
J’ai rencontré JPE via mon ami Claudio Faiola, au Restaurant Le Stresa, qui me l’avait présenté. On était resté amis et il m’a longuement interviewé deux fois à Bibliothèque Médicis. Pour mon livre Mémoires Juives de Corse, puis pour Des noces éternelles et Haïm Harboun le rabbin aux milles vies (voir en bas), on se voyait souvent au Stresa.
Il est un aspect peu connu de Jean-Pierre Elkabbach, le mystique secret. Cet homme renfermait un secret.
De la mort de son papa un jour de Kippour il était resté agnostique mais attentif à l’invisible. Un peu superstitieux aussi. Il était fasciné par l’invisible. Comme ceux qui on côtoyé la mort.
Un jour en 2019 je l’appelle : « – Jean-Pierre je t’ai vu dans un rêve – Aie, pourvu qu’il ne nous arrive rien, me répond-t-il » et quelques minutes plus tard je le rencontre au Stresa, un restaurant, par une de ces étranges coïncidences dont Dieu à le secret.
Le secret justement. C’était ce mot qu’il m’avait laissé de Ibn Arabi : » « O toi qui cherche le chemin qui conduit au secret reviens sur tes pas, car c’est en toi qu’il se trouve le secret tout entier ».
Jean-Pierre Elkabbach est parti un 01 octobre 2023, son père Charles le 03 octobre 1949. Lui à Souccot, son père à Kippour.
Il raconte ce ‘secret’ du deuil jamais fait dans son très beau livre Les rives de la mémoire : « Je voulais conserver précieusement ce secret comme un talisman que l’on garde toujours sur soi, dissimulé sous un vêtement ou au fond d’une poche. »
« J’examinais les inscriptions funéraires, curieux de cette foule immense d’Oranais qu’avait rejoints mon père. Je regardais leurs noms, essayant de savoir qui ils étaient et d’où ils venaient. La compagnie de tous ces défunts atténuait ma solitude et ma révolte. La mort qui avait emporté mon père était une condition si partagée. Le cimetière et ses occupants demeuraient parmi les vivants. Ils me lançaient comme un appel : « Ne perds pas de temps, jette-toi dans la vie ! » Je me sentais dépositaire d’une sagesse insufflée par le deuil. Je ne parlais pas de ces visites au cimetière à mes amis, même les plus intimes. Non qu’ils n’aient été en mesure de m’écouter et de me comprendre. Mais je voulais conserver précieusement ce secret comme un talisman que l’on garde toujours sur soi, dissimulé sous un vêtement ou au fond d’une poche. J’aimais aussi me rendre au cimetière, à pied, sans être accompagné. Je voulais être seul. Personne ne troublait ma tranquillité : le lieu était le plus souvent désert. Je voyais parfois d’autres visiteurs, une femme en noir, un vieil homme coiffé d’un chapeau de paille, ou un mouchoir noué sur la tête. Mais ils passaient sans me regarder. Assis sur un petit banc, j’examinais en détail la tombe en marbre gris-bleu, notre nom gravé, les dates, la naissance, la mort. Je laissais mes pensées divaguer. Le départ de mon père avait dépouillé la vie de tous ses oripeaux. »
JPE dit que c’est dans ces moments passés au milieu des tombes qu’il a « puisé l’énergie de toute sa vie ».
« Je ne ressens pas de nostalgie, plutôt une tendresse, une affection, qui ont creusé en moi des ramifications secrètes et parfois mystérieuses. »
Sa maman Hanna, Annette, parlait à son papa à l’infini après sa mort et confiait à ses fils les trésors secrets de son papa diparu.
« Annette gardait cachés dans une armoire quelques objets qui lui avaient appartenu, un revolver, une carte de presse délivrée par le journal France Soir et un appareil photo Agfa. Elle les sortait de temps en temps pour nous les montrer, les manipulant avec précaution. Nous contemplions ces trésors secrets, n’osant pas les toucher. »
L’autre secret c’était Oran bien-sûr. Haim Korsia était bien sûr son grand ami d’Oran « Allo Haïm? C’est Haïm! » . Oran dont il évoque le souvenir :
JPE a passé sa vie à chercher ces secrets des personnes qu’il rencontrait comme ceux de De Gaulle, du vieux Mitterrand et de son étonnante interview sur la collaboration, de sa maladie secrète, de Chirac dont il dit que la brutalité » procédait d’un secret manque de confiance en soi ».
La manière d’interviewer qui a formé des générations de journalistes à France 2 et ensuite était de déstabiliser l’autre, quidam ou chef d’Etat, en le forçant à avouer son secret, de le pousser dans ses retranchements pour qu’il perce avec une lucidité désespérée la puissance brutale du réel et de la mort. JPE n’était pas brutal mais il aimait la vérité souvent cachée sous les apparences. Et en cela il était profondément juif, sans trop le vouloir. Comme hanté par ses disparus et par leur secret. On échappe rarement au Mektoub (destin).
Sod en hébreu, le secret est la réalité la plus mystique, la plus réelle pour les kabblistes [1]. Jean-Pierre est mort pendant la fête de Souccot qui clôture les fêtes du mois de Tichri, dont le jour de Kippour. Il se souvenait avec terreur des kapparot la veille de Kippour, alors que son père faisait tourner un poulet au dessus de sa tête pour l’égorger dans le sang et le charger de ses fautes de l’année passée. Un processus qui peut être lu comme un epure superstition ou comme un processus psychologique d’abréaction visant à éteindre la culpabilité. Kippour où l’on se souhaite : Gmar Hatima Tova « que tu sois inscrit dans le Livre de Vie », Souccot, « le jour de notre joie », où on construit une cabane pour y vivre qui nous rappelle que nous ne sommes que des passants provisoires, des nomades du désert, des bergers du désert qui n’ont que leur cape contre le soleil le jour et le froid la nuit. El Kabbach, la capas (cape, manteau) en judéo-espagnol, ou de l’arabe ‘al kabsh, « le bélier », l’animal du sacrifice, comme un pied de nez du destin. Jean-Pierre Elkabbach s’était juré que ce nom, celui de son père serait connu. Il l’a accompli.
J’aimais vraiment cet homme, nous partagions ce ‘secret’ de nos disparus, cette quête du secret, de la proximité avec l’invisible. Cette quête de tous ces pères partis trop tôt, de la Méditerranée tragique, des amours et des pays perdus. Et du temps qui déchire tout.
Que ton âme Jean-Pierre trouve le secret et que ta mémoire soit une bénédiction (zal).
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[1] : L’allégorisme mystique est fondé par le Zohar (Livre de la splendeur 13eme siècle) sur le principe que toutes les choses visibles, y compris les phénomènes naturels, ont, outre leur réalité exotérique, une réalité ésotérique destinée à instruire l’homme de ce qui est invisible. Le Zohar suppose quatre types d’exégèse biblique : « Peshaṭ » (sens littéral), « Remez » (allusion), « Derash » (anagogique) et « Sod » (mystique).
Les premières lettres des mots « Peshaṭ », « Remez », « Derash » et « Sod » forment ensemble le mot « PaRDeS » (Paradis), qui est devenu la désignation du quadruple sens dont le sens mystique est la partie la plus élevée. (Article Jewish Encyclopedia)

Avec Sylvain Fort et Maurice Olender


QUE LA SOURCE L’ACCUEILLE EN SON PARADIS.
Merci pour ce témoignage.