Un commentaire de la paracha du dernier Shabbat (à lire ici) par le Rav Haïm Harboun.
Ce chabbath et les deux suivants nous lirons deux parachioth. Pourquoi ? Tout simplement parce que Le calendrier juif est luni-solaire. Il comprend jusqu’à 54 semaines, ce nombre variant selon les années, « pleines » ou « défectives ». On réunit donc, les parachioth pour atteindre le nombre de lectures permettant de lire toute la torah en une année.
De l’écologie à la circoncision
L’ordre des sidroth que nous lisons chaque chabbath n’est pas fortuit il répond à une logique, conforme à l’esprit de toute la Torah. Ces deux sidroth sont placées après la sidra de Chémini qui s’achève sur le sujet de la nourriture et nous guide dans le choix des animaux que l’on peut consommer ou non. Ce choix que propose la Torah répond, comme nous l’avons remarqué la semaine dernière, à des principes écologiques. Les animaux interdits visent à ne pas briser la chaîne et l’équilibre écologique. Les fruits de la mer, les crabes, les moules, les langoustes, les crevettes etc… constituent la nourriture pour les autres poissons. En les consommant, l’homme détruit un équilibre écologique ce qui a pour conséquence la disparition de nombreuses races de poissons privés de la nourriture qui leur était destinée.
La section de la torah lue aujourd’hui commence par la naissance d’un être humain, ainsi que la prescription de la circoncision qui en toute logique aurait dû trouver sa place dans la Sidra de Lekh lékha avec la circoncision d’Abraham. Pourquoi donc parler de la circoncision après avoir longuement débattu des animaux permis et défendus à la consommation ? Rachi nous donne une indication, quand il commente le deuxième verset de notre Paracha : Une femme, lorsqu’elle concevra . Il rapporte :
« Rabbi Simlaï a enseigné : De même que la création de l’homme a eu lieu, dans l’œuvre de la Genèse, après celle des béhémoth, des ‘hayoth (« animaux sauvages ») et des oiseaux (Beréchith 1, 26), de même la loi qui le réglemente est-elle formulée après celle relative aux ‘hayoth, aux behémoth et aux oiseaux (V. Sanhèdrin 38a). »
Il faut comprendre que l’homme a été créé après les animaux et que la Torah, dans son souci de bien distinguer les ordres, par ce geste de la circoncision définit ce qu’est l’entrée dans l’humanité. L’homme, par la conscience, par la capacité symbolique, sort de l’animalité. Le développement du petit d’homme est semblable à celui du petit animal et au début il semble même moins bien adapté à la nature mais très vite apparait chez le petit d’homme à élaborer des concepts par la parole. Cette capacité symbolique qui va lui permettre de créer, de construire d’inventer par la simple pensée, le sort de sa condition animale. L’homme se détache de l’animalité par cette capacité symbolique qui va lui permettre ensuite de choisir le bien et le mal, et la Torah lui enjoint de ne pas tomber au stade de l’animal. La torah donne donc à l’homme le rôle de gardien de l’équilibre écologique par ses choix et sa conscience. L’homme peut détruire ou construire l’univers par son comportement.
La circoncision est donc mentionnée au début de la sidra de Tazriah, pour que l’homme se rappelle qu’il a pour charge de parfaire la création. Labrith (l’alliance) exprime un choix et non une détermination, un ordre ontologique de la création, face auquel l’homme n’aurait qu’à se taire. C’est ce qu’exprime une anecdote midrachique : « Turnus Rufus dit à Rabbi Akiva : « Si Dieu demande la circoncision, pourquoi le bébé ne sort-il pas du sein maternel déjà circoncis ? ». Rabbi Akiva lui répondit: « … Dieu n’a donné les commandements à Israël que pour le rendre parfait grâce à eux » » (Midrache Tan’houma, Tazria 5)
Cette réalité écologique de la circoncision apparait quand la Torah dit que le fruit de l’arbre fruitier qui vient d’être planté « est incirconcis (orla) pendant trois ans… on n’en mangera pas » selon le code Lévitique (Lv 19, 23). La Tradition juive a remarqué que, chaque fois que le terme orla est employé dans la Bible, il désigne une barrière faisant obstacle à un résultat favorable. Ainsi, la résistance de quelqu’un au repentir est appelé la orla du cœur : « Supprimez donc la ‘orla de votre cœur » (Dt 10, 16). La suppression de l’obstacle rétablit donc l’alliance avec D. en même temps qu’elle frustre le corps de sa prétention à l’unité sans Dieu. En enlevant le prépuce, l’homme juif signifie la séparation qui le fait entrer dans l’humanité juive, qui n’a d’autre prétention que de signifier aux autres êtres humains l’humanité tout court, la sortie de l’animalité pour accéder à la parole. C’est d’ailleurs ce jour-là que l’enfant reçoit son nom, il entre dans la filiation qui le rend redevable de son humanité dont le nom –la psychanalyse l’a suffisamment montré, est le sceau symbolique et la porte d’accès au langage et au Réel. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le : « Et le Seigneur, ton Dieu, circoncira ton cœur et celui de ta postérité. » (Deut. 30, 6). L’homme n’est donc pas le dominateur de la création mais il est celui qui la protège et qui veille sur elle. Lé’ovdah oulchomrah. Par son action et ses choix il peut conduire l’humanité au désastre, mais il a aussi et surtout la possibilité de parfaire le monde.
