Penser à D.ieu est possible, cela permet à l’humain de sortir de lui-même pour s’envisager autrement, à la lumière de son prochain, dans une histoire d’amour.

La Haftarah de l’office de Chaarit, elle aussi renvoie du religieux à la charité en ce jour où on jeune et se mortifie :

 » Est-ce là le jeûne qui me plaît, un jour où l’homme se rabaisse ? S’agit-il de courber la tête comme un roseau, de coucher sur le sac et la cendre ? Appelles-tu cela un jeûne, un jour agréable au Seigneur ? Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. « 

Is 57-58

La Guémara nous enseigne :

Rabbi Yo’hanane dit : « …Hachem s’enveloppa d’un Talit tel un officiant, et révéla à Moché la structure de la Téfila. Il lui dit :« Lorsque les Bneï Israël fauteront, qu’ils fassent devant Moi la Téfila de cette manière, et Je leur pardonnerai.»

Roch Hachana 17b

Si Dieu se met dans un talet, c’est pour que nous même nous enveloppions dans notre Talet et si nous le faisons c’est certes pour D.ieu mais surtout pour que Ses paroles deviennent les nôtres pour nos prochains :

« Et l’Éternel passa devant lui et il proclama : « Hachem ! Hachem ! D.ieu Tout-Puissant, Miséricordieux et clément, tardif à se mettre en colère, plein de bonté et de justice ; Il conserve Sa bonté jusqu’à 2000 générations ; supporte le délit, et la rébellion, et la faute et efface.» (Ex 34, 6)

Et peut-être pour nous même…

Maimonide commente la prière du matin : « Si on te dit que Dieu habille le pauvre, guide l’aveugle, libère le prisonnier… ce n’est pas parce qu’il a un corps… c’est pour que tu le fasses »

Le plus haut amour, aime et pardonne l’autre à cause de D.ieu lui même. Cet amour dépouillé de tout amour de soi, de tout self, s’aime en D.ieu à cause de D.ieu lui-même. Un amour humain à ce niveau est quasiment impossible.

Que l’homme soit incapable de D.ieu, fut-ce par la plus haute prière, est donc une évidence en ce jour de Kippour… et le juif plus encore que n’importe quel homme.

Le pauvre Jonas, explicitement désigné comme Juif dans la Haftarah de l’office de Minha : « Je suis Hébreu, moi ; je crains le Seigneur, le Dieu du ciel, qui a fait la mer et la terre ferme. » (Jon 1, 9), est l’archétype de l’homme incapable de la Parole de Dieu. Il est ridiculisé comme une preuve par l’absurde au moment où les marins ces goïm : « Et ces hommes conçurent une vénération profonde pour l’Eternel; ils lui offrirent des sacrifices et firent des vœux en son honneur. » (Jon 1, 16).
Alors qu’il a fallu 3 jours à Jonas dans le ventre d’une baleine pour commencer à croire, en un seul jour de prédication alors qu’il en fallait trois pour faire le tour de Ninive, ses habitants : « crurent en Dieu; ils proclamèrent un jeûne, et tous, grands et petits, se vêtirent de cilices. » (Jon 3, 5).

Quand à Abraham dont le Ete Chaarei Ratson qui ouvre la prière de Neila et raconte la Akeda a déjà été dit à Rosh Achana, il nous montre encore un homme qui n’a rien compris à D.ieu. Car il est bien clair que le D.ieu qui demanderait à un homme de tuer son fils est une pure projection de la folie religieuse humaine. Là encore, il s’agit de quitter nos projections fantasmatiques pour quitter le religieux et revenir à l’enfant. En renonçant à son fils Abraham renonce à la projection religieuse de lui-même sur son fils. Il accepte qu’il soit un autre au service de D.ieu et non plus de sa projection religieuse. Cet enseignement est scandé par l’ordre de sainteté du refrain : Oqed – HaNééqad – HaMizbea’h : de celui qui a attaché, celui qui a été attaché et l’autel sur lequel cela s’est passé.

Nos Sages nous ont prévenu, l’orgueil religieux, nos fausses conceptions de Dieu, sont la plus haute forme de l’orgueil, la plus cachée aussi et la plus dangereuse car cet orgueil sûr du bon droit au nom de D.ieu ne craint plus aucune raison humaine.

Mais D.ieu ne pardonne rien en ce jour si nous ne demandons pas pardon à notre prochain.

De plus, se dépouiller d’une conception vaniteuse de Dieu et des autres suppose probablement de se dépouiller d’une vision vaniteuse de soi-même, « Il est plus facile qu’on le croit de se haïr, la grâce est de s’oublier » disait Bernanos. Nous pardonner nos rêves grandioses de nous-même pour enfin accepter d’être qui nous sommes en vérité, déposant au pied du trône divin juste notre misère humaine, et cela suffit.

Un amour dépouillé de toute idée, doctrine ou vision religieuse, un amour de D.ieu athée en quelque sorte, sans support matériel ou physique, ni mot pour dire le Nom de celui qui est imploré; un regard qui se pose sur le prochain et soi-même avec les yeux de son Créateur… sont-ils possibles ?
Quelqu’un y est-il déjà arrivé en ce monde ?

C’est en tout cas la vision juive de D.ieu. que nous rappelle Kippour. Faute de réponse de Dieu, elle nous renvoie à l’acceptation sans condition de notre prochain et in fine, de nous mêmes. Et cela suffit pour qui sait comprendre.

Kippour c’est l’histoire d’un malentendu, l’homme vient voir D.ieu pour se faire pardonner, et D.ieu lui désigne son prochain et lui-même. On passe la journée à ouvrir et fermer les portes de l’arche de la Tebah et a en tirer le rideau, symbole du parokhet qui ouvrait sur le Saint des saints… en réalité les portes des cieux sont verrouillées mais celles de notre coeur, le vrai Temple, peuvent céder.

« Rabbi Eleazar dit : « Depuis que le Beit hamiqdash a été détruit les portes de la prières ont été vérouillées, Comme le dit le verset : ‘En vain je crie et appelle au secours, il ferme tout accès à ma prière’ (Lamentations 3, 8 ). Mais les portes des larmes n’ont pas été fermées. ‘Ecoute ma voix, Dieu, et entends ma plainte. Ne te rends pas sourd à mes larmes.’ (Ps 31) » 

Baba Metsiah 59a – Brakhot 32b

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