La mémoire de l’hébreu… Soixante deux ans plus tard

L’homme qui enseigne l’hébreu sur cette photo prise ce matin en 2015 et qui vient d’écrire shana (« l’année ») :

Haim Harboun

…. est le même que celui qui est à droite, en janvier 1953, maître de la classe d’Hébreu du cours complémentaire de l’école Georges et Maurice Leven à Marrakech. Soixante deux « années » justement, plus tard ! Un certain Haïm Harboun…

Capture

Ha shana haba be Yeroushalaïm, « L’an prochain à Jérusalem ! » 

Voici ce que j’ai écrit de l’hébreu dans mon livre Des Noces éternelles, un moine à la synagogue:

L’hébreu est une langue concrète, physique. Ainsi le désert se dit tohou. Il vient d’une racine WHT qui signifie « être dévasté ». Le mot sonne comme le hurlement d’une hyène ou d’un chacal dans le désert. Comme le hurlement du chien qui apprend la mort de son maître, celui de la femme dont le soldat prend l’enfant. Celui qui a entendu ce cri sait ce qu’est la parole humaine, cet instant où elle sort de l’animalité pour devenir humaine. Du coup quand on lit la Bible en hébreu, celle-ci prend un tout autre sens. Ainsi, la phrase du début du Livre de la Genèse lors de la création du monde qui le raconte avant la création de la lumière dit  : « La terre était informe [tohou-vavohou : qui a donné « Tohu Bohu »] et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit (rouah, le « souffle » de vie) de Dieu se mouvait au-dessus (al penei : « sur le visage ») des eaux (amaïm au pluriel, la multitude des gouttes d’eau) [1].

Ce tohou prend une profondeur insoupçonnée quand on la lit dans sa langue originaire, le tohou c’est chacun de nous quand nous sommes dévastés. Si l’on convoque d’autres textes pour mieux comprendre ce que cette phrase veut mystérieusement dire, comme le prophète Isaïe qui écrit au VIIIè siècle avant notre ère: Voici, ils ne sont tous que vanité, Leurs oeuvres ne sont que néant, Leurs idoles ne sont qu’un vain [tohou] souffle. [2] : la vanité humaine est à nouveau associée au néant primordial, le tohou c’est la vanité, ce qui ne mène nulle part, le « on » des systèmes de croyances humaines et des apparences… Le Livre du Deutéronome de son côté raconte : l’Eternel l’a trouvé dans une contrée déserte, Dans une solitude [tohou] aux hurlements sauvages ; il le protège, il veille sur lui, le garde comme la prunelle de son œil [3]… Dieu nous aime dans notre tohou, alors que nous hurlons de solitude, il vient nous chercher dans notre vanité et nos illusions pas dans notre célébrité et nos petites gloires. La condition pour que la lumière se fasse est donc que nous passions par une forme de néant de tout ce que nous croyons humainement. Seule la lumière de l’Eternel est unification, mais elle ne peut se manifester et Il ne peut être reconnu que dans un processus lent, passant par la destruction apparente.  Celui qui traverse cette solitude peut s’écrier avec le psalmiste : L’abîme [tohou] appelant l’abîme [tohou] à la voix de tes cataractes, la masse de tes flots et de tes vagues a passé sur moi. Au long du jour, le Seigneur m’envoie son amour ; et la nuit, un chant est sur mes lèvres, ma prière au Dieu vivant !

L’Hébreu me poussa dans mes derniers retranchements.Assoiffé, je remontais le cours vers la source.

HH aux platines  !!!  (cet hiver)
HH aux platines !!! (cet hiver)

[1] Livre de la Genèse 1, 2

[2] Livre d’Isaïe 41, 29

[3] Livre du Deutéronome 32, 10

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