De la « lèpre »…
Non seulement Tazria suit Chéminit mais en plus Tazria est liée cette année à Metsorah. Pourquoi ? Le fait de lier ces deux Sidroth a un sens : car Tazria (elle concevra) qui parle de la circoncision, de la purification de la femme accouchée mais aussi de la lèpre. La section suivante Metsorah traite aussi des maladies « lépreuses ». Nous lisons deux sidroth parce que leurs sujets se complètent. La sidra de Tazria traite des différentes formes de lèpre et le statut de celui qui en est atteint, et la sidra de Métsorah relate le processus de purification. Mais quelle est cette « lèpre » qui affecte non seulement les corps, mais aussi les habits, les maisons… Est-ce la maladie de Hansen (la lèpre des manuels de médecine ? évidemment pas. Mais on peut penser que nos Maîtres ont constaté autour d’eux les ravages mortels sur les corps de cette maladie infectieuse qui a frappé leurs esprits et ont utilisé ce symbole pour nous parler de quelque chose d’encore plus importante, une maladie qui touche chacun de nous. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » dit la fable Les animaux malades de la peste.
Cette lèpre symbolique n’a donc rien à voir avec la maladie bien connue pas plus que la circoncision n’a à voir avec la médecine. Car, Metsorah vient du verbe Yatso « sortir » et Ra’ (mauvais) Cette lèpre n’est donc pas ou pas seulement une affection extérieure de la peau, des habits ou des murs des maisons… c’est-à-dire toutes les « surfaces sociales ». L’origine de la maladie qui affecte toutes les protections du corps (la peau), de la vie sociale (l’habit, la maison)… et qui symbolisent les clôtures permettant la socialité, sort du cœur de l’homme, de l’intérieur. L’origine de la lèpre a ainsi été comprise par les les Sages comme le Lachon Hara’– la « mauvaise langue », la médisance. C’est cette parole qui distingue l’homme de l’animal –et quand le serpent parle dans le Genèse il ne fait que répéter à l’envers les paroles de Dieu en disant : « vraiment l’Eternel a dit que… comme un perroquet pervers ! un animal qui voudrait « faire l’homme » et qui en réalité entraine le couple originel dans la régression vers la bestialité et qui finira pas ramper plus bas que terre ! Donc le Lachon Hara’, littéralement la « mauvaise langue», la médisance répandue dans la société par un organe interne, est à l’origine de cette lèpre mystérieuse qui se déverse à l’extérieur et gangrène les rapports sociaux.
La tradition hébraïque rattache la maladie de la lèpre à la mauvaise langue et à la médisance. Elle considère le médisant comme une personne morte. Parce que l’homme ne vit que par les relations qu’il entretient avec ses semblables. Le lépreux se particularise par le fait d’être exclus de la communauté. La médisance exclut aussi l’homme du cercle social. Parce que la mauvaise langue sème le désordre dans les relations humaines. Nos sages disent : « la langue peux tuer de loin alors qu’une arme ne peut tuer que de près. » Toute relation sociale est détruite par la mauvaise langue. C’est pourquoi la Torah précise que le lépreux doit être placé « hors du camp ». Il est coupé de toute relation humaine jusqu’à sa guérison qui sera constaté par le grand prêtre.
Et encore, la Torah ne parle pas de guérison mais de « purification ». Pourquoi ? Parce qu’il est nécessaire de guérir et le corps et l’esprit.
En écho, la haftara de Tazria (2 Rois 4, 42– 5, 19) raconte comment le prophète Elisée, comme les Cohanim, soigna la « lèpre » (tzara’at).
On retrouve cela dans le livre de Thomas Mann « Mort à Venise », où la lèpre ronge la ville derrière la somptuosité des façades, où les êtres pourrissent lentement. Qui n’a jamais remarqué le chaos derrière les apparences extérieures ? la misère morale derrière les conventions sociales impeccables ?
Pourquoi certaines personnes disent toujours du mal des autres ? Comme si en les abaissant elles s’élevaient… alors que ces personnes rabaissent le niveau général à leur vision du monde en rase motte ? Cela est lié à une insécurité intérieure profonde. Celui qui rabaisse les autres se perçoit comme au ras de terre, incapable de grandir, c’est souvent quelqu’un qui a été rabaissé dans l’enfance, humilié, rejeté plus bas que terre. Il faut donc un long processus de purification pour guérir de cette erreur de perspective.
Essayons de comprendre ce qu’est cette « purification ».
La purification
Pour bien comprendre le sens du passage qui traite de la purification ou de la guérison il est indispensable de reprendre le processus décrit dans les versets suivants :
« Le pontife se transportera hors du camp, et constatera que la plaie de lèpre a quitté le lépreux. Sur l’ordre du pontife, on apportera, pour l’homme à purifier, deux oiseaux vivants, purs ; du bois de cèdre, de l’écarlate et de l’hysope. Le pontife ordonnera qu’on égorge l’un des oiseaux, au-dessus d’un ustensile d’argile, sur de l’eau vive ;Pour l’oiseau vivant, il le prendra ainsi que le bois de cèdre, l’écarlate et l’hysope ; il plongera ces objets, avec l’oiseau vivant, dans le sang de l’oiseau égorgé, qui s’est mêlé à l’eau vive ; en fera sept aspersions sur celui qui se purifie de la lèpre, et, l’ayant purifié, lâchera l’oiseau vivant dans la campagne .Celui qui se purifie lavera ses vêtement, se rasera tout le poil, se baignera et deviendra pue . Il pourra alors rentrer dans le camp. (Lévitique 14, 3-8)
L’interprétation de cette règle de purification ne peut-être comprise que par le symbole. Le terme qui revient souvent dans ces versets et Hayim qui signifie : la vie, ce mot étant un pluriel en hébreu car la vie est à profusion, luxuriante, multiple. Chaque élément de toute cette cérémonie de la purification symbolise donc le passage de la mort à la vie, et tout ce qui la symbolise.
Passons en revue tous les éléments de la purification:
- Les oiseaux : C’est le symbole de la liberté inhérente au vivant. « Un oiseau sera égorgé et l’autre restera vivant » : c’est le symbole de la vie et de la mort.
- Le bois de cèdre : Le Cèdre est le symbole de la vigueur, de la force. C’est le bois de cèdre qui servira bien plus tard à la construction du Temple. Les psaumes évoquent souvent les cèdres du Liban. Arzé halébanone. Le juste s’élève comme un cèdre du Liban (Ps 82, 13), cet arbre puissant que seule la voix de Dieu peut casser (Ps 29, 5-11)
- L’écarlate : symbolise le sang par sa couleur or la Torah dit qui hadam hou hanéfèch, le sang c’est l’âme, celle-ci n’est présente que dans un corps vivant.
- L’hysope est le symbole du passage de l’esclavage à la liberté. Le lépreux est considéré comme mort (Metsorah néhchab kémètt). Quand les Hébreux voulaient quitter l’Egypte, ils ont badigeonné les linteaux de leurs maisons de sang avec un bouquet d’hysope. Le passage de l’esclavage à la liberté rappelle le passage de la mort à la vie.
- Un ustensile d’argile sur de l’eau vive : L’argile est une matière absorbante, ce qui représente une peau vivante, et l’eau, doit être vive et pas stagnante…
Comme on peut le constater il s’agit dans notre texte du passage de la mort à la vie.
« Avec le sang de l’oiseau égorgé on badigeonnera l’oiseau vivant on le plongera dans l’eau vive et on le lâchera dans la nature ». C’est une manière de nous apprendre que le sang qui symbolise l’âme et l’eau vive donnera la vigueur et la vie à l’oiseau, symbole du lépreux qui recouvre la santé.
La cérémonie de la purification qui permet au lépreux de réintégrer la société est une fête des retrouvailles de la vie. Le lépreux en se resocialisant passe de la mort à la vie. Il passe d’une parole mauvaise qui détruit toute vie sociale à une parole vivante, constructive pour lui et ceux qui l’entourent.
Il nous reste à comprendre pourquoi on doit raser tous les poils du lépreux. Une peau sans poils symbolise l’enfant qui vient de naître. En effet le lépreux qui guérit est comparable à un bébé qui vient de naître.
La purification de la femme qui la rend « pure » ne vise pas à la laver mais à la réintégrer dans son rôle. D’impure au sens de « hors circuit », hors rite, « elle ne touchera à rien de consacré, elle n’entrera point dans le saint lieu, que les jours de sa purification ne soient accomplis ». Par la purification, la femme comme le lépreux redevient « pure » c’est-à-dire réintégrée socialement car sa vie s’est écoulée d’elle, elle a touché sa mort et retrouve après cela la vie sociale qu’exprime la liturgie. Voilà pourquoi l’impureté provient souvent dans la Bible d’un flux qui s’écoule hors du corps. Il s’agit dans la purification de célébrer ce passage de la mort à la vie, de l’impureté à la sainteté.
De la purification de la femme à la purification du lépreux en passant par la circoncision, la boucle de l’humanisation est bouclée.
On peut toujours penser que la Vie n’a aucun sens et que l’humanité et la vie sur cette terre ne sont qu’une fine couche de moisissure à la surface d’une orange, une lèpre… mais la Torah écrite et orale, ne croit pas cela, elle définit ce qu’est une vie sensée et les décisions que nous devons prendre pour cela, ici et maintenant.
Tous ces textes vénérables qui commandent la soumission à Dieu, évoquent des sacrifices et des rituels de purification dont les créatures innocentes que sont les animaux font les frais .Si le sang est le symbole de l’âme et de la vie, point n’est besoin de le répandre « à la face » du créateur de l’univers…Le bouc chargé des péchés de l’humanité que l’on égorge ou que l’on précipite dans le ravin, l’oiseau égorgé pour en barbouiller un autre de son sang ne sont que barbarie, et par ces rituels funestes Dieu est transformé en « Moloch » qui reçoit en retour la destruction de ce qu’il a créé.
Limpide, comme toujours ! Merci.
Le nombre des sacrifices rapporté dans la bible n´a pas d´historicité même si ces pratiques furent probables dans les cultes anthropomorphes où les prêtres-rois étaient nourris comme des dieux vivants. Jean Bottéro écrit de manière fort intéressante sur ce passé de l´Eden.
Un rituel sacrificiel d´âme, enrichi du sens de l´insertion sociale, n´est-ce pas cependant mieux qu´un sacrifice d´âme d´une bête qui n´a souvent pas joui de la nature pour qu´elle devienne plus vite un repas de chair après avoir été éventuellement fracturée par un plot lui donnant un traumatisme crânien pour rendre muette toute riposte d´elle?
Si l´on a de la compassion pour l´âme de l´homme comme de la bête redevenons des bergers ou des végétaliens et offrons en odeur agréable à elohîm des psaumes venant du sanctuaire de notre coeur.
» Nathalie »
Merci de donner suite au commentaire daté d’ il y a plusieurs mois déjà, à l’encontre de ces textes sacrés que j’avais osé critiquer (non sans crainte de soulever quelques protestations) et pour lesquels je n’éprouve pas de respect..
L’empathie vis à vis de l’ être humain, et qui inflige un tel traitement à l’animal n’est que barbarie qui s’inscrit dans les textes sanglants rapportés par la mythologie grecque et latine. Ce qui est contradictoire, ce sont par ailleurs les préceptes qui nous sont donnés concernant le traitement des animaux, et le respect qui leur est du .
Pour ma part cela fait des décennies que la viande ne fait plus partie de ma nourriture, mais imposer cela autour de soi relève de la gageure.
Heureusement ce sont ces préceptes de précaution que nous retenons, Yedida, mais même cela peut à peine s´imposer dans notre propre maison.
Appliquons-nous à faire le mieux là où nous le pouvons afin que luise notre coin sombre